SEMAILLES ET MOISSONS, FENAISONS ET PAYSANS D’AUTREFOIS. Dédié à tous mes amis de RR.
Laissez-moi vous faire remonter le temps, un instant, et vous emmener sur ma planète, là où le temps s’arrête, là où il y a des moutons dans la prairie, des nuages blancs dans le ciel, où le vent nous apporte des senteurs d’herbe et de fleurs coupées, l’odeur de la terre fraîchement labourée, celle de de la paille et des épis dorés par le soleil, ce temps qui n’est plus, qui ne sera jamais plus, mais qui subsiste dans ma mémoire, souvenirs de ces humbles travailleurs de la terre, qui ont donné leur sueur, leur sang pour que perdure notre patrie, bien mise à mal aujourd’hui.
Mes arrière-grands-parents, lorsque je suis né, possédaient une minuscule exploitation agricole, mais c’est quand même cette propriété qui leur a permis de vivre. L’hiver, quand les travaux de la ferme ne nécessitaient plus sa présence, mon bisaïeul, François, partait pour exercer d’autres métiers : il les a tous faits, de mineur à bourrelier, même maçon à Paris. Et bien d’autres encore. Les maçons du Limousin étaient particulièrement appréciés en ce temps-là. Mille métiers, mille misères. Sa vie n’a été qu’une longue suite de labeur. Il a eu la chance de ne participer à aucun conflit, trop jeune pour celui de 1870 et trop âgé pour les deux autres. Il est parti, presque centenaire, en 1959. Jamais je n’ai autant pleuré. Je ressens encore du chagrin aujourd’hui.
Je n’ai pas participé aux travaux de la ferme familiale. Quand je suis arrivé au monde, mes arrière-grands-parents ont cessé leur activité peu après, au vu de leur grand âge. Par contre, nous allions donner la main chez nos cousins. Mon travail se résumait à aller tasser les charrettes de foin en piétinant le fourrage bien sec, à approvisionner les moissonneurs en liens pour les gerbes lors des moissons, à mettre de l’engrais dans les rangs de pomme de terre, ou une foule d’autres menus services.
Je repense à cette époque avec beaucoup d’émotion.
Nous sommes en septembre, les labours commencent. C’est le travail de cousin Louis, quand il ne travaille pas au POC, la compagnie de chemin de fer qui exploitait le réseau à voies métriques jusqu’en 1969. Louis fut recasé ensuite à la MAT, ou manufacture d’armes de Tulle jusqu’à sa retraite. Il profite de chaque moment de repos pour travailler les terres de son beau-père, Antoine, ancien poilu de 14. Tout ce petit monde vit sous le même toit.
Je suis encore en vacances , et nous sommes venus au village. Il ne pleut pas, Dieu merci! Louis vient d’atteler Javelle et Rousselle, deux solides Limousines, au brabant double. J’admire son travail. Le joug d’abord, et puis les liens de cuir. J’aimerais avoir son habileté. L’équipage se met en route. La pièce de terre à retourner n’est pas très loin. Je le suis. Sur le brabant, la charrue, il y a des manivelles pour retourner l’un des deux socs quand on arrive en bout de rangée. Louis accepte que je m’y essaie. Peine perdue, je n’ai pas assez de force. Je vais devant avec un aiguillon pour arrêter nos laboureuses. On met juste un petit coup de bâton sur le joug pour les arrêter. La terre fume. C’est joli, ce semblant de brouillard qui s’élève dans l’air frileux de ce matin de septembre. Le cousin a épandu du fumier, que les labours enfouiront. Heureusement que j’ai chaussé de vieilles bottes. Et puis, je suis habitué. Après les labours, la herse. Le vieil Antoine se chargera du semis. Il faut le voir arpenter le champ, un sac attaché à la taille, et jeter le blé au vent. Tout un art. Le geste auguste du semeur. De lui dépend toute la récolte. Et après de nouveau la herse. Viendront ensuite les mois de soucis et de tracas, quand il pleut trop et quand il fait froid. La grêle aussi est redoutée, car elle peut massacrer une récolte en un clin d’œil. La neige est bienvenue, car elle protège les pousses et fournit un engrais gratuit et naturel.
Le blé a levé, a poussé, et à roussi sous le chaud soleil de l’été. Les épis ondulent gracieusement sous la brise. C’est le temps des moissons. Le mois d’août. Les vaches ont été attelées à une antique moissonneuse. Plus tard, Louis fera exécuter la récolte par une entreprise de battage équipée d’une moissonneuse-batteuse. Les épis s’abattent et nous confectionnons des gerbes à l’aide de grandes faucilles. Je ravitaille les moissonneurs et moissonneuses en liens. À midi, nous déjeunons sur place. Cousine Amélie, Mélie, nous apporte un panier garni, et nous déjeunons sous un vieux tilleul. Après, une courte sieste. De mon côté, je ne dors pas. Je vais aller glaner les épis oubliés, ils serviront à nourrir les poules, rien ne se perd. Après la moisson, les hommes battront le blé au fléau, le vanneront au moyen d’un moulin à vanner pour en éliminer les déchets, et le mettront en sacs, ces mêmes sacs que le minotier viendra chercher. Il en paiera une partie, et restituera quelques sacs de farine pour le pain que les cousins cuiront pour eux dans leur four.
Avant les moissons, les fenaisons. Là, Louis possède une moto-faucheuse. Les andains s’abattent à grande vitesse. En une journée, tout le pré est fauché. J’étais déjà un peu spécial. J’avais l’impression que l’on assassinait les fleurs de la prairie. Je ne leur ai jamais dit, de peur de les froisser. Une fois coupée, l’herbe doit sécher avant que l’on procède au fanage à l’aide de fourches. Ensuite, à l’aide de râteaux, on la rassemble, et on la charge sur une vieille charrette qui grince à chaque tour de roue. Je monte sur le tas de foin et je le tasse. C’est mon travail. Ce foin ira ensuite dans le fenil pour nourrir les bovins pendant la froide saison.
Il y a aussi les pommes de terre, que l’on mettait en terre à Pâques . Là, Louis utilisait une vieille araire avec un soc en bois muni d’une pointe de fer, araire qui devait être plus que centenaire. On ouvrait un sillon, et on y enfouissait les tubercules. Mon rôle consistait à déposer un peu d’engrais au pied de chaque plant. S’il n’y avait pas de doryphores, la chance était avec nous. Mais si ces sales bêtes faisaient leur apparition, il fallait traiter le champ à l’aide d’un pulvérisateur Vermorel rempli d’une bouillie bleue. Après viendrait le temps de la récolte, au mois d’août. Comme on peut le constater, on ne chômait pas en ce temps-là. Plus tard, cousin Louis a acheté un tracteur, un petit Pony de la firme Massey-Harris. Puis du matériel, pour labourer, herser, râteler, faner mécaniquement et botteler le foin, soulageant bêtes et humains. Au grand dam de l’ancêtre, Antoine, qui prétendait que le pétrole gâterait la marchandise, que les récoltes auraient le goût de l’essence. C’était surtout l’argent qu’il avait fallu sortir qui le tracassait.
Aujourd’hui, ils sont tous partis pour le grand voyage, tous ceux que j’ai connus et aimés. La ferme des cousins est devenue une résidence de vacances pour un de leurs lointains parents qui en a hérité. Nous étions une branche trop éloignée pour en bénéficier. Il n’a rien modifié, mais les terres sont retournées à l’abandon, la nature a repris ses droits. J’y suis repassé à l’occasion des obsèques de mon père et de ma mère. En septembre et en Novembre. Les étables sont vides, le chien Pitou lui aussi est mort, les engins agricoles rouillent sous un hangar, attendant toujours leurs propriétaires, le four ne fumera plus, ne cuira plus de pain, ce pain bis dont j’aimais à engloutir quelques chanteaux, les poules ne picorent plus dans la cour, tout est froid, tout est mort, tout est lugubre. Ces jours-là, la nostalgie, la tristesse ont envahi mon cœur. J’ai regretté en ces instants de ne pas leur avoir dit plus souvent que je les aimais.
Je me souviens des anciens jours,
Des matins clairs et des nuits noires,
Je ne vois plus qu’à contre-jour,
Je me souviens des anciens soirs.
Argo, Bucoliques. Extraits.
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Ce très bel article me ramène à mes 10/11 ans vers 1960 où, en vacances à la campagne j’allais glaner du blé pour les poules.
J’étais aussi « caviste »(!): Responsable de la « boisson », appelation non contrôlée, un breuvage non alcoolisé, à base de mélange de plantes acheté chez le grainetier de la ville voisine et d’eau courante.
Ça se préparait dans un fût de bois, à la cave, et en quelques jours le régal frais était prêt. Ça ressemblait à du cidre.
C’était l’époque où il y avait encore des graineteries dans les villes et villages…
Je raffole de cidre.
» Le geste auguste du semeur. »
bien moins auguste que cette pluie de la douceur et la nostalgie que tu viens de répandre sur nous cher Argo
et merci pour cet Angelus
Bonjour. Vous avez eu bien de la chance de pouvoir vivre enfant toutes ces émotions. Et nous aujourd’hui d en être les destinataires. Votre témoignage égale celui du peintre provençal Seyssaud sur le formidable et lumineux labeur des hommes et des femmes aux champs. Merci pour eux.
Bonjour Argo. La tristesse te va comme un gant de peau. Tu es parmi nous tel qu’ainsi tu es fait. Bravo pour ton texte très touchant. Amitié !
Quel texte absolument magnifique ! Du grand Argo !
Ce récit de vie dont tu nous fais part nous remplis d’émotions car on retrouve un peu le nôtre même si les chemins ont été différents.
Que de belles phrases bien tournées, que de témoignages émouvants !
Et toute cette belle tranche de vie s’est terminée par le quasi abandon des lieux que tu aimais tant.
Oui, ami Argo, pour beaucoup de patriotes nous n’avons que nos souvenirs du temps passé. Si les imbéciles dégénérées de gauchios-écolos-dinguos n’avait pas tout cassé, tout détruit, notre société aurait progressé mais dans le respect du passé maintenu.
Il faut croire que le français n’aime pas son passé, car c’est lui qui met en place depuis 50 ans lesdits gauchios-écolos-dinguos. Je crache sur ce peuple pour sa majorité. Tu le sais.