Episode 6
Le lendemain, les journaux publient la photo sur laquelle on voit, à côté de la longue silhouette du général, le « héros du XVIIe », le bras en écharpe.
Tout le monde maintenant lui fait fête. Les Batignolles l’ont adopté. On l’arrête dans la rue pour lui demander des autographes. Il a plus de succès que Georges Marchal. Monsieur Marcel songe à troquer le nom de « L’Etape » pour « Le Bar des Vedettes ». Dukson se fait photographier et demande à l’opérateur d’ajouter en surimpression : « Dukson, héros du XVIIe. » Il vend la photo dédicacée cent francs alors qu’on peut se procurer celle du général de Gaulle pour quinze.
Victime comme tous les Noirs d’un entourage dont il ne sait discerner les intentions, il veut, quand elle est terminée, continuer la Libération. Pour lui et pour la galerie aussi. Il a soif de ces honneurs, de cette adulation qui l’ont entouré. Pour conserver son « standing », il est prêt à tout, même à faire des bêtises. Et il ne s’en prive pas.
Entre-temps, il a revu Carmen, la belle vendeuse de la pharmacie de l’Opéra. Il la voit tous les jours. Subjuguée par son héroïsme, éblouie par ses largesses, elle est prête à supprimer le correctif qu’elle mettait après le verbe aimer. Elle est disposée à lui dire : « Je t’aime. » Mais il est trop tard maintenant. Dukson est lancé sur la mauvaise pente. Il voit d’autres femmes. Des artistes dont les noms s’étalent en grosses lettres sur les murs de Paris. Il est l’homme du jour.
Il est à la mode comme le fut Al Brown quand Jean Cocteau en fit une personnalité parisienne. Al Brown avait gagné sa notoriété avec ses poings. Dukson l’avait conquise au risque de sa vie. A coups de grenades.
Mais si la boxe paye ses champions, la guerre ne paye pas toujours ses héros. Surtout quand ils ont les besoins de Dukson.
Entraîné par son entourage, son ambition, ses passions, le Noir qui a établi son quartier général dans un garage de la rue Constantinople, et son mess — où il a table ouverte — dans le bar de la rue de Chéroy, emprunte rapidement une route fatale. Le garage, occupé pendant quatre ans, contient d’importants stocks allemands. Dukson et ses hommes peu à peu les liquident, jusqu’à épuisement. Les besoins de Dukson n’ont pas disparu avec les stocks. Au contraire. Il faut trouver autre chose. Poussé par ses acolytes, Dukson se lance alors dans des « perquisitions » que les juristes appellent « vols ou abus de confiance ».
Dukson maintenant est désaxé. Il ne sait plus, après cette bataille où il s’est donné comme un lion, ce qui est légal ou ne l’est pas. Personne ne le conseille, ne le calme. Tout le monde le flatte, encourage ses penchants jusqu’au jour… où on vient l’arrêter dans le garage où il règne en maître.
Le « héros du XVIIe » est prêt à tout. Il se défend, se bat comme un forcené, et, à contrecoeur, finalement les F. F. I. qui procèdent à l’arrestation, sur un ordre du Gouvernement militaire de Paris, sont obligés de l’attacher. On le met dans l’auto qui aussitôt démarre. Dukson s’est calmé, il pleure comme un grand gosse. Le lion est terrassé. On lui enlève ses liens.
— Où me conduisez-vous demande Dukson.
— A la prison du Mont-Valérien.
Le Noir ne dit rien, mais quand la voiture stoppe, il bondit et prend la fuite.
Un coup de feu claque. Comme une marionnette qui n’a plus le soutien de la main qui l’actionne, Dukson tombe, la cuisse fracassée par une balle.
On le conduit à Marmottan. On l’endort pour lui couper la jambe. Mais il ne se réveille pas. II est mort pendant l’opération.
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L’autorité militaire aurait dû le réenroler. En fait, engagé pour la durée de la guerre, sa place était dans les troupes coloniales.