QUAND LE RAIL SE PASSAIT DE L’U.E.
ET QUAND IL CONTINUE MALGRÉ ELLE
Dans notre actualité heureusement agitée par le Brexit, et en écho aux prétentions de Jean-Claude Juncker, il est bon de rappeler que nos Anciens ont su bâtir de grandes choses, les faire belles, fiables et harmonieuses, en assurer la pérennité pour le Bien commun, avant que des scribouillards imbus de leurs petites idéologies et parfois de leurs grandes fortunes ne viennent en usurper le prestige.
« … Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige, elle répond toujours du nom de Robespierre… »
Jean Ferrat, « Ma France »
Je propose donc un petit extrait de mon livre « Citoyens ce roman est le vôtre », traitant d’un élément essentiel sans lequel notre vie industrielle et moderne ne serait pas ce qu’elle est : le Rail.
« … Celle des Trente Glorieuses, ces années de prospérité où la France évoluait, grandissait, vivait dans une normalité reconnue.
En ce temps-là, la France était forte, dirigée par de véritables patriotes, elle avait une économie en constante évolution. Ceux qui le voulaient avaient un travail et la juste reconnaissance de leurs droits acquis par leurs cotisations au système de sécurité sociale permettait qu’ils ne soient pas abandonnés à la misère s’ils étaient chargés de famille, malades, blessés ou retraités. On pouvait entrer apprenti dans une entreprise et la quitter pour la retraite en ayant habité près de son lieu de travail. Il était possible pour tout le monde de participer à l’effort commun dont le fruit était une société stable et sécurisante, où le respect des gens et des choses était omniprésent, amplifié par le souvenir des déchirements et des privations de la guerre. Les dirigeants savaient assurer l’équilibre entre les activités privées autant que possible et la gestion par l’État autant que nécessaire.
Le pays avait ainsi une juste répartition entre des entreprises privées innovantes, moteurs de l’économie et de l’initiative audacieuse, et de véritables services publics servant l’intérêt commun et se voulant résolument exemplaires pour la satisfaction de tous. Il était une référence reconnue de régler sa montre au passage du train. Les frontières étaient sévèrement contrôlées. Tout étranger se devait de respecter la loi et l’ordre public sous peine de se voir expulsé du territoire national. Les importations concernaient surtout les marchandises que la France ne produisait pas elle-même.
… Le Rail avait encore montré son dynamisme pragmatique dont les principaux exemples étaient le développement de l’UIC (Union Internationale des Chemins de Fer, fondée en 1922) élaborant des normes destinées à unifier les matériels ferroviaires afin de les rendre compatibles ; la création de la société Eurofima (Société Européenne pour le Financement de Matériel Ferroviaire, à but non lucratif, fondée en 1956) ; la collaboration avec la CIWL (Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des grands express européens, fondée en 1876) ; et bien sûr l’initiative du groupement Trans-Europ-Express (créé en 1957) dont les prestigieux convois rappelaient que le train était aussi un moyen de transport moderne. Chaque pays membre apportait le meilleur de sa technologie dans ces trains novateurs. Ces collaborations résolument progressistes avaient à l’époque un avantage considéré comme normal : elles laissaient les compagnies nationales souveraines sur leurs rails ! Il en était de même pour tous les actes de la vie publique, où la préférence nationale était considérée comme une logique relative à la compétence territoriale et à la reconnaissance du droit légitime de propriété commune.
Le Rail était une référence de service public par la classe, la distinction, la compétence, l’exemplarité, la conscience professionnelle et l’autorité naturelle reconnues à des cheminots dévoués à leur travail.
À présent, au nom de la rentabilité, on supprimait des milliers de kilomètres de voies ferrées jugées non rentables, en oubliant combien elles participaient au maintien du tissu social, professionnel et économique, en reniant les efforts des anciens qui les avaient édifiées, ouvrages d’art compris, alors qu’ils n’avaient pas eu les moyens techniques dont on avait disposé par la suite.
Passant sur quelque pont métallique, Danylou se plaisait à évoquer ses courageux bâtisseurs outillés de gros marteaux, de bouterolles et de contre-bouterolles, sortant avec une pince d’un brasero fumant les rivets chauffés juste à point pour les placer dans des trous ajustés, avant de les former sans aucun défaut de tenue ou d’aspect.
Pour cause de non rentabilité, de nombreux embranchements desservant des entreprises avaient été supprimés. Celles-ci devaient donc recourir au transport routier déjà saturé, générateur d’accidents et alors même qu’on commençait enfin à reconsidérer l’opportunité du transport rail-route et des trains de voyageurs auto-couchettes. On ne parlait plus de la qualité du service public, mais des impératifs de rentabilité des entreprises ferroviaires, lesquels n’étaient pas forcément compatibles avec les besoins des voyageurs ni de ceux de l’industrie et de l’agriculture productives. Maintenant on préférait à ces ramifications nombreuses, où avaient circulé des trains de détail, les grandes lignes avec des trains de wagons tous identiques jamais désaccouplés, que l’on rêvait d’agrandir démesurément comme ceux des Américains, avec plusieurs locomotives actionnées par un seul conducteur…
Tout était fait pour transformer les chemins de fer français en une sorte de multinationale des transports, y compris hors voies ferrées, plutôt que de la développer en une spécificité ferroviaire appliquée à rendre le meilleur service public et à faire progresser le Rail.
Pourtant, la reconstruction nationale d’après-guerre, le développement du tissu économique et social jusqu’au fond des campagnes, la vie agricole et industrielle n’avaient pu se faire telles qu’ils avaient été qu’avec un réseau ferré performant et exemplaire.
Beaucoup de pays moins bien pourvus enviaient à la France ce puissant moyen de transport qui ne trouvait pas d’égal sur la route, la voie fluviale ou dans les airs pour des productions d’importance telles que les céréales, le bois, l’acier et bien d’autres encore. Le train était le dernier moyen de transport que les intempéries arrêtaient, bien après les avions et les camions. Le continent africain, malheureusement pourvu de sept écartements de voie différents, voyait son potentiel d’échanges internationaux limité par l’impossibilité de faire circuler des trains transcontinentaux. L’Europe ne connaissait pas tel problème. Le Rail avait su intelligemment y unifier ce qui devait l’être, avant que les multiples essais tous aussi valables et justifiés ne deviennent des développements installés de façon forcément définitive. Il l’avait fait bien avant les prétentions des fonctionnaires de Bruxelles et surtout sans avoir besoin d’eux.
Danylou trouvait fort dommage que la ponctualité légendaire de l’époque de la traction à vapeur ne trouvât pas sa continuité avec les trains modernes aux performances élevées, offrant un environnement de travail autrement plus humain. Car il fallait bien le dire, personne n’accepterait plus ces conditions du passé : être tant et simultanément exposé aux intempéries et contrastes thermiques, aux fumées et vapeurs, aux projections d’escarbilles et fuites de liquides chauds, aux salissures et imprégnations, au bruit, aux suffocations, aux vibrations et trépidations, s’accommoder de la visibilité incertaine, être obligé aux mouvements répétitifs dans un poste de travail exigu. Nul non plus ne se soumettrait au système obligé des « équipages titulaires », rendant les tractionnaires tributaires de leur machine, les obligeant à prendre leurs congés pendant ses périodes de révision.
Mais le confort de travail normalement acquis avec les cabines ergonomiques et climatisées ne suffisait pas à continuer un service public de qualité, si l’organisation de l’ensemble du réseau n’était pas conçue d’abord dans ce but. C’était cela qui était perdu par les privatisations et mesures similaires décidées par la mondialisation, au détriment de la maîtrise par les États de leurs services publics bénéficiant à tous.
Si les locomotives avaient eu leurs postes de conduite nettement améliorés, il ne fallait pas pour autant croire que le travail d’un conducteur de trains fût devenu une sinécure.
Ses obligations et contraintes essentielles transcendaient le temps et les évolutions techniques.
Sa motivation devait rester intacte, tout comme sa santé et son dévouement.
Il était astreint à des périodes de travail sans aucun rapport avec ceux de la plupart des autres travailleurs. Pour lui, pas de jour férié, de samedi, de dimanche, de jour ou de nuit, pas même de semaine. C’était un calcul par décades qui déterminait ses périodes et horaires d’activités professionnelles.
Il était seul actif, décisionnaire et responsable aux commandes de son train, dont la conduite n’était nullement automatisée, contrairement à ce qui était souvent cru. Des systèmes de sécurité immobilisaient le train uniquement en cas de défaillance, laquelle était déterminée par défaut et sans appel.
Le conducteur était soumis à trois règlements très complexes : celui du travail, celui de la sécurité et celui de la technique. Il devait être autorisé à la conduite du type de locomotive utilisé, habilité à la vitesse requise pour le train et il signait un document de reconnaissance de la ligne parcourue afin de définir sa responsabilité. Toutes ses actions et décisions étaient réglementées et il devait en assumer les conséquences.
Ses conditions de conduite étaient la plupart du temps compliquées. Il devait reconnaître les signaux de façon sûre, réagir vite, anticiper si possible. Il était pour lui hors de question de manquer une information, de l’oublier ou de ne pas y obéir. Les ordres donnés par les signaux pouvaient se présenter sous des formes multiples et à fréquence élevée. Le conducteur devait les respecter tous, impérativement et sans délai, sans commune mesure avec ce que l’on voyait sur les routes.
Le conducteur était hébergé dans les foyers de « roulants », au confort sommaire, dont les cantines n’étaient pas forcément ouvertes quand son train arrivait à destination.
Cela n’empêchait pas des mauvaises langues de répandre des jalousies infondées, relatives à de prétendus avantages surréalistes à propos desquels la SNCF avait déjà dû diffuser des démentis… »
On ne voit là rien de commun avec les pitreries politiciennes et le manque total de sérieux, d’honnêteté, de compétences et de résultats probants observables de l’Élysée jusqu’à Bruxelles…
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Merci Monsieur Pollet pour cet hommage aux gueules noires et ces cheminots,qui se dévouaient à leur travail. A cette époque la camaraderie et l’amitié n’était pas qu’une façade.
Merci pour cet éloge du rail , mon grand-père était cheminot , les personnes y voient toujours les avantages , mais ne pensent pas aux inconvénients que vous rappelez justement bien ,comme l’on dit c’était la belle époque .