« Arts de l’islam » ou Art malgré l’islam ?

Art et islam : art arabe », « art persan », « art turc », « art sarrasin » « art mauresque », « art mahométan », « art musulman », « art islamique »… On semble aujourd’hui privilégier la dénomination « arts de l’islam »[1]. Choix commode mais discutable. En effet, artS… au pluriel autorise à rassembler un grand nombre d’éléments, sans trop d’égard pour la diversité de leurs disciplines, de leurs styles, de leurs utilisations ; il permet aussi de hisser les arts mineurs au même niveau que des réalisations de génie. Ajouter “de l’islam“, permet d’englober toutes les productions situées dans ce qui serait une civilisation étendue de l’Espagne à l’Inde. Il faut pourtant se garder de porter au crédit de l’islam des œuvres qui ne lui sont en rien redevables.

Images

Dans sa phobie de « l’idolâtrie », le Coran condamne l’usage des « pierres dressées » : “Ô vous qui croyez ! les boissons fermentées, les jeux de hasard, les pierres dressées et les flèches divinatoires sont seulement une souillure procédant de l’oeuvre du Démon. Évitez-la ! Peut-être serez-vous bienheureux.” Ces « pierres dressées » peuvent signifier des « bétyles » ou « des autels » ou des « statues » dédiés aux divinités préislamiques. On y trouve aussi le passage où Abraham brise les idoles (5, 74). Le Coran contient cependant l’épisode où Jésus façonne un oiseau d’argile et lui donne vie par le souffle (3, 43-44) et celui où l’on voit les djinns fabriquer pour Salomon « des statues » (34, 12-13) sans qu’il y ait condamnation… Comme souvent, là où le Coran laisse place au doute, ce sont les hadiths qui ont véritablement énoncé l’interdit des images et la condamnation de leurs auteurs à l’Enfer.

Mahomet fut hostile aux images

Aisha aurait rapporté « Le prophète entra chez moi alors qu’il y avait un rideau avec des images d’animaux dans la maison.  Son visage devint rouge de colère alors il s’empara du rideau et le déchira en morceaux.  Le prophète a dit ceux qui peignent ces images recevront le pire des châtiments au jour de la Résurrection. » (Bukhâri, vol. 8, livre 73, n° 130). Une autre fois Mahomet se fige à la vue d’un coussin décoré d’images  acheté par Aisha : ni lui, ni les anges n’entrent « dans une maison où il y a des images. »(Bukhâri, vol. 3, livre 34, n° 318). A partir de ces hadiths et des versets précédents du Coran, les juristes qui ont élaboré la charia ont tiré l’interdiction d’exposer ou de posséder des images (sura) d’être animés, en premier lieu les statues et, par extension, toutes les autres images.[2] Mais la condamnation la plus sévère est celle qui frappe le peintre ou le sculpteur accusé de vouloir se faire le rival du Créateur.

La figuration lacunaire a pu être tolérée, certains  affirment que « les représentations réalistes n’étaient pas prohibées, tant que les animaux étaient figurés sans têtes ou les têtes sans corps ».. Le Prophète apparaît également dans des miniatures à usage privé sous l’empire ottoman et en Perse, il est alors « sans visage ou recouvert d’un voile qui dissimule ses traits » (3).

Mahomet dans la grotte des révélations, miniature turque XVe siècle

Exceptions figuratives à usage profane, les  miniatures persanes  ne sont ni exposées ni reproduites, mais enfermées dans des « albums » (moraqqa). à destination des élites. L’apogée de cet artisanat se situe entre  XIIe et XVIe siècles. Malgré leur classement abusif dans « l’art islamique », les miniatures persanes, parfois dues à des peintres chinois, ont majoritairement une thématique profane où prévaut ce que l’islam interdit officiellement : représentation des êtres animés dans l’illustration de poèmes, les scènes de chasse, les scènes d’amour, les combats, les portraits, scènes pastorales, la vie de cour …

La nuit dans une ville attribué à Mir Sayyid ‘Ali, Iran, c. 1540.

 

Une vieille femme ruinée par l’injustice du souverain l’interpelle, page du Trésor des secrets de Nezâmi, Boukhara, 1538-1546. Paris, Bibliothèque nationale de France.

On trouve même parmi ces miniatures (aux XVIe-XVIIe) des copies d’images européennes !

Peinture signée Sâdeqi (1587–1610), probablement une adaptation d’une Annonciation d’un artiste flamand connu sous le nom de « Maître des banderoles » (actif vers 1450-75).

 

La décoration abstraite

L’arabesque  C’est un motif ornemental composé de rinceauxpetits rameaux ») constitués d’une tige se développant en volutes et en contre-volutes. Le dessin peut ensuite se compliquer par des entrelacs de plusieurs rinceaux. Connus de l’Antiquité gréco-romaine, repris dans l’art byzantin et dans l’art médiéval européen (enluminures), ces motifs ont été tellement employés et retravaillés en terre islamisée qu’ils ont été dénommés « arabesques » par les Européens.

Arabesques aux fleurs ornant un panneau de céramique siliceuse à décor peint sur engobe et sous glaçure transparente, Iznik (Turquie), seconde moitié du XVIe siècle, (musée du Louvre).

Les formes géométriques Entre IXe et XIe siècle en Iran ainsi qu’en Irak, des manuels de mathématiques décrivent les différentes combinaisons pour produire des formes. Très présente, la figure récurrente de l’octogone est réalisée par combinaison de deux carrés concentriques, cela crée un cadre en forme d’étoile à 8 branches (parfois compliqué en 16). L’espace entre les motifs est toujours empli d’une forme qui devient, à son tour, un autre motif géométrique récurrent.

A partir d’un motif de base, l’artisan ne peut jouer que de reduplications suivant une symétrie implacable, sans qu’aucun motif ne l’emporte sur l’autre : la répétition de la forme constitue le fond.

La céramique est la principale discipline où se sont imposés ces motifs, notamment pour recouvrir de grandes surfaces de murs comme dans la mosquée bleue d’Istanbul

Les mêmes règles se retrouvent déclinées en poterie où les innovations touchent surtout la coloration des surfaces. Les glaçures à irisations furent apportées par les potiers des régions islamisées (Mésopotamie dès le IXe siècle, puis Perse et en Syrie).

Le bois, l’ivoire, le métal, le cuir sont assujettis aux mêmes règles décoratives.

Porte en bois, Alep (Syrie).

Reliure du « Coran pourpre » » Maghreb, XVe siècle, Bibliothèque nationale, (étoile à 16 branches).

Les tapis Bien antérieur à l’islam[4], l’art du tapis s’y est adapté, en reprenant arabesques et formes géométriques. 

Tapis persan de Tabriz, 1511 – 1544 ( étoile à 16 branches).

Lien de l’image : https://cdn.essentiels.bnf.fr/media/images/cache/cache/rc/1TFjBa3N/uploads/media/image/20220822105305000000_110.jpeg

La tentation figurative

Détail du portail de la mosquée du Shah, Ispahan, 1612-1630. Cette mosquée est l’un des rares édifices religieux du monde islamique présentant un décor figuré : deux paons, au centre du portail d’entrée.

La tentation de la figuration s’exprime pourtant par échappées. Ce peut être le fait d’artisans non-musulmans ou de musulmans exécutant des commandes de non-musulmans. C’est, par exemple, le cas du « baptistère de Saint—Louis », qui appartint à la couronne de France, pour servir au baptême des rois (dont Louis XIII). Il atteste de la prodigieuse virtuosité d’un musulman, le dinandier Muhammad Ibn Al-Zayn, mais ses figures incrustées ne permettent pas vraiment de le ranger parmi les objets d’art islamique.

Baptistère de Saint-Louis, laiton, or, argent, 1320-1340, Égypte. (Diamètre 50,2 cm × hauteur 22,2 cm) Musée du Louvre.

La valeur inouïe des joyaux et des matéraux précieux utilisés l’emporte parfois sur la valeur purement esthétique de l’objet.

Tapis de perles, réalisé en Inde, vers 1865, pour le maharajah de Baroda, il devait être offert pour couvrir le tombeau du Prophète Mahomet. Composé de 1,5 à 2 millions de perles, 2.500 diamants taillés en rose, plus de 1.000 rubis et 600 émeraude, il est venu enrichir les collections du Musée national du Qatar. (Dimensions 264 X 173 cm).

Détail :

La calligraphie est le seul domaine où la recherche formelle pouvait rencontrer le sens. Réservée d’abord à la copie du texte du Coran, la calligraphie devient frise pour décorer divers supports. En de rares audaces, elle frôle le tracé figuratif, les lettres deviennent anthropomorphes ou zoomorphes et, le tout prend un sens allégorique.

Ismâ’îl Zühdü, Calligraphie figurative en forme de grue , Monde ottoman, 1604-1605

L’islam ne peut plus lutter contre l’invasion des images[5]

Faute de pouvoir endiguer cette invasion, toute une casuistique s’est développée pour réinterpréter l’interdit de la tradition. La sculpture reste prohibée comme toute représentation d’êtres vivants en 3 dimensions. Une exception concerne les poupées, sans doute au prétexte qu’Aïsha en possédait (Bukhâri, livre 78, n°15)[6]. Encore les préfèrerait-on sans visage.

Poupée islamique

Photographie, cinéma, vidéos, jeux video, hologrammes devraient tomber sous le coup d’une condamnation sans appel, puisque jamais artiste n’a pu imiter d’aussi près la création de Dieu par l’image, en y associant de surcroît le son et le mouvement… Depuis le XIXe siècle des images circulent dans le monde musulmans, notamment en Iran. C’est contre l’avis de certains[7]. Le tabou de la représentation n’est pas pour rien dans la destruction des Bouddhas de Bâmiyân   (2001),  des statues du musée de Mossoul (2015) et même de l’assassinat de l’ancien directeur des Antiquités de Palmyre, Khaled al-Assad (2015).

Mais d’autres se montrent plus sensibles à l’air du temps, ils disent tantôt que seule la représentation de Dieu serait condamnable, tantôt que seules les images « qui possèdent une ombre » le seraient, ou que la photographie n’est pas une image mais « un reflet » aussi innocent que celui d’un miroir, ou que « Le Prophète ne pouvait interdire expressément quelque chose qui n’existait pas encore »[8], que seules sont interdites « les images contredisant le principe du monothéisme » ou « les images portant atteinte à la pudeur et incitant au péché »… ou encore que tout dépend de l’intention de l’auteur des images.[9]

Bref, il est bien trop difficile d’interdire l’image aux musulmans d’aujourd’hui. Mais surtout, l’usage de tous les medias en images est devenu une priorité pour le prosélytisme musulman. Ainsi sont diffusées une multitude de videos pour l’édification des fidèles. Les bandes dessinées et les dessins animés pour les enfants ne sont pas en reste dans cette nouvelle stratégie où la qualité formelle des images importe peu.[10]

En conclusion, la prohibition de l’image dans l’art proprement islamique a entravé la production figurative pendant 14 siècles. Cantonnés à l’abstraction, les artisans ont surtout développé une virtuosité décorative, tandis que, dans la marge, une iconographie figurative faisait figure d’exception réservée à l’élite. Aujourd’hui, les techniques de production et de diffusion des images à l’échelle planétaire conduisent l’islam à contourner le contenu de ses propres textes, tant les images sont devenues indispensables à la survie et à la propagation de toute idéologie.

[1] Création en 2003 du Département des arts de l’islam .

[2] « Les historiens de l’art ne s’accordent pas exactement sur la date de la formulation par les religieux d’un refus de l’image. Pour K. A. C. Creswell et O. Grabar, il intervient seulement dans la deuxième moitié, voire à la fin du VIIIe siècle, mais R. Paret, suivi par Marianne Barrucand, le situent « entre la fin du VIIe siècle et les deux premières décennies du VIIIe siècle ». C’est cette période qui a fourni l’exemple le plus extrême de refus de l’image, avec le juriste al-Mujahidd  (642-718 ou 722) pour qui « même les arbres fruitiers étaient interdits puisque, du fait qu’ils portaient des fruits, ils étaient « vivants ».

[3] Oleg GRABAR, « L’islam en peut plus lutter contre l’invasion des images », in Le Point, 12 décembre2015.

[4 Le plus ancien tapis retrouvé date de 2500 ans!

[5] Oleg GRABAR, in Le Point, op.cit.

[6] « Je jouais avec mes poupées en présence du Prophète… » Bukhâri , livre78, n° 15  ou encore Bukhâri 6130.

(7) Cheilk Ibn Outhaymine est cité en réponse à l’inquiétude d’un musulman : “...s’agissant des jouets en coton  à l’usage des enfants qui ne donnent pas une image claire en dépit de la présence d’organes, notamment une tête et un cou mais sans les yeux et le nez,ils ne représentent aucun inconvénient. Car il n’y a là aucune imitation de la création d’Allah(…) celui qui fabrique un objet en imitant la création d’Allah est concerné par le hadith selon lequel le Prophète a maudit les photographes. Les photographes sont ceux qui subiront le plus dur châtiment au jour de la Résurrection“. https://islamqa.info/fr/answers/102988/dessiner-un-etre-humain-sans-traits-a-laide-de-lapplication-flash

[8] N’était-il pas prophète ?

[9] Moncef ZENATI, « Statut des photos et des images en islam » ,in Havre du savoir, 1er juin 2015,  https://www.havredesavoir.fr/statut-des-photos-et-des-images-en-islam

[10] Majid OUKACHA, » Les dessins animés islamiques », 2019 ©

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10 Commentaires

  1. Bonjour,

    Agathe, vos articles sont magnifiques !

    Un grand merci !!

    A mon avis, il n’y a pas plus beau que les planches des atlas de sciences naturelles: quel malheur, donc, avec l’Islam …

    • Cher ami, merci. Peut-être serez-vos intéressé de savoir que, parmi les exceptions figuratives, il y eut, en terre islamisée, des planches d’anatomie ; je n’en ai pas parlé car je devais faire un choix. Vrai aussi en astronomie…

  2. pauvre gamine que aicha -Ce que dit le Coran #5 : la représentation d’êtres vivants – information fournie par Le Point•31/10/2015 à 15:53
    Il était une fois une jolie femme, Aicha, qui voulait décorer sa chambre avec un coussin décoré de représentations d’être animés. Son époux, Mahomet, refusa d’entrer. Elle raconte : « Quelle faute ai-je donc commise ? lui demanda-t-elle, inquiète. ? Que signifie ce coussin ? dit-il. ? C’est pour que tu t’asseyes ou que tu t’y accoudes dessus. » Alors le Prophète ajouta : « Les auteurs de ces images seront châtiés au jour de la Résurrection : on leur dira : Donnez la vie à ces créations. Les anges n’entreront pas dans une maison où il y a des images. » (Bukhârî, titre LXXVII, chap. XCII). Ce récit présenté par le traditionniste sunnite Muhammad al-Bukhârî (810-870) est le texte qui vaut norme en islam aujourd’hui pour les opposants à toute représentation figurative. Cela implique-t-il de retirer tous les Mickey des tee-shirts des enfants ?

  3. Merci Agathe pour cet article. Lequel nous parle en filigrane de la dichotomie en permanente action au cœur de ces peuples ayant embrassé l’iSSlam. Embrassé, embrassé, il faut le dire vite… Pas mal égorgé avant tout…

    • Les artisans, c’est sûr, sont imbibés ou pénétrés des règles de l’islam. Mais cela n’empêche pas de constater leur habileté. Si Mahomet n’avait pas existé ou inventé, peut-être la cohabitation aurait été plus profitable pour tous. Quoique la propension à la cruauté chez ces peuples constitue un hiatus infranchissable. En plus de leur mauvaise habitude d’envahir leurs voisins.

  4. Je possède de nombreux plateaux et théière ouvragés, des verres à thé décorés anciens avec support de cuivre,un tapis, confectionnés par des arabes, le tout assez ancien, que j’ai acheté dans des brocantes. J’aime bien la présence de ces objets dans mon bric-à-brac.

  5. Excellent article qui illustre magnifiquement le fait que les soi-disant “arts” de, ou plutôt “malgré”, l’islam, sont en fait seulement de la (superbe) décoration.
    A IMPRIMER et ENVOYER au département des “arts” de l’islam du Louvre pour leur démontrer que leurs soi-disant “arts” de l’islam c’est du pipeau, du flan, du bidon, du vent, bref, de la propagande.
    Pour l’adresse, les noms etc. voir la précédente action similaire et faire de même :
    https://resistancerepublicaine.com/2024/03/09/rene-huyghe-il-ny-a-pas-dart-en-islam-mais-de-la-decoration-et-la-sensibilite-artistique-depend-de-la-race/#comment-788834
    Paramètres pour le présent article :
    https://www.printfriendly.com/p/g/hiRyeM
    Taille de texte 80%, d’images 25%
    N’imprimer QUE les 4 PREMIERES pages et rajouter au bas de la dernière page “Lire la suite sur internet…”

  6. Agathe, votre article est super et les images sont sublimes vraiment Il va rejoindre ma liste de bijoux de ce site, téléchargments qui sont possibles

  7. IBN WARRACQ – pourquoi je ne suis pas musulman – Si jamais une idée générale ressort de ce livre, c’est que la civilisation islamique, l’islam, est souvent parvenue au sommet de sa splendeur malgré l’islam et l’islam , et non pas grâce à eux.

    La philosophie islamique, les sciences islamiques, la littérature islamique et l’art islamique n’auraient pas atteint leurs sommets s’ils avaient uniquement reposé sur l’islam

    Prenez la poésie par exemple. Muhammad méprisait les poètes : « quant aux poètes : ils sont suivis par ceux qui s’égarent » (sourate 26.224),

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