Entretien de Vladimir Poutine avec Pavel Zaroubin de la chaîne Rossiya 1, à la suite de la visite de M. Macky Sall, président du Sénégal et président de l’union africaine à Sotchi, le 3 juin 2022
Verbatim :
Pavel Zaroubine : Vladimir Vladimirovitch [NdA : Les mots « monsieur » et « madame » étant pratiquement inusités en russe, il est d’usage, pour exprimer le respect, de s’adresser à son interlocuteur en employant son prénom et son patronyme (mais pas son nom de famille). Ainsi, pour s’adresser à Vladimir Poutine, on ne dira pas : « Monsieur Poutine » mais « Vladimir Vladimirovitch ». (Vladimirovitch étant son patronyme)], nous venons d’observer votre rencontre avec le président du Sénégal, M. Macky Sall, qui est aussi le président en exercice de l’Union africaine [NdA: depuis 2012]. Il en a parlé [NdA : de la famine qui vient] et en général on sent, bien sûr, depuis la semaine dernière, que beaucoup de ces pays [NdA : d’Afrique, mais aussi d’autres parties du monde] sont extrêmement préoccupés, non pas tant par [NdA : une simple] « crise alimentaire », mais parce qu’ils ont peur d’une famine à grande échelle, car les prix mondiaux des denrées alimentaires montent en flèche, les prix du pétrole et du gaz, de même : tout est lié, bien sûr. Et l’Occident en rend les Russe responsables. En réalité, quelle est la situation actuelle ? Comment ces facteurs interagissent-ils ? Et qu’adviendra-t-il selon vous des marchés de l’alimentation et de l’énergie ?
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Vladimir Poutine : Oui, bien sûr, nous assistons aujourd’hui à des tentatives de transferts de responsabilité [NdA : on pourrait aussi parler d’inversion accusatoire…] pour ce qui se passe sur le marché alimentaire mondial : les problèmes émergents dans ce marché sont attribués à la Russie. Je dois dire que c’est une tentative, comme on dit chez nous, de « repasser le problème d’une tête malade à une tête saine » !
Pourquoi ? Parce que, premièrement, la situation défavorable sur le marché alimentaire mondial ne date pas d’hier, ni même du moment où la Russie a lancé son opération militaire spéciale dans le Donbass et en Ukraine. Elle a commencé à prendre cette forme dès février 2020, dès le début du processus de lutte contre les conséquences de la pandémie de coronavirus, alors que l’économie mondiale sombrait et qu’il a fallu la restaurer.
Les autorités financières et économiques n’ont rien trouvé d’autre, aux Etats-Unis mêmes, que de prendre l’option d’injecter de grosses sommes d’argent en faveur de la population, injections d’importantes liquidités, les fonds de soutien à la population, en faveur des individus, des entreprises, et autres secteurs de l’économie.
De manière générale, en gros, c’est aussi ce que nous avons fait. Mais je peux vous assurer, et les résultats sont là pour le démontrer, que nous, nous l’avons fait plus rationnellement, ponctuellement et avec discernement. Nous avons atteint le résultat souhaité, sans que toutes ces mesures n’affectent des indices macroéconomiques essentiels, telle que la hausse incommensurable de l’inflation. La situation fut bien différente aux Etats-Unis.
Pendant deux ans – en moins de deux ans – de février 2020 à fin 2021, la masse monétaire aux Etats Unis a augmenté de 5.900 milliards de dollars ! C’est une utilisation sans précédent de la planche à billet. La masse monétaire totale a subitement augmenté de 38,6 %.
Apparemment, les autorités financières des États-Unis partaient du fait que le dollar restait la monnaie mondiale et elles pensaient que, comme d’habitude, comme autrefois, cette masse monétaire se dissiperait dans l’ensemble de l’économie mondiale, et qu’aux États-Unis, elle serait imperceptible. Il s’est avéré que ça n’a pas été le cas.
En fait, c’était clair pour toutes les personnes lucides et raisonnables, et il y a aussi aux États-Unis, comme la secrétaire au Trésor [NdA : Janet Yellen] qui a récemment déclaré qu’ils avaient fait une erreur : c’est donc bien une erreur financière, économique, des autorités américaines. Et cela n’a rien à voir avec les actions de la Russie en Ukraine, pas le moins du monde !
Et ce ne fut que la première étape, une étape déjà décisive vers le développement d’une situation défavorable sur le marché alimentaire. Car tout d’abord, nous avons vu monter, monter, les prix de l’alimentaire : c’est le premier point…
La deuxième raison en est la politique à courte vue des pays européens – et surtout de la Commission européenne – dans le domaine de l’énergie. Nous voyons ce qui se passe là-bas.
Personnellement, je crois que de nombreuses forces politiques, tant aux États-Unis qu’en Europe, ont commencé à spéculer sur l’inquiétude compréhensible propagée parmi les habitants de la planète en ce qui concerne le changement climatique. Ils ont commencé à promouvoir leur « agenda vert », y compris et surtout dans le secteur de l’énergie.
Tout ça pouvait passer pour raisonnable, mais en fait, les conséquences sont tout simplement démentes… Lorsque des recommandations non qualifiées et infondées furent données sur ce qui doit être fait dans le secteur de l’énergie, les possibilités d’énergies alternatives furent volontairement surestimées : solaire, éolien, ou que sais-je, l’hydrogène… C’est une perspective sur le long terme, probablement. Mais aujourd’hui, ce n’est pas pertinent, que ce soit en volume, en qualité, ou en coûts et prix.
Et en même temps, les Occidentaux ont commencé à minorer l’importance des énergies traditionnelles, y compris et surtout les hydrocarbures.
À quoi cela a-t-il conduit ?
- Les banques ont cessé de prêter sous la pression « climatique ».
- Les compagnies d’assurances ont cessé d’assurer les transactions concernées.
- Les autorités occidentales ont cessé d’octroyer des parcelles de terrain aux autorités locales pour accroître la production.
- Elles ont réduit la construction de logistique adaptée, y compris les pipelines.
Tout cela a conduit à un sous-investissement dans le secteur mondial de l’énergie, et le résultat est une augmentation des prix.
Par exemple, l’année dernière a été une année presque sans vent. L’éolien a « déçu » – l’hiver s’est éternisé – et immédiatement, les prix se sont… envolés ! Les Européens, de plus, n’ont pas retenu nos propositions opportunes de maintien de contrats à long terme pour la fourniture de gaz naturel à leurs pays. Tout cela a eu des conséquences négatives pour l’Europe et son marché de l’énergie : les prix ont grimpé, mais clairement, la Russie n’y est pour rien !
Ainsi dès que les prix du gaz, par exemple, ont augmenté, les prix des engrais ont immédiatement augmenté car certains de ces engrais sont produits entre autres grâce au gaz : tout est interconnecté. Dès que les prix des engrais ont grimpé, de nombreuses entreprises, y compris celles des pays européens, sont devenues non rentables et ont commencé à fermer, et le volume d’engrais sur le marché mondial a fortement chuté et les prix, symétriquement, ont augmenté. Les prix ont même augmenté de façon spectaculaire pourrait-on dire, de manière tout à fait « inattendue » pour de nombreux politiciens [NdA : pointe d’humour de Vladimir Vladimirovitch sur la « perspicacité » des politiciens occidentaux…]. Pourtant, nous les avions mis en garde à ce sujet, et cela n’a donc rien à voir avec l’opération militaire spéciale de la Russie dans le Donbass. Aucun rapport !
Puis on a vu à l’étape suivante, quand notre opération a commencé, des « partenaires » européens et américains qui ont soi-disant commencé à prendre des mesures, mais celles-ci n’ont fait qu’aggraver la situation, à la fois dans les secteurs de l’alimentation et des engrais.
Rappelons qu’en engrais potassiques, comme me l’a dit Aleksander Grygoryevitch Loukachenko – il faut bien sûr vérifier, mais je pense que ça correspond à la réalité – Russie et Biélorussie produisent à elles deux 45% du marché mondial. C’est un volume énorme. Or le rendement dépend de la quantité d’engrais que vous mettez dans le sol. Une fois qu’il est devenu clair que nos engrais – russes et biélorusses – ne seraient plus sur le marché mondial, les prix ont immédiatement grimpé, tant pour les engrais que pour la nourriture, car s’il n’y a plus d’engrais, il n’y a plus le volume de productions agricole nécessaire : une chose entraîne l’autre. Mais la Russie n’a absolument rien à voir là-dedans !
Nos « partenaires » eux-mêmes ont fait beaucoup d’erreurs, et maintenant, ils cherchent un bouc émissaire pour les conséquences, et bien sûr, dans ce sens, la Russie est le « candidat » le plus commode.
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Pavel Zaroubin : Tout à l’heure, au fait [NdA : l’interview date du 3 juin 2022], l’information est tombée que dans le nouveau paquet de sanctions européennes figure l’épouse du patron de l’une de nos plus grandes entreprises d’engrais. À quoi tout cela mènera-t-il, à votre avis ?
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Vladimir Poutine : Voici à quoi : la situation va empirer. Après tout, les Britanniques, puis les Américains – les Anglo-Saxons – ont imposé des sanctions. Puis, réalisant ce qui se passait, les Américains ont levé les sanctions sur nos engrais… mais pas les Européens !
Lors de leurs contacts avec moi, ils me disent eux-mêmes : « Oui, oui, il faut y penser, il faut y faire quelque chose ». Mais aujourd’hui, j’observe qu’ils n’ont fait qu’aggraver cette situation sur les marchés mondiaux des engrais, et donc les perspectives de récolte sont beaucoup plus modestes, ce qui signifie que les prix ne feront qu’augmenter – c’est tout.
C’est une politique absolument myope, erronée, je dirais même… juste stupide : elle mène à une impasse totale !
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Pavel Zaroubin : Mais la Russie est accusée, par de hautes instances internationales, du fait qu’il y aurait en réalité du grain, mais… dans les ports ukrainiens, et que la Russie n’autoriserait pas l’exportation de ce grain.
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Vladimir Poutine : C’est du bluff. Et voici Pourquoi.
- Premièrement, Il y a des choses objectives, dont je vais parler maintenant. Dans le monde, on produit environ 800 millions de tonnes de céréales et de blé par an. On nous dit maintenant que l’Ukraine est prête à exporter 20 millions de tonnes. 20 millions de tonnes par rapport à ce qui est produit dans le monde – 800 millions de tonnes –, c’est donc 2,5%. Mais si nous partons du fait que dans la quantité totale de nourriture dans le monde, le blé ne représente que 20 % – et, ce ne sont pas « nos » données, ce sont des données de l’ONU – cela signifie que ces 20 millions de tonnes de blé ukrainien représentent 0,5 % du total, autrement dit, rien. C’est le premier « fait têtu ».
- Deuxièmement, 20 millions de tonnes de blé ukrainien représentent une estimation d’exportation potentielle. A ce jour, les autorités américaines elles-mêmes disent que l’Ukraine pourrait exporter six millions de tonnes de blé – selon notre Ministère de l’agriculture, ça n’est pas six, mais environ cinq millions tonnes, mais disons quand même six – et – ce sont les données de notre ministère de l’Agriculture – sept millions tonnes de maïs. Nous pouvons conclure que ce n’est pas grand-chose.
Pour l’année agricole en cours – 2021-2022 – nous, Russes, nous exporterons 37 millions, et pour 2022-2023, je pense qu’on va augmenter cette exportation jusqu’à 50 millions de tonnes ! Soit dit en passant…
Pour en revenir à l’exportation de céréales ukrainiennes, nous ne l’empêchons pas. Mais il y a plusieurs façons d’exporter ce grain ukrainien…
- Première solution, si on veut, ça peut être exporté à partir des ports situés sous le contrôle de l’Ukraine, principalement Tchernomorski, Odessa, et à proximité. Ce n’est pas nous qui avons barré les approches : ce sont les Ukrainiens qui les ont minés ! J’ai déjà dit maintes fois à tous nos collègues occidentaux : que les Ukrainiens déminent ! Et, s’il vous plaît, laissez les navires chargés de grain quitter les ports ! Nous, nous garantissons leur passage pacifique, sécurisé et sans problème dans les eaux internationales. Pas de problème. Alors je vous en prie, à vous de jouer ! Pour nous, cela nous impose de déminer les passages et de draguer les fonds de la mer Noire des navires sabordés par l’armée ukrainienne [NdA : les Ukrainiens ont volontairement coulé des navires pour entraver l’accès aux ports du sud de l’Ukraine et du Donbass !]. Nous sommes prêts à le faire, on ne profitera pas de nos opérations de déminage, pour entreprendre des attaques depuis la mer : je l’ai déjà dit.
- Deuxième solution : les ports de la mer d’Azov – Berdiansk, Marioupol – sont sous notre contrôle, nous sommes prêts à permettre une exportation sans problème des céréales ukrainiennes transitant par ces ports. Alors, je vous en prie ! Nous, nous avons déjà engagé, et sommes en train de terminer le travail de déminage – les troupes ukrainiennes ont miné à trois reprises, mais le travail touche à sa fin. Nous sommes disposés à assurer la logistique nécessaire. Soyez assurés que nous le ferons.
- Troisième solution : il est possible d’exporter des céréales d’Ukraine par le Danube et à travers la Roumanie.
- Quatrième solution : vous pouvez passer par la Hongrie.
- Cinquième solution : c’est possible à travers la Pologne. Oui, il y a certains problèmes techniques, car le gabarit ferroviaire [NdA : largeur des voies] est différent entre la Russie et la Pologne, il est donc nécessaire de changer les bogies des wagons. Mais c’est l’affaire de quelques heures, c’est tout.
- Et enfin, sixième solution, la plus simple, c’est l’exportation à travers la Biélorussie. La plus simple et la moins chère parce que là, on est directement aux ports des Etats baltes, à la Baltique, la mer et au-delà, à n’importe quel point de la planète. Mais pour cela, il est nécessaire de lever les sanctions contre la Biélorussie ! Mais ce n’est pas notre problème. Le président de Biélorussie ne cesse de le répéter : si vous voulez exportez le grain ukrainien, le moyen le plus simple est de passer par la Biélorussie ! De notre côté, personne n’interfèrera.
Alors voilà ce qu’il en est du « problème » de l’exportation de la production céréalière ukrainienne !
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Pavel Zaroubin : Qu’est-ce que pourrait être la condition pour assurer la logistique d’exportation depuis les ports qui sont sous notre contrôle ? Quels en seraient les termes éventuels ?
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Vladimir Poutine : Aucun ! Aucune condition ! Comprenez bien que nous assurerons un transport pacifique, que nous garantirons la sécurité des abords de ces ports, que nous nous assurerons l’entrée des navires étrangers et leur mouvement le long de la mer d’Azov et de la mer Noire dans toutes les directions. Partout où, il faut le savoir, de nombreux navires sont carrément bloqués aujourd’hui dans les ports ukrainiens – des navires étrangers, des dizaines de navires ! Ils y sont tout simplement enfermés et, soit dit en passant, les équipages sont retenus en otage par les Ukrainiens !
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Résumé partiel de cet entretien :
http://newsnet.fr/read/entretien-de-poutine-avec-pavel-zaroubin-de-russia-1
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In girum imus nocte ecce et consumimur igni
https://ripostelaique.com/interview-choc-de-vladimir-poutine-lue-organise-une-famine-mondiale.html
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Il y a tout de même de gros malins qui organisent l’inflation.
Aujourd’hui, l’huile de tournesol est revenue dans les rayons, mais son prix à été multiplié par trois.
D’environ 1,50€ le litre, elle est passé à 3,50€le litre.
La France cultive-t-elle du tournesol ?
Où est passée notre production d’huile ?
L’inflation est bidon et entretenue par des Poissonnard qui ont trouvé le moyen d’assécher le porte-monnaie des Français, les mêmes Poissonnard qui s’étaient sucrés lors du passage à l’euro.
Ben fallait pas pousser POUTINE à se défendre de l’OTAN et de l’Ukraine qui n’ont pas respecté les accords de neuf ans plus tôt !!!
Quelle démonstration de méchanceté du vilain Vladimir ! Vraiment ce monstre devrait être jugé !
Bon plus sérieusement, ce matin, le prix de l’essence à la pompe étant de 1.98 euros, je ne comprends pas qu’il n’y ait pas encore d’appel à bloquer les stations ou à faire siège devant l’Elysée. Il y a deux ans, les GJ râlaient parce que le pris était de 1.50 euros. Les Français ont à ce point le cerveau lavé ?