Que serais-je sans toi ?

Pour le coup de coeur de ce dimanche, place à deux monstres sacrés français, l’un de la littérature et l’autre de la chanson française : Aragon et Ferrat. L’un a écrit des poèmes d’amour d’une beauté renversante, l’autre les a mis en musique, parfois réécrits et les a chantés, avec tout son coeur, avec toute son âme.

Je sais que d’aucuns parmi vous, amis lecteurs de RR, vouent une inimitié voire une haine absolue à l’un et/ou à l’autre pour leurs engagements politiques. A tort ou à raison, je ne m’attarderai pas là-dessus aujourd’hui mais j’y reviendrai sans doute dans un autre contexte. Quoi qu’il en soit, à RR on n’est pas sectaires, on n’a rien d’une Sandrine Rousseau, d’un Piolle, d’un Mélenchon et compagnie, toutes ces raclures de bidet qui jettent le bébé avec l’eau du bain quand ils n’aiment pas la couleur de l’eau.

Pas de ça chez nous. Nous, on aime la culture, on aime la beauté et il est hors de question de se passer d’entendre, de lire, de regarder… des oeuvres majeures sous prétexte que leur auteur serait un salaud ou même carrément un nazi. L’art, et c’est la grandeur de l’homme, est universel et, sauf quand il s’agit d’art engagé, appartient au lecteur, spectateur, auditeur…

Alors, en ce dimanche de printemps, où tout, la lumière, la chaleur, la poussée de la nature évoque la vie, la naissance, quel plus beau cadeau que de lire et écouter l’un des plus beaux poèmes d’amour qui soit ? On devrait dire « l’une des plus belles chansons d’amour qui soit« , et Dieu sait s’il en est beaucoup, pour notre plus grand bonheur.

A l’origine, il y a la rencontre entre Louis Aragon et Elsa Triolet. Le début d’une très longue histoire d’amour fou. Le début de nombre de poèmes écrits à Elsa, dédiés à Elsa, muse, amante et épouse.

Puis il y a Jean Ferrat, passionnément épris de Christine Sèvres, muse, amante et épouse, qui chante l’amour de la vie, de la montagne, de la liberté et… l’amour tout court.

Ecoutez Jean et Christine chanter « La Matinée »… Enregistrée un an avant la mort de Christine. Ils étaient séparés à ce moment-là.

Ferrat admirateur fou d’Aragon. Alors il va aller puiser dans l’un des poèmes d’Aragon,  Prose du bonheur et d’Elsa.

Poème fort long que voici. J’ai surligné en jaune les vers prélevés par Ferrat pour sa chanson-poème dans la dernière partie du poème.

Sa première pensée appelle son amour

Elsa
L’aurore a brui du ressac des marées

Elsa
Je tombe
Où suis-je
Et comme un galet lourd

L’homme roule après l’eau sur les sables du jour

Donc une fois de plus la mort s’est retirée

Abandonnant ici ce corps à réméré

 

Ce cœur qui me meurtrit est-ce encore moi-même
Quel archet sur ma tempe accorde un violon
Elsa
Tout reprend souffle à dire que je t’aime
Chaque aube qui se lève est un nouveau baptême
Et te remet vivante à ma lèvre de plomb
Elsa
Tout reprend souffle à murmurer ton nom

 

Le monde auprès de toi recommence une enfance
Déchirant les lambeaux d’un songe mal éteint
Et je sors du sommeil et je sors de l’absence
Sans avoir jamais su trouver accoutumance À rouvrir près de toi mes yeux tous les matins À revenir vers toi de mes déserts lointains

 

Tout ce qui fut sera pour peu qu’on s’en souvienne
En dormant mon passé que ne l’ai-je perdu

Mais voilà je gardais une main dans les miennes
Il suffit d’une main que l’univers vous tienne
Toi que j’ai dans mes bras dis où m’entraînes-tu
Douleur et douceur d’être ensemble confondues

 

Un jour de plus un jour
Que la barge appareille

Sur la berge s’enfuit novembre exfolié

Ce que disent les gens me revient aux oreilles

Il va falloir subir à nouveau mes pareils

Depuis le soir d’hier les avais-je oubliés

Mais dans les joncs déjà j’entends les jars crier

 

Je ne sais vraiment pas ce que peut bien poursuivre
Cet animal en moi comme un seau dans un puits
Qu’est-ce que j’ai vraiment à m’obstiner de vivre
Quand je n’ai plus sur moi que la couleur du givre
L’âge dans mon visage et dans mon sang la nuit
N’achèvera-t-on pas l’écorché que je suis

 

J’écoute au fond de moi l’écho de mes artères
Je connais cette horreur soudain quand il m’emplit
Faut-il donc se borner à subir et se taire
Faut-il donc sans y croire accomplir les mystères
Comme le sanglier blessé les accomplit
Si le valet des chiens ne sonne l’hallali

 

Quoi je dormais toujours ou qu’est ce paysage
Quel songe m’habitait dans l’intime des draps
Où tu vas je te suis
La vie est ton sillage
Je te tiens contre moi
Tout le reste est mirage
J’étais fou tout à l’heure
Allons où tu voudras
Non je n’ai jamais mal quand je t’ai dans mes bras

Je vis pour ce soleil secret cette lumière
Depuis le premier jour à jouer sur ta joue

 

Cette lèvre rendue à sa pâleur première
On peut me déchirer de toutes les manières
M’écarteler briser percer de mille trous
Souffrii en vaut la peine et j’accepte ma roue

 

Ah ne me parlez pas des roses de l’automne
C’est toujours le front pur de l’enfant que j’aimais
Sa paupière a gardé le teint des anémones
Je vis pour ce printemps furtif que tu me donnes
Quand contre mon épaule indolemment tu mets
Ta tête et les parfums adorables de mai

 

L’amour que j’ai de toi garde son droit d’aînesse
Sur toute autre raison par quoi vivre est basé
C’est par toi que mes jours des ténèbres renaissent
C’est par toi que je vis
Elsa de ma jeunesse
C) saisons de mon cœur ô lueurs épousées
Elsa ma soif et ma rosée

 

 Comme un battoir laissé dans le bleu des lessives
Un chant dans la poitrine à jamais enfoui
L’ombre oblique d’un arbre abattu sur la rive
Que serais-je sans toi qu’un homme à la dérive
Au fil de l’étang mort une étoupe rouie
Ou l’épave à vau-l’eau d’un temps évanoui

J’étais celui qui sait seulement être contre
Celui qui sur le noir parie à tout moment
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

Un bonhomme hagard qui ferme sa fenêtre
Le vieux cabot parlant des anciennes tournées
L’escamoteur qu’on fait à son tour disparaître
Je vois parfois celui que je n’eus manqué d’être
Si tu n’étais venue changer ma destinée
Et n’avais relevé le cheval couronné

Je te dois tout je ne suis rien que ta poussière
Chaque mot de mon chant c’est de toi qu’il venait
Quand ton pied s’y posa je n’étais qu’une pierre
Ma gloire et ma grandeur seront d’être ton lierre
Le fidèle miroir où tu te reconnais
Je ne suis que ton ombre et ta menue monnaie

J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J’ai tout appris de toi jusqu’au sens de frisson

J’ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu’il fait jour à midi qu’un ciel peut être bleu
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne
Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux

Il vient de m’échapper un aveu redoutable
Quel verset appelait ce répons imprudent
Comme un nageur la mer Comme un pied nu le sable
Comme un front de dormeur la nappe sur la table
L’alouette un miroir La porte l’ouragan
La forme de ta main la caresse du gant

Le ciel va-t-il vraiment me le tenir à crime
Je l’ai dit j’ai vendu mon ombre et mon secret
Ce que ressent mon cœur sur la sagesse prime
Je l’ai dit sans savoir emporté par la rime
Je l’ai dit sans calcul je l’ai dit d’un seul trait
De s’être dit heureux qui donc ne blêmirait

Le bonheur c’est un mot terriblement amer
Quel monstre emprunte ici le masque d’une idée
Sa coiffure de sphinx et ses bras de chimère
Debout dans les tombeaux des couples qui s’aimèrent
Le bonheur comme l’or est un mot clabaudé
Il roule sur la dalle avec un bruit de dés

Qui parle du bonheur a souvent les yeux tristes
N’est-ce pas un sanglot de la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues

Croyez-moi ne me croyez pas quand j’en témoigne
Ce que je sais du malheur m’en donne le droit
Si quand on marche vers le soleil il s’éloigne
Si la nuque de l’homme est faite pour la poigne
Du bourreau si ses bras sont promis à la croix
            Le bonheur existe et j’y crois  »

Louis Aragon, Prose du bonheur et d’Elsa, in Le Roman inachevé.

 

Cadeau pour ce beau dimanche : la poésie, la langue, la langue française, la plus belle langue pour parler d’amour, la voix chaude de Ferrat, la musique… un enchantement.

C’est dans ces enchantements que je puise régulièrement le courage et l’énergie de me battre contre l’islam, contre le mondialisme, contre les coeurs secs à la Macron, contre les dégénérés de l’ultra-gauche qui ont troqué leur coeur et leur sensibilité contre un cerveau de robot, contre les salopards qui veulent nous faire perdre le goût de vivre.

Ils ne nous auront pas, parce que nous savons bien pourquoi nous nous battons, pourquoi nous voulons transmettre le beau et les battements de coeur à nos enfants. Parce que nous sommes humains, délicieusement humains, pour le meilleur et pour le pire.

Et qu’est-ce qui peut nous faire sentir humains avant tout ? L’AMOUR, bien sûr, vécu, chanté, rêvé, fantasmé, peu importe, il est la vie  ! Merci aux poètes.

 

 

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15 Commentaires

  1. Communiste d’une autre époque qui ont connus la guerre jean ferrat qui chantait la montagne et si vous écoutez la désertification des campagnes commencé et aussi une chanson qui dresse les poils Ma France .

  2. La gauche est si populaire parce que de grands artistes ont, avec leurs talents reussi a faire passer leur propagande pour de l’art et ce grâce a la poésie. Il faut reconnaître qu’ avec Ferrat et Aragon on ne peut rester insensible au charme des mots et des notes comme un bon vin accompagnant un bon repas.

  3. Vous m’excuserez de ne pas partager vos goûts pour des communistes sectaires !
    D’autres gens ont eu également un talent certain de poète ou de chanteur ; mais ils n’ont pas eu l’appareil du Parti Communiste pour la promotion de leurs écrits.

  4. Merci pour cet instant de souvenir ,du coup je l’ai télécharger !!
    Bon Dimanche à tous et à toutes
    PS un morceau de sa composition que j’ai beaucoup écouté c’est nuit et brouillard avec toujours beaucoup d’émotions qui en ressort

  5. « L’amour véritable ne se dépense point, plus tu donnes plus il te reste ». Antoine de Saint-Exupery

  6. Eh oui Christine l’avantage d’être de droite c’est justement l’ouverture d’Esprit, je suis de droite crois en Dieu (et continue à penser qu’être athée n’est pas une preuve d’intelligence à la différence de l’agnostique, mais le tolère bien évidemment) ne supporte plus du tout les gens de gauche (l’ai été comme beaucoup de jeunes remplis d’idéaux et de rêves avant de comprendre que la véritable gauche ne pouvait qu’être une douce utopie car toujours utilisée par des hommes politiques sans foi ni loi afin d’assouvir des intérêts personnels relevant de la psychiatrie) mais continue d’adorer Jean Ferrat et Louis Aragon ainsi que bien d’autres artistes de gauche, le talent n’est pas réservé à une mouvance politique.

  7. Quel bel article qui nous hisse au sommet de l’art. Aragon et Ferrat deux géants de l’art de la beauté et de la générosité. Tu as touché ma corde sensible ma chère Christine. Ferrat mon meilleur chanteur et artiste Français. Cet homme, je dirais cet Être nous a soufflé avec Aragon ce qu’est l’Amour et la beauté. C’était la France. Aragon va pêcher ses mots dans l’azur du ciel et Ferrat les fait vibrer avec l’harmonie d’un arc-en-ciel. L’art à l’état pur. Merci Christine.

    • Quel beau commentaire, quel hommage à ces deux géants, merci pour eux, pour nous et pour moi. Tant que nous serons capables de vibrer aux mots d’Aragon et de Ferrat on aura l’espoir de pouvoir changer le monde…

    • En 1931 :
      « Je chante le Guépéou qui se forme
      En France à l’heure qu’il est
      Je chante le Guépéou nécessaire de France
      Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
      Je demande un Guépéou pour préparer la fin d’un monde…
      Vive le Guépéou contre les lois scélérates
      Vive Guépéou contre le socialisme des assassins du type
      Caballero Boncour Mac Donald Zœrgibel
      Vive le Guépéou contre tous les ennemis du Prolétariat
      VIVE LE GUÉPÉOU »

      Tout le monde peut se tromper mais quand même…

  8. Celui qui croyait au ciel. Celui qui n’y croyait pas. Tout est dit. Merci.

    Être aimé sans détour
    Être aimé sans partage
    Sans donner un seul gage
    Et aimer en retour.

    ARGO.

  9. Merci Christine pour cette vibration d’âme.
    Excellent dimanche à vous tous.

  10. Merci à vous . poésie et ouverture d’esprit sont des biens précieux par les temps qui courent

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