Ma grand-mère jurait comme un charretier, elle tenait un vieux café, c’était le vieux Paris, c’était la France…

 

DÉDIÉ À RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE AVEC MON INDÉFECTIBLE AMITIÉ, À TOUS, ET À JULES FERRY ET PACO POUR LEURS ENCOURAGEMENTS.

 

Ce vieux café appartenait à ma grand-mère paternelle, qui se prénommait Fernande.

Un personnage, Fernande, haute en couleur.

Elle portait toujours des pantalons, dans les années 50, arborait un rouge à lèvres bien voyant, et fumait, ce qui à l’époque n’était pas toujours bien vu.

Je l’ai toujours connue comme ça.

Elle jurait aussi comme un charretier à l’occasion.

Le tout avec un accent de titi parigot. Elle avait cassé tous les codes de l’époque.

Une fois veuve, quelque temps après, elle s’était mise en ménage avec un homme bien plus jeune qu’elle.

La famille avait un peu tiqué, mais elle s’en fichait complètement.

On appelle ces dames des cougars, de nos jours. Grand-mère était une cougar avant l’heure.
Elle devint veuve de bonne heure, avec quatre enfants sur les bras, deux filles, deux garçons.

Mon père était le cadet de la famille.

Mon grand-père mourut d’une maladie des poumons.

Il était plâtrier-peintre, c’était le patron de son entreprise, mais en ce temps-là les patrons travaillaient autant que leurs ouvriers.

C’est le plâtre qui provoqua l’affection pulmonaire qui devait l’emporter.

D’ailleurs, il existe une vieille chanson populaire qui dit à peu près ceci (je n’ai pas réussi à retrouver l’intégralité des paroles) : C’est le bon plâtre de Paris qui a tué mon mari.

Grand-mère Fernande, avec l’argent de la cession de l’entreprise, acheta un petit café dans le vieux Belleville.

 

 

Il me semble que c’était rue Ramponeau.

Ma mémoire défaille en ce qui concerne l’emplacement exact, mais des dizaines d’années après, pas facile de se souvenir.

Par contre je me rappelle très bien l’aspect extérieur et intérieur de cet établissement. Rien de bien luxueux, ce n’était pas les Deux-Magots, ou le café de Flore.

 

 

Une vitrine à l’ancienne recouverte de vitrophanies vantant les mérites d’apéritifs, des rideaux destinés à occulter l’intérieur du café.

La raison sociale Chez Fernande était peinte sur la porte, et c’était tout.

Elle faisait aussi bureau de tabac, grand-mère, un peu restaurant et marchande de vin.

Son compagnon livrait le vin à domicile dans des casiers de bois, appelés douze trous.

Je me souviens que le sol était recouvert d’un linoléum vert strié de blanc.

Des tables et des chaises dites bistrot, un grand bar en bois recouvert de zinc, et des étagères où étaient rangées des bouteilles d’apéritifs et de digestifs occupaient tout l’espace, avec le petit coin réservé au commerce du tabac.

Partout des publicités pour les apéritifs de l’époque, Byrrh, Dubonnet , même la pendule arborait la marque Raphaël.

 

Les murs étaient recouverts d’une couleur orangée.

L’époque où, comme a dit le regretté René Fallet, il n’y avait pas encore de crabes cancérigènes dans les blagues à tabac!

Et j’ajoute où on pouvait boire un petit coup sans se faire enlever son permis de conduire, si on l’avait bien sûr, ce fameux permis.

Fernande me gardait les samedis où mes parents sortaient pour aller au cinéma, ou pour dîner chez des amis.

Je passais aussi quelques vacances chez elle.

J’adorais cette grand-mère pleine d’entrain, toujours gaie. J’ai passé chez elle de merveilleux moments.

Je traînais entre les jambes des consommateurs jusqu’à l’heure de la fermeture.

Il y en avait toujours un pour me payer une limonade.

La nuit je dormais dans le même lit que Fernande, coincé entre elle et son compagnon, nommé Gaëtan, un chouette type.

D’ailleurs, je l’appelais pépé.

À cette époque, c’était comme cela qu’on nommait les grands-pères. Les grands-mères, c’était mémé.

La clientèle était composée de petits artisans, d’ouvriers, de retraités. Tous des habitués. On y débitait plus de vin rouge ou de blanc qu’autre chose. Les anciens venaient là s’y retrouver pour discuter, ou jouer à la belote.

 

 

Parfois, ils parlaient politique.

C’était terrible : des coups de poings sur la table, des jurons.

Ils préconisaient le régime de la table rase.

Quand ils s’apercevaient qu’ils avaient dépassé l’heure du déjeuner, ils se sauvaient penauds, à l’idée de se faire engueuler par leurs moitiés.

Grand-mère leur disait au revoir en ajoutant : vous allez encore vous faire avoiner.

Il y avait aussi une actrice du cinéma muet, qui n’avait pu se reconvertir dans le parlant.

Elle était devenue concierge.

J’ai oublié son nom, mais il paraît qu’elle était connue en son temps.

Elle buvait du blanc sec dès le matin!

Elle appelait cela un rince-cochon.

Quand elle apprenait que mes parents allaient au cinéma, je la voyais esquisser une moue de dégoût.

Elle secouait les épaules, et se mettait à critiquer les films parlants.

Parfois, des policiers en vadrouille et en vélo, les hirondelles, entraient boire un café.

 

 

Tout le monde se taisait jusqu’à ce qu’ils soient partis. Ils n’avaient pas l’air d’apprécier la police, dans ce quartier.

Il n’y avait pas de flippers, juste un vieux billard dans l’arrière-salle, là où on servait ceux qui venaient déjeuner ou dîner.

Un vieux juke- box trônait contre le mur du fond.

C’était du Piaf, du Maurice Chevalier ou autres que l’on avait à disposition.

Parfois, les samedis soirs, quand quelqu’un mettait une pièce dans l’appareil, des consommateurs chantaient en même temps, et s’il y avait des dames parmi les clients, certains dansaient.

C’était ça chez Fernande, c’était un peu comme une grande famille.

Voilà, j’espère que je ne vous ai pas ennuyés.

Quand je pense à cette époque, à ce vieux Paris, que j’ai aimé, je sens la nostalgie m’envahir. Tous ces gens que j’ai connus et aimés, c’était la France, celle d’antan, celle qui est partie et qui ne reviendra pas.

Quand je vois ce que notre pays est devenu, j’en ai les larmes aux yeux!

Tous sont morts, mais ils revivent encore dans ma mémoire! Merci à tous pour votre indulgence.

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18 Commentaires

  1. Récit magnifique de notre belle France éternelle. Merci beaucoup!
    J’ai 50 ans; je n’ai donc pas connu cette époque. Mais j’ai dévoré tous les récits et les films de cette France d’avant. Quand je vois ce que mon beau pays est devenu aujourd’hui, les larmes me viennent et je reprends cette phrase de Brasillach: « Mon pays me fait mal ».

  2. Larmes et nostalgie largement partagées avec cette belle évocation, nous rappelant tout ce que nous avons perdu… parfois par notre faute, en ayant trop souvent donné les clefs à de grands félons retords et méprisants.
    Même si cette époque bénie ne reviendra certainement pas, à cause de mentalités bien trop « abimées », nous pouvons au moins faire en sorte de donner un grand coup de pied dans la fourmilière, à commencer par demain, en virant les traitres LR/LREM/LFI… et Cie, pour les remplacer par des locaux RN, qui ne sont pas tous aussi décevant que MLP.
    Bravo et merci à l’auteur pour ce joli moment.

  3. Que c’ est bon de retrouver ces bons vieux souvenirs, cela nous change de la morosité actuelle !! Dix années de cette époque valent bien cinquante de l’ époque actuelle !!

  4. jours heureux et autres temps pour cux qui connurent
    dis moi Argo, chez Fernande il y avait bien le porte oeufs durs sur le zinc ?

    ces oeufs fracassés sur le comptoir et aussitot écallés et saupoudrés de sel qui faisaient le régal des clients

  5. Pour moi ça été une bouffée d’air frais, entre toutes les mauvaises nouvelles qu’on lit. Votre récit m’a fait voyager dans le Paris des années 50. C’était comme si j’y étais.

    C comme moi quand je pense à Marseille je pense à Fernandel, et j’ai la nostalgie de cette époque. Je sais que ce n’est plus cela.

  6. Maintenant, le détraqué qui siège à l’Elysee fait la publicité des groupes musicaux « noirs, (censuré) et fiers de l’être » !
    Pauvre France .

  7. Merci pour ce texte, je me revois 40-50 ans en arrière et comme vous je sens la nostalgie m’envahir. Je voue une haine viscérale envers tous ceux qui sont responsables de ce que LA FRANCE est devenue.

  8. NOUS aussi nous voyons le Paris d’aujourd’hui, c’est triste,
    dire que de braves soldats ont donné leurs vies pour ca

  9. Merci pour ce bon moment, plein de souvenirs pour moi aussi…Les bars et les cafés j’ai bien connu, c’était une époque où en étant présent de longues heures on pouvait bien gagner sa vie. Le patron ou la patronne c’était sacré ! Une famille pour les sans familles.

  10. Argo. Ton style, ces petits coups de canif, tu nous tailles un récit magnifique. Pour te dire, j’ai entendu, senti, gouté ce vieux Paname, dont tu nous a fait saliver les moindres détails. Les moindres petits détails, sans l’insignifiance desquels, toute description est entachée de manque et même de vides, d’absences…J’ai tout de même connu les halles telles qu’elles étaient à l’origine. Vacarmes, odeurs, les excès de Paris y prenaient vie. Merci, grand merci Argo.

  11. Merci à toi Argo pour ce moment de bonheur et…de nostalgie

  12. Superbe évocation, un grand merci, Argo, de nous livrer ces précieux souvenirs personnels qui rejoignent notre mémoire collective.

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