Sur RR, il y l’information, la ré-information, l’entraide, l’analyse, les expériences des uns et des autres, les très nombreuses rubriques, culturelles y compris (c’est l’une de nos spécificités et. nous en sommes très fiers) et voici aussi que Thérèse nous renvoie au plaisir de l’histoire racontée, au plaisir du verbe, au plaisir de l’apologue… pour nous faire réfléchir, bien sûr. Pour nous faire rêver, bien sûr. Pour nous rendre heureux, bien sûr. Mais, surtout, pour rétablir le lien avec les auditeurs/lecteurs de Homère, de Virgile, des troubadours… qui nous rappellent que le bonheur de l’homme tient à parfois à peu de choses et qu’il ne faut jamais désespérer. Un petit enfant peut suffire, malgré le reste, à vous redonner de l’espoir et du courage. Et le bonheur de vivre. Merci Thérèse pour ce moment hors du temps, mais ô combien essentiel.
Christine Tasin
– Que fais-tu ici Ange ? Pourquoi n’es-tu pas dans les cieux ?
– Les larmes de l’Enfant de l’homme m’ont réveillé et j’ai bondi à son secours.
– Mais l’Enfant a une mère pour le consoler et se vouer à lui. Où est-elle donc ?
– Le fleuve l’a emportée dans sa furie, et l’Enfant est resté seul sans personne pour prendre soin de lui. Je suis descendu pour sécher ses larmes et calmer sa fièvre. Je dois le quitter, mais mon cœur refuse de l’abandonner à son destin.
– Je peux t’aider, Ange, dit l’Oiseau perché sur le bord de la fenêtre.
– Il aura besoin d’une couverture qui le réchauffera et de nourriture qui apaisera sa faim, répondit l’Ange.
– Mon duvet lui servira de couverture et mes proies, de nourriture, répondit l’Oiseau.
L’Ange étendit ses ailes et quitta le berceau de l’Enfant, prenant son vol vers un horizon incertain, serrant dans sa main une liste infinie de missions à accomplir.
L’Oiseau se posa auprès du chevet de l’Enfant, encore assoupi et se secoua. Une pluie de duvet atterrit sur l’Enfant le protégeant du froid.
Au petit matin, l’Oiseau s’envola à tire-d’aile à la recherche d’une proie pour nourrir l’enfant. Il fit des cercles dans les cieux, contourna les petits flocons de nuages, puis fonça en flèche vers les bois. Là-haut dans le ciel, l’Aigle guettait. L’Oiseau n’eut guère le temps de l’apercevoir. Comme une fusée, l’Aigle fondit sur lui. Les serres grandes ouvertes du rapace le happèrent au vol, étreignant son corps menu.
– Ne me tue pas, Aigle, j’ai promis à l’Ange de m’occuper de l’orphelin de l’homme, supplia l’Oiseau.
– C’est le devoir des hommes, pas le tien, et puis qui donc tient ses promesses de nos jours, répondit l’Aigle en ricanant.
– Libère-moi je te prie, sinon l’Enfant mourra de faim, implora l’Oiseau.
– Si je te libère, ce seront mes enfants qui mourront de faim. Désolé, mais c’est toi qui leur serviras de repas, conclut l’Aigle.
Le bec pointu et acéré de l’Aigle déchira le ventre de l’Oiseau et en extirpa les viscères qu’il découpa en menus morceaux et distribua à ses aiglons affamés.
Avant de mourir, l’Oiseau hurla dans son dernier souffle, – Ange, Ange, j’ai failli à ma promesse de m’occuper de l’Enfant, pardonne-moi je te prie, puis il ferma les yeux et quitta le monde des vivants.
L’Ange, du haut des cieux, avait suivi la scène, le cœur déchiré par la douleur. Son ami l’Oiseau, son unique espoir pour sauver l’Enfant, venait de s’éteindre comme la flamme d’une bougie sous le souffle d’un soupir.
– Qu’adviendra-t-il de l’Enfant ?, pensa l’Ange. – Je ne peux pas le laisser mourir.
L’Ange descendit des cieux sur le flambeau de l’éclair et retourna à la mansarde. Il prit l’Enfant dans ses bras et le serra contre lui pour le réconforter, puis il inséra son doigt entre ses lèvres sèches pour les humecter d’une sève nourrissante qui n’était autre que le sang de l’Ange.
– Tu dois regagner les cieux, s’exclamèrent les autres anges qui le guettaient. – Il y a tant à faire ici.
– Je ne peux pas, répondit l’Ange. – Je resterai jusqu’au jour où je saurai que cet enfant n’a plus besoin de moi.
– Si tu restes sur terre trop longtemps, tes ailes disparaîtront et tu te transformeras en mortel. La vie des humains est très pénible, le sais-tu ?
– Je le sais et je vous promets de quitter l’Enfant dès que je lui aurai trouvé une mère.
L’Ange se mit en quête d’une mère. Il trouva maintes candidates, mais aucune d’elles ne savait, ne pouvait aimer l’Enfant comme il le voulait, comme lui, l’Ange déchu.
Le temps passait vite et les forces de l’Enfant s’affermissaient, tandis que celles de l’Ange fondaient comme neige au soleil. Chaque jour, l’Ange comptait le nombre de plumes qui tombaient inexorablement de ses ailes jusqu’à leur complète disparition.
Lorsque l’Enfant fit ses premiers pas, l’Ange sentit le dard de la première douleur. Au début, elle traversa le bout de ses doigts puis sillonna ses bras et enfin elle se propagea au fil des ans dans tout son corps. Il était devenu mortel.
L’Ange connut la soif, la faim, la peine, la colère, le soupçon, l’impatience, l’envie, la peur, l’incertitude et parfois même la haine. La médiocrité de l’homme le frustra, le dur labeur quotidien l’élima, et rares étaient les moments où il put sentir l’extase percer cette carapace d’insensibilité qui s’était soudée à lui jusqu’à l’étouffer. Il apprit à travailler, à gagner son pain et celui de l’Enfant. Il dut mentir pour survivre et creuser son chemin à travers des embûches si souvent traîtresses. Que restait-il enfin de toutes ses magnifiques qualités d’ange ? Si peu, un rien.
Le soir, de retour à sa mansarde, l’Ange retrouvait l’Enfant. La joie qui illuminait le visage du gamin éclipsait la souffrance et la fatigue accumulées durant le jour. L’Enfant se jetait spontanément sur les jambes de l’Ange qu’il étreignait de ses bras menus. Leurs corps se soudaient dans un élan d’affection inaltérable. Le babillage de l’Enfant faisait sourire l’Ange qui en ces quelques instants, retrouvait cette douceur dont il était forgé à l’origine. Leur petit havre de bonheur irradiait alors d’amour, de pureté et d’innocence. L’Ange redevenait l’ange qu’il était, celui d’antan. La vie de tous les jours le transformait en un être humain avec tous ses défauts et qualités, mais le soir, auprès de l’Enfant, il reprenait son identité céleste.
Quand l’Ange pleurait de fatigue, de remords, de regret et de douleur, l’Enfant s’asseyait auprès de lui et le caressait, pleurant avec lui.
– Je vous aime tant, lui murmurait l’Enfant.
– Moi de même, répondait l’Ange en le serrant fort contre son corps flétri.
Puis vint le jour où la vieillesse eut raison de lui, tandis que l’Enfant avait depuis longtemps mûri pour devenir un homme accompli, heureux, sain, intelligent et affectueux.
– Mais qu’as-tu gagné en renonçant à ton identité d’ange, lui demandèrent les autres anges.
– J’ai enfin connu l’amour d’un enfant envers son père, envers sa mère. Ses élans d’affection suivis de ses étreintes m’ont fait comprendre que rien ne peut remplacer l’amour qui relie l’enfant à ses parents. J’étais, suis, et resterai dans son cœur, le père et la mère qu’il n’a jamais connus.
– Lorsque tu quitteras ce monde, tu le feras en simple mortel, dirent en chœur les autres anges.
– Je le sais. J’ai perdu mes ailes mais j’ai gagné l’amour d’un enfant. N’était-ce donc pas notre mission initiale d’aimer et d’être aimé ?
Les anges le quittèrent et ne revinrent plus.
Le jour vint où il rendit l’âme.
Au Tribunal Divin son cas fut présenté. – C’était un ange qui avait choisi de devenir un mortel, quel sort lui réservez-vous ?
– Celui d’un Ange, répliqua le Juge Suprême.
Extrait des Contes du Mellah de Marrakech
Recueil de contes évoquant le quotidien dans le Mellah de Marrakech, lieu de vie réservé aux juifs. L’auteure narre notamment le rapport des enfants à ces quartiers aux ruelles étroites, creuset de cultures et de religions, qui aiguisent l’imagination, les peurs et les fascinations. ©Electre 2023
Thérèse Zrihen-Dvir
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Ce poaime est troublant et réconfortant. Je me suis reconnu dans l’enfant, dans l’ange et pour tout dire dans l’aigle lui aussi. Grand merci à toi pour l’émerveillement, l’enchantement et la beauté profonde de ce texte.
Merci Paco.
un bonheur de retrouver Thérèse chez RR
ET CES CONTES DE mELLAH QUI NE MANQUENT PAS DE SEL …..
Ouais des CONS-CONTES de MELLAH ou je pense et vous savez !
OUAIS !
des Cons-Contes à dormir debout et qui font marcher allongés !..
tout comme les serpents qui rampent assis !..
Chacun a un ange gardien qui veille sur nous. Enfin, c’est ce que l’on croit. Le mien doit être mort depuis longtemps, ou parti en vacances. j’ai contracté un virus à l’hôpital lors d’une coloscopie. Un virus intestinal. Je déguste ! C’est le résumé de ma vie. Je sors d’une maladie pour retomber dans une autre. Alors si je vois mon ange gardien, je lui vole dans les plumes ! Les hôpitaux sont dégueulasses. Le ménage laisse à désirer.
Bonjour,
Courage Argo !
Je pense bien à toi.
Tiens bon Argo ! T’as encore des rubriques à nous faire savourer.
Tenez bon ! Vous avez le moral pour !
Et continuez à nous régaler de votre prose toujours brillamment imagée et percutante
Bonjour Argo – c’est drôle, mais je suis en train de travailler sur un article concernant les services médicaux… quelle étrange coïncidence.
@ Argo ,
contacter une saleté à l’hôpital est navrant. Je vous souhaite du courage et de la patience !!! Bon rétablissement
Bonjour à tous – Il y a une réédition de cette oeuvre par Lacoursière Editions!
https://www.amazon.fr/Derri%C3%A8re-remparts-Mellah-Marrakech-Contes/dp/2925239145/ref=sr_1_9?qid=1674543847&refinements=p_27%3ATherese+Zrihen-Dvir&s=books&sr=1-9