Est-ce cette pluvieuse saison, ou le fait d’être moi-même parvenu à l’automne de ma vie qui me rend si mélancolique, aussi nostalgique? Mais le fait est là, le temps passe vite, si vite, que j’ai tenté de le remonter.
Toutes les belles histoires, même les plus tristes, commencent par il était une fois. Celle que je vais vous conter débute de la même façon.
Il était une fois, une maison corrézienne, perdue dans la campagne, dans un hameau perdu lui aussi. Une demeure ancienne; au-dessus du linteau de la porte, une date gravée dans la pierre indiquait que le propriétaire avait construit cette habitation l’année de grâce 1623, treize années après l’assassinat d’Henri IV. Une étable, une grange, des appentis complétaient le tout. Un grand jardin, et des terres souvent situées au diable Vauvert. C’était la propriété de mes bisaïeux maternels, et le berceau de mes ancêtres corréziens.
Après les travaux des champs, à l’approche de l’hiver, dès le mois de novembre, les ruraux d’alors se réunissaient pour des veillées, veillées qui consistaient à passer les soirées chez des voisins, ou de la parentèle. Dame télévision a mis fin à ces anciennes coutumes, rompant ainsi une convivialité issue de la nuit des temps.
Nous, c’étaient nos cousins de la ferme voisine et une amie de mon arrière-grand-mère qui venaient veiller chez nous. Il y avait là l’Antoine, un ancien combattant de 14, son épouse, cousine Amélie, leur fille, Marceline, et leur gendre Louis, un cheminot, qui ne venait que lorsqu’il ne travaillait pas. J’allais oublier Marie, amie d’enfance de grand-mère. Elle habitait une maisonnette isolée au milieu des bois.
Lors de ces veillées, chacun apportait quelque chose, à boire et à grignoter. Des châtaignes, du cidre composaient notre ordinaire. On recevait les veilleurs à la fin du souper, vers vingt heures. Tout le monde s’installait devant la cheminée. Chez nous la cheminée, c’est le cantou. On pouvait se blottir sous la hotte car des bancs y étaient disposés. Je revois notre humble cantou, les chenets noircis par l’usage, les vieilles pincettes, l’antique soufflet au bec de cuivre, les bûches de châtaignier qui pétillaient dans l’âtre, j’entends encore le balancier de l’horloge, et je peux sentir le parfum du café qui réchauffait sur les braises dans une vieille cafetière bosselée et noircie par l’usage, café dont on me concédait une demi-tasse. Je ressens encore le goût de ce café sur mes papilles.
Les adultes échangeaient des nouvelles : décès, maladies de connaissances, mauvaises récoltes. La politique, pas trop ou pas du tout. Les arcanes subtils de ce monde lointain ne les empêchaient pas de dormir. Le moment que je préférais, c’était celui des histoires. C’étaient de fameux conteurs. Des histoires de l’ancien temps, inspirées de légendes locales, ou de faits souvent enjolivés au fil des récits, récits à vous faire dresser les cheveux sur la tête les nuits de pleine lune.
« Raconte-moi, Antoine.
– Petit, c’est l’histoire du léberou (loup-garou) qui venait rôder autour des fermes pour manger les animaux et les petits enfants. Une nuit, un de mes ancêtres lui tira dessus avec une balle en argent. Le lendemain, dans la cour, on retrouva un homme, un vagabond. C »était lui le léberou.»
Continue Antoine, ne t’arrête pas en si bon chemin, même si je vais mal dormir cette nuit grâce à toi. D’abord, j’adore avoir peur.
S’ensuivaient des récits où le surnaturel prenait la plus grande part. Celle de la dame blanche de Gimel, qui mangeait les petits enfants. Sa servante, horrifiée, lui servit du cochon de lait à la place. Elle apprécia et en redemanda. La domestique lui révéla le subterfuge. La châtelaine en conçut de vifs remords. Elle se fit enfermer dans un tonneau clouté et se fit jeter depuis les cascades, les fameuses cascades de Gimel. Elle en mourut. Depuis, dit-on, son fantôme erre par les nuits de pleine lune parmi les ruines de son manoir. Qui croise son regard est assuré de mourir dans l’année. Ou le récit plus intime, celui de la mort d’un de mes lointains oncles, conté par mon arrière-grand-père.
Alexandre, frère de ma bisaïeule, était clerc de notaire au bourg. Il avait une chambre à la ferme et rentrait tous les soirs. Un jour, à la tombée de la nuit, il aperçut quatre hommes qui portaient un fardeau et qui venaient à sa rencontre. Il finit par s’apercevoir que c’était un cercueil. Apeuré, il fit demi-tour. Hélas, ils étaient à nouveau devant lui, dans l’autre direction. Il s’enfuit par les bois pour regagner sa chambre. Trois jours après, il mourait, victime d’une embolie pulmonaire foudroyante. Ces hommes en noir, d’où venaient -ils, était-ce pour l’avertir de sa fin prochaine?
La veillée s’achevait ainsi. Tout ce monde se séparait en se souhaitant la bonne nuit. J’en connaissais un qui allait avoir du mal à s’endormir. Je rabattais les draps sur ma tête, tellement j’avais peur. Mais à la prochaine veillée, j’en redemandais. .
Voilà, c’est ainsi que s’achève mon récit. Tous ceux que j’ai cités sont partis pour le grand voyage. Il ne reste que moi et mes souvenirs. La propriété de mes bisaïeux est passée à mes parents, qui l’ont vendue par la suite. J’y suis retourné lors des obsèques de ma mère. La maison était fermée, la cour envahie par les mauvaises herbes, la désolation partout, une atmosphère lugubre se dégageait des lieux. Je n’y suis jamais revenu . Je possède, par héritage, un hectare environ de bois et de landes couvertes de bruyère, qui n’ont pas fait l’objet d’une vente. Qui ne vaut pas grand-chose, ou presque. Autrefois, c’était une terre à blé. Souvenirs, souvenirs.
Au retour, j’ai composé un poème, une ballade, dont je vous livre cinq vers. Je vous épargne le reste.
Il me revient à la mémoire,
Le souvenir des jours anciens
J’entends un chant loin dans le noir,
Est-ce le leur, est-ce le mien?
Je me souviens des jours anciens.
Je transmets en annexe pour illustration éventuelle, à moins que je n’aie commis un impair informatique, une photo de ma cheminée, près de laquelle je passe mes soirées, cheminée purement décorative. Hélas!
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toujours avec Argo, ce sentiment d entendre fredonner du claude Seignolle ou du Henri Pourrat chez ma soeur a Viverols
O temporae o mores ! Merci l’ami pour ce récit de la vraie vie. J’ai moi même des souvenirs similaires, mais tellement parcellaires qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une belle page comme la tienne.
Quel charmant récit nostalgique, qui adoucit un peu ma soirée! Je viens de prendre connaissance des sourates imposées au passager d’un bus, sans réactions…Je ne les blâme pas, qu’aurais-je fait à leur place? Selon l’humeur du jour, sans doute, la peur, ou la grosse-grosse colère qui m’enlève toute inhibition? Allez savoir…
MERCI 🙏
Merci pour ce récit qui fait remonter dans ma mémoire des souvenirs de ces temps passés, dans l’Auvergne de mon enfance lointaine.
Chaque coin de France a ses contes et légendes, à relire au coin du feu.
Nostalgie comme tu nous tiens !
Bravo Argo et merci pour ces réminiscences au détail près. Quelle mémoire. Ton récit me fait remémorer une anecdote liée aux veillées autour et à l’intérieur de la cheminée, dans la région d’Oloron. je raconterai à mon tour, un jour.
Bonne journée à toi mon poto !
C’est beau . Çà fait beaucoup de bien de se souvenir que tout cela a existé. merci!