De Vivaldi à Bach

Difficile de faire plus contemporains qu’Antonio Vivaldi (1678, Venise – 1741, Vienne) et Jean-Sébastien Bach (1685, Eisenach (Saxe) – 1750, Leipzig) ; et pourtant ces deux hommes ne se sont jamais rencontrés, ils ont en commun d’avoir chacun vécu à peu près le même nombre d’années mais aussi d’avoir laissé à la postérité une œuvre, jugez-en plutôt :

  • Vivaldi : 470 concertos et symphonies, 45 opéras, 2 oratorios, plus de cent cantates, airs et sérénades, une quarantaine d’œuvres de musique sacrée ;
  • Bach : je renonce à entrer dans le détail, mais on lui doit plus de 1 300 compositions !

Bach avait connaissance de la musique de Vivaldi dont il a repris plusieurs de ses compositions. À l’époque la pratique était courante, déjà il n’y avait pas de droit d’auteurs. Qui plus est le compositeur « copié » était le plus souvent satisfait, car ainsi sa musique se répandait dans plusieurs pays. L’emprunt le plus célèbre de Bach est le Concerto pour quatre violons extrait de son recueils de concertos L’estro armonico (ou « l’invention harmonique dont fait partie Les quatre saisons) :

Bach va le transcrire en un concerto pour quatre clavecins, ou plutôt pour quatre claviers, on verra pourquoi par la suite. Donc Bach adapte Vivaldi mais fait quand même du Bach en ajoutant des fioritures de son acabit. Bref, si vous écoutez le « quatre violons« , mais c’est du Vivaldi ! Le « quatre claviers », mais c’est du Bach ! Écoutez le début du troisième mouvement :

  Et maintenant, le concerto pour quatre clavecins BWV 1065 !

Si on nomme ce concerto BWV 1065 « pour quatre claviers », c’est que la tendance actuelle se tourne vers la version quatre pianos, mais pourquoi ? Le clavecin, instrument à cordes pincées, comme la guitare ou la harpe, possède un inconvénient majeur, quelle que soit la force avec laquelle vous appuyez sur la touche, l’intensité sonore reste la même. L’Italien Bartolomeo Cristofori (1655-1731) va créer un instrument sur lequel on pourra jouer sur les sons, d’où le nom de pianoforte. On s’imagine à tort que le pianoforte est le successeur du clavecin, alors qu’il s’agit d’un instrument totalement différentes, puisque les cordes sont frappées. C’est donc bien à un nouvel instrument que l’on a affaire.  (Le clavecin continue sa carrière, mais à la Révolution de 1789 en France, il sera interdit, comme symbole de la noblesse). C’est en 1726 que Cristofori crée le mécanisme qui est pour l’essentiel celui du piano moderne. Voici des informations sur le pianoforte, avec un instrument de 1791 :

Et maintenant le son d’un pianoforte :

Bach connaissait-il l’existence du pianoforte ? J’ai tendance à penser que oui, il suffit d’écouter ses concertos pour un, deux, trois et quatre claviers pour se convaincre de la richesse musicale de ces compositions, Bach était un pionnier en tout ! Ce n’est donc pas une trahison que d’utiliser des pianos modernes. Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer cette vidéo sublime, la pianiste chilienne Martha Argerich et ses amis vont nous jouer des concertos pour deux, trois ou quatre pianos (cette vidéo est chapitrée pour une lecture plus facile) :

Ces gens jouent avec un enthousiasme tellement communicatif ! Quel bonheur de les voir ! Avec mes 30 degrés dans la pièce j’en ai la chair de poule.

Revenons à Bach : il a transcrit d’autres concertos de Vivaldi, mais pour orgue seul. Pour ne pas surcharger l’article, je vais faire l’impasse. Et si on terminait par un prélude ? En voici la partition :

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Si vous ne savez pas lire la musique, cette partition ne vous dira rien. Si vous jouez du piano, même sans avoir le niveau de Martha Argerich (même moi j’y arrive c’est dire !) vous saurez que vous connaissez ce morceau. Maintenant si ne savez ni lire la musique ni jouer du piano, je ne peux rien pour vous, quoique :

Voici, d’après ce prélude, l‘Ave Maria… Callas, de Gounod :

Et comment ne pas rendre hommage à Maurane, qui fait allusion à Glenn Gould ? (même si je ne suis pas d’accord au fait de séparer les notes arpégées) :

Je ne sais pas combien j’ai rédigé d’articles musicaux, mais celui-ci est un de ceux qui m’a apporté le plus de bonheur, j’espère qu’il sera partagé.

La prochaine fois on retrouvera Bach… se copiant lui-même !

Filoxe

 

 

 

 

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13 Commentaires

  1. J’ai beaucoup apprécié cet article et heureusement qu’il y a la musique et la littérature pour nous ressourcer dans notre pays où nous avons l’impression que notre culture se meurt et se perd dans ces émissions télé stupides où les gens applaudissent pour un oui pour un non comme des chimpanzés dressés. Heureusement que les génies Mozart, Beethoven, Chopin, Rossini et La Callas et les autres ne mourront jamais. https://www.youtube.com/watch?v=df-eLzao63I

  2. Un grand merci pour cet article.
    Ces musiques nous font vibrer et réfléchir, nous transportent et nous font vivre…
    Concernant le fameux prélude de Bach du clavecin bien tempéré – personnellement je n’aime pas la rigidité sonore du clavecin et je préfère entendre la musique pour clavier de Bach uniquement sur piano moderne: c’est un peu comme un Western en noir et blanc et un Western en couleurs…
    Cependant, je regrette de ne pas avoir entendu la fugue qui suit ce prélude, qui a manifestement été considéré comme un « tube » – un peu comme la badinerie de la suite orchestrale n°2 BWV 1067. En effet, les arpèges répétitifs du prélude évoque une forme de lourdeur, de pesanteur que la fugue qui suit va dissiper

    • Vous avez raison pour la fugue, mais le prélude est tellement connu qu’il est souvent joué seul. Cependant je suis à la recherche d’un lien où l’on entend les deux, pas facile à trouver, mais si oui le l’intégrerai à mon prochain article.

  3. NOTRE MUSIQUE qu’on devrait entendre partout mais surtout devant les portes de l’Elysée. Merci de nous faire entendre ce bonheur de notre Culture !

  4. Vous n’avez rien compris!
    En 2022 nous en sommes à Vivadi-ta mère et Bach-moins-cinq….

  5. Jésus que ma joie demeure, Bach. L’Ave Maria de Schubert, et tant d’autres. Les Quatre Saisons de Vivaldi. Aujourd’hui, le rap des prisonniers, on mesure ainsi le chemin parcouru vers la déchéance, la nullité, le néant, le crétinisme abyssal dans lequel nous nous enfonçons un peu plus chaque jour.

    • Tu as tout dit, Argo, de la dégénérescence de la musique qui correspond à celle de notre temps. Il est terrible de vivre en direct la fin de notre civilisation, la fin du beau. « kaloskagathos » beau et bon, idéal à atteindre selon les Grecs. Encore un immense merci à Filoxe de nous permettre de nous plonger dans cet océan de beau et de bonheur.

  6. Martha Agherich est un vrai bonheur ,elle joue Bach avec brio.
    Glenn Gould me tape sur les nerfs.

  7. Ah l’Ave Maria de Gounod/Bach, mon préféré. Il y a tant de ferveur, d’humilité et de foi, j’en ai les larmes aux yeux chaque fois que je l’écoute. Tous ces musiciens de la période classique, Bach, Vivaldi, Mozart, Beethoven, Verdi et tant d’autres, de nos jours, ils sont très très peu à leur arriver à la cheville.

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