Kafka et Orwell au pays des Hébreux : trois réflexions sur l’affaire Eli Feldstein

1.
Par-delà toute considération de politique politicienne, « l’affaire Eli Feldstein » devrait faire frémir toute personne sincèrement attachée au caractère démocratique de notre État et au bon fonctionnement des institutions en Israël. De quoi s’agit-il en effet ? Lorsqu’un officier israélien est incarcéré sans pouvoir rencontrer d’avocat, mis au secret dans une cellule aux côtés de terroristes arabes et soumis à d’intenses pressions psychologiques, au point d’envisager le suicide, en vue de lui faire avouer un « crime » dont il n’a pas la moindre idée, nous sommes plus proches du Procès de Kafka ou de L’aveu d’Arthur London que de la démocratie israélienne, telle que nous pensions la connaître et telle que nous la chérissons tous.

Que ceux qui ont initié cette procédure aient à la bouche les mots d’État de droit, ou qu’ils invoquent pour la justifier une « grave atteinte à la sécurité » de l’État ne change rien à l’affaire. Il est trop facile de dissimuler sous l’étiquette de la « sécurité de l’État » les pires atteintes aux droits de la personne humaine, pratique qu’on pouvait espérer révolue dans l’État d’Israël en 2024.

2.
Je n’ai évidemment pas la naïveté de croire que le Shin-Beth – le service de sécurité intérieure israélien – soit un parangon de vertu et de respect des droits de l’homme. Il a tendance, comme ses homologues du monde entier, à considérer que la fin justifie les moyens et que tous les moyens sont bons, dès lors qu’il s’agit des intérêts supérieurs de l’État et de sa sécurité. L’argument est discutable et il a souvent été discuté dans l’histoire du jeune État d’Israël. Le problème, dans le cas présent, est que le Shin-Beth n’a même pas « l’excuse » de la raison d’État, ou de la lutte contre les ennemis d’Israël.

Dans l’affaire Feldstein, en effet, il s’agit apparemment (car nous sommes loin de savoir à l’heure actuelle de quoi il retourne exactement) d’une tentative visant à « retourner » un proche collaborateur du Premier ministre, en vue d’en faire un témoin clé de l’accusation, dans le prolongement des nombreux procès intentés à B. Nétanyahou, qui n’ont à cette heure abouti à aucune accusation fondée et avérée. C’est donc d’une manipulation politique et policière qu’il est question – derrière le masque très contestable de la « sécurité de l’État » et de la protection de ses secrets.

3.
Le document incriminé, qui aurait été transmis au Bild allemand par Eli Feldstein, traite apparemment de la stratégie du Hamas dans la négociation sur la libération des otages et établit précisément que ce sont les chefs de l’opposition et leurs soutiens qui ont fait depuis un an le jeu du Hamas, en faisant monter le prix des otages et en semant la division interne en Israël. Tout cela confirme l’idée que l’arrestation de Feldstein vise, une fois de plus, à faire de Nétanyahou un commode bouc émissaire, en détournant l’attention du public des véritables coupables du 7 octobre et de ses suites.

Mais, comme le Premier ministre l’a déclaré lundi soir, « le peuple d’Israël n’est pas idiot ». Ou, pour dire les choses autrement, on ne peut pas mentir tout le temps et à tout le monde. Le jeu dangereux auquel se livrent le Shin-Beth et les grands médias anti-Bibi depuis quelques semaines risque fort de se retourner contre eux, en montrant de manière éclatante qu’ils ont confondu leurs étroits intérêts politiques avec ceux de l’État et que le Shin-Beth est devenu – avec l’aval de la Cour suprême et de l’establishment judiciaire actuel – un outil politique et une sorte de « police politique », qui n’a plus rien à voir avec l’État de droit et la démocratie. Comme le disait lundi dernier le commentateur chevronné Amnon Lord, le Shin-Beth a été trop loin et il faut qu’il soit remis à sa place et encadré par la loi. Il est grand temps que le législateur se penche sur le cas du Shin-Beth et nettoie une fois pour toutes les écuries d’Augias des services de sécurité israéliens.
Pierre  Lurçat

 

Note de Christine Tasin

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