« Le bon gui et le bon Amour » conte d’Auvergne, 1890

Le bon gui et le bon Amour.

Paul Arène.

Nouveaux Contes de Noël, Paul Arène, 1890.

 Le vent ayant soufflé longtemps, les chemins des bois quand vint le matin, se trouvèrent jonchés de branches mortes, et aussi par endroits, de brins de gui arrachés à ces boules d’épaisses verdures qui apparaissent en automne, au sommet des arbres sans feuilles, tout pareils à des nids de pie.

  Deux femmes étaient dans le bois : l’une vieille, si vieille que la peau crevassée de son visage et de ses mains semblait rude comme une écorce ; l’autre jeune et si belle que rien en cette saison ne pouvait donner l’idée d’une telle beauté, puisqu’il n’y avait plus d’herbe transie ni muguets, dont la blancheur se comparât à celle de son teint, ni  pervenches couleur de ses yeux. La vieille faisait un fagot pour chauffer sa cabane et cuire son dîner.

La jeune, en manière de distraction, ramassait et nouait d’un ruban le gui qui était par terre.

Donc, il arriva que, l’une musant, l’autre fagotant, toutes les deux se rencontrèrent juste au carrefour des Ermites, près du grand bloc de grès, au milieu duquel, à la place d’une croix tombée, on voit maintenant un trou remplit d’eau où les oisillons viennent boire.

-« Pour du beau gui, v’là du bien beau gui ! S’écria la vieille. Eh ! Donc ! Seigneur mon Dieu ! Qu’allez-vous donc faire de tout ce gui ? »

La jeune fille hésitait à répondre ; car avec ses haillons, son regard malin, la vieille au fagot lui avait d’abord fait l’effet de quelque sorcière. Mais ses haillons étaient si propres, et à cette malice se mêlait visiblement tant de bonté, qu’ayant pris confiance :

-« Voici, dit-elle, ce dont il s’agit. Je suis Guillaumette, la fille de maître Guillaume qui a sa ferme là-bas, par-delà le pont quand on va au village, à l’endroit où la route tourne… »

-« Riche maison, da ! Riche et bénie : quiconque est pauvre la connaît, depuis le temps qu’on y fait l’aumône. »

-« Or, écoutez, ma bonne vieille et puisque l’occasion s’en trouve, ne me refusez pas un conseil… Il y a quelqu’un que j’aime et qui m’a promis le mariage. Lui m’aime bien aussi ; pourtant il ne se presse guère. Alors, ce matin, voyant sur l’herbe et sur la mousse tant de beau gui à l’abandon, l’idée m’est venue d’en nouer un bouquet que, le soir de Noël, sans que personne en sache rien, je suspendrai à notre porte. Comme mon fiancé doit être de la fête et me conduire à la messe de minuit, nous passerons dessous ensemble. Quand on passe ensemble sous le gui, vous savez que l’Amour se double et qu’on se marie dans l’année ».

-« Je sais, je sais, marmottait la vieille ; mais nous ne sommes pas à Noël, il s’en manque de deux bons mois ! »

-« Qu’importe ? J’aurai provision faite. Le gui se garde pendant des années, d’ici à deux mois il ne flétrira point. »

La vieille s’était mise à rire :

-« Pour du beau gui, v’la du bien beau gui, bien fleuri, bien branchu, la feuille épaisse, rousse comme de l’or… Seulement peut-être un peu jeunet ! 
Ses graines sont vertes encore… Faut pas cueillir le gui trop tôt, ni prendre celui que le vent casse… Pour que le gui soit bon et porte chance aux amoureux, il doit avoir subi l’hiver, enduré froidure et gelée, et tenir à l’arbre si fort qu’en l’arrachant l’écorce vienne… La jeunesse ne le croit point ! 
N’empêche qu’il y a gui et gui, comme il a Amour et Amour ».

Guillaumette était déjà loin, mais la vieille répétait quand même, tout en rechargeant son fagot :

-« Pour du beau gui, v’là du beau gui ! N’empêche qu’il y a gui et gui ! »

L’année suivante, au même endroit, près de la croix tombée du carrefour des Ermites, la vieille chercheuse de bois mort et Guillaumette se rencontrèrent encore.
Ce n’était plus, comme l’autre fois, en automne, mais la veille même de Noël.
L’herbe gelée craquait sous le pied, du givre luisant pendait aux arbres, et de gros tas de neige restaient sur le bord des chemins aux endroits où le soleil manque.

La vieille, peut-être à cause de la neige, n’avait pas fagoté ce jour-là. Sa serpe à la main, elle rapportait, non sans peine, un grand faix(1) de gui frais cueilli. Elle reconnut Guillaumette et s’aperçut qu’elle pleurait.

-« Eh ! Donc, fillette, essuyons ces yeux ! Ce serait péché que de les fondre. »

-« Hélas ! Ma bonne vieille, quoique cela ne serve pas à grand’chose, je vais vous conter mon chagrin : ».

« L’an dernier, s’il vous en souvient, j’avais suspendu le gui à notre porte, pour qu’en passant dessous avec mon amoureux, son Amour se doublât et le décidât au mariage.
Tout, d’abord, sembla réussir. A peine le pied sur le seuil, il aperçoit le gui et m’embrasse ; puis, la messe de minuit entendue, avant que l’on se mette à table, il prend mon père dans un coin et fait demande de ma main… »

-« Attendons la fin, Guillaumette ! »

-« Les bans allaient être publiés. On avait déjà retenu les ménétriers, pour la noce. Mais, c’était là trop de bonheur ! Une nuit, la rivière déborda, noyant les labours, les prairies, ruinant aux trois quarts notre ferme, et nous laissant désespérés ».

-« Alors ?… »

-« Alors, répondit Guillaumette qui mouillait son tablier de larmes, alors me voyant pauvre, mon fiancé est parti ; et, bien qu’on l’ait cherché partout, nous n’en avons plus eu de nouvelles. »

-« Je vous avais prévenue, Guillaumette : faut pas se fier au gui jeune !… Et puis les hommes c’est si traître !…De sorte que vous l’aimez toujours ? »

-« Non, certes ! »

-« Pourtant vous pleurez ! »

-« Je pleure mon affront, mais on n’aime que qui vous aime… ! »

-« Dans ce cas, fit la vieille en riant, méfions-nous, belle Guillaumette ! Je sais quelqu’un… »

-« Quelqu’un ? »

-« Oui ! Quelqu’un, pour vieille qu’on soit on a de bons yeux, quelqu’un qui depuis longtemps vous aime, bien que vous n’ayez guère jamais daigné y prendre garde, et qui continue à vous aimer sans s’inquiéter si votre dot s’en est allée à la rivière. »

-« Le fils du voisin ! … Pourquoi donc rougir, Guillaumette ? Ne doit-il pas ce soir faire la Noël chez vous ? Tâchez, pour voir, si le cœur vous en dit, que ce soit lui le galant qui, à minuit, vous mène à la messe »

-« Alors, soupirait Guillaumette, pour le cas où le cœur m’en dirait, peut-être feriez-vous bien de me vendre un brin ou deux de votre gui ? »

-« Les voilà, ma belle ! Roux comme l’or, avec des grains en chapelet plus clair et plus blancs que des perles blanches…Du beau gui bien net, bien franc, qui ne trompe pas. Car, voyez-vous, ce gui-là a subi l’hiver, enduré froidure et gelée, et n’est pas tombé au premier vent…!

Mais gardez vos sous, Guillaumette : mon gui aujourd’hui, n’est pas à vendre ; il appartient…au fils du voisin qui, dès hier, me l’a retenu ! »

Et, railleuse, tout en détachant deux brins choisis, la bonne vieille murmurait :

-« Je vous l’avais dit, Guillaumette ; il y a gui et gui, comme il y a Amour et Amour ! »
 
Paul Arène.
1) Faix: fardeau

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Merci !!
    Un conte au milieu de nouvelles pas rassurantes ,cela fait du bien.
    Bonne journée!!

  2. La vie était très dure autrefois pour ces paysans, dont la subsistance dépendait des caprices de la météo.
    Pourtant, leur imagination débordante nous a laissé force contes et proverbes, qui nous réjouissent aujourd’hui.

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