Elsie et Friedel ou quand le malheur ne connaît aucune frontière…

Statue by Jacob Louchansky in Kibbutz Giva’at Brenner

Mon apparition au kibboutz Giva’at Brenner fit sensation en ce début d’hiver 1967. Tirée à quatre épingles dans un costume bleu marine, perchée sur de hauts talons, les mains gantées, charriant une valise en cuir, je venais d’échouer à l’entrée du club du kibboutz Giva’at Brenner, faisant face à une bande de jeunes gens hirsutes qui discutaient de vive voix dans plusieurs langues. Il faut dire qu’à ma vue, ils se figèrent. L’un d’eux s’approcha de moi.

« Vous cherchez la maison de repos ? me demanda-t-il en Anglais.

Non, je cherche l’Oulpan, répondis-je dans la même langue. Je veux apprendre l’hébreu, insistais-je pour éviter toute mésentente.

Il éclata d’un rire sonore qui ramena toute la bande autour de nous.

Vous plaisantez ? Nous sommes de l’Oulpan et quelques-uns ici sont des volontaires venus de divers pays, prêter mains fortes aux efforts nécessaires aux kibboutzim.

 –Mais pas du tout, répondis-je. J’ai ici une recommandation que l’Agence Juive israélienne m’a remise à cet effet, dis-je en soutirant une lettre de mon sac.

Le jeune homme tourna la tête vers le restant du groupe et demanda que l’on aille chercher Frida, la responsable de l’Oulpan. En toute sincérité, je me sentais mal à l’aise au sein de ces jeunes affublés d’un chapeau comique, de pantalons courts et de chemises débraillées avec à leurs pieds des bottes identiques à celles des soldats.

Frida arriva et comme le jeune homme, se mit à rire lorsqu’elle lut le papier que je lui avais transmis.

Eh bien ma belle, on va devoir changer votre garde-robe, me dit-elle dans un français zozotant. Ici les talons, pas commode du tout pour travailler dans les champs. »

Je venais de comprendre qu’il fallait que je dise adieu à un grand nombre de mes habitudes. Elle me planta dans les bras un paquet de linge comprenant des shorts, des chemises, des bottes et un paquet de cigarettes sans filtre que tous les membres et volontaires fumaient habituellement.

Le grand défi était de me trouver un job qui puisse me convenir… Les champs, pas question, j’ai fui à la vue d’un serpent. La cuisine, les marmites trop hautes et trop grandes pour mes petites mains. Après une revue intensive de toutes les positions qui pourraient répondre à mes facultés, Frida leva les bras. J’étais désespérée. Ce fut à ce moment précis que Dov eut l’excellent idée de me caser au club, là où je pourrais faire usage de mes langues pour vendre aux touristes les produits du kibboutz et c’est là aussi que je connus Elsie et Friedel. Deux femmes d’une cinquantaine d’années qui s’occupaient du club comme si leurs vies en dépendaient. Sur leurs bras on pouvait encore voir leurs numéros tatoués. La directrice Esther, ressemblait à si méprendre aux femmes des années 1930, avec sa coiffure ridicule et surannée et ses manières d’aristocrate.

Je devins la star du club. Elsie me semblait légèrement dépassée et trop silencieuse pour que cela soit naturel. Je m’enquis auprès de Friedel qui me raconta qu’elle avait perdu son fils unique durant la guerre des six jours. Sa mort coïncida avec la naissance de son fils unique… Il semble parfois que le destin se complaît à narguer l’être humain. L’anniversaire du fils était aussi le jour de la commémoration de la mort du père.

Après une période de huit mois passés au kibboutz, je parlais presque parfaitement l’hébreu, je l’écrivais aussi, mais moins bien. Je n’eus jamais l’envie de devenir membre du kibboutz en dépit des propositions, tout en demeurant fidèle à mes amis/es que je visitais très souvent jusqu’au jour où l’on m’apprit que Friedel venait de perdre son fils unique durant l’opération Karameh[1].

Mes deux collaboratrices avaient subi un sort analogue. Toutes les deux avaient échappé à la machine de mort d’Hitler. Leurs enfants, leurs fils, par contre,  n’ont pas échappé à celle du nouveau bourreau de juifs… un autre genre d’Hitler sous le nom flamboyant d’Arafat.


[1] La bataille de Karameh fait référence à l’attaque par l’armée israélienne les 20 et 21 mars 1968 du camp palestinien de Karameh situé en Jordanie. En février 1968, Moshé Dayan, alors ministre de la Défense d’Israël, déclare que la ville de Karameh est « un repaire du Fatah »1.

Le 18 mars 1968, une mine placée sur une route près d’Eilat tue un médecin et blesse une dizaine d’enfants. Le Front populaire de libération de la Palestine revendique l’attentat.

Le soir du 20 mars 1968, les Israéliens attaquent par surprise, ne laissant pas mettre en place le plan palestinien établi quelques heures plus tôt. La bataille durera 15 heures.

Les pertes israéliennes remontent à 33 tués et 161 blessés et indique la perte de 4 chars de combat, 3 half-tracks, 2 voitures blindées ainsi qu’un avion.

Thérèse Zrihen-Dvir

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5 Commentaires

      • Ben voyons, la plupart ont renoncé aux fondements socialistes du partage d’origine et se sont tournés vers la privatisation. Et qui ne méritent plus l’appellation de kibboutz. Dire qu’ils existent encore sous cette forme est une aberration. Ce serait dire que le collectivisme existe sous d’autres formes en Russie. Quand je dis quasiment, c’est presque, ce qui sous-entend qu’il en existe encore. Privatiser = quelques transformations, c’est comme une administration privatisée, ça n’a plus aucun sens. Ce sont désormais des entreprises agricoles, industrielles ou des résidences pour la bourgeoise des classes moyennes supérieures.

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