Il y a 40 ans, j’ai rencontré un soldat qui s’était battu pour la France… qui l’avait oublié !

Soldats polonais à Saint-Renan (29) avant leur départ pour Narvik en Norvège, avril 1940 – © SHD DE 2007 ZC 18/1/4102

C’était un soldat. Qui avait combattu sous l’uniforme français. Il était originaire des pays de l’Est. Je ne me rappelle plus lequel. 
Je l’ai connu en 1982. Il est entré dans mon établissement un jour de Janvier. Il désirait percevoir  le montant d’un chèque. Il avait fait le tour des quelques  banques de la localité. Pour percevoir ce titre de paiement, barré, il fallait posséder un compte bancaire. Il s’était fait rembarrer dans tous ces établissements.  Il parlait très mal notre langue. Il m’a fait de la peine. Je l’ai reçu à part dans mon bureau.  Il m’a quand même brièvement conté son histoire. Mon père ayant été militaire de carrière aux mêmes périodes  que cet homme, c’est peut-être ce qui  nous a rapprochés. 
Il me sortit d’abord son livret militaire. Je pus constater qu’il avait fait la guerre d’Indochine, d’Algérie. Il avait été décoré pour cela. Il n’avait pas dépassé le grade de première classe. Rendu à la vie civile, il n’avait pu se réinsérer. Sa modeste pension ne lui suffisait pas. Il avait fait tous les boulots ingrats, tout ce qui s’offrait à lui. . Arrivé à l’âge de la retraite, dans l’incapacité de se débrouiller et de réclamer ce qui lui était dû à titre civil, il avait erré, désemparé, un jour à l’hôtel, le lendemain dehors. 
Finalement, je ne sais pas qui décida de cela, il fut placé dans un hôpital psychiatrique, bien que sain d’esprit.   On disait autrefois un asile. On pensait peut-être lui assurer ainsi le gîte et le couvert. Il ne supportait pas d’être traité ainsi.   Cet établissement plaçait ses malades les plus inoffensifs dans des familles rémunérées pour cela. Ces pensionnaires pouvaient se déplacer à leur guise. C’est comme cela qu’il avait atterri chez moi. Cet homme se souvenait du nom d’un capitaine qui l’avait aidé à un moment de sa vie. 
Je décidai d’abord d’encaisser son chèque et de le lui régler en espèces. De plus, j’informai mon interlocuteur que je prenais son affaire en main  et que j’allais tenter de contacter le gradé dont il m’avait communiqué le nom. Je fis une photocopie de son livret militaire. Je lui demandai de revenir deux jours après. 
Je finis par retrouver ce capitaine. Je lui expliquai la situation. Je lui faxai les photocopies du livret militaire du soldat.   II m’affirma prendre la situation en main. Trois jours après, mon homme revint, rayonnant de joie. Il avait été contacté par le gradé au bureau de l’hôpital. Il m’informa que l’Armée lui avait trouvé une place dans une de leurs maisons de retraite. Il avait même reçu un bon de transport. 
Il me remercia avec effusion. Au moment de partir, je lui souhaitai bonne chance et lui tendis  la main.  Il me la prit, puis me serra dans ses bras en me tapant dans le dos, puis partit. Je ne l’ai jamais revu. Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde, probablement,  mais je pense de temps en temps à lui, et à ce gradé qui fit preuve d’humanité.   
On ne se vante pas de ses bonnes actions, mais si je l’ai fait, c’est pour vous dire que la solidarité et l’humanité ne sont pas des mots creux. Devant les difficultés qui nous attendent, elles nous permettront peut-être de survivre. 

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13 Commentaires

  1. on ne parle que de L ‘Ukraine ,et de Palmade ! comment voulez vous vous instruire !

    • Demandez le à De Gaulle et lisez Le Dernier Carré (je Jean Sevilla et J C Buisson,
      20 euros !

  2. Je suis bien de votre avis, et vote histoire peut faire réfléchir car tous les jours nous pouvons rencontrer des êtres fragilisés, en prenant garde, toutefois, de ne pas aller vers les  » pleurnicheurs professionnels « .. Merci à vous

  3. C’est une très belle action, ami Argo, et elle ne m’étonne pas de toi. C’est tout à fait dans ta logique d’humanité. Et je te félicite.
    La France n’a eu aucune reconnaissance pour ceux qui l’ont rejoint afin de la défendre. L’exemple des harkis en est le plus frappant. Je ne peux pas concevoir qu’un pays abandonne à la misère ceux qui ont contribué à le défendre et à faire qu’il continue d’exister. Cela dépasse mon entendement.
    Tu as fait une action magnifique, et Dieu en tiendra compte quand il te rappellera auprès de lui.

    • @ Cachou
      Il fut un temps où la télé avait fait un documentaire – en noir et blanc, ça date ! sur les laissés-pour-compte asiatiques – Viêt-Namiens en l’occurrence – qui avaient combattu pour la France, abandonnés dans quelque cambrousse en France et qui racontaient leur détresse. Je ne me rappelle plus dans quelle contrée française. En tout cas ils vivaient dans des espèces de cabanes. Je n’ai jamais compris pour quelles raisons ils n’ont ni manifesté ni ne se sont rebellé comme les Harkis… Les Asiatiques (Chine, Inde, VN) constituaient environ parmi les 75 % des étrangers qui combattirent auprès des tirailleurs sénégalais (sauf erreur, ceux-ci environ un peu plus de 7 %), le reste constituant de Polonais et d’autres nationalités pour la France.

  4. La fraternité tout simplement. Elle ne se définit pas, elle se vit (parfois), dans les deux sens d’ailleurs. A la lecture de cette histoire, je pense à la chanson de « l’Auvergnat » de Brassens.
    Sois remercié, toi le banquier (d’Auvergne aussi) qui sans façon, a permis à ce soldat de sortir la tête de l’eau. Merci pour cette belle page.

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