Nous avons la chance inouïe d’avoir parmi nos contributeurs 2 férus de musique, tous deux passionnés de Tchaïkovski, Cachou et Filoxe, qui nous font partager leurs connaissances et leur enthousiasme.
Après l’incroyable et passionnante série de Cachou sur Tchaïkovski, Filoxe nous a proposé sa vision, complémentaire et différente par certains côtés du compositeur russe. Merci à lui pour cet article passionnant.
Christine Tasin
Quand on évoque l’œuvre pour piano et orchestre de Tchaïkovski, on pense tout de suite au premier concerto pour piano. Cette pièce musicale est tellement célèbre qu’elle écrase les autres, au même titre que la Symphonie Inachevée de Schubert ou la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák qui éclipsent la « Grande » pour le premier ou la septième pour le second.
Ce n’est donc pas UNE, mais CINQ œuvres pour piano et orchestre que nous a laissées le maître russe.
Après l’excellent travail de Cachou, je ne vais pas revenir sur le premier concerto, si ce n’est pour dire que c’est à l’âge de 10 ans que j’ai découvert cette œuvre magnifique, grâce à un 33 tours de mes parents que l’on écoutait sur un tourne-disque placé au-dessus d’un poste de radio à lampes. Il s’agissait de la version de Toscanini avec son orchestre de la NBC et Wladimir Horowitz au piano. Cela va sans doute paraître étrange, mais je n’ai jamais retrouvé depuis une interprétation convaincante. Je viens justement de réécouter l’enregistrement sur CD qui porte fièrement ses 80 ans ! (Mai 1941). Cela m’a bouleversé comme au premier jour.
Passons au deuxième concerto à présent : après son mariage désastreux qui l’a mené au bord du suicide, Tchaïkovski avait besoin de se refaire une santé ; en 1878, il s’en va en Italie. C’est dans les années 1879-1880 que l’œuvre est écrite, je laisse à présent la parole à Michel Hoffmann, dans son livre consacré au compositeur aux éditions Arpèges :
« C’est à Rome qu’il ébaucha son Concerto n°2 pour piano, en sol majeur, que l’on dédaigne si souvent au profit du Concerto n°1, bien qu’il contienne maintes pages plus intéressantes. Moins « dramatique » et surtout moins extérieur que le Concerto en si bémol mineur, il est d’un choix thématique plus élégant, ou bien plus pittoresque – témoin le finale qui, de même que la Danse des Bouffons de Snégourotchka (la fille des neiges, note de l’auteur), anticipe sur « Pétrouchka » et sur les pages les plus « débraillées », les plus « musique des rues » de Chostakovitch. Voilà bien une œuvre de musique admirablement construite. Seul, l’andante revêt un caractère affectif et fait entendre une cantilène amoureuse comparable aux plus belles envolées de Roméo et Juliette« .
Voilà une analyse étonnante ! Michel Hoffmann, grand spécialiste de Tchaïkovski, semble préférer le deuxième concerto !
En attendant, et puisqu’il est fait allusion à la danse des Bouffons, je vous la présente (à noter que c’est aussi une première pour moi !)
A présent, on va pouvoir faire plus ample connaissance avec le concerto en sol majeur. Il conserve la forme traditionnelle en trois mouvements :
- Le premier, noté Allegro brillante e molto vivace, mérite bien son nom, on est subjugué dès les premières notes du thème triomphal ! Une rareté, ce mouvement comporte deux cadences, la première assez courte, avant le développement, l’autre, très virtuose, avant la réexposition ;
- Andante non troppo, ainsi est noté le second mouvement, écrit en forme de triple concerto piano-violon-violoncelle ;
- Même si on ne comprend pas l’italien, on se doute qu’avec une indication Allegro con fuoco, ça va chauffer !
Et c’est bien ce qui va se passer dans cette interprétation 100% russe, l’orchestre du théâtre Mariinski, dirigé par le meilleur chef russe, Valery Gergiev, le seul maestro capable de diriger avec un cure-dents ! Au piano, le flamboyant Denis Matsuev.
Maintenant, nous allons quitter l’autoroute des musiques connues de Tchaïkovski (même le second concerto est facile à trouver) pour s’aventurer dans des départementales (cela aurait fait plaisir à Jean Yanne !) et même carrément en terre inconnue.
Le Concert Fantaisie en sol, op.56, pour piano et orchestre, a été écrit entre juin et octobre 1884 et créé à Moscou le 6 mars 1885, en soliste Sergei Taneyev dont je reparlerai un peu plus tard. Cette œuvre est écrite en deux mouvements pour une durée d’environ 30 minutes.
- Quasi rondo : Andante mosso : ce qui caractérise cette première partie, c’est une cadence très longue au milieu du mouvement. Il se trouve que Tchaïkovski éprouvait une profonde aversion pour les dialogues piano/orchestre, d’où l’importance des parties solistes dans le deuxième concerto ;
- Contrastes : ce mouvement au nom peu usuel (pas en italien !) commence par une cadence au piano, (évidemment !) puis se poursuit par un thème plus rapide, en forme de danse.
Le Concert Fantaisie n’a vraiment une bonne réputation dans l’œuvre de Tchaïkovski, considéré comme une pièce faible. Cependant, David Brown, biographe du compositeur, écrit :
« La faiblesse apparente du Concert Fantaisie est qu’il ne contient pas d’idée vraiment forte, pourtant sa structure très originale suffit à montrer que Tchaïkovski était soucieux de façonner quelque chose de plus qu’une simple démonstration de virtuosité pour enflammer un public en délire ».
Je vous laisse à votre propre jugement, et si la vidéo dure dans les 43 minutes, c’est qu’elle contient un bonus !
En mai 1892, Tchaïkovski s’installe à Klin, dans sa nouvelle maison, laquelle deviendra un musée. Il décide de reprendre un projet de 1888, la composition d’une nouvelle symphonie. Il avait déjà donné des noms aux quatre mouvements :
« Ce sont des esquisses pour une symphonie la Vie. 1er mouvement : élan, confiance, soif d’action, il doit être court ; le finale, la mort ; second mouvement : l’amour, troisième : déception ; quatrième mouvement : devra s’achever en calendo également court.
J’ai l’immense désir une symphonie grandiose, qui couronnerait ma carrière (…). J’en ai déjà fait le plan depuis quelque temps déjà (…). J’espère que je ne mourrai pas avant d’avoir réalisé ce projet ». Lettre à K.K. Romanov du 29 octobre 1889).
Au cours de l’année 1892 il en réalisa l’esquisse complète pour piano mais, accaparé par les voyages et d’autres œuvres, il ne parvint à orchestrer que le premier mouvement. Plus tard, se remettant au travail sur son projet, il fut pris de doutes :
« J’ai relu attentivement et pour ainsi dire objectivement la nouvelle symphonie, que fort heureusement je n’ai pas instrumentée ni proposée à personne. Mon impression est extrêmement défavorable. Il n’y a rien d’intéressant ni tant soi peu attachant. J’ai décidé de la jeter et de ne plus y penser. Ma décision est sans appel. » Lettre à son neveu Bob Davidov du 16 décembre 1892.
Bien que Tchaïkovski ait déclaré à son neveu qu’il avait détruit les esquisses, en réalité il n’en fut rien. Il les reprit même en 1893 avec l’intention de se servir des mouvements 1, 2 et 4 pour former un troisième concerto pour piano, mais qu’il laissa finalement en un seul mouvement ! (Allegro brillante). Mais ce n’est que le 7 janvier 1895 que l’œuvre fut créée à Saint-Pétersbourg par Taneiev au piano sous la direction de Napravnik, ce qui explique que le numéro d’opus attribué soit 75 alors que la Symphonie Pathétique, la toute dernière composition, soit l’opus 74.
Décidément, cette symphonie abandonnée par Tchaïkovski allait le poursuivre après la mort ! En effet, à l’été 1894, le frère de Tchaïkovski, Modest, demande à Taneiev de revoir les manuscrits non publiés par le compositeur. Taneiev trouva deux mouvements terminés mais réduits pour le piano. Il reprit les mouvements deux et quatre de la Symphonie en mi bémol majeur. Il décida de leur donner une forme concertante, ce qui s’avéra une tâche particulièrement difficile que Taneiev ne mena à bien qu’au début de l’année 1896. Ces deux mouvements, nommés Andante et Finale furent publiés avec le numéro d’opus 79. La question de savoir si cet opus doit être joué avec l’opus 75 soulève bien des questions. Nous avons pu constater avec l’Orchestre Symphonique de Galice que seul un des mouvements est joué. Pour ma part, je trouve logique que l’on regroupe les trois mouvements en un seul concerto de facture classique puisqu’au départ il s’agissait de la même composition dans l’idée de Tchaïkovski. Aucune version de cet Andante et finale n’existe en DVD et en CD je possède deux versions (couplées avec l’opus 75, évidemment). Sur YouTube, je n’ai trouvé non plus aucune vidéo avec orchestre de cet opus 79, seulement une version avec une partition qui défile au gré de la musique. Si vous connaissez vos notes, cela peut être intéressant, je vous la propose tout de même. Pour information l’Andante et finale fut créé le 8 février 1896 avec Taneiev et le chef d’orchestre Félix Blumenfeld.
On pourrait penser qu’avec cette pièce magnifique on en aurait terminé avec l’œuvre pour piano et orchestre. Mais ce serait trop facile car dans les années 1950 le musicologue russe Semion Bogatyrev s’intéressa aux esquisses laissées par Tchaïkovski et décida de ressusciter la Symphonie en mi bémol majeur. Il y réussit, avec moult difficultés et la symphonie reconstruite fut créée le 7 février 1957 à Moscou, sous la direction de Mikhaïl Terian. Elle est parfois nommée Symphonie n°7 ce qui est un non-sens puisque La Pathétique est bien l’œuvre ultime. La symphonie reconstituée fut enregistrée en 1962 par l’Orchestre de Philadelphie sous la direction d’Eugène Ormandy et une vidéo d’un concert donné en 2006 vient de paraître sur YouTube. Je vous la propose dès à présent. Si vous avez écouté les morceaux précédents, vous allez retrouver les mêmes choses, à l’exception du troisième mouvement. Attention je vérifierai que vous avez tout bien visionné dans l’ordre, fini de rigoler !
Notre voyage en terre inconnue dans la musique de Tchaïkovski s’achève. J’espère que vous aurez autant de plaisir à visionner ces raretés que moi j’en ai eu à rédiger cet article.
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La danse des bouffons est un grand moment de joie, surtout dirigée par un Kristjan Järvi débordant d’énergie ainsi que Valery Gergiev et son cure dent dirigeant son orchestre comme une anglaise savoure son thé, le petit doigt en l’air. Tout cela, c’est la culture que ne voit pas Macron ; il suffit pourtant d’avoir le sens du beau, de l’élégance, de l’harmonie. Voyez cette pianiste électrique de l’orchestre symphonique de Galice qui vit littéralement sa partition et Tomomi Nishimoto, merveilleuse et grand chef d’orchestre (et non pas cheffe, n’en déplaise aux gourdes féministes bornées).
Personnellement, j’ai découvert Tchaïkovski à 7 ans (1960) grâce à son » Casse Noisettes » .
Oui un grand merci de nous faire connaître ces oeuvres, un petit moment de bonheur dans ce monde de grisaille.
Un grand merci, Tchaïkovsky est l’un de mes compositeurs préférés. Que du bonheur !
-« Nous avons la chance inouïe d’avoir parmi nos contributeurs 2 férus de musique, tous deux passionnés de Tchaïkovski, Cachou et Filoxe, qui nous font partager leurs connaissances et leur enthousiasme. « –
Oui ! Un grand merci pour ce cadeau si généreux.
Et l’on trouve cette aubaine sur un site de contestation politique, de résistance ; c’est tout simplement extraordinaire.
Tant qu’il y aura des intellos et des érudits pour assurer la pérennité de la culture, tout n’est pas perdu. C’est un pan de Résistance À NE SURTOUT PAS NÉGLIGER LA CULTURE, la MÉMOIRE HISTORIQUE,… VITALES POUR LA SURVIE DE NOTRE SOCIÉTÉ;
C’est vraiment heureux que nous ayons ces personnes SI PRÉCIEUSES qui soient AUSSI PATRIOTES qui non seulement nous régalent et nous instruisent gracieusement mais aussi nous rassurent sur la survie culturelle de NOTRE PATRIE, mais encore de celle de notre société.
MERCI ! MERCI À VOUS TOUS !