Il n’y a pas de mot arabe pour traduire “compromis”…

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… une réflexion approfondie sur la notion du « compromis ».
Son étude et sa réflexion illustre l’abîme qui sépare le fonctionnement intellectuel occidental (et même extrême-oriental) et celui des arabo-musulmans.‌
 

Il y a quelques années, j’ai découvert qu’il n’existait pas en arabe d’équivalent au terme « compromis », ni en arabe classique, ni en arabe familier, de sorte qu’on le traduit par un mot composé, qui signifie littéralement : « solution intermédiaire ».

J’ai passé en revue tous les dictionnaires, anciens et modernes, tous les lexiques que j’ai pu trouver, cherchant en vain un mot arabe correspondant à ce terme courant qui existe, avec une orthographe ressemblante, dans toutes les langues européennes, qu’elles soient d’origine germanique, hellénique ou slave. Il en est de même d’une série d’autres termes, dont « intégrité », largement utilisé dans le discours européen et nord-américain ces dernières décennies et qui n’a aucun équivalent en arabe. Etant donné qu’une langue n’est pas uniquement un instrument de communication mais aussi le réceptacle de l’héritage culturel d’une société, reflétant sa façon de penser et sa manière de concevoir les choses et autrui, ainsi que les tendances culturelles qui l’ont forgée, j’ai réalisé que nous étions là en présence [d’une singularité] ayant des implications culturelles (et par conséquent, politiques, économiques et sociales).

Pendant une vingtaine d’années, j’ai travaillé en proche collaboration avec des personnes de près de cinquante nationalités différentes, dans un établissement économique global qui demeure, avec une longue histoire la ramenant au 19ème siècle, l’un des cinq établissements les plus grands au monde. Ce que j’ai remarqué au fil des années, est que les personnes issues d’un milieu européen occidental emploient le terme « compromis » plus souvent que les personnes de culture orientale.

Vu que je m’intéresse de près aux différentes cultures, surtout quand il s’agit de comparer l’esprit arabe à l’esprit latin et Anglo-saxons, je n’ai pu m’empêcher de relever que, tout comme ceux qui ont une structure mentale arabe emploient le terme «compromis » moins souvent que leurs homologues latins, de même les « latins » y ont moins souvent recours que les esprits anglo-saxon.

L’explication est simple : si une façon de penser se fonde sur une série de principes philosophiques et religieux, il est normal que les personnes de culture arabe aient moins tendance à utiliser ce terme que celles dont l’esprit à été conditionné par un contexte latin au contenu philosophique certes vaste, mais à la dimension religieuse moins importante que dans une structure mentale arabe. Il est également normal que les sociétés latines utilisent le terme « compromis » moins souvent que les sociétés de formation anglo-saxonne. La façon de penser anglo-saxonne, qui en est venue à dominer le monde d’une façon sans précédent dans l’histoire de l’humanité, se fonde sur une série tout entièrement différente de régulations.

L’une des personnalités les plus influentes du courant réformiste du 19ème siècle, le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832), considérait que tous les systèmes, lois, institutions et idées devaient se fonder sur le principe de l’utilité («utilitarianism»). Les Etats-Unis ont, quant à eux, engendré deux philosophes de renom, William James (1842-1910) et John Dewey (1859-1952), dont les œuvres reflètent les idées de Bentham, avec quelques modifications dues au changement d’époque et au cours des événements intervenus depuis, et sous le nom différent  « pragmatisme ».

La notion du compromis a débordé au-delà du monde anglo-saxon pour s’étendre à des sociétés aux traditions culturelles différentes. En Asie, par exemple, des Chinois, des Japonais et des Indiens ont réussi, tout en protégeant jalousement leur spécificité culturelle, à assimiler la signification du terme anglais « compromis » avant [même] de savoir l’épeler, tâchant dans toutes leurs affaires de trouver des solutions basées sur le compromis. Les pays Latins eux-mêmes ont adopté cette notion avant de l’intégrer à leur lexique politique, comme peut le constater toute personne qui suit le discours politique des pays Latins. Il est courant, aujourd’hui, d’assister sur des chaînes satellite françaises au discours en anglais de grands économistes – ce qui aurait été impensable il y a seulement trente ans – et de les entendre présenter des idées fondées sur la notion du compromis.

Dans notre région du monde, un grand nombre de personnes, même instruites, associent le mot « compromis » à d’autres termes négatifs comme « soumission », « retraite », «capitulation», « faiblesse » et « défaite ». Ces connotations n’existent pas dans la bouche d’un Occidental qui parle de « compromis », car quelle que soit sa formation, qu’il ait étudié les sciences pures, les sciences humaines ou les arts libéraux, il sait bien que toutes les idées ne sont par essence que des compromis. Encore enfant, il apprend que la plupart des phénomènes naturels sont aussi des compromis. En outre, la culture des nations marchandes (dont la Grande-Bretagne est sans doute l’exemple le plus remarquable de l’histoire de l’humanité) a étendu la notion de compromis à toutes les sphères : intellectuelle, politique, économique, culturelle et sociale, ainsi que dans les relations humaines. Ainsi, alors que nos dictons populaires donnent une mauvaise image de la notion de compromis, des centaines de dictons populaires en Grande-Bretagne font exactement le contraire. 

Bien que les Ecritures musulmanes soient tout à fait compatibles avec une culture de compromis, l’histoire musulmane (et surtout son chapitre arabe) s’est déroulée dans un esprit contraire à cette notion. Notre histoire récente est faite en grande partie de pertes qui auraient pu être évitées si nous n’avions continuellement rejeté la notion de compromis comme apparentée à celle de soumission, retraite, rémission, capitulation et même, à en croire certains de nos orateurs les plus enflammés, à la notion d’asservissement à la volonté d’autrui.

Cette mentalité du « tout ou rien » est autodestructrice. Tout débat ou conflit est, par définition et à des niveaux de pouvoir variables, une lutte entre des personnes ou des nations aux opinions divergentes. Il s’ensuit qu’il est impossible de réconcilier ces différences sans compromis, parce que cela entraînerait l’assujettissement de la volonté, des intérêts et de la puissance de l’une des parties à l’autre partie. Une telle approche de la résolution des conflits est condamnée à l’échec en ce qu’elle est contraire aux lois scientifiques, naturelles, aux lois de la vie elle-même. Certains grands intellectuels Egyptiens, comme le Dr Milad Hanna, qui n’a cessé d’expliquer sa théorie sur la nécessité d’accepter l’autre, et le Dr Murad Wahba, qui s’étend dans son œuvre sur le fait que nul ne peut prétendre à la vérité absolue, contribuent grandement et noblement à insuffler les règles de la culture du compromis à notre société.

Je ne prétends pas être le premier auteur Egyptien à m’intéresser au sujet. Au milieu des années cinquante, Tewfik El-Hakim, aujourd’hui disparu, l’aborde dans son ouvrage Al-Taaduleya (« Equivalence »). Il vivait toutefois à une époque fort différente de la nôtre, ce que révèle son oeuvre, et d’autre part – je regrette d’avoir à faire cette remarque en raison de l’authentique estime que je porte à son génie –, son analyse n’est pas suffisamment profonde. Peut-être existait-il alors en Egypte une culture contraignante, l’ayant empêché de fouiller le sujet comme il aurait aimé le faire, sans même parler du fait que le terme « équivalence » a une signification et des connotations très différentes de celui de « compromis ».

Je pense que la propagation d’une culture religieuse basée sur la stricte orthodoxie ou l’interprétation littérale des Ecritures est l’une des raisons de l’échec de l’intégration du concept de compromis par notre culture. Si nous devions nous entretenir avec Ibn Rushd ou Al-Gaheth (figure littéraire mutazilite marquante), il nous serait facile de leur expliquer, et à eux de comprendre, que toute pensée, toute transaction doit se caractériser par un esprit de compromis, avec tout ce que cela implique. Il ne serait pas aussi simple de convaincre des partisans de l’orthodoxie, des fondamentalistes comme Ahmed Ben Hanbal, Ibn Taymeya, Ibn Qiyam Al-Juzeya, Mohamed Ben Abdel Wahab ou leurs nombreux homologues contemporains, qui prêchent l’adhérence à la lettre plutôt qu’à l’esprit de la religion et ferment ainsi la porte au nez de la rationalité. Tenter d’expliquer la notion de compromis aux membres de cette école serait aussi vain que l’a été la défense vigoureuse de la primauté de la raison par Ibn Rushd il y a huit siècles. Ce serait encore plus inutile vu qu’Ibn Rushd, s’il a été vaincu par les fondamentalistes de la civilisation Arabo-islamique, a [au moins] vu ses idées influencer la culture Chrétienne. Il n’y a aucun doute que les idées de ce grand philosophe musulman ont eu un impact supérieur à celles de Saint Thomas d’Aquin au 13ème siècle, grâce à ses nombreux disciples de l’université de Paris et aux « Averroïstes Latins ». Peut-être l’histoire reconnaîtra-t-elle un jour qu’un musulman arabe se trouvait derrière la victoire de la raison sur le dogme à une époque où la culture dominante en Europe était défavorable à l’esprit d’initiative intellectuelle et à la liberté de pensée. Si la bataille pour les cœurs et les esprits en Europe avait été remportée par le camp adverse, l’Europe serait aujourd’hui au même stade de développement et d’éclairement que l’Afrique. 

Une bataille du même type se joue actuellement dans notre pays, bataille dont l’issue est incertaine. Si nous voulons que la raison l’emporte sur la pensée obscurantiste, nous devons intervenir immédiatement. Pour commencer, il faudrait que se rassemblent des intellectuels dont la formation est une synthèse de cultures humaines arabe, musulmane et autres, dans le but de créer une charte susceptible d’insuffler la logique du compromis aux esprits des jeunes Egyptiens, à travers leurs programmes scolaires, et en présentant le compromis comme le produit le plus solide de la nature, la vie, et la marche des civilisations et des cultures – alors que le refus catégorique de tenir compte des mérites de l’opinion d’autrui, et exiger d’obtenir tout ce qu’on demande est contraire à la logique des sciences, de la nature, de l’humanité, de la culture et de la civilisation.

N’ayant pu trouver le moindre équivalent arabe au terme « compromis », j’ai, à contre cœur, eu recours à deux procédés dans cet article : l’un fut d’écrire « compromis » en caractères latins [en référence à la version arabe] tout au long de l’article, le deuxième d’utiliser la traduction habituelle du terme, la lourde expression de « solution intermédiaire », dans le titre [en référence à la version arabe]. Mais en vertu de ma foi profonde dans le compromis et dans le dicton qui dit que «qui ne peut tout obtenir ne renonce pas à tout », j’ai toutefois décidé de rédiger cet article.

Dr. Tarek Heggy

 

(*) La version Arabe de cet article a été publiée dans le journal Cairote « Al-Ahram » le 14 Septembre 2002 – ses versions Anglaise et Française ont ultérieurement été publiées sur des dizaines de sites Web.

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11 Commentaires

  1. Très vrai, j’avais déjà remarqué cette évidence, c’est toujours le mécréant qui doit plier l’échine ?

  2. Il doit en être de même avec le terme “coopérer” parce que dans la vie de Mahomet il n’y a strictement aucun exemple de coopération entre musulmans et non-musulmans. Cela se reflète dans le coran puisque le coran ordonne soit la domination (du musulman sur le non-musulman dès que c’est possible) soit la soumission (du musulman au non-musulman jusqu’à ce que la domination soit possible).
    Il faut bien garder en tête ces deux notions quand on est contraint à des contacts avec des musulmans : compromis et coopération ne peuvent être que des manoeuvres temporaires de leur part dans l’attente de l’opportunité de domination par la violence. Si un musulman à le choix entre gagner 10 dans un compromis ou une coopération et gagner 1 dans une domination, il choisira toujours la domination.

  3. la solution intermédiaire c est la trève, recommandée par mahomet lorsque les musulmans sont en position de faiblesse, lorsqu ils sont assez forts, fin de la treve, ils reprennent la conquète par le nombre, la ruse et l épée

  4. Pourtant il y a des mots qu’ils doivent bien comprendre, comme DEHORS.

  5. Bonjour,

    Oui, c’est même assez évident.

    A mon avis, l’origine de cette absence provient de la structure mentale du Bédouin razzieur arabe, qui est à la base du Coran.

    Il razzie les caravanes, s’il est en position de faiblesse, lors d’un de ces raids, il essaye de traiter.

    Mais jamais la paix ne dure plus de 10 ans, juste le temps de se refaire pour razzier à nouveau.

    Tout cela est dans les textes musulmans de base.

    Il n’y a pas de paix possible entre cette “civilisation” et la nôtre.

    Il n’est qu’une solution : montrer les dents et la tenir à distance.

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