Conte de Noël : un étrange réveillon

Chers amis RR, je sévis encore une fois. Ce conte a encore des connotations religieuses, mais le mois de décembre étant celui de la nativité… Je vous souhaite pour ma part de bonnes fêtes de Noël et par anticipation une bonne année 2023, ainsi qu’à vos familles, malgré la tristesse ambiante.  Amitiés! 

 

CONTE DE NOËL : UN ÉTRANGE RÉVEILLON. Tiré d’une de mes nouvelles. 

   En ce vingt-quatre décembre, la neige venait d’ensevelir la campagne sous un blanc manteau.  Les gens du village s’étaient rendus à la messe de Noël, ainsi que les habitants des hameaux perdus  à la lisière de la forêt.  Tous s’étaient munis d’un fanal car, en cette année 1866, l’éclairage public n’existait pas encore. L’église était noire de monde. Seul un banc était vide : celui de maître Malfilâtre, l’huissier de justice du canton.   Son nom  était pourtant inscrit au dos du siège, sur une plaque d’émail blanc, en lettres noires. Mais l’homme de loi avait déserté l’église depuis de nombreuses années.

   Personne ne songeait à s’offusquer de son absence, car ce Malfilâtre, Honoré de son prénom, avait une fichue réputation. C’était un homme dur, sans humanité, sans scrupules.  Il exerçait sa profession avec toute la rigueur possible. Il saisissait, il saisissait, n’accordant aucun délai,  n’hésitant pas à jeter les gens à la rue. Il avait fait  prendre la vache  d’ une vieille femme, son seul bien,  pour un retard de loyer.  Un autre, journalier, s’était vu saisir son jardin pour le même motif. Depuis, il vagabondait, vivant de la charité de ses semblables. On ne comptait pas les vies ruinées par cet oiseau de malheur. 

   Malfilâtre occupait une magnifique demeure à la sortie du bourg. Il  y vivait seul depuis le décès de son épouse et de sa  fille, toutes deux emportées par une épidémie de choléra. Depuis ce malheur, il était devenu avaricieux, dur de cœur, sans une once de bonté. Des années auparavant, du temps de madame, il exerçait sa profession avec équanimité, n’hésitant pas à reculer l’exécution d’une saisie pour que les malheureux débiteurs eussent le temps de réunir la somme nécessaire. Mais, voilà, c’était le temps d’avant. 

   Jadis, du temps de l’épouse, tous les  vingt-quatre décembre,  la famille Malfilâtre se rendait à la messe de minuit. Au retour, la maison était noire de monde car l’huissier invitait  les notables du coin pour le réveillon, ainsi que le prêtre de la paroisse. Aujourd’hui, plus personne n’aurait voulu partager le repas de Noël avec un tel individu. Tous  le fuyaient et le craignaient comme la peste. 

   Ce soir-là, seul,  il s’était posté derrière une fenêtre, observant ce qui se passait au dehors. Il avait pu apercevoir les fidèles qui pénétraient dans la maison de Dieu. « Quelle bande d’imbéciles, de crétins, pensait-il. Tiens, toi le Claude Levacher, tu ferais mieux de chercher quelque argent pour payer ce que tu dois. Après les fêtes, tu vas moins rire. Et toi, la Margot, tu devrais réunir la somme que te permettrait de garder ton auberge! » Il les vit ressortir et se diriger vers leurs logis.  Il quitta son poste et se dirigea vers la cuisine. Il n’avait plus de servante. Seule une femme du bourg venait  faire un peu de ménage et lui préparait ses repas. Il ne trouva à l’office qu’une casserole de soupe. Il la mit à réchauffer sur le fourneau. Revenu dans la salle à manger,  il s’apprêtait à avaler une cuillerée de ce brouet, quand il entendit toquer à son huis. « Qui peut venir m’importuner à cette heure? se dit-il. Encore un quémandeur. Je vais l’éconduire de ce pas.»
   Quand il ouvrit la porte, il aperçut un grand gaillard. Sous un capuchon informe, il aperçut deux yeux qui semblaient lancer des éclairs, un regard magnétique. L’homme était enveloppé d’une sorte de grande robe, et était chaussé de sandales. 
   — Que me voulez-vous? Si c’est pour la charité, c’est non tout de suite. Je n’ai pas de temps à perdre. 
   — Hola! Je vous demande juste de pouvoir me réchauffer. Vous n’avez pas de cœur à ce qu’on m’a dit. Je constate que c’est vrai.  Tout le village vous hait et souhaite votre mort. 
   Subjugué, l’huissier s’effaça pour laisser entrer l’intrus. « J’ai quelques amis qui attendent dehors, avertit-il,.  Venez, tous.» Malfilâtre n’eut pas le temps de protester. Une bonne dizaine d’autres personnes, toutes vêtues des mêmes robes brunes, les mêmes sandales aux pieds  s’engouffrèrent à la suite du premier en bousculant le bonhomme. Ils s’installèrent  tous autour de la cheminée, tendant chacun leur tour leurs mains engourdies aux flammes crépitantes. L’un deux examina l’assiette de potage et fit la moue.
   — C’est tout ce que vous mangez un jour de Noël. Vous devez être bien malheureux pour souper ainsi tout seul. 
   — Je vis seul depuis mon veuvage. J’ai perdu aussi ma fille. Plus personne ne prend soin de moi. 
   — Ça peut s’arranger. Mes amis font des miracles. Nous avons quelques provisions avec nous.  Où sont les cuisines?
   Malfilâtre les accompagna à l’office. Tout ce monde s’interpellait, riait.  Notre homme apprit que l’un s’appelait Pierre, un autre Jean. Il y avait trois Philippe, un Mathieu, un Thomas, un Jacques, un André, un Thaddée, un Barthélémy, et un dernier qui s’appelait Judas. Tous se mirent au fourneau, sortant de leurs bissacs des quantités de nourritures diverses et variées. La pièce fut bientôt  envahie d’odeurs appétissantes. Cela faisait des années que ça n’était pas arrivé. Le dénommé Mathieu disposa les couverts, André trancha le pain et remplit des cruchons de vin.  Il ne manquait plus qu’à passer à table. L’huissier remarqua soudain qu’ils seraient treize.
   — Je n’aime pas ça, marmonna-t-il. Ça porte malheur!
   — Seriez-vous superstitieux?  fit remarquer celui qui se nommait Pierre. Ne vous en faites pas, un autre  doit venir. Ainsi nous serons quatorze. 
   Un poing vigoureux frappa à la porte. Le dénommé Jacques se précipita. « Entrez, Maître, dit-il, nous vous attendions.» L’homme était de haute stature, vêtu d’une robe sans coutures, chaussé lui aussi de sandales. 
Ses compagnons étaient respectueux. Ils s’assirent autour de lui, six d’un côté, six de l’autre. Malfilâtre dut s’asseoir en face d’eux, à part, un peu comme un pestiféré. Celui qui s’appelait Judas les servit. 
   — Alors, coquin, l’interpella le Maître, t’es-tu repenti de m’avoir trahi? Va, je t’ai pardonné. C’était écrit.
   — Je ne me le suis jamais pardonné, répondit le traître. 
   Le repas se déroula dans la bonne humeur. Les convives firent honneur au repas. L’huissier était quelque peu éméché, alors que le vin ne semblait avoir aucun effet sur ses hôtes. Lorsqu’ils furent tous rassasiés, ils prirent congé. Malfilâtre était quelque peu ivre. Il alla se coucher. La domestique remettrait de l’ordre le lendemain.
   Quand il s’éveilla, il se souvint de ce qui s’était passé la veille. Il se rendit dans la salle à manger. Stupeur, il n’y avait plus de traces des agapes , ainsi que dans la cuisine. Tout était impeccablement rangé. « J’ai dû rêver, se dit-il; pourtant...» Soudain, sur la table, il avisa  une bourse de cuir. Il l’ouvrit. Elle était remplie de pièces d’or rutilantes. Il en saisit une. Il eut l’impression qu’elle lui brûlait les doigts. D’ailleurs des cloques se formaient déjà.  «Je vais me débarrasser de ces pièces du diable  tout de suite, je vais les offrir à quelque mendiant.»  Il se vêtit, sortit, et avisa un chemineau. Il versa le contenu de la bourse dans la main du vagabond. Ce dernier n’eut pas la paume brûlée.  Notre homme fut stupéfait car la bourse s’était de nouveau remplie. Hagard, il toqua à toutes les portes des habitants qu’il avait spoliés ou qu’il s’apprêtait à saisir. Il parcourut ainsi  des lieues et des lieues.  Chaque fois qu’il vidait l’escarcelle, celle-ci s’emplissait à nouveau. Ce ne fut qu’à la dernière maison que la bourse resta vide. 
   Malfilâtre comprit qui lui avait rendu visite la veille. De ce jour, il changea d’attitude, devint  plus attentif à son prochain, plus charitable. Tout le monde louait sa probité, sa grande bonté. Il mourut cinq ans plus tard, presque en odeur de sainteté. 

                                                                               FIN
   

   
   

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9 Commentaires

  1. Erreur: Judas est en enfer. N’avez-vous pas lu la Bible? C´est Mathias qui l’ a remplacé (lire les actes des apôtres écrit par Saint Luc)) C´est une hérésie de dire que Judas est au paradis avec Jésus Christ. À part ça c´est bien écrit. Oui, mais malheureusement il suffit d´une simple goute de vénin pour empoisoner tout le verre.

    • Rien n’est moins sûr. Certains des évangiles n’en parlent même pas. Selon certains écrits, Judas s’est pendu, pour d’autres il est mort les entrailles rompues par le milieu. l’Église n’a jamais véritablement évoqué l’enfer pour Judas. Sans sa trahison, pas de rémission des péchés, pas de crucifixion, pas de résurrection, et sûrement pas d’Église catholique, Jésus n’aurait été considéré que comme un simple prophète. Judas a été un traitre par nécessité, un instrument au service de Dieu, un instrument nécessaire. Selon des théologiens, Dieu lui a même pardonné. Il est sûrement dans le Royaume comme un simple quidam et non comme un saint. D’où le fait que je l’ai fait figurer dans ce modeste récit, une redite de la cène. Un récit imaginaire.

  2. Très mignon, ce petit conte.
    Tu peux nous en concocter d’autres, c’est avec plaisir qu’on les lira.

    Cela rappelle les veillées au coin du feu avec le grand père qui raconte des histoires extraordinaires aux enfants émerveillés qui ont les yeux pleins de sommeil mais qui résistent pour ne pas en rater une miette.

  3. Non non, mon cher Argo, tu ne « sévis pas » ! Tu nous régales de ta manière d’être et des récits qui en découlent. Bon d’accord t’es un Chrétien un peu violent parfois dans tes pensées, mais ça concerne surtout « ceux dont on ne prononce pas le nom… Alors Jésus, qui n’est ni au Ciel, ni au Paradis, ni dans les nuages, mais dans nos cœurs, et de manière facultative s’entend, en a vu d’autres hein ! Merci d’exister !

  4. Et encore un très, très beau conte de notre ami Argo ! Quelle merveille que de lire ces contes ! Honnêtement, je n’avais pas lu de tels textes depuis plusieurs décennies. Tu me fais découvrir un nouveau plaisir par la lecture de contes merveilleux, ici de Noël. Un très grand merci mon ami.
    Comme tu le dis au début, ton précédent conte et celui-là sont à base de la religion chrétienne. Et ben c’est très bien. C’est la chrétienté qui a façonné notre pays. De plus, je suis croyant profondément, je crois en Christ et à la résurrection. Alors, pour moi, c’est merveilleux ! Les autres auront, évidemment, leur propre avis.
    Je profite de cette occasion pour encourager tout ceux qui rejettent le Christ à réfléchir davantage en se référant aux sources que sont les Évangiles, et non pas à l’attitude du curé du village il y a 20 ans, comme c’est, hélas, beaucoup de fois le cas. Bien évidemment, tout cela sans le moindre prosélytisme, ça va sans dire.

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