“Le Grand Meaulnes” (1967), de Jean-Gabriel Albicocco, est d’une fidélité scrupuleuse au roman d’Alain-Fournier

Alain-Fournier, l’auteur du roman Le Grand Meaulnes, est mort il y a cent huit ans le 22 septembre 1914, dans un des premiers combats de la Première Guerre mondiale.

L’auteur du célèbre roman est mort il y a cent huit ans au champ d’honneur au début de la Première Guerre mondiale. Son œuvre maîtresse a été adaptée deux fois sur grand écran.

Le Grand Meaulnes est l’œuvre d’une vie. Celle d’Henri-Alban Fournier, plus connu sous son pseudonyme littéraire d’Alain-Fournier. Roman éminemment personnel, il met en scène le souvenir de ses amours, de ses amitiés et des rencontres qui ont marqué son existence.

Le Grand Meaulnes est l’un des plus beaux romans jamais écrits. Roman poétique. Roman de mœurs. Roman d’aventures. Roman mythique. Roman d’amour, mais surtout roman d’amitié. Roman sur le passage de l’enfance à l’adolescence et de l’adolescence à l’âge adulte. Roman de l’enchantement et de la désillusion. Roman unique d’Alain-Fournier, né Henri-Alban Fournier, à la Chapelle-d’Angillon, dans le Cher, en 1886, et mort prématurément sur le champ de bataille lors de la Première Guerre mondiale, en 1914, à l’âge de 27 ans.

Le Grand Meaulnes raconte une histoire d’amour, celle d’Augustin Meaulnes pour Yvonne de Galais, mais également la fascination de François Seurel pour son ami.

L’atmosphère reste onirique et tous les ingrédients d’une trame romantique sont réunis : les brumes de la Sologne, un amour qui finira mal, le suicide du frère d’Yvonne de Galais, Frantz, et, de manière très prosaïque, le rôle très sage de François dont le destin sera de reproduire très fidèlement le métier de son père instituteur, à une époque où ceux-ci étaient considérés comme” les hussards noirs de la République”.

Fauché cruellement à 27 ans dès les premiers combats de la Première Guerre mondiale, le romancier ne connaîtra pas le formidable succès de son livre. Étudié et lu avec passion par les adolescents de quatre générations, l’histoire romantique d’Augustin Meaulnes dut attendre 1967 pour voir sa première adaptation au cinéma.

On préfèrera de loin la version de Jean Gabriel Albicocco, sortie en 1967, et servie par des comédiens excellents : Jean Blaise, qui eut une carrière éphémère, Alain Libolt, excellent comédien dont la carrière sert davantage le théâtre. Avec Brigitte Fossey, découverte enfant dans Jeux interdits, avec Georges Poujouly, au destin tragique.

Si on rajoute que le film est servi par une photographie magnifique, celle du père de Jean-Gabriel, Quinto Albicocco, et une mise en scène d’excellente qualité, on ne peut que revoir avec un immense plaisir la version d’Albicocco, à replacer dans son contexte des années d’alors…

● Le Grand Meaulnes (1967) de Jean-Gabriel Albicocco

Cette première adaptation est d’une fidélité scrupuleuse au roman d’Alain-Fournier. On retrouve avec plaisir Brigitte Fossey dans le rôle d’Yvonne de Galais, le grand amour d’Augustin Meaulnes. La sœur du romancier, Isabelle Rivière, détentrice des droits d’adaptation, fut omniprésente durant ce tournage.

Brigitte Fossey 

Au-delà de cette histoire d’amour, au-delà de cette histoire d’amitié, ce qui fait la beauté — ou la force — du Grand Meaulnes, c’est la finesse avec laquelle Alain-Fournier peint ce passage d’un âge à un autre.

Si la version de Jean-Gabriel Albicocco peut souffrir d’une approche un peu trop baroque, elle a l’avantage d’exprimer de manière magnifique les élans des jeunes gens à la découverte de l’univers des sentiments naissants de l’adolescence.

● Le Grand Meaulnes (2006) de Jean-Daniel Verhaeghe

Quarante plus tard, le réalisateur Jean-Daniel Verhaeghe tenta à son tour de raconter l’histoire sentimentale du Grand Meaulnes. À la différence de son prédécesseur, il s’éloigna de l’histoire originale.

La dimension onirique parut absente de cette seconde version, et fut, sans doute, ratée. Il est à supposer que les droits du film ne seront plus aussi facilement accordés à un nouveau projet.

 

Oui, Albicocco demeure fidèle au roman d’Alain-Fournier (plus encore qu’à ceux de Balzac ou de Lanzmann qu’il a déjà adaptés ou à celui de Christine de Rivoyre, qu’il adaptera bientôt). Il demeure fidèle au texte, aux décors, aux costumes, à l’époque, à la tonalité nostalgique de l’œuvre, à la physionomie des personnages.

Le casting du film correspond trait pour trait aux personnages du roman : Alain Libolt joue un François Seurel timoré et efféminé, Jean Blaise adopte cet air dur et réservé du paysan qu’il est tout en effectuant, à moult reprises, ce geste qui consiste, dans les moments de réflexion, à se passer la main dans les cheveux, Alain Noury est mû par l’énergie détestable d’enfant gâté dont Frantz est prisonnier, nulle autre que Brigitte Fossey, angélique et candide jeune fille, ne pouvait mieux camper Yvonne et enfin Juliette Villard ressemblera effectivement au Pierrot auquel la compare Fournier. Chacun a la gueule de l’emploi.

Jean Blaise

Alain Libolt

 

Albicocco, en bon photographe, saura éclairer leur visage — et notamment celui de Jean Blaise — pour rendre palpable, jusque dans les pores de leur peau, l’émotion qui les gagne intérieurement.

Ainsi sera-t-on témoin de l’épuisement qui gagne Meaulnes grâce un éclairage qui lui creusera le visage, de sa lassitude grâce à une pénombre lunaire dans laquelle il s’affaissera, de son étonnement grâce à de scintillantes couleurs, de sa curiosité grâce à de chauds et aurifères éclairages, de la joie qui arrose son visage d’une lumière dorée quand il retrouve Frantz (lumière qui rappelle celle qui dévastait son visage lorsqu’il fut témoin, plus tôt, et sans le savoir, de sa tentative de suicide), on l’éclairera de lumières vives quand il sera mû par la colère et de lumières pâles quand il sera rongé par les remords, on nous montrera un visage plongé dans le noir que découpera une tranchante lisière lumineuse pour souligner sa force de caractère et un visage que dévorera une ombre inquiétante pour insister sur la faiblesse qui le fait chanceler, on nous montrera un visage lumineux perçant sous l’ombre des feuillages pour insister sur la décision qu’il vient de prendre et un visage plongé dans la pénombre pour marquer le deuil qui l’accablera. Chaque fois, la lumière est mise au service de l’émotion.

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Tiré du blog : https://www.panorama-cinema.com/V2/critique.php?id=1457

Blog sur le pays  de l’écrivain : http://www.periberry.com/article-l-album-du-grand-meaulnes-118091596.html

Le film en copie, en plusieurs parties sur YT (voir la suite sur la chaîne de  JBMmania) : https://youtu.be/6S6oi0NKja4

Le tournage, reportage INA, une France disparue : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf93017756/le-grand-meaulnes

Le livre lu à voix haute, sur You tube (à écouter sur son téléphone !) :

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13 Commentaires

  1. Cessez de prononcer le “l” de Meaulnes. Il est oisif, comme dans “aulne”. Merci.

  2. Merci @ Jules Ferry pour cet article magnifiquement écrit qui rend un hommage mérité au roman d’Alain Fournier à travers l’évocation de son adaptation par le cinéaste Albicocco.

  3. Merci pour ces superbes cadeaux, M. Ferry !

    Il existe aussi un film de Julien Duvivier ” Marianne de ma jeunesse” qui transmet assez bien à l’écran l’atmosphère magique du Grand Meaulnes, pour lequel il n’avait pas obtenu les droits d’adaptation.

  4. Oui merci pour cet article
    Un rappel pour moi
    Le grand meaulnes d’Alain Fournier : mon roman préféré lu il y a bien longtemps… inoubliable.
    Meilleur film avec Brigitte Fossey
    Quelle grâce
    Merci

  5. merci pour ce rappel d’un film inoubliable qui ne trahit jamais un livre culte qui méritait qu’on ne s’en éloigne pas

  6. Merci, Jules, de ce sujet original qui nous replonge dans notre enfance (enfin, pour ceux qui ont pris un peu d’âge…) et dont ton article est remarquablement documenté et écrit.
    Quand je dis qui nous replonge dans notre enfance c’est parce que nous l’avons tous lus il y a longtemps, mais ce roman Le Grand Meaulnes est évidemment d’actualité et le sera pour toujours.
    Nous sommes beaucoup à l’avoir lu hormis les musulmans qui préfèrent lire le Coran dans lequel on leur apprend à bien trancher les têtes des mécréants.
    Combien d’autres chefs-d’œuvre auraient écrit Alain-Fourniersi l’humanité ne passait pas son temps à se faire perpétuellement la guerre pour servir les pouvoirs et les enrichissements.
    Merci pour ce moment merveilleux que tu m’a fait passer.

    • Cher Cachou, merci mais rien de remarquable dans mon petit bricolage. C’est l’occasion de te dire que la rubrique cinéma ne demande qu’à être alimentée par ta plume et tes talents uniques de mise en page ! Sciences, musique et je parie que tu t’intéresses aussi au 7ème art, alors à bientôt j’espère pour du beau et du bon !

      • POST 1 sur 2
        Il est vrai que le cinéma que l’on appelle 7ème art en est véritablement un. Comme tu le sais, et comme le sont énormément de gens je suppose, tout m’intéresse. Une journée sans avoir appris quelque chose, quelle qu’elle soit, ne peut pas être une véritable bonne journée pour moi. Je suis persuadé que c’est la même chose pour tous les auteurs de RR et une grosse partie de ses électeurs.
        Donc le cinéma m’intéresse évidemment, mais je dois l’avouer, à dose modérée. Bien évidemment j’ai aimé, et aime toujours, tous les grands classiques des 30 glorieuses et antérieurs. Le cinéma plus récent me laisse davantage sceptique. Ce sentiment est renforcé, hélas, depuis de très nombreuses années, par les 1er prix du Festival de Cannes. Ces 1er prix, sauf exception comme toujours bien entendu, sont des horreurs.

      • POST 2 sur 2
        Tu n’auras aucune chance si ton film n’est pas très gauchisant, voir communiste, s’il ne fait pas la promotion des chances pour la France, des monirités psychopathes, ou s’il ne fait pas la promotion, que dis-je, s’il ne met pas en première place les sujets, lesquelles obsèdent la gauche, à savoir l’homosexualité, le mariage homosexuel, l’adoption, la GPA, et tout le tralala de ce genre de choses. Avoir un 1er prix à Cannes, c’est être 1000 fois plus que le politiquement correct.
        Alors, même si cela reste un événement quasi inexistant pour moi, ça n’incite pas à aimer le cinéma. Cela dit, je reconnais ma faiblesse cinématographique due à un certain manque d’intérêt, mais entièrement à tort me concernant.
        J’ai vu que tu alimentes admirablement cette rubrique pour la quasi-totalité des articles. Je te promets, si d’aventure un film m’a bien plut, d’en proposer un article sur RR.
        Merci à toi, ami patriote Jules.

  7. Un roman mythique, qui me fit rêver, de la poésie, du romantisme à l’état pur, roman désespérant et si lumineux à la fois, tragique, et si humain . J’ai résidé dans le Berry durant quelques années. J’ai visité la Chapelle d’Anguillon, son château, le musée Alain Fournier. Merci, Jules, pour cette belle évocation.

  8. Je me suis toujours demandé auquel des deux personnages, Augustin Meaulnes ou Alain Seurel, s’identifiait Alain Fournier en écrivant son roman.

    Car, en fin de compte, tout le sens profond (caché ?) de cette oeuvre est là : les personnages principaux sont les deux garçons, Yvonne de Galais n’apparaît qu’en filigranne et n’est qu’un faire-valoir.

    Et ce qui ressort au final, c’est l’opposition diamétrale de tempérament entre ces deux garçons – malgré leur amitié – l’un masculin et viril, l’autre effacé et résigné.

    • De sorte que Le Grand Meaulnes est peut-être une histoire d’hommes, en ce sens qu’il pose la question de savoir ce qu’il doit ETRE et ce qu’il doit FAIRE, et quel est son destin : la femme est-elle un idéal inatteignable ? devra-t-il se tourner vers l’extérieur comme le fait Meaulnes, ou rentrer dans le moule bien sagement comme un Seurel qui sera instituteur comme son père ?

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