Eloge de la sieste

Souffrant d’insomnie, j’échangerais un matelas de plume contre un sommeil de plomb. Pierre Dac.
Une citation qui peut prêter à sourire, mais pour l’insomniaque, une réalité quotidienne, une souffrance. L’insomnie n’est pas l’absence totale  de sommeil, mais un sommeil écourté, une mauvaise qualité de ce dernier, avec des phases de réveil au cours de ce cycle, ou une phase d’endormissement difficile. 
Mon drame, c’est que je me couche tard et que je suis réveillé environ trois heures et demie après. Je n’ai pas envie de dormir avant minuit. Déjà, enfant, à la ferme de mes arrière-grands-parents, il en était ainsi. J’entendais les autres ronfler comme des toupies. L’horloge comtoise égrenait les heures, mais cela ne  semblait pas les déranger. Pour passer le temps, j’écoutais les bruits de la nuit. Des chiens aboyaient au loin, des chouettes hululaient dans les arbres de la forêt toute proche. Et puis, il y avait l’avion postal, qui passait en grondant au-dessus du hameau. Les jours de pluie, les trombes d’eau qui claquaient sur les pavés de la cour me semblaient être des pas qui s’approchaient et ajoutaient à mon sentiment d’angoisse. Je ne n’ai jamais évoqué ce problème avec mes parents. J’aurais reçu invariablement la même réponse : « Si tu ne dors pas, c’est que tu n’es pas fatigué.» Ou « Tu as dû encore faire quelque bêtise et c’est  ta conscience qui te tenaille.»  Autant parler à un mur.
Plus tard, à la pension, la même chose. Quand l’abbé chargé de la discipline passait dans les rangées de lits  pour vérifier si nous dormions, je fermais les yeux et faisais semblant d’être plongé dans le sommeil. Il venait là surtout pour constater si certains ne se livraient pas à des activités inavouables. C’était son obsession. Il n’avait pas tout à fait tort à vrai dire. Les tripoteurs sévissaient. Ils ne m’ont jamais ennuyé. Ils savaient que mon père était militaire  — ils pensaient même qu’il était gendarme. Ils ont sûrement eu peur des conséquences s’ils s’avisaient de m’agresser. 
Plus tard, à l’armée, ce fut la même chose. Heureusement que le cuistot faisait un café si fort que ça t’en donnait des palpitations pour la journée. Revenu à la vie civile, je suis parti en stage à Paris. Finalement, j’y fus à mon aise. J’inversai alors mes cycles de sommeil. Je sortais jusque vers les deux heures du matin, et je m’endormais ensuite jusqu’à sept heures, après avoir bien sûr monté la sonnerie de mon réveil-matin. C’est ainsi que je fis la connaissance d’une voisine de palier, insomniaque elle aussi. Elle était plus âgée que moi de quinze ans, mais nous avons sympathisé. Elle avait peur de sortir seule. Finalement, nous traînions ensemble, parfois de bar en bar mais jamais jusqu’à l’ivresse, et rentrions juste pour aller dormir, quand nous le pouvions…  
Quand j’ai été affecté en province, j’ ai quand même consulté des médecins. J’ai eu droit à tous les conseils possibles et imaginables : prendre des somnifères, me coucher plus tôt, cesser toute activité intellectuelle avant vingt heures, faire une promenade juste avant de me mettre au lit, sauter le repas du soir, etc. J’ai renoncé aux médicaments, qui m’ont transformé en zombi. Quant aux autres prescriptions, ça n’a jamais vraiment marché. J’ai vu un naturopathe qui m’a ordonné des plantes. Échec total. Idem pour la sophrologie, dont  la méditation, la relaxation. 
J’ai mis aussi  en pratique ce que disait  la baronne Staffe en 1892 : « Couchez-vous de bonne heure, après avoir joui, toutefois, de la sérénité des soirées estivales. On pense beaucoup, et on s’améliore, sous le ciel pur et étoilé. Sa pais descend dans votre âme.» J’ai bien senti la paix, je ne sais pas si je me suis amélioré, et je ne me suis pas endormi.
Et puis, j’ai découvert la sieste. Le midi, je m’astreins à un repos de trois quarts d’heure. Je m’endors sans problème. Quand je me réveille, je me sens comme neuf. Cela complète les quelques heures de la nuit. Ma moitié est un cas. Elle s’endort vers les vingt et une  heures et se réveille à six heures pile.  Sans interruption. À une certaine époque, je lisais, mais j’avais peur de l’éveiller.  Aussi, je sors. Je vais m’asseoir au bout de notre terrain sur un vieux banc, et je contemple les étoiles, j’écoute les bruits de la nature. De la musique, à l’aide d’écouteurs pour ne pas déranger le voisinage.  Les jours de mauvais temps, je m’installe dans l’abri de jardin. C’est d’ailleurs là que je préfère faire ma sieste quand la pluie s’invite. Les meilleures que j’ai faites, c’est dans les Cévennes, les jours d’été, quand la chaleur est si accablante que personne ne met le nez dehors, quand les cigales entament leur récital monotone. La sieste est un art, qui ne vous coûtera rien, sinon quelques instants de repos. Le sommeil est dit-on une petite mort. Finalement,  le jour du grand départ, je serai resté vivant plus longtemps que les autres. 
                                                 FIN

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5 Comments

  1. Merci de ce très beau texte, ami Argo !
    Personnellement, je n’ai jamais fait de sieste jusqu’à 66 ans (j’en ai 70). Puis de temps en tant, et maintenant ça devient indispensable.
    C’est ça, vieillir ? 😄

  2. Vous avez un cycle de vie nocturne (10 à 20% de la population je crois), comme moi. La seule chose d’efficace pour m’endormir : mélatonine (3mg), produite naturellement par notre glande pinéale, mais parfois pas assez. Comme il m’arrive de me réveiller plus tard, je cède parfois à la tentation d’en reprendre. Il existe des capsules de 10 mg à compartiments qui libèrent la mélatonine progressivement pendant la nuit pour éviter ces réveils intempestifs. Je fais 20 à 30 minutes de sieste aussi. Faire 30 mn d’exercice physique dehors est excellent. Bien sûr les soucis sont la première chose qui maintiennent éveillé. Mieux vaux lire alors. Quelque chose de pas excitant. Quand les yeux se ferment… dodo ! https://www.biovea.com/fr/

  3. De l’excellent Argo ! Du très bon !
    Avec humour et sincèrité il nous parle de choses sérieuses sans en avoir l’air.
    Étant moi-même devenu expert en sieste je ne peux qu’apprècier cet article 😉.

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