Nous connaissions tous la salle 422 du nouveau Palais de Justice de Paris. Mais en ce vendredi 14 juin 2019, rien sur le panneau électronique n’indiquait les audiences de la XVIIe chambre ! M’étais-je trompé de jour ou bien fallait-il éconduire d’éventuels visiteurs indésirables ? L’accueil me rassure, c’est bien au 4e étage que doit avoir lieu le procès. Au banc des accusés, Pierre Cassen fondateur de Riposte Laïque et Ri7, connue pour mettre ses talents au service du site internet de Riposte Laïque.
Mais un certain dessin, illustrant un article de Caroline Alamachère mis en ligne le 20 juin 2015 n’a pas été du goût du ministre de l’intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve : il diligente une enquête de police puis se constitue partie civile pour déposer une plainte le 29 octobre 2015 pour « injure à une personne dépositaire de l’autorité publique ».
Pierre Cassen est donc mis en examen en qualité de directeur de publication et auteur et RI7 comme auteur présumée de la caricature.
Le juge rapporteur présente le dossier et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne manque pas de munitions ! En effet l’auteur de l’article, Caroline Alamachère, a fait l’objet d’une enquête de police, Pierre Cassen a subi une perquisition musclée au cours de laquelle son ordinateur a été saisi et Ri7 a elle-aussi été interrogée. L’article en cause reprochait à Bernard Cazeneuve, des entorses faites à la Loi de 1905 sur la laïcité et des déclarations publiques jugées beaucoup trop complaisantes à l’égard de la communauté musulmane. D’où le titre : « Lèche-babouche, Cazeneuve champion toutes catégories ».
C’est l’ordinateur confisqué qui a fourni le plus d’ éléments repris lors du procès : Pierre Cassen avait sollicité Ri7 par courriel pour produire un dessin illustrant l’article sur Cazeneuve. Puis il avait suggéré les paroles inscrites dans les bulles ainsi que le titre de l’article. La participation active de Pierre aux activités rédactionnelles de Riposte Laïque semble inquiéter le juge rapporteur.
Pierre Cassen est donc amené à répondre à la question-clé du tribunal : « quelles sont vos responsabilités au sein de Riposte Laïque ? ». Et à nouveau, il nous fait un historique de l’activité du site dont il a été directeur de publication jusqu’en octobre 2012 avant de passer la main à Riposte Laïque Suisse, tout en continuant à apporter son savoir-faire au site par la rédaction d’articles et d’interviews, par des activités de titrages et de corrections, toujours sous le contrôle de l’équipe suisse. Il évoque ses vidéos quotidiennes où son visage apparaît : pas question de se cacher lorsque l’on mène un combat politique ! Quant à Cazeneuve, c’est bel et bien un adversaire politique ! Il rappelle le contexte de la publication de l’article : après les attentats de Charlie Hebdo, les déclarations de Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur mais aussi ministre des cultes, qui remettaient en cause la laïcité, étaient proprement insupportables.
Puis il donne sa version des faits : oui il est intervenu dans le choix du titre et dans le texte des bulles mais ce n’est pas Ri7 qui a fourni le dessin car elle n’était pas disponible ce jour -là. Il dit ne pas connaître la personne auteur du dessin et explique qu’une dizaine de dessinateurs sont susceptibles de faire des propositions à l’équipe de rédaction.
Ri7 est ensuite invitée à se présenter à la barre ! Bravant son appréhension, elle s’étonne d’abord de comparaître pour un dessin qu’elle juge d’une grande banalité. Les caricatures de Napoléon III n’étaient-elles pas pires ? Elle nous explique que ce dessin –qui n’est pas d’elle-, ne correspond pas à sa pratique. « Je ne sais pas dessiner comme ça, cela ne correspond pas à ma pratique (…) Je rends la ressemblance par le modelé, et cela me prend beaucoup de temps ». Ri7 explique qu’elle avait peu de disponibilité à l’époque, du fait de son travail de professeur de dessin dans une Ecole d’Art : « Je déclinais souvent les sollicitations, faute de temps ! ». Elle nous explique, faisant référence à un portrait d’Hidalgo tirant la langue, qu’elle assume ses dessins et les signe. Or pour ce dessin, il n’y a aucune signature.
L’avocat de Bernard Cazeneuve prend la parole. Se sentait-il en terrain conquis ? Sa plaidoirie avait des allures de réchauffé, reprenant une argumentation maintes fois entendue, selon laquelle Pierre Cassen serait le « vrai » directeur de publication de Riposte Laïque, le maître à penser qui se cache « comme un voleur de poules ». Il faudrait créer un délit d’intraçabilité nous explique-t-il, pour empêcher ce jeu de cache-cache destiné selon lui à échapper aux juridictions. Il demande au tribunal de reconnaître l’injure, car selon lui, le seul dessin se suffit à lui-même.
C’est alors le tour du Procureur d’intervenir pour donner un avis juridique sur l’affaire. L’exposé est très cartésien avec deux questions à trancher : l’injure contre un membre du gouvernement est-elle imputable aux prévenus et les éléments de faits sont-ils bien constitutifs d’une injure ?
Sur le premier point, si la culpabilité de Pierre Cassen lui parait établie compte tenu de sa « participation active » dans la publication du document, l’implication de Ri7 devrait profiter du bénéfice du doute. Sur le second point, son avis à peine déguisé penche en faveur de la reconnaissance du délit d’injure. Evoquant le dessin elle nous dit : « Est-il suffisamment outrancier pour être considéré comme une injure ou une simple satire ? Si l’on s’appuie sur le dessin, on voit une présentation dégradante, du fait d’une posture de soumission prêtée à l’ancien ministre». En résumé, le dessin a toutes les allures d’une attaque visant personnellement l’ancien ministre de l’intérieur. Et elle ose demander au tribunal de revenir sur les relaxes précédentes de Pierre, sous le prétexte qu’il a avoué être l’auteur du titre. Selon, elle tient sa preuve, c’est donc bien lui le vrai chef !
L’avocat de la défense, Maître Pichon, prend la parole. Il s’étonne de la disproportion scandaleuse entre les faits qui concernent un délit de presse et la procédure diligentée par Bernard Cazeneuve, piqué au vif, qui use de sa fonction pour lancer une enquête de police au domicile de M. Cassen. Une citation directe ou une plainte avec partie civile aurait dû être la démarche à suivre dans une telle affaire.
Sur l’inculpation de Pierre Cassen en qualité de directeur de publication, il fait remarquer qu’il plaide pour la 8e fois sur ce sujet et que la 17e chambre ne saurait se déjuger puisqu’à plusieurs reprises, la juridiction a estimé que le prévenu n’était plus directeur de publication, quand bien même il participait encore à la plateforme de rédaction : oui, il y a eu transfert d’activité en Suisse, oui, l’équipe de Suisse dispose d’un compte postal permettant la rémunération de la maintenance du site, non, les professionnels de Suisse ne sont pas des gérants de paille…
Sur la mise en examen de Ri7, et en réponse à l’argument d’un défaut d’expertise qui aurait permis d’écarter la responsabilité de sa cliente, il explique qu’il n’a pas à pallier aux insuffisances de l’instruction.
Sur le fond, il rappelle que le dessin a été fait dans le but d’illustrer l’article, et donc dans un contexte bien précis : dénoncer les actes et les déclarations de l’ancien ministre qui était favorable au financement des mosquées par l’argent public, et aux repas halal dans les cantines publiques. C’est donc l’action politique du ministre qui était visée par le dessin. Or l’article n’a jamais été poursuivi, alors qu’il était beaucoup plus virulent que la caricature. On est donc, au pire, en présence d’une diffamation. Or, en droit de la presse, la diffamation absorbe l’injure. Sauf que les prévenus ne sont pas poursuivis pour diffamation. Il plaide donc pour la relaxe de ses clients. Se disant consterné par le réquisitoire, Maître Pichon nous dit que le respect de la liberté d’expression doit s’imposer aux autorités. Il mentionne de célèbres revues satiriques comme l’Assiette au beurre, qui passait son temps à présenter des politiciens de la III ème République sous des jours peu gratifiants.
Or ce journal n’a jamais fait l’objet de poursuites, en tout cas de la part de politiciens français.
Et que dire de la caricature mettant en scène Sarkozy et Marine Le Pen, dans une tenue se passant de commentaires …
Quant à la qualification de « tocard », le terme est-il plus grave que « salope fascisante » visant la présidente du Rassemblement National ?
Le mot de la fin revient à Pierre Cassen qui, avec l’assurance qu’on lui connait, explique que le qualificatif de « lèche-babouche » à l’encontre de ses adversaires politiques est parfois remplacé par celui de « islamo-collabo ». A ce jour, sur une centaine de personnes visées, seul Bernard Cazeneuve a porté plainte. Il regrette le temps béni des années 70 et 80 où les caricatures faisaient partie du débat politique français : Plantu n’a jamais été inquiété lorsqu’il a représenté Jean Marie Le Pen avec un brassard nazi et les Guignols de l’information n’ont jamais ménagé leurs sarcasmes lorsqu’ils ont fait passer Bayrou pour un « mongolo » ou encore Toubon pour un « Msieur Bouffon ».
Ravi d’avoir connu cette France nous dit Pierre, qui ne sera sûrement pas celle que connaîtront nos enfants.
Visiblement le tribunal, présidé par Thomas Rondeau, semblait un peu embarrassé par cette affaire quelque peu encombrante, compte tenu de sa dimension politique.
L’affaire est mise en délibéré et le jugement sera rendu le vendredi 11 octobre 2019 à 13 h 30.
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si chaque caricaturiste devaient accumuler les procès, on ne rigolerait plus très souvent.
Tout cela caractérise un régime totalitaire : procès politique, caricaturistes en quelque sorte interdits, liberté d’expression bafouée…et sans compter, les bureaux de vote où les bulletins des patriotes ne sont pas présentés, l’organisation emmenée par une gamine de 13 ans de manifestations de jeunes en faveur de l’écologie à quelques jours du scrutin, etc, etc…
Je me souviens aussi du Bébête show où les politiques étaient caricaturés en animaux (même F. Mitterrand alors président de la République) et où l’on en donnait des portraits d’eux-mêmes peu flatteurs c’est le moins que l’on puisse dire.
La vérité blesse.
En tous cas la campagne d’autocollants « Macron nous ment » semble bien fonctionner. Hier, garé sur un boulevard entre Aytré et Tasdon en Charente-maritime, en sortant de la voiture, j’ai constaté que les deux lampadaires qui se trouvaient à côté étaient estampillés des autocollants RR/RL ! Peut-être l’auteur du collage aura-t-il l’occasion de lire mon commentaire ?
Bonjour
Ce qui est remarquable, c’est que très peu d’affichettes aient été décollées.
Preuve qu’une majorité de français est d’accord sur le contenu du message…
merci pour ce compte rendu, édifiant à bien des égards des questions de fond, qui gêne évidemment , la soumission à l’islam, aux musulmans ..Pierre soulève, ce n’est pas d’aujourd’hui , un big problème , alors ça se paye …nous verrons en octobre : pot de terre contre pot de fer , mais bon restons confiants ..
Mais où sont donc nos Jean Yanne ? Le prophétique « Les Chinois à Paris » verrait bien sa version 2019 « Les Chiites à Paris » ! Une République qui s’autocensure face aux religions (qui plus est, importées) n’en est pas une. La caricature est l’une des nombreuses facettes de l’expression littéraire illustrée, on s’est battu des siècles pour l’exercer librement. Charlie-Hebdo, c’est la carte d’identité de la santé d’esprit. Les Lumières comprendront… Richard
EXCELLENT
« on voit une présentation dégradante, du fait d’une posture de soumission prêtée à l’ancien ministre »
lol ! Dans ce cas, le seul journal Charlie Hebdo devrait occuper la 17ème chambre à temps complet et à l’année. MDR