Le privé sous contrat : béquille ou proie de l’Education Nationale ?

Alors que l’École publique perd de sa crédibilité, nombreuses familles pensent trouver le salut auprès d’établissements privés sous contrat. Qu’en est-il exactement ?

Un chef d’établissement du privé catholique a bien voulu répondre à nos questions. Encore en activité, il a souhaité garder l’anonymat. Nous l’appellerons Vladimir. Après un succès au CAPES, il a opté pour l’enseignement privé sous contrat, ce qui était possible au début des années 80. Après 20 ans d’enseignement, il a choisi cette voie et dirigé différents types d’établissements y compris technologiques et professionnels.

 

RL : Depuis l’échec du projet de loi Savary de 1984, faisant suite à la tentative de Mitterrand de créer un  « grand service public unifié et laïque de l’Éducation nationale », l’enseignement privé catholique sous contrat semble toujours aussi attractif : il compte 7274 établissements, 138000 enseignants et s’adresse à 2,1 millions d’élèves. Peut-on dire aujourd’hui  qu’il a su conserver sa spécificité ?

Voilà la question essentielle. D’une certaine façon, on peut dire que oui : le caractère catholique est spécifiquement précisé dans les statuts de l’enseignement privé. La seule spécificité d’un établissement privé sous contrat est dans ce qualificatif. Un peu d’histoire est nécessaire : tout d’abord une précision sémantique : l’enseignement catholique n’existe pas. Ce qui existe ce sont des établissements catholiques. L’enseignement dispensé dans ces établissements est laïque comme dans l’enseignement public. L’établissement est soit sous tutelle diocésaine soit congréganiste (comme les établissements rattachés au charisme des Filles de la Charité ou encore les établissements salésiens qui relèvent du charisme de Saint Jean Bosco et bien d’autres). Un établissement sous tutelle diocésaine est obligatoirement rattaché à une paroisse.

Par exemple à Paris : l’établissement Fénelon Sainte Marie dans le 8ème arrondissement est rattaché à la paroisse Saint Augustin ; le lycée Saint Louis de Gonzague (alias » Franklin ») dans lequel Brigitte Macron a été professeur après ses péripéties picardes, est sous  la tutelle des Jésuites.

Ce caractère de rattachement confère à l’établissement sa vocation catholique.

La mission essentielle du chef d’établissement (on ne parle pas de « proviseur ») est de faire vivre caractère propre dans l’établissement qu’il dirige (1).

A ce titre, le chef d’établissement dans l’enseignement privé sous contrat est nommé par trois instances : le diocèse ou la tutelle congréganiste, le rectorat, et le président de l’organisme de gestion, chargé des finances de l’établissement.  Chaque établissement doit posséder un tel organisme de gestion.

Il reçoit sa lettre de mission de l’Évêque ou de l’autorité de tutelle congréganiste.

Maintenant comment se décline dans chaque établissement ce caractère propre voilà une autre affaire. Un élément de réponse peut se trouver  au renvoi 2.1.4 du lien suivant :

https://enseignement-catholique.fr/wp-content/uploads/2016/12/hs_regard-sur-l-enseignement-catholique.pdf

RL : Quelle évolution avez-vous constatée quant au public qui s’adresse à ces écoles.  Le profil sociologique des élèves a-t-il changé ?

Pour l’attester, un rappel historique est nécessaire : avec la Loi Debré du 31 Décembre1959 et l’instauration de la notion de contrat d’association (2),  il y a obligation pour ces établissements d’être ouverts à tous. Par exemple, un établissement ne pourrait refuser des élèves qui ne seraient pas baptisés. Depuis cette Loi par laquelle l’État contribue financièrement au fonctionnement des établissements privés sous contrat, l’accès à ce type d’établissement a donc été facilité : prise en charge de la rémunération des enseignants, forfait versé à l’établissement en fonction du nombre d’élèves, subventions des régions s’il faut par exemple adapter des bâtiments à de nouvelles exigences légales (accessibilité handicapés, normes environnementales …)

A la rentrée de 2021 (nous n’avons pas encore les chiffres pour 2022) les établissements privés catholiques sous contrat scolarisaient 15,5% de la population scolaire globale. Si l’on ajoute les établissements agricoles et le post-bac, on arrive à un chiffre de 2.087.786 élèves et étudiants. (3)

Jusqu’à la fin des années 80, le profil des élèves était encore marqué par une appartenance à des familles de tradition chrétienne,  surtout dans l’enseignement général.

Les établissements privés ont créé ces 40 dernières années des formations techniques et professionnelles, ce qui a attiré des élèves issus de catégories sociales plus modestes, dont de nombreux boursiers.

Le coût d’une scolarité demandé à une famille pour un élève est très différent d’un établissement à un autre et d’une région à une autre. Il couvre le caractère propre et l’entretien des bâtiments. Dans une ville comme Paris, ce coût pour une année scolaire, hors restauration,  oscille en lycée général entre 1500 € (comme à Sainte Geneviève Paris)   et 2900 euros (comme à Franklin !). Pour information, la très célèbre École Alsacienne (établissement privé sous contrat laïque) où M. Pap‘Ndiaye a mis ses enfants, demande 1016 € par trimestre pour le second cycle.

https://enseignement-catholique.fr/wp-content/uploads/2016/12/hs_regard-sur-l-enseignement-catholique.pdf (2.1.2)

https://enseignement-catholique.fr/wp-content/uploads/2022/03/407_ECA_DOSSIER_sans-liens.pdf

 

RL : Ressent-on une évolution dans la motivation des parents qui optent pour le privé ?

De nombreuses familles se tournent vers les établissements privés sous contrat pour échapper à la massification et à la dégradation de l’enseignement public. Et cela d’autant plus facilement que le privé sous contrat échappe (mais pour combien de temps ?) à la carte scolaire.

Les parents viennent chercher un encadrement, une rigueur qu’ils disent ne plus trouver dans l’enseignement public. Quitte, pour certains, à contester cette rigueur lorsqu’elle s’applique à leurs enfants ! Ainsi, une certaine contradiction existe parfois dans la démarche des parents.

Dernièrement, à Tours, au groupe scolaire privé Sainte Jeanne d’Arc, la contestation d’un père qui avait envoyé ses fils en jupe à l’école, a défrayé la chronique locale et nationale. Le lendemain, en signe de protestation, il s’est présenté lui-même à la direction de l’établissement  avec ses enfants … en jupe !

https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/06/18/la-france-buissonniere-en-jupe-a-l-ecole-le-garcon-mis-au-ban_6130895_4497916.html

Une question essentielle se pose aujourd’hui : comment faire vivre le caractère propre de l’établissement face à des élèves et à des parents qui n’ont aucune préoccupation religieuse ?

Il est possible de dire que certains établissements sous contrat ne trouvent pas de solution. Il arrive souvent que 80% de leur population scolaire ne revendique aucune appartenance chrétienne. De nombreuses familles musulmanes s’adressent aussi et de plus en plus, à cet enseignement privé, qui garantit, en accord avec la Loi Debré, le respect de la liberté de conscience.

Face à un nouveau public, les établissements privés sous contrat affrontent les mêmes difficultés sociétales : délitement de l’autorité, violence, harcèlement, toxicomanie …

Trop souvent les médias restent silencieux  et ne mettent en exergue que les difficultés rencontrées dans l’enseignement public, entretenant ainsi le mythe selon lequel les élèves seraient plus à l’abri.

Ceci dit, nombreuses familles, soucieuses de l’encadrement de leurs enfants, y trouvent leur compte.  La liberté d’organisation de la vie scolaire permet un meilleur encadrement. Des salariés en nombre conséquent sont recrutés pour mieux encadrer les élèves, ce qui est un plus par rapport aux écoles publiques, dont le nombre de surveillants est en constante diminution. D’ailleurs, on n’y parle même plus de « surveillants » mais d’ « assistants éducatifs ».

http://www2.senat.fr/questions/base/2002/qSEQ021003002.html

RL : Jordan Bardella fait souvent référence au lycée Jean Baptiste de la Salle de Saint Denis. Cet établissement est-il emblématique d’une stratégie d’évitement de la part des parents qui redoutent l’enseignement public dans territoires dits de reconquête républicaine ?

Aujourd’hui, il existe une mixité sociale importante dans de nombreux établissements privés. Nombreux parents ont une image idyllique de l’enseignement privé qu’il convient de modérer.

En réalité, et pour avoir connu différents types d’établissements, on peut dire qu’il existe un enseignement privé à deux vitesses : certains restent des bastions protégés en pratiquant une forte sélection des élèves, non seulement à l’inscription mais aussi durant leur parcours scolaire.

Ce processus est encore accentué avec l’informatisation du processus d’orientation post –bac : le fameux logiciel Parcours Sup.

Mais d’autres établissements, plus soucieux de leur mission éducative que de leur image de marque, récupèrent des élèves en échec  y  compris venant du public. Ils servent parfois de vitrine pour faire oublier la pérennité d’établissements d’élite, fréquentés par la « bonne société » que l’on connait, où l’entre soi règne en maître.

RL : Avez-vous l’impression qu’au fil du temps, l’étau étatique se resserre ?

Depuis longtemps déjà, les injonctions pédagogiques sont les mêmes que dans l’enseignement public : les établissements privés sous contrat doivent impérativement appliquer les horaires et les programmes concoctés par l’Éducation Nationale. Les enseignants sont des maîtres contractuels de l’État et rémunérés par lui. D’où parfois, une allégeance toute relative envers leur chef d’établissement.

Un espace de liberté subsiste à travers le projet d’établissement qui définit l’orientation générale de la politique de l’établissement. Il offre notamment un cadre aux interventions d’acteurs extérieurs. Il va de soi que la venue d’une association militante qui ne respecterait pas les fondements de l’enseignement de l’Église catholique n’est pas possible.

Malgré cela, l’emprise de la rue de Grenelle ne cesse de croître, et l’informatisation de la gestion y participe grandement : comme dans les établissements publics, les bases élèves doivent remonter régulièrement auprès du rectorat, les ouvertures de classe sont soumises à agrément, et chaque établissement dispose d’une dotation horaire globale avec laquelle il doit composer.

Peu à peu les différences avec le public s’amenuisent au point qu’on peut se demander si finalement, la Loi Savary avortée n’a pas atteint son objectif : celui de fondre tous les établissements publics et sous contrat de France, dans un « grand service public unifié et laïque ».

L’école libre ne sera-t-elle pas dans un proche avenir, le seul espace éducatif de liberté ?

Propos recueillis par Hector Poupon

https://ripostelaique.com/le-prive-sous-contrat-bequille-ou-proie-de-leducation-nationale.html

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3 Commentaires

  1. J’ai été très surpris de constater que dans le privé les enfants sont plus nombreux dans les classes.

    La recette est très simple :
    Devoirs tous les jours avec signature des parents sur les devoirs notés.
    Discipline stricte avec silence dans les classes.
    Profs impliqués et rigoureux.

    Et ça fonctionne très bien !!

  2. L’École privée, catholique, est un leurre, elle accueille des musulman. Blanc bonnet et bonnet blanc.

  3. L’étau se resserre autour de ce qu’il reste de liberté.
    Tous sous le même joug, tous à la même enseigne, égalitarisme obligatoire.
    Debré se doutait-il qu’avec sa loi, il allait ouvrir la voie aux islamistes dans les écoles “catholiques”, qui n’ont finalement de catholique que le nom.

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