J‘ai vécu en banlieue parisienne jusqu’à ce que mon père parte pour l’Algérie. Après, nous nous sommes réfugiés à Tulle, vu les dangers que nous courions à cette époque. Le FLN perpétrait de nombreux attentats, aidé en cela par des porteurs de valises (argent, armes, explosifs) français, collabos nouvelle version, qui n’ont jamais été inquiétés par la Justice. Peut-être les mêmes qui avaient eu une attitude ambiguë ou qui avaient trahi lors de l’Occupation et qui avaient échappé à l’épuration.
En ce temps-là, le danger était partout. On pouvait vous abattre à la sortie de votre domicile ou de votre travail, piéger votre véhicule. Nous n’allions à l’école qu’accompagnés d’adultes, et des policiers en civil assuraient l’entrée et la sortie des classes. On nous avait bien recommandé de refuser les friandises et les gâteaux offerts par des étrangers, surtout de la part des Nords-Africains. C’était la psychose. Un fonctionnaire habitant au deuxième étage avait été abattu dans la cage d’escalier. De la cervelle éclaboussait les murs. Nos parents préférèrent nous faire prendre l’ascenseur pour éviter d’apercevoir cet affreux spectacle. Mon père ne revêtait son uniforme qu’une fois arrivé à la caserne, à Vincennes, où il était affecté. Il s’était procuré un pistolet de calibre 7,65mm qu’il emportait avec lui.
J’avais un camarade, Sauveur Bortolussi, le fils d’un gardien de la paix. Je n’ai pas oublié son nom. Pour son âge, c’était déjà une armoire à glace. Nous avons tout de suite sympathisé. Scolairement, il avait beaucoup de difficultés. Il faisait le désespoir de notre institutrice. Sans le vouloir, il avait beaucoup d’humour et de répartie. Á l’enseignante, qui lui demandait ce qu’il comptait faire comme métier avec un niveau aussi déplorable, il avait répondu qu’il serait policier comme son père. «Pas besoin d’être intelligent pour entrer dans la police, mon père y est bien, lui», lui avait-il déclaré. Il avait aussi une autre particularité : il pouvait dormir n’importe tout. Quand on le mettait au coin, il appuyait sa tête contre le mur et s’endormait aussitôt, si bien que finalement notre maîtresse d’école avait renoncé à l’y envoyer. On s’était pris d’amitié. À la récréation, il me protégeait des élèves belliqueux, et je l’aidais à faire ses devoirs, lui expliquant ce qu’il n’avait pas compris. On ne se quittait plus.
Sur le chemin de l’école, nous passions devant un bidonville, habité par des Algériens. Les adolescents de ce camp nous jetaient des excréments, parfois des cailloux, et nous mimaient le sourire kabyle en nous assurant que nos mères et nos sœurs seraient violées après que nos pères auraient trouvé la mort. C’est depuis ce jour que je suis devenu patriote, sans le savoir. Je ne supportais pas d’être insulté, menacé dans mon propre pays par des personnes que je jugeais n’avoir rien à y faire. L’ami Bortolussi avait trouvé la parade : une main sur la hanche droite, l’autre mimant un canon, il faisait semblant de les arroser à la mitraillette en mimant le bruit de cette arme. Puis il leur criait : OAS, OAS! Les autres devenaient blêmes et regagnaient leurs cabanes. Un jour, un beau jour, ils ont démoli ce campement. Suite à des plaintes? Peur que la situation ne s’envenime? Les occupants ont été évacués, peut-être vers leur douars respectifs. Quelque temps après, nous avons été réinstallés dans une école flambant neuve, construite dans la cour de notre immeuble. Un peu plus de sécurité pour nous. Sauf qu’un jour nous avons eu une alerte à la bombe. Nous avons évacué les lieux en toute hâte. Heureusement personne ne fut blessé. La lâcheté de ces gens-là était telle qu’ils n’hésitaient pas à s’en prendre aux enfants. Alerte bidon, les artificiers ne trouvèrent rien.
Les jeudis, les gamins des trois bâtiments de notre cité se retrouvaient pour jouer sur le terrain vague. On s’amusait à faire la guerre… d’Algérie. On désignait certains d’entre nous pour tenir le rôle des fellaghas.Bortolussi faisait le tri. Étant son ami, j’étais exempté de jouer le rôle d’un terroriste. Ça n’avait pas l’air de leur plaire, rien qu’à voir la tête qu’ils faisaient. Quand ils avaient perdu la bataille, mon copain Bortolussi les avertissait qu’ils étaient condamnés à mort et commandait un peloton d’exécution… armé de pistolets à amorces.
D’autre fois, nous jouions à copier des films de capes et d’épées, en brandissant des rapières en matière plastique reçues en cadeau de Noël. Il est heureux qu’aucun de nous n’ait été blessé.
C’était ça nos jeux. Il faut dire que notre banlieue n’offrait guère de distractions. Hormis les menaces du FLN, c’était plutôt tranquille. Une banlieue grise, avec une myriade de petits pavillons, un hospice pour les personnes âgées, qui sortaient les dimanches habillées d’uniformes bleu marine avec boutons dorés et casquettes galonnées d’or. Des usines qui crachaient la fumée. Mais c’était la France, la France de mon enfance. La convivialité, les voisins s’invitaient pour l’apéritif, ils organisaient des concours de pétanque dans la cour. On s’entraidait. Quand quelqu’un était en panne de voiture, il y avait toujours quelqu’un pour offrir ses services. J’y suis revenu un jour et je n’ai rien reconnu. C’était devenu un coupe-gorge. Le grand remplacement avant l’heure. Nous vivions tous en bonne intelligence, et vu le nombre de résidents dans la cité, il ne se passait rien, ou presque. Là, c’était devenu la zone, de non-droit, et dangereuse pour le Gaulois.
J’en suis venu à détester, même à haïr ceux qui ont permis cela. Je ne peux plus les voir sur un écran sans ressentir une immense colère, de la haine. De voir ma France, notre France disparaître jour après jour me met hors de moi. J’ai perdu mon ami Bortolussi de vue. La vie est ainsi faite. J’espère qu’il s’en est bien sorti. Peut-être est-il devenu gardien de la paix comme son père. Ou militaire. Il aurait fait un magnifique soldat. S’il me lit un jour, s’il est encore de ce monde, qu’il sache que je ne l’ai jamais oublié. Salut l’ami!
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Très bel article, et plein de vérités qui sont cachées à la population. Ce n’est qu’un sentiment d’insécurité comme dit le chef des juges ! Voilà pourquoi on veut faire taire l’ami Z. Un ancien d’AFN, para et 30 ans de terrain d’anticriminalité.
Et à Amiens , la nuit , les communistes armés d ‘1 balai et un seau de toilette ( vrai )plein de peinture blanche inscrivaient sur les routes » paix en Algérie » Le chef coco du quartier était un brave type, dévoué et commerçant en robineterie
l’on se foutait de leur gueule Mais s ‘était une autre époque
Merci de nous faire découvrir la vie à cette époque dans cette banlieue. Du vécu , c’est ce que je préfère.
Formidable ! Merci Argo, pour ce partage
Bonjour,
Un grand merci pour ce récit, Argo.
Témoignage émouvant, bien écrit de surcroît, qui s’inscrit dans la continuité de notre littérature populiste que les gendemédias parisiens ont remplacé par une littérature de bobos créolisés.
J’ai connu cette époque pas facile !je te souhaite que tu retrouve ton ami , j’espère qu’une connaissance commune a vous deux lira cet article et fera la liaison .