Ascenseur social…

« L’ascenseur social », ça existe !

« La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert »  (André Malraux).

 

 

Le 1er octobre, j’ai écrit un article dénonçant l’Éducation dite « Nationale » (on se demande bien pourquoi ?) qui, depuis mai 68 et même avant, pratique le nivellement par le bas et accorde un BAC au rabais à 95% des élèves, au nom d’une idéologie égalitaire chère à la gauche. Dans cet article j’écrivais : « On a supprimé le Certificat d’Etudes Primaires, le BEPC est devenu une formalité et, en 2025 on a donné, c’est le mot qui convient, le BAC à 95 % des postulants… Les « socio-pédagogues » modernes vous diront tous que la note ou le simple contrôle des connaissances sont discriminatoires et reproducteurs d’injustices systémiques. Ce qui importe avant tout c’est que Rachid et Mamadou, qui arrivent au collège sans manier les rudiments de la langue française, aient les mêmes résultats que Pierre ou Paul. On appelle ça la non-discrimination ou l’égalité des chances alors qu’il s’agit en réalité d’une honteuse « discrimination positive »… ».
Mes propos avaient le mérite de la clarté !

Mais mon article a fortement irrité une lectrice, ancienne professeur de français, qui me taxe d’entretenir la lutte de classes au motif que j’ai…un nom à particule. Décidément, la Terreur et le « rasoir national » ont encore des nostalgiques : « Les aristocrates à la Lanterne ! » et vite ! Elle y voit aussi du racisme et une critique de « l’ascenseur social ». Je ne comprends pas en quoi je devrais être taxé de racisme quand j’écris : « Notons que la « diversité » issue de l’immigration asiatique caracole très souvent en tête de classe et réussit généralement bien son intégration ». Quant à « l’ascenseur social », il fonctionne, mais uniquement pour ceux qui veulent s’en donner la peine. Ayant effectué mes études supérieures en travaillant (des études payées sur mes deniers ou par mon employeur, que je remercie vivement), Je connais le sujet, je sais parfaitement de quoi je parle.

Cette dame, qui semble avoir tout compris des problèmes de formation, suggère aussi qu’on confie les fortes têtes, les jeunes trop violents et ingérables, à l’armée « qui saura les mâter ». Ceci me fait sourire. Le Français, surtout s’il vote à gauche, est par nature antimilitariste sauf quand il a peur pour sa précieuse peau et qu’il voit des bidasses patrouiller, armés, dans les rues dans le cadre de l’opération « Sentinelle ». Pour ma part, je pense que ce n’est pas le rôle des militaires d’assurer ces missions de police. Faire déambuler nos soldats, comme des âmes en peine, dans nos villes, c’est le meilleur moyen de dégouter les jeunes qui ont choisi le métier des armes par goût de l’aventure.

Les mêmes oublient leur antimilitarisme quand un imbécile, élu de droite ou de gauche, émet l’idée que l’armée pourrait remplacer les maisons de correction d’autrefois, ou même les stages en apprentissage, en inculquant aux jeunes à problèmes un semblant de respect et de discipline. Or, ce n’est pas le rôle de l’armée. Elle n’a pas à se substituer à l’école, au scoutisme, ou encore aux parents des jeunes voyous. Je rappelle que les BILA (1) – plus connus sous le nom de « Bataillons d’Afrique » ou « Bat’d’Af » – qui incorporaient des malfrats et des proxénètes, on été dissous après la deuxième guerre mondiale. Il existe bien notre glorieuse Légion Étrangère, mais elle intègre surtout des gens qui veulent oublier leur passé et qui ne sont pas forcément des délinquants.

Mais revenons à ce fameux « ascenseur social » pour vous parler de ses réussites :

Il est des rites et des traditions qui, pour moi, sont immuables ; des cérémonies ou des fêtes que je ne manquerais pour rien au monde (du moins, tant que ma santé me le permet !). La Saint Michel fait partie de ces rites. Tous les ans, je vais fêter le saint patron des parachutistes à la citadelle de Bayonne, casernement du 1er RPIMa (2), régiment où j’ai eu l’honneur de servir. J’y retrouve des camarades chaque année moins nombreux car la camarde se charge d’éclaircir nos rangs.

Après l’assemblée générale de l’association « Qui Ose Gagne » qui regroupe les anciens du régiment la veille des cérémonies de la Saint Michel, nous nous réunissons autour d’un repas de cohésion, en général bien arrosé. Et je me retrouve à la table de simples hommes du rang ; de sous-officiers couverts de décorations glanées dans des missions dont ils n’ont pas le droit de parler ; et d’officiers issus de Saint-Cyr, du cursus semi-direct de l’EMIA (3), de la voie technique, ou du rang. Ces soldats sont tous passés par la filière très sélective des tests du régiment : Pour servir au 1erRPIMa, il ne suffit pas de le vouloir, il faut en être capable.

« L’ascenseur social » y fonctionne, comme dans l’armée en général, mais ici on emprunte plutôt l’escalier car rien n’est acquis au départ. Mon camarade Henri C……, retrouvé plus de 40 ans après notre passage à Bayonne, à la sortie de mon premier livre (4), m’a rappelé qu’en janvier 1970, nous avions commencé nos classes à 69 hommes. Au mois de mai suivant, lors de l’obtention de notre « plaque à vélo », ce brevet para tant attendu, nous n’étions plus que…29. J’ai été breveté avec la 1020ème promo de l’ETAP (5). Brevet 299 547. J’ai mémorisé à tout jamais ce numéro alors que je ne connais ni mon numéro de téléphone portable, ni l’immatriculation de ma voiture.

Mon passage par Bayonne est une trace indélébile dans ma vie, et aussi un motif de fierté.

Lors du repas de cohésion, j’avais à ma table un adjudant-chef, médaillé militaire. Entré chez les paras sans le moindre diplôme, il a servi 21 ans et a fini sa carrière comme sous-officier supérieur. J’avais aussi pour voisin un commandant, chevalier de la Légion d’honneur et de l’Ordre national du mérite. Titulaire d’un simple CAP de mécanique général, il rêvait d’aventure, pas de cambouis, et il s’est engagé chez les paras. Trente ans plus tard, il quittait l’armée comme officier supérieur. J’ai aussi comme camarade un capitaine, une légende vivante du régiment. Il m’a dit avoir abandonné ses études en seconde pour signer un engagement à Bayonne. Officier issu du rang, chevalier de la Légion d’honneur, après 20 ou 25 ans de service, il a réussi une reconversion de cadre supérieur dans la banque. Des exemples comme ceux-ci, j’en connais des dizaines. Mon père, alors qu’il était chef de bataillon au 35ème RALP (6)  a incorporé un berger bigourdan illettré. L’armée lui a appris à lire  et il  a rempilé. 40 ans plus tard, il faisait son adieu aux armes comme commandant.

À mon époque, le régiment (7) formait ses paras pour les envoyer faire le coup de feu au Tchad. Au nom d’accords anciens, la France soutenait le régime (corrompu) de François Tombalbaye aux prises avec un « Fro-Li-Nat » (Front de Libération Nationale) qui voulait le chasser du pouvoir.  N’Djamena s’appelait encore Fort-Lamy. Traumatisé par la guerre d’Algérie, le gouvernement ne voulait pas risquer la vie d’un « p’tit gars du contingent » dans ce conflit lointain et n’envoyait là-bas que des soldats de métier. Les Français ne savent absolument rien des combats du Tchad de fin 1969 à 1972,  ce qui peut se comprendre puisque personne n’en parle.  Là-bas, les commandos de la 6ème CPIMa (8) ont eu une soixantaine de blessés et 26 tués. En 2014, l’ « Amicale des Eléphants Noirs » –  les anciens de la 6ème CPIMa – inaugurait une stèle dans la Citadelle à la mémoire de ses morts.

Gilles Perrault, écrivain proche du Parti Communiste, qui a servi chez les paras mais ne les porte pas dans son cœur, a écrit : « Les parachutistes forment un clan fermé au monde extérieur… qui possède ses références, ses rites, ses légendes. Les parachutistes racontent des histoires qui se ressemblent toutes par une exaltation de la bravoure et du sacrifice inutile : se battre par solidarité, sauter avec les autres pour ne pas être un salaud… plus que pour un idéal collectif et indiscutable qui n’existe plus… » (10). Ce qu’il dit est assez vrai, mais ce qu’il dépeint – et ne peut pas comprendre, l’imbécile ! – s’appelle chevalerie, altruisme, abnégation, courage, sens du devoir et/ou du sacrifice.

Un chant para dit « Pour aimer et pour souffrir…viens chez les paras ». J’ai aimé cette vie. Ma mémoire a conservé les bons souvenirs mais je me souviens d’avoir souffert, d’avoir craché mes poumons, d’en avoir « chié comme un Russe », mais n’exagérons rien. Les parachutistes se veulent des soldats d’élite et se donnent les moyens d’y parvenir…

L’association « Qui Ose Gagne », compte à ce jour plus de 800 membres actifs, ce qui traduit un véritable attachement, qui n’est pas seulement sentimental, à ce régiment hors normes.

Je n’ai pas eu de courage de tenter l’EMIA. Je n’étais pas assez guerrier, pas assez sportif, pas assez discipliné pour faire un bon officier d’active (du moins chez les paras). Mais mon passage à Bayonne m’a fait comprendre que rien n’est jamais acquis et que la vie ne peut pas, ne doit pas, être « un long fleuve tranquille ». Il faut se battre ! « Qui Ose Gagne », la devise du régiment, est bien choisie. J’ai repris mes études et gravi, un par un, tous les échelons de l’inspection d’assurance. Sans fausse modestie, ma carrière aura été d’une honnête médiocrité, cependant j’ai su appuyer sur le bouton de « l’ascenseur social ». Il ne m’a pas conduit bien haut mais j’ai fait un métier passionnant !   

Éric de Verdelhan

5 octobre 2024                    

1)- BILA : Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique  

2)- RPIMa : Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine.

3)- EMIA : Ecole Militaire Inter-Armes.

4)- « Au capitaine de Diên-Biên-phu » publié chez SRE-éditions en 2011.

5)- ETAP : Ecole des Troupes AéroPportées, à Pau.

6)- RALP : Régiment d’Artillerie Légère Parachutiste (devenu 35èmeRAP)

7)- Ainsi que le 8ème RPIMa de Castres.

8)- Une simple compagnie parachutiste. Ses paras sont connus sous le nom d’ « Eléphants Noirs ». Leur amicale a édité un ouvrage collectif « Les paras oubliés ». Le titre reflète une réalité.

9)- « Les Parachutistes » Editions du Seuil ; 1961.

Eric de Verdelhan

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2 Commentaires

  1. « J’ai été breveté avec la 1020ème promo de l’ETAP (5). Brevet 299 547. »

    brevet 307087 13ème RDP après 2 mois de classe.Apprentissage du goût de l’effort et du dépassement.
    Idem pour l’ascenseur social. Reprise d’études, prise de risque car rien n’est acquis, il faut aller le chercher.L’ascenseur social tout comme le syndicalisme est le marche pied de ceux qui n’osent rien et attendent tout de l’effet de groupe pour ne pas dire meute.

  2. Des qu’on associe l’adjectif « social »à un nom, on se retrouve avec une aberration. Il n’y a pas d’ascenseur social. Il n’y a que votre volonté de vous en sortir. Qu’a fait la société pour vous aider, à part vous faire bénéficier de l’école gratuite?
    De plus, un ascenseur, ça monte et ça descend.