C’était une école, primaire, collège et lycée, et petit séminaire, dans les années soixante, qui se prétendait catholique. Si les parents avaient su ce qui se tramait vraiment derrière ces hauts murs, nul doute qu’ils auraient retiré leurs progénitures de cet enfer. Enfin, je l’espère. Pourquoi ce silence assourdissant ?
D’abord, souvent et presque toujours, les élèves étaient des recalés de l’enseignement public. Les familles soucieuses de donner une dernière chance à leurs rejetons, s’imaginaient que l’enseignement dispensé y était de meilleure qualité.
Je peux témoigner qu’il n’en était rien. J’ai connu un élève, âgé de vingt ans, qui allait passer les épreuves du BEPC pour la nième fois. Les résultats aux différents examens étaient désastreux. Les surveillants eux-mêmes tentaient d’obtenir leur baccalauréat à l’âge où certains sortaient des facs. L’un d’entre eux avait vingt-sept ans. Ayant plusieurs fois raté les épreuves du bachot, il s’était fait moine à un moment donné de son existence, mais les religieux qui l’avaient accueilli en leur sein l’avaient renvoyé. La plupart des enseignants étaient des prêtres, à l’exception d’une religieuse, sœur Pétronille. L’enseignement qu’ils dispensaient n’était pas au niveau. Les élèves, dont certains n’auraient pu retrouver un établissement pour les accueillir, se taisaient sur la vie quotidienne dans ce pandémonium qui n’avait rien à envier aux maisons de résipiscence, ou de correction. Les portes de l’enfer! Et puis, les parents, en ce temps-là, n’écoutaient pas les doléances de leurs enfants, pensant qu’ils exagéraient, et même certains d’entre eux se réjouissaient de les voir en baver, estimant que cela ne pouvait que leur faire du bien.
J’ai fait mon entrée dans cette institution pour des raisons familiales. Mon père, militaire de carrière, avait été affecté dans un camp militaire où il n’y avait qu’un collège comme établissement du secondaire à proximité. Comme dans le précédent lycée j’avais entre autres matières le latin, mes parents me mirent comme pensionnaire dans cette école, placée sous l’égide de la Vierge. Ce n’était pas la douceur mariale qui y régnait.
D’abord, la nourriture était en quantité insuffisante. Les tables accueillaient huit élèves, et il n’y avait bien souvent qu’à manger pour cinq. Les plus grands se servaient et il ne restait que des miettes pour les plus petits, qui étaient tous en état de carence. Se plaindre était mal vu, nous passions pour des mouchards, et les «bons» pères ne voulaient pas entendre parler de nos histoires. De plus, c’était infect. Le père supérieur prétendait que le cuisinier avait officié sur le paquebot France. Si tel avait été le cas, je pense que les passagers et l’équipage se seraient mutinés et auraient passé le cuistot par dessus bord. Je me souviens d’un jour où de la purée en flocons nous avait été servie : grisâtre, avec un fort goût de moisi, voire de pourri. Personne n’en voulut. Nous nous rattrapions sur le goûter, mais ça n’allait pas bien loin. Nos parents alimentaient nos boîtes à provisions, mais c’était nettement insuffisant, vu que nous ne rentrions chez nous que tous les quinze jours. Le petit déjeuner, ignoble. Un café au lait amer au possible, du pain sec avec de la compote de pommes à étaler dessus, c’était là tout notre viatique. Je me souviens d’un jour où j’ai été surpris par le préfet de discipline, un vendredi, en train de dévorer le dernier morceau de saucisson qu’il me restait. Cinq cents lignes de grec à recopier en guise de pensum.
Ces «braves» ecclésiastiques, eux, bénéficiaient d’un régime spécial. Leur réfectoire était situé à l’étage, bien à l’abri des regards indiscrets, servis par des religieuses. Mon père, qui était venu me rendre visite pour m’apporter du linge de rechange, avait été convié à leur table. Je me souviens encore du menu, qu’il me détailla par la suite : entrée : langoustines mayonnaise, suivies d’un un rôti de bœuf accompagné de frites, avec des pâtisseries en guise de dessert. Ces monstres, il n’y a pas d’autres mots pour les décrire, avaient affirmé à mon géniteur que, hormis l’apéritif, le vin, le café, les liqueurs, les pensionnaires mangeaient les mêmes plats qu’eux. Finalement, ils se servaient de l’argent que nos parents versaient pour la pension pour bien se soigner en priorité.
La faim nous taraudait. Manger était devenu une obsession. Pour améliorer l’ordinaire, certains n’hésitaient pas à se faire punir. La punition consistait à dégermer les pommes de terre à l’aide d’un couteau et à enduire les tubercules d’une poudre que j’ai toujours soupçonnée être toxique, ou à traîner des seaux de charbon juste devant la chaudière du chauffage central. Comme ils laissaient les punis sans surveillance, ceux-ci faisaient un petit tour dans les réserves de ces messieurs. Là étaient entreposés foie gras, confits, pâtés et autres conserves dont certains parents d’élèves les gratifiaient. Ils ne s’apercevaient même pas des larcins tellement toutes ces denrées abondaient.
Question hygiène, on touchait le fond. Une douche chaque semaine, le jeudi. Dans des cabines individuelles, les prêtres ayant probablement peur des actes impurs qui auraient pu survenir dans des douches collectives. Durée deux minutes trente montre en main, douches chronométrées par un surveillant hollandais. J’entends encore sa voix et son accent : « Atention, prêts-prêts pour douche, allez-y. Attention, sortir des douches! » Deux minutes trente pour se déshabiller, se savonner, se shampouiner, se rincer, se sécher et se rhabiller. Mission impossible, ou presque. Certains élèves avaient trouvé le truc : ils restaient habillés, se mouillaient les cheveux, et ressortaient en donnant l’impression de s’être lavés à fond. Pas besoin de vous décrire les odeurs qui encombraient les dortoirs et les salles de classes. En plus des mycoses dont beaucoup d’entre nous furent atteints. Des séances de sport sans douche, un régal pour ces parasites. La nuit, ils nous coupaient le chauffage, surtout en plein cœur de l’hiver.
Et je ne vous fais pas grâce des châtiments corporels. Les grands élèves se vengeaient parfois. Une nuit, ils tendirent une ficelle entre deux lits pour que le préfet de discipline se cassât la figure pendant ses rondes nocturnes. Ce personnage, surnommé le Gnouf, doté d’un physique porcin, tentaient de surprendre les élèves qui ne dormaient pas. Il braquait une grosse lampe dans les yeux des dormeurs, qui bien sûr se réveillaient , et les gratifiait d’un coup de torche sur le sommet du crâne. Cette nuit-là, il fit une belle chute. Les lunettes de travers, avec quelques belles bosses, il appela les surveillants au secours. Entre temps, les responsables avaient récupéré la cordelette. Il demanda aux auteurs de cet «attentat» de se dénoncer. Personne ne le fit. Il nous obligea à descendre en pyjamas dans la cour, alors qu’il neigeait, et à tourner en rond jusqu’à ce que le ou les coupables avouent . Le lendemain, l’infirmerie était encombrée d’élèves qui toussaient à qui mieux mieux. Un autre jour, les grands saccagèrent sa chambre en vidant le contenu d’un vase dans son lit, en mettant tout sens dessus dessous. Les représailles ne tardèrent pas : ceux qu’ils soupçonnaient avoir commis cet «abominable forfait » durent s’agenouiller sur une règle en alu, un dictionnaire tenu à bout de bras. Et ce châtiment était exercé par les pions ! Aucun des responsables présumés ne passa aux aveux. Une autre fois, les mêmes coiffèrent la statue de saint Joseph qui trônait dans la cour d’un vieux caleçon bien cradot. Représailles! Je vous passe les gifles, les coups de pieds aux fesses dont ils nous gratifiaient allègrement. Une nuit , l’un d’entre nous, excédé, fit une fugue. Trente kilomètres pour regagner la ferme paternelle. Par peur du scandale, ils le réintégrèrent.
Je dois reconnaître qu’il n’y avait pas de pédophiles parmi ces religieux. Du moins pas à ma connaissance. Par contre un élève fut surpris alors qu’il tentait de violer un jeune élève de sixième dans les toilettes. Il fut exclu sur le champ. Combien de victimes avait-il fait, je ne l’ai jamais su. Les prêtres étouffèrent l’affaire, qui ne connut pas de suites. Pas de vagues, pas de vagues.
On nous obligeait à nous confesser tous les vendredis auprès d’un prêtre choisi comme directeur de conscience. Mieux valait ne rien révéler, dans le style : je confesse que c’est moi qui ai mis une punaise sur le siège du père X juste avant son cours. Ces messieurs se répétaient entre eux le contenu de nos confessions. On pouvait s’en apercevoir à la manière dont ils traitaient ensuite le coupable. Le secret de la confession, ils s’asseyaient dessus. Finalement, on se contentait d’avouer des peccadilles imaginaires, dans le genre : « J’ai commis le péché de gourmandise; j’ai mangé quatre carrés de chocolat au lieu de deux à quatre heures.» C’était plus prudent.
J’ai supplié mes parents de me retirer de ce cauchemar. Ils m’exhortèrent à la patience, attendu que mon père allait obtenir un poste dans une garnison plus importante, et que je pourrais réintégrer l’enseignement laïc. Au final, j’y restai deux longues années. Quand j’en sortis, ma mère me traîna chez notre médecin. Deux ans de ce régime avaient durement éprouvé ma santé. J’accusais un retard pondéral important. Ce n’était pas les diverses vacances qui auraient pu compenser cela. Devant mon état, il prescrivit des analyses de sang, qui s’avérèrent catastrophiques. Il pensa même que j’étais atteint d’une leucémie. Après des batteries d’examens plus approfondis, je dus avaler pendant quelques mois vitamines, fer, et autres oligos- éléments. Le lycée de la ville où nous résidions désormais consentit à me reprendre, moyennant un examen de passage. Je venais du privé! Après avoir potassé un bon mois, je subis l’examen avec succès, avec une moyenne inespérée. Jamais la discipline bon enfant d’un lycée de la République ne me parut si douce le jour de la rentrée.
Quelques années plus tard, quelle ne fut pas ma surprise de recevoir une lettre de mon ancienne école! Le père supérieur contactait les anciens élèves pour que ces derniers fissent un don pour sauver l’école qu’ils avaient tant aimée (sic). En effet, les langues s’étaient déliées, et les parents d’alors ne confiaient plus leurs enfants à cet établissement. Les effectifs fondaient à vue d’œil. Mon sang ne fit qu’un tour; je répondis à ce maroufle que : premièrement, je n’avais jamais aimé son école, et que deuxièmement je souhaitais qu’elle crève le plus vite possible afin que nul ne connût plus le cauchemar que j’avais vécu. Je n’eus pas de réponse. Tout ce que je sais, c’est que cet établissement a été transformé en LEP, que les curés ont été reversés dans des paroisses. L’un d’entre eux fut même affecté dans celle où nous résidions. Les années ont passé, presque soixante ans. C’est loin, mais je n’ai jamais oublié. Depuis, j’ai appris à me méfier des prêtres.
ARGO
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moi, j’ai connu aussi mais avec des « bonnes soeurs civil »… des vraies garces avec les gosses d’ouvriers dont je faisais partie et mielleuses avec ceux de riches..! punitions, humiliations et mises à l’écart… une qui s’appelait Courtelle..la saleté! en Bretagne en 1960 …elles étaient les chefs!! j’ai haï la religion catho pendant des décennies!!
Pas de mauvais souvenir de mes années passées dans les institutions catholiques. Ai gardé les bases d’une bonne culture générale qui me sert tout le temps.
Et bien voilà un endroit tout à fait charmant. C’est exactement ce qu’il faut recréer pour tous nos délinquants mineurs. De la correction, du pain sec, de la discipline et fini les embrouilles à la guillotière, à Barbès, sur la canebière ou au Mirail…. (je suis sérieux) et de l’étude serieuse pour faire oublier leurs » mahometaneconeries »
Merci pour ce beau récit très humain, on voudrait tant pouvoir se déplacer dans le temps et l’espace pour réconforter l’élève de l’époque qui a vécu cela.
Pour avoir été en 1956 pensionnaire à l’âge de 4 ans à l’ école catholique privée tenue par des religieuses, que du bonheur, j’ai bien appris à lire, compter…etc.
En école privée toujours catholique toujours tenue par des religieuses de la 6 ème à la seconde, RAS. Ensuite école privée non catholique: Disciplinaire d’ enfer.
J’ai toujours béni mes parents de m’avoir placée dans le privé.
Je n’ai jamais regretté la discipline, toujours mangé à ma fin. Seul bémol pas de rigolade avec les religieuses.
Pour avoir bénéficié de la part de mon employeur un congé de formation en lycée public: L’ horreur avec ces profs de l’ éducation nationale, je pourrai écrire un livre.
A chacun et chacune son expérience, en ce qui me concerne j’ai un bon souvenir de l’ école privée et je dis merci à mes parents.
Ce n’est pas un sujet privé / public, il y a des cons partout hélas …
Mon père a vécu des moments semblables à Autun, pendant la guerre (ah, les douches minutées !) et en garde un bien mauvais souvenir.
Il ne voulait pas que j’aille dans le privé, ma mère a gagné et j’y ai été très heureux. Y compris en ayant rencontré des prêtres formidables qui m’ont fait grandir droit dans une compassion véritable.
C’était l’époque ? Il y toujours eu des instituts pour mauvais élèves. Le problème est que tout le public est devenu un « institut pour mauvais élèves ». Je suis pour la diversité : pour la développer il ne faut pas mélanger, laisser croître la différence et l’excellence. Le sujet n’est pas de flinguer les établissements qui sélectionnent, mis de faire revenir les bons élèves vers les autres. Cela demande des efforts : plus difficile de tirer vers le haut, que de taper sur le haut pour éviter la visibilité de la nullité du reste …
Quel récit, ami Argo ! Oh là là ! Quel témoignage ! Effectivement, l’enseignement privé de cet époque était souvent catastrophique. Et les parents croyaient les bobards des profs et non leurs propres enfants.
Personnellement, j’ai été deux ans dans le privé, classe de première et terminale. C’était pas toujours très plaisant, mais dans l’ensemble je ne m’en suis pas trop plaint, en fermant les yeux sur certaine petites choses pas très graves.
Ma femme a eu moins de chance, elle a été plusieurs années dans une pension de religieuses et on retrouve à peu près la description de ton article. La journée commençait par une messe à jeun pour ces jeunes filles, et plusieurs tombaient dans les pommes. Insultes, vexations aussi, et je sais que beaucoup ont eu de très gros problèmes psychologiques de nombreuses années après avoir quitté cet établissement.
Merci Argo pour cette belle tanche de vie, qui permet et au moins à moi, de t’apprécier davantage.
En ce qui me concerne, ce serait plutôt « Les hauts murs » d’Auguste le Breton…
Bonjour,
Merci pour ce témoignage, Argo …
J’ai la même expérience, en beaucoup moins dramatique, du passage de deux années dans le privé catholique …
Et de la même libération quand je suis arrivé dans le Public …
Je ne pardonne pas à la Gauche actuelle d’avoir totalement déclassé le Public par rapport au privé ….