En ce milieu du XVIIe siècle, exercer les fonctions de scribe à la chancellerie de la Sublime Porte n’est pas un simple travail de secrétariat dans la fonction publique. Celui qui tient ce poste est un proche du sultan Mehmet IV, au courant de sa correspondance privée, politique, diplomatique et l’un des premiers personnages de l’empire ottoman. L’homme qui occupe cette place à la fin des années 1670 se nomme Ahmed.
Parlant turc et arabe, admirable calligraphe, il donne toute satisfaction à son maître. C’est aussi un érudit, qui aime passer de longues soirées à parler philosophie et religion avec des amis choisis en fumant le narguilé et dégustant des loukoums à la rose. Pieux musulman, Ahmed est cependant un esprit ouvert et tolérant, qui déteste la coercition. Aussi, et c’est exceptionnel, n’a-t-il jamais contraint ses esclaves grecs et slaves à renier leur foi orthodoxe, et même, il les autorise à la pratiquer librement, les laissant se rendre le dimanche à la messe du patriarche de Constantinople.
Le parfum de l’Eucharistie
Beaucoup, sachant la conversion condition sine qua non à leur affranchissement, ne profitent pas de la bénignité de leur maître mais, dans la maisonnée d’Ahmed, se trouvent deux femmes Russes, l’une âgée, l’autre très jeune. Cette dernière, ravissante, Ahmed en est amoureux et il l’épouserait volontiers si le mariage n’entraînait la conversion forcée de l’épouse, qu’il refuse de lui imposer, la gardant comme son unique concubine. Pour libéral qu’il soit, le calligraphe est jaloux et ne souhaite pas laisser sa belle courir les rues et se rendre à l’église où il sait qu’elle enlèverait son voile et révélerait sa beauté aux chrétiens.
Aussi la vieille y va-t-elle seule et en rapporte à son amie la communion et de l’eau bénite que l’esclave consomme. Ahmed, après cela, s’étonne que les lèvres de sa compagne répandent un parfum si doux qu’il n’en a jamais senti de semblable, lui l’esthète qui pense avoir goûté à tous les plaisirs et toutes les bonnes choses de l’existence. Timidement, sa maîtresse finit par lui avouer que ce parfum céleste est celui de l’Eucharistie. Ahmed lui demande alors de l’instruire de ce mystère et, au fil du temps, étonné de ce qu’il entend, décide d’aller voir de plus près ce qu’il en est de cette foi chrétienne qu’on a toujours ridiculisée devant lui.
Un prodige sur l’autel
Un dimanche, le haut fonctionnaire, monté sur un âne et vêtu comme un dhimmi, se rend donc à l’église du patriarcat, se mêle à la foule et assiste à la messe. Événement dont maints convertis de l’islam peuvent encore aujourd’hui témoigner, se produit alors un prodige qui leur est réservé et, pour l’arracher à l’erreur, les vérités cachées de la foi se révèlent à ses yeux : il voit l’autel flamboyer pendant la consécration, le patriarche rayonner d’une lumière céleste et, à la fin de l’office, constate que des flammes émanent de ses mains tandis qu’il donne la bénédiction aux fidèles et ces flammes viennent se poser sur les fronts des personnes présentes, sauf sur celui d’Ahmed qui, sans savoir pourquoi, s’en trouve tout attristé. Quand il raconte cette expérience à sa compagne, la petite Russe lui explique que la grâce de la bénédiction ne l’a pas atteint, car il n’est pas baptisé. Dès lors, Ahmed n’a plus qu’une idée : recevoir le baptême.
La démarche ne va pas de soi et il faut du courage, tant au jeune homme pour apostasier l’islam qu’au prêtre qui lui donne le sacrement car ils encourent pareillement la peine de mort. Devenu chrétien, Ahmed, dans un premier temps, ne change rien à son quotidien et nul parmi ses proches ne devine son secret. Cela dure plusieurs années, jusqu’au mois d’avril 1682. Par une magnifique soirée de printemps, Ahmed devise dans ses jardins avec ses amis. La conversation porte sur cette question : quelle est pour l’homme la meilleure chose au monde ? L’un affirme qu’une femme belle et aimée comble tous les vœux ; un autre, plus âgé, que le pilaf de riz au yaourt est un mets sublime qui suffit à rendre heureux, et ainsi de suite. Quand vient le tour d’Ahmed, dans un silence consterné, le jeune homme s’écrie : « La plus belle et la meilleure chose qui soit au monde est de confesser que Jésus-Christ est le Fils de Dieu et que la foi des chrétiens est la seule vraie ! »
Une clarté magnifique
Face à cet épouvantable blasphème, force est de dénoncer Ahmed qui est aussitôt arrêté, jeté en prison, dans un quartier de délinquants de droit commun, privé d’eau et de nourriture. Le but, évidemment, est de l’amener à rétracter ses propos afin d’étouffer le scandale ; mais Ahmed ne rétracte rien et se proclame chrétien et fier de l’être jusque devant le Sultan qu’il tente de convaincre des erreurs de l’islam. Mehmet IV est contraint de prononcer une sentence de mort sans toutefois l’aggraver de tortures.
Ahmed est décapité le 3 mai 1682 et sa dépouille jetée à la mer. Les riverains assureront, sidérés, que, plusieurs nuits de suite, une clarté magnifique s’est élevée des eaux ténébreuses du Bosphore, là où a disparu le corps du saint martyr.
source wikipédia
Juvénal de Lyon
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Très instructif . Merci 👍
Bien triste histoire !
S’agit-il de la confirmation du sinistre destin des chrétiens, en terre musulmane ?
Tout comme Antiislam, je trouve cette histoire très belle ! Sublime même ! Merci Juvénal.
Bonjour,
Merci, Juvénal, pour cette histoire très belle que j’ignorais complètement.