Le mot « ludique » ou la lente descente aux enfers de la langue française !

Goethe écrivait que : « Le langage fabrique les gens bien plus que les gens ne fabriquent le langage. »

Le langage façonne effectivement notre capacité à non seulement penser le monde qui nous entoure, mais encore il nous permet de répondre à des situations données autrement que par nos pulsions primaires. Des études ont ainsi montré que des adolescents privés de vocabulaire étaient plus enclins à la violence, faute de pouvoir exprimer verbalement leur ressenti. Pire : plus notre capacité langagière sera faible et plus nous serons les esclaves d’un système tenu par des élites qui maîtrisent, quant à elles, le langage.

Aujourd’hui, dans notre pays – qui fut longtemps le navire-amiral de la littérature mondiale –, le langage s’appauvrit, lorsqu’il n’est tout simplement pas supplanté par un métalangage où se mêlent de douteux néologismes et de l’anglais de cuisine. C’est dire la régression intellectuelle d’une Nation dont les écrivains étaient lus et admirés dans le monde entier. Franz Kafka vouait par exemple un véritable culte à L’Éducation sentimentale, de Gustave Flaubert. Balzac, de son côté, planait comme une ombre sur Dostoïevski et son œuvre. Le même Dostoïevski qui traduisit Eugénie Grandet en 1844.

Au passage, si les jeunes générations françaises, hystérisées par les médias occidentaux contre la Russie, se rendaient compte à quel point les Russes aiment notre culture – et ce, depuis des siècles –, peut-être réaliseraient-elles qu’ils ne nous veulent pas de mal…

J’en viens au nœud gordien de mon article – qu’il serait temps de trancher comme le fit jadis Alexandre de Macédoine confronté au problème du mythique nœud de Gordion –, à savoir que les braves lycéens de bac pro se sont émus d’un outrage langagier infligé à leurs personnes ignares, lors de l’épreuve de français, à travers cette question pourtant bien anodine : « Selon vous, le jeu est-il toujours ludique ? » Le mot « ludique » n’est pas passé pour ces chérubins, et les réseaux sociaux se sont aussitôt ébroués comme des vers dans un cadavre en état de décomposition avancée !

https://www.20minutes.fr/societe/3308883-20220615-bac-2022-face-mot-ludique-lyceens-detresse-vraiment-manque-vocabulaire

D’emblée, à ceux qui me rétorqueraient qu’il s’agissait d’élèves de bac pro et non de filière générale, je les invite à aller voir les perles des petits génies de ladite filière générale et à se souvenir que, jadis, ceux qui obtenaient le « simple » certif – certificat d’études primaires – étaient entre autres capables d’écrire une lettre sans fautes et situer correctement préfectures, sous-préfectures, fleuves et rivières sur une carte de France !

Juste pour le plaisir, je vous livre une savoureuse perle du bac d’il y a quelques années. À la question « Qui était Galilée ? », la réponse d’un élève de Terminale a été la suivante : « Galilée est celui qui a découvert la gravitation, sans lui la Terre ne tournait pas. »

Revenons à nos moutons.

Selon le très complet dictionnaire Antidote, « Ludique » signifie : « Qui concerne le jeu, destiné au jeu. Occupation, matériel ludique. Usage ludique du langage. » Il a pour synonymes : « divertissant, récréatif, distrayant, délassant. » Rien de bien méchant à assimiler, vous me l’accorderez. Ce n’est pas comme si on leur avait demandé de disserter sur l’ontologie, c’est-à-dire l’étude de l’être en tant qu’être. Là, j’aurais compris. Mais « ludique » ?

Jusqu’à il y a peu, une question du bac avec le mot « ludique » n’aurait donc soulevé aucune protestation. Désormais que l’élève doit être « acteur de son savoir » – pourvu que cette pédagogie ne concerne pas les chirurgiens ou les pilotes de ligne, sinon ça va être compliqué ! – et « penser par lui-même » – sans avoir besoin d’apprendre quoi que ce soit ! –, on obtient un cheptel de crétins tout juste bons à coller leurs rétines sur les écrans et offrir « un temps de cerveau humain disponible » pour Coca-Cola, comme le suggérait autrefois un patron de TF1 !

Merci les pédagogistes d’appellation gauchiste contrôlée !

Qui sait, un jour prochain, dans une fac de Lettres, les étudiants se révolteront contre ce texte « incompréhensible » de Stéphane Mallarmé – mis en musique par Claude Debussy –, et c’en sera définitivement fini de la langue française, et quelque part de la France :

« Ces nymphes, je les veux perpétuer.

Si clair,
Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air
Assoupi de sommeils touffus.

Aimai-je un rêve ?
Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois même, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses. »

(L’Après-midi d’un faune)

Charles Demassieux

https://ripostelaique.com/le-mot-ludique-ou-la-lente-descente-aux-enfers-de-la-langue-francaise.html

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11 Commentaires

  1. 68300 mots dans le petit Larousse, depuis bien longtemps les bacheliers n’en pratiquent gère plus que quelques centaines et encore parfois mal à propos.
    Quant à l’orthographe et la grammaire n’en parlons pas !

  2. Moi , qui depuis de nombreuses années ai cessé de me nourrir des mots la conséquence est que je doive ajouter à mes tourments celui de ne pas pouvoir les exprimer.

  3. Moi, qui depuis plusieurs années ai cessé de me nourrir des mots , la conséquence est que je doive ajouter à mes tourments de ne plus pouvoir les exprimer.

  4. Comment se fait-il que les petits enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient si bêtes ? Ça doit tenir à l’éducation! Alexandre Dumas, fils. Défiez-vous des gens qui disent qu’il faut renouveler la langue; c’est qu’ils cherchent à produire avec des mots, des effets qu’ils ne savent pas produire avec des idées. François Andrieux.

  5. Qui était Lamartine ? Réponse, c’est le nom de ma moeuf, m’sieur ! Ludique, pour eux, ce doit être le féminin de Ludo. Autre réponse : que fit Jeanne D’Arc? Elle a chassé les anglais en leur tirant dessus avec des flèches.

  6. Pour des gens qui passent les trois quarts du temps sur leur console de jeux c’est fort de café !

    • Et pourtant, ils utilisent ça tous les jours sans savoir : tir de mortiers, incendie de voitures, viols, tabassage, vols, n’est-ce pas ludique pour occuper leurs journées ?

      On aurait dû leur mettre « péripatéticienne » sur un sujet, je crois que l’on se tordrait de rire encore maintenant.

  7. « la lente descente aux enfers de la langue française », normal, il n’y a qu’à continuer à nous faire remplacer !

    • C’est surtout la rapide descente de l’éducnat. Remarquez bien que les enseignants ne s’interrogent toujours pas, en 2022, sur les causes de cette Bérézina.

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