L’interprète du mois : Karl Böhm

 

(Illustration : en arrière-plan, une vue de Graz. De gauche à droite et de haut en bas : Karl Böhm, la grande salle du Palais des festivals à Salzbourg, un autographe de 1947 signé dans ce lieu, la salle dorée du Musikverein à Vienne, une vue de Salzbourg, le caveau de la famille Böhm à Graz).

Il y a une question que se posent souvent les mélomanes : existe-t-il encore des chefs prestigieux en 2024 ? Je réponds oui sans hésiter. Si on veut faire simple, voire simpliste, la première moitié du XXème siècle a été dominée par Furtwängler et Toscanini, la seconde par Karajan et Bernstein, ce dernier étant le trublion de ce quatuor, puisque non européen. Je vais m’intéresser à Karl Böhm, né à Graz (Autriche-Hongrie) le 28 août 1894 et mort à Salzbourg (Autriche) le 14 août 1981. Naturellement, pour éviter de charger inutilement cet article, je ne vais pas entrer dans les détails de sa biographie. Il est intéressant toutefois de savoir qu’à partir de 1931 Böhm a tissé des liens très étroits avec Richard Strauss qui lui a donné de précieux conseils pour l’interprétation de ses œuvres. Les lieux d’activité de Karl Böhm se situent en Europe et principalement en Autriche, dans le triangle Graz-Vienne-Salzbourg.

(Un conseil, si vous vous rendez dans ce beau pays, buvez de préférence du vin parce que l’eau triche).

On commence tout de suite par une ouverture, Don Giovanni de Mozart. Cet opéra, un des plus admirés du maître autrichien, est un Dramma Giocoso (drame gai), car l’œuvre alterne les moments tragiques avec des instants comiques, dont certains ont été repris de la pièce de Molière. Au début de l’opéra, Don Juan tue le commandeur dans un duel inégal ; Leporello, son valet demande “Qui est mort ? Vous ou le vieux ?” ce à quoi il lui est répondu “Ta demande est stupide, le vieux !”

L’ouverture comporte deux parties bien distinctes, d’abord un andante solennel, repris dans la scène finale, puis un vif allegro évoquant la vie dissolue de Don Juan. Pas de conclusion pour cette ouverture qui s’enchaîne sur la première scène. Écoutons-la, enregistrée en 1967 avec l’orchestre du théâtre national de Prague :

Böhm est connu pour un spécialiste de la musique de Mozart, voici le concerto n°23 pour piano et orchestre :

Et avant la suite, entracte !

Après Mozart, nous passons à Schubert avec sa symphonie en ut majeur, dite La Grande. Il est vrai que ses proportions sont impressionnantes. L’œuvre ne put être jouée du vivant de Schubert, les interprètes la trouvant trop longue et trop difficile, donc la symphonie tomba dans l’oubli. En 1838, dix ans après la mort de Schubert, son frère Ferdinand remit à Robert Schumann une copie de la partition. Schumann fut admiratif devant cette composition, évoquant notamment “La divine longueur de la symphonie”, opinion qui fut reprise à tort par la suite, l’œuvre a souvent été qualifiée de “trop longue”. Félix Mendelssohn dirigea la première à Leipzig le 21 mars 1839. Outre sa longueur, les musiciens lui reprochaient son extrême difficulté (dans le finale, les premiers violons ne sont pas à la fête !). Lorsque Schumann évoque le début majestueux de la symphonie avec le passage de l’andante initial à l’allegro non troppo, la transition est tellement naturelle que Schumann dira “On est arrivé au port sans savoir comment” :

Le concert est à présent terminé, mais pas les bonus !

Premier bonus : répétition de la “Grande symphonie de Schubert” :

Deuxième bonus : comme je l’ai dit précédemment, Böhm avait tissé des liens amicaux avec Richard Strauss. C’est d’ailleurs au cours d’une répétition d’Elektra que le chef s’est éteint, terrassé par une crise cardiaque ce 14 août 1981. Voici un extrait du Don Juan de Strauss, en répétition. J’aurais pu tout mettre sur ma chaîne, mais cela représente une vidéo de 47 minutes. C’est long, mais le problème n’est pas là, comme il existe un lien YouTube où l’on peut trouver la répétition (malheureusement sous-titrée en anglais, comme d’habitude, je suis persuadé que ma vidéo aurait été censurée) :

Que peut-on dire de ces vidéos de répétition ? D’abord on remarquera qu’il n’y pas de femmes dans l’orchestre. De plus, Böhm applique à la lettre le règlement suivant :

  1. Le chef a raison ;
  2. Le chef a toujours raison ;
  3. Même si un subalterne a raison, c’est l’article 1 qui s’applique.

Dans le cas du Strauss, même si le troisième cor avait raison, il aurait dû savoir compter ! Cependant, on ne peut ignorer la profonde humanité de Böhm, n’hésitant pas à complimenter ses musiciens et même de plaisanter avec eux.

Troisième bonus : cette scène culte de film Les évadés” (on peut regretter le titre français stupide alors qu’à l’origine c’est Rita Hayworth and Shawshank Redemption). Je confirme que la musique est bien de Mozart et non de Thomas Newman !)

Pour terminer : n’avez-vous jamais envie de conduire un train ? Nous sommes en Autriche, voici un Vienne-Graz :

Et maintenant, un Vienne-Salzbourg qui nous fait passer par Linz, nom donné à la symphonie n°36 de Mozart :

Filoxe

 

 

 

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10 Commentaires

  1. Je me doutais qu’en affirmant qu’aujourd’hui il y avait encore de grands chefs cela amènerait à un début de polémique. Pourtant je maintiens ce que j’ai dit ; la relève a été assurée par Gergiev, Jarvi, Janssons ou Dudamel,ce dernier ayant même dirigé le Philharmonique de Vienne à un nouvel an, ce qui n’est pas rien.
    Par ailleurs, le chef transmet à son orchestre sa vision personnelle d’une œuvre, on peut parler de Giulini qui prend 20 minutes dans le premier mouvement de l’heroìque de Beethoven, pourtant noté allegro con brio et c’est, je m’excuse, très chiant. Donc un chef ne se contente pas de diriger, il reste avant tout un interprète.

    • RÉPONSE À MON AMI FILOXE 2 SUR 2
      Quant à ton affirmation qu’un chef reste “avant tout” un interprète, elle n’engage que toi. Un chef dirige pour 99.99 % des mélomanes. Le fait qu’un chef transmette à son orchestre sa vision personnelle n’a rien à voir avec la qualification “d’interprète”. C’est l’objectif même de son existence que de transmettre sa vision personnelle à l’orchestre.
      A suivre ton raisonnement, et donc à contrario, un pianiste qui donne sa vision personnelle à une sonate de Beethoven, tu diras donc que, lors d’un concert, il dirige la sonate…….

    • RÉPONSE À MON AMI FILOXE 1 SUR 2
      Ne t’inquiète pas, ami Filoxe, il n’y a aucun début de polémique ! Simplement le qualificatif de “chefs prestigieux” que tu emploies dois concerner des “chefs prestigieux” et non pas de bons, voir très bons chefs d’orchestres.
      Il existe de nos jours et dirigeants encore, extrêmement peu de chefs que l’on pourrait qualifier de “prestigieux”. Quelques très rares noms : Guerguiev, Myung Whun Chung, Ozawa (88 ans…), et quelques rares autres.
      Mais on est très loin de toute cette liste de très grands chefs “très prestigieux” du vingtième siècle et un peu avant : Toscanini – Mengelberg – Monteux – Walter – Sir Beecham – Ansermet – Klemperer – Furtwängler – Paray – Kleiber – Scherchen – Munch – Böhm – Szell – Ormandy – Jochum – Cluytens – von Karajan – Ancerl – Markevitch – Celibidache – Solti – Fricsay – Giulini – Kubelik – Bernstein – Svetlanov – Haitink – von Dohnanyi – Harnoncourt – Kleiber – Maazel – Abbado, et tant d’autres qui étaient, tous, des “chefs prestigieux”.

  2. “Il y a une question que se posent souvent les mélomanes : existe-t-il encore des chefs prestigieux en 2024 ? Je réponds oui sans hésiter.”
    J’ai bien pris note de ta réponse, ami Filoxe, mais, en toute amitié, je réponds pour ma part “non” sans hésiter.
    C’est bien d’être positif mais il faut être réaliste. Autant je suis d’accord pour affirmer qu’il y a des jeunes solistes (piano, violon, violoncelle….) de très haute qualité et qui percent progressivement.
    Mais concernant la baguette, je n’observe justement personne qui se détache. Bien entendu, il y a des nouveaux noms qui apparaissent, mais de là à parler de chefs prestigieux, alors, pas du tout.
    Toute la série des grands chefs du siècle dernier n’a pas été remplacée dans leurs qualités et interprétations des œuvres symphoniques.

  3. ” L’interprète du mois : karl Böhm” juste une reflexion amusante :definir le chef d’orchestre d'”interprète” alors que c’est le seul a ne pas jouer d’un instrument! Beaucoup d’orchestre de musiques anciennes ou baroques n’en possèdent pas et ne s’en trouvent pas plus mal. La mode de ces despotes tyranniques et parfois alcoolique est devenup la norme au XXeme siècle.

    • Il est vrai que l’on peut se demander la réelle utilité d’un chef d’orchestre. Lorsqu’on le voit à un concert, il gigote avec ses bras comme tout le monde pourrait le faire. Mais il faut creuser.
      Lorsque l’on assiste à des répétitions on voit le travail en profondeur, les reliefs des instruments, la mise en place, les particularités instrumentales, l’esprit donné à l’œuvre, les dynamiques et encore plein d’autres choses. On comprend donc à ce moment-là que l’existence d’un chef d’orchestre est absolument indispensable, même si le jour du concert tout le travail a déjà été fait.
      Je parle pour les gros orchestres. Car pour les petites formations, et il y en a beaucoup comme tu le dis, un chef ne sert strictement à rien. Il m’est arrivé de voir des chefs d’orchestre diriger même pas dix musiciens : c’est ridicule ! À quand un chef d’orchestre pour un quatuor à cordes ?
      Après sur la personnalité et le type de vie des chefs d’orchestre c’est comme partout : il y a de tout.

      • Cachou oui tu as raison ,il y a un travail lors des répétitions, mais il y en a pas toujours, le répertoire étant bien connu des musiciens. La plupart du temps c’est le premier violon qui fait office de directeur. Dans les orchestres de musiques anciennes ou baroques le directeur joue aussi souvent d’un instrument. Je fais une exeption, pour Lorin Maazel qui prenait souvent le violon solo tout en dirigeant un orchestre philharmonique. Avant ,jusqu’au milieu du 20 ème siecle les compositeurs dirigeaient leurs oeuvres , mais depuis Von Bulow et Malher, c’est devenu un spectacle, il faut dire aussi que les compositeurs ne courent plus les rues depuis la neue wiener shule et les horreurs du dodecaphonique et ses émules du genre Boulez.

        • Tu ne dis là que des vérités, on voit que tu es très au courant de la musique classique ! Il est vrai que pour le grand répertoire les orchestres ont joué des dizaines de fois chaque œuvre et ce sont en plus de grands professionnels. La présence d’un chef est nécessaire mais moyennement. Il arrive d’ailleurs souvent qu’il y ait qu’une seule répétition avant un concert pour des œuvres connues.
          Certains chefs s’appuient beaucoup sur le premier violon comme le faisait Karajan avec l’orchestre philharmonique de Berlin.
          Avant, tu as raison, les compositeurs dirigeaient leurs propres œuvres orchestrales ou étaient les solistes de leurs œuvres instrumentales. Et c’est vrai qu’ensuite cela a disparu. Mais tu en expliques la raison à la fin de ton post. Comme dans beaucoup d’autres milieux artistiques la composition de musique classique traverse un désert. Il n’y a plus de compositeurs. Il n’y a que des organisateurs de bruit qui s’énorgueillissent d’être des compositeurs.
          La musique classique est un élément en pleine décomposition actuellement comme tout le reste de notre pays qui explose de partout grâce au socialisme et surtout à Macron.

    • “Définir le chef d’orchestre d’”interprète” alors que c’est le seul à ne pas jouer d’un instrument !”.
      Tu as raison ami Le chti français, ce terme “d’interprète” n’est pas le meilleur. On parle de direction. À la radio on dira “Nous venons d’écouter la troisième symphonie de Bruckner par l’orchestre XXXXX dirigé par YYYYY”.
      Mais il arrive parfois, rarement il faut le noter, que certains commentateurs parlent “d’interprétation” au niveau des chefs d’orchestre : “Le chef XXX vient de nous interpréter la première symphonie de Mahler”.
      Personnellement je n’approuve pas ce terme “d’interprète” pour un chef d’orchestre il me paraît inapproprié et inexact. Comme tu le dis, le chef dirige, le soliste interprète.

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