Illustration : Le buste de Marianne devant la mairie-école d’Arques (62). Musée de l’éducation nationale.
Les premiers romans scolaires (à partir de 1877)
Introduction :
L’école de la IIIème république participe à l’enracinement des valeurs républicaines
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L’école que les lois Ferry rendent gratuite, obligatoire et laïque en 1881-1882 est au cœur du projet républicain. Une grande importance est accordée à l’enseignement qui doit former les citoyens et enraciner la République en en diffusant largement les valeurs. Les instituteurs dispensent une instruction morale et civique et deviennent les « hussards noirs de la République » selon la formule de Charles Péguy en 1913.
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L’école n’est pas la seule à participer à l’enracinement de cette culture républicaine.
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La loi municipale de 1884 oblige chaque commune à se doter d’une mairie sur le fronton de laquelle on peut lire la devise républicaine à côté du drapeau tricolore. L’association de l’école à la République est d’autant plus renforcée par le fait que la mairie abrite aussi souvent l’école primaire. Les maires sont désormais élus au suffrage universel ce qui tend à populariser la pratique démocratique.
Le service militaire rendu obligatoire en 1889 fait de chaque Français un citoyen-soldat prêt à défendre la patrie. L’école participe à la formation militaire des futurs soldats de la République en créant des bataillons scolaires dans le but d’initier les garçons dès leur plus jeune âge à la pratique militaire.
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Ainsi, dans les villages et les villes de France, la mairie, l’école, la caserne, les statues et bustes de Marianne et les monuments allégoriques de la République façonnent peu à peu un paysage républicain.
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Les autorités municipales et militaires ainsi que les instituteurs deviennent les promoteurs de fêtes républicaines. L’inauguration des mairies et des écoles et la remise des prix aux élèves à la fin de l’année scolaire sont des moments de communion citoyenne. A partir de 1880, le 14 juillet est institué jour de fête nationale. Désormais, des revues et défilés militaires auxquels participent les bataillons scolaires sont organisés tous les 14 juillet partout en France. Les élections locales ou nationales sont aussi l’occasion de cérémoniaux républicains dans lesquels figurent le souvenir de la Révolution et de ses héros. Les manuels scolaires relaient d’ailleurs largement la mémoire glorieuse et fondatrice de la Révolution française dont le centenaire est commémoré en 1889. C’est aussi cette année-là que la Marseillaise devient l’hymne national.
https://www.reseau-canope.fr/virtualhis/pedagogie/Classe/co/ecole%20republique.html
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Les premiers romans scolaires (1877 et après).
Les romans scolaires permirent aux enfants de France, dans un monde encore dépourvu de la présence permanente et totalitaire de la télévision, de s’évader par le texte et par l’image
« On ne revient pas de certaines impressions de l’enfance. Elles fixent la couleur de l’âme. » Jean Guéhenno, Ce que je crois.
Pour les cours moyen et supérieur : ce sont des romans adaptés ou repris intégralement.
« Pour être compris des enfants, rien ne vaut un beau génie. (…) Quand vous écrivez pour eux, pensez très bien, écrivez très bien. Que tout vive, que tout soit grand, large, puissant dans votre récit.» Anatole France.
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Les cours moyen et supérieur (classe du certificat d’études) sont décisifs pour l’entraînement à la lecture littéraire et l’intérêt que l’élève lui porte.
Deux types de romans scolaires sont proposés aux élèves des grandes sections :
- Les romans spécialement écrits pour les écoliers par des écrivains de profession ou par des enseignants, et dont le texte est reproduit intégralement. Parmi ceux-ci, à titre d’exemples citons les plus fameux, tels Le Tour de la France par deux enfants, publié sous le pseudonyme de G. Bruno, Peau de pêche, de Gabriel Maurière, Il était quatre petits enfants, de René Bazin, Vers le travail, Milot de Charles Vildrac, Les Lumières de la forêt, d’André Dhôtel et La Roulotte du bonheur, de Paul-Jacques Bonzon.
- Les adaptations de romans déjà publiés et jouissant d’une réelle popularité, comme Grands Cœurs, de Edmundo de Amicis, Jean-Christophe d’après Romain Rolland, ou Jacques Thibault, d’après Roger Martin du Gard.
«Le lendemain était attendu comme un grand jour. Chacun avait couvert ou fait couvrir son « Léontine » d’un papier protecteur; et je gage que, dans bien des familles, ce fut le père qui, sous la lampe, se plongea avec délices dans ces courtes et émouvantes histoires d’enfance. Lui, autrefois, avait lu Le Tour de France. De temps à autre, il devait dire à son fils qui s’impatientait pour qu’on lui rendît son livre : — Tiens, lis-moi ceci. Et le petit ânonnait, car c’était difficile.»
Georges Le Sidaner, À la Volette (Julliard Édit.)
Romans scolaires
Le Tour de la France par deux enfants, vedette incontestable de l’éducation populaire!
Pour tout dire, c’est avec Le Tour de la France par deux enfants que tout a commencé.
Publié en 1877 par les éditions Belin, il fut le best-seller de la IIIè République et de tous les manuels scolaires confondus!
Il avait atteint 6 millions d’exemplaires en 1900 et, malgré son retrait du programme, la demande impérieuse du public l’imposa encore dans les écoles jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Dans son Histoire de la littérature enfantine, Caradec nous apprend qu’en 1976 il avait atteint le score historique de 8 400 000 exemplaires vendus, dont 7 500 000 avant 1914 ! De sa première publication à 1960, il aura connu 411 éditions! Sans oublier qu’il est toujours en vente en 2020 !
On reste hébété devant un tel succès… Il faut dire que rarement un manuel de lecture aura porté en lui de si nombreuses qualités : il est à la fois ouvrage de géographie, d’histoire, de morale, de sciences naturelles et techniques, et de… lecture. Le «tout en un »!
Un monument de culture générale édifié par une narration admirable d’efficacité.
Livre culte ayant œuvré comme aucun manuel scolaire pour l’élévation des connaissances dans notre pays.
Le Tour de la France par deux enfants fut rédigé par Mme Augustine Fouillé, qui choisit le pseudonyme de C. Bruno en hommage au grand philosophe pré-matérialiste de la Renaissance Giordano Bruno, jugé « hérétique» et brûlé vif par l’Église en 1600.
L’histoire part d’un argument d’une simplicité confondante : deux frères orphelins, André et Julien, quittent leur ville de Phalsbourg (Lorraine) annexée à l’Allemagne et partent sur les routes et les chemins à la recherche d’un oncle, découvrant les provinces de France et les richesses de chaque ville traversée.
Ce fil conducteur permet à l’auteur la diffusion à haute dose d’une morale laïque et républicaine abreuvée des valeurs les plus bourgeoises de l’époque, telles que le travail bien fait, l’épargne, le respect absolu des hiérarchies sociales, l’ordre, le sens du devoir et par-dessus tout le sentiment patriotique.
D’ailleurs, le sous-titre « Devoir et Patrie» en résume parfaitement le contenu idéologique. De nombreux écrivains eurent l’occasion d’y être confrontés durant leur scolarité.
Ainsi, dans Le Cheval d’orgueil (Terre humaine, Plon Édit., 1975), Pierre Jakez Hélias confirme l’importance de l’ouvrage de G. Bruno.
«Il y a des maisons, rouges et blanches, où La Vie des saints et même le livre de Monsieur Larousse sont remplacés par un ouvrage étonnant dans lequel se trouve clairement expliqué tout ce qu’il est utile de savoir au retour de la guerre, entre les années [18-] vingt et vingt-cinq. C’est Le Tour de France par deux enfants.
C’est une sorte de catéchisme laïque pétri de morale et de bons sentiments, propre à réconforter, au surplus, ceux qui ont chanté Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine. Patriotique en pleins cocoricos, exaltant l’unité et la diversité de la France, entretenant le respect dû aux grands hommes comme ce Bayard, sans peur et sans reproche, dont le nom se donne aux seigneurs chevaux.
Il raconte l’Histoire, il décrit la Géographie, il célèbre les inventions anciennes et nouvelles, il parle des métiers et de la terre, voyez-vous ça!
On y rencontre des tas de braves gens qui pourraient bien être vos cousins. On y parle précisément de choses que nos paysans voudraient bien voir de préférence s’ils avaient le temps et les moyens de voyager. Les anciens combattants, qui ont connu dans les tranchées des camarades de toutes les provinces, y retrouvent des modes de vie dont ils ont longuement entendu parler, les vendanges, le travail de l’acier et de la mine. C’est un sacré livre et qui semble autant fait pour eux que pour eux que pour leurs enfants.»
Déçu que les deux frères ne soient pas passés par son village, le petit Jakez Hélias se félicite malgré tout que dans ce livre «il y a quand même une carte de la Bretagne où nous reconnaissons la baie d’Audierne, notre baie, il est question de Brest et de Nantes où nous avons des parents, et l’on raconte tout au long l’histoire d’un nommé Bertrand Du Guesclin qui est l’un de nos héros du temps passé. C’est égal, Julien et André auraient bien dû venir au pardon de Penhors (…) ».
Détaillant la journée du maître d’école, Hippolyte Gancel insiste à son tour sur le rôle important que l’enseignant lui attribue :
« Dès le premier jour, un manuel rituellement utilisé, quasi officialisé, entrait dans la vie quotidienne de très nombreux élèves : Le Tour de la France par deux enfants, Devoir et patrie, par G. Bruno, lauréat de l’Académie française, auteur de Francinet.
En cent vingt et un épisodes, ce « livre de lecture courante » raconte la vie de deux petits Lorrains qui, ayant quitté leur Lorraine natale pour échapper à l’occupant allemand, parcourent les diverses régions françaises. L’ouvrage présente une France idéalisée. Il exalte les vertus patriotiques, le travail, la richesse de l’instruction. La première édition parut en 1877. Elle n’évite pas les évocations à caractère religieux. Mais, après la loi de séparation, ces évocations sont supprimées, ce qui n’entrave pas le succès national.
Le livre connaîtra plus de quatre cents rééditions. La Grande Guerre inspira à Mme Fouillé, toujours dissimulée sous le pseudonyme de G. Bruno, un ouvrage de quelque deux cent cinquante pages intitulé Le Tour de l’Europe pendant la guerre. Les instituteurs, sans écarter les idées très cocardières de l’auteur, préfèrent généralement les récits fondés sur les réalités régionales et locales ».
Le manuel va inspirer d’autres ouvrages…
Nombreux sont les manuels scolaires confirmant ces propos. De fait, le succès ininterrompu du Tour de la France par deux enfants (et non Tour de France… comme l’écrivent la plupart des auteurs, conditionnés par la fameuse épreuve sportive annuelle !!!) ne pouvait qu’engendrer La parution d’ouvrages rédigés dans le même registre.
Du Pays bleu d’Édouard Jauffret à Notre premier tour de Bretagne par M. et Mme Morel (Ogé Édit., 1956), en passant par Mon pays en liberté (Sudel Édit., 1956) de Maurice Oléon ou bien ces Pages de France de G. Cercier et J. Sauvestre (Les Nouvelles Presses Françaises Édit.), c’est le chant d’un régionalisme exacerbé que nous entendons à travers nombre de manuels après 1918.
Provence, Bretagne, Alsace, Thiérache… les régions de France sont valorisées par les livres de lecture scolaire, conséquence logique d’une vie rurale très ancrée dans ses racines locales et d’un sentiment patriotique ravivé par la récupération récente de l’Alsace et de la Lorraine.
Nonobstant cette floraison identitaire, aucun manuel n’égalera et ne connaîtra le succès du Tour de la France par deux enfants!…
Même Édouard Peisson, auteur célèbre avant la Seconde Guerre et racontant dans Le Voyage d’Edgar (1938) la découverte des continents et l’initiation à la navigation pour les écoliers du cours moyen, ne connaîtra qu’un succès limité auprès des instituteurs.
La trame romanesque de Mme Fouillé fit long feu et inspira de très nombreux auteurs de romans scolaires qui reprirent le principe de deux frères, ou bien un frère et une sœur, vivant de nombreuses aventures en parcourant leur petit domaine ou les régions de France.
Le Premier et le Deuxième Livre d’André (Librairie catholique Emmanuel Vitte, 1926), l’Histoire de trois enfants, de K. Seguin (Hachette, 1927), Jeannot et Jeannette, du même auteur (1924), et même II était quatre petits enfants, de René Bazin (Marne Imprimerie 1945) lui sont largement redevables, mais n’ont pas rencontré la même ferveur des écoliers et… de leurs parents!
Texte adapté de l’ouvrage de Noël Coret, Sur nos pupitres d’écoliers, des livres de lecture, 2006. Photos tirées des éditions originales.
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à Lucien UN GRAND MERCI LUCIEN de m’avoir fait retrouver à la fois GALLICA que j’avais oublié et ce merveilleux livre de mon enfance que je peux lire en gros caractères sur mon écran, vraiment, vous m’avez apporté un grand plaisir et merciiiiiiiiiiiii encore !!!
ou encore içi, ou j’ ai acheté celui qui fit les délices de mon petit fils il y a vingt ans, acheté aux bouquinistes des quais de SEINE
IL AVAIT HUIT ANS ET A TOUJOURS LE BOUQUIN
https://www.abebooks.fr/servlet/BookDetailsPL?bi=30252301793&searchurl=ds%3D20%26kn%3Dle%2Btour%2Bde%2Bfrance%2Bpar%2Bdeux%2Benfants%26sortby%3D17&cm_sp=snippet-_-srp1-_-title2
Livre accessible sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k373586p/f5.image.texteImage
Merci Lucien !