Jean Carrière est né à Nîmes le 8 août 1928 et décédé en cette même ville le 8 mai 2005. Il naquit dans une famille de musiciens, son père était chef d’orchestre et son grand-père maternel, Toussaint Paoli, tenait un magasin de lutherie à Nîmes. Il choisit la critique musicale quand il débute dans le journalisme à Paris en 1953.
Ne se plaisant pas dans la capitale, il repart pour le midi et se fixe à Manosque auprès de l’écrivain Jean Giono qui l’encourage à écrire et lui donne les éléments pour rédiger sa biographie, biographie parue en 1991.Deux récits de Jean Carrière paraîtront dans une revue régionale, Les Cahiers de l’artisan.
Pour la télévision, Jean Carrière tourne en collaboration avec Frédéric-Jacques Temple un film inspiré du roman de Giono Le Hussard sur le toit. Devenu réalisateur de radio et de télévision, Jean Carrière est responsable de plusieurs émissions à la station régionale Languedoc-Roussillon.
Son premier roman paraît en 1967, Retour à Uzès, qui obtient un prix de l’Académie française. En 1972, L’Épervier de Maheux lui vaut le prix Goncourt. Un succès, deux millions d’exemplaires vendus, L’Épervier de Maheux a été traduit en quatorze langues. Il considère ce succès littéraire comme l’irruption du malheur; son père meurt écrasé par un chauffard, il divorce. Cela le plongera dans une profonde dépression. Quinze ans plus tard, ces événements lui feront écrire Le prix d’un Goncourt. Avant cet ouvrage, il aura écrit La Caverne des pestiférés en deux tomes, les Années sauvages, des essais sur Julien Gracq, sur Giono, un livre d’entretiens, Le Nez dans l’herbe. S’ensuivra une dizaine d’ouvrages, dont le dernier Passions futiles est sorti en 2004. Il préparait un nouveau roman et un livre sur Maurice Ravel lorsque la mort l’a saisi.
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L’Épervier de Maheux nous conte l’histoire d’une famille de paysans cévenols, protestants, les Reilhan. Elle est composée du chef de famille, dit le Taciturne, qui a épousé une lointaine cousine en lui expédiant des lettres recopiées dans Les Veillées des Chaumières, de ladite cousine et épouse, d’Abel le fils aîné, un être frustre, doté d’une force herculéenne, et de Joseph-Samuel, chétif, indolent, plus intelligent que son frère, mais fragile psychologiquement, éternel insatisfait et quelque peu sournois. L’épouse de Reilhan le Taciturne, se sentant flouée par la façon dont son époux l’a séduite, lui en voudra toute sa vie. Il la trompera une deuxième fois en annulant la vente de Maheux à son insu, vente qui devait leur permettre de quitter cet endroit inhospitalier et de s’installer vers des contrées plus clémentes.
Le destin de cette tribu va basculer le jour où le père va mourir, foudroyé par une rupture d’anévrisme. Joseph sera recueilli par le pasteur venu célébrer les funérailles du Taciturne. L’homme d’église le formera pour en faire son factotum. Abel restera sur la propriété et épousera Marie Despuech, la fille d’un ami de la famille.La mère mourra, devenue démente. Lors d’un été particulièrement sec, la source où se ravitaillaient les Reilhan ne coule plus. Abel est obligé d’aller chercher de l’eau à Saint-Julien d’Arpaon à l’aide de bonbonnes et d’une brouette. Il arrive parfois que le destin nous fasse un signe, Abel le rencontrera en la personne de Deleuze, un facteur, qui le convaincra que l’eau coule à l’aplomb de la ferme, et qu’il suffit d’aller la chercher en creusant la montagne. C’était peut-être le Diable qui passait son pied fourchu par la botte de l’homme de la poste, car c’est cette information qui fera la perte d’Abel. Dès lors, celui-ci n’aura qu’une idée en tête, trouver la source qui transformera sa propriété en jardin d’Éden. Il utilisera de la poudre noire pour faire sauter la roche qui le sépare de l’eau salvatrice. Sa femme le quittera, excédée par son obsession. La ferme ayant brûlé en partie à cause de la foudre, le malheureux retournera dans sa caverne et mourra écrasé sous des tonnes de roches suite à une dernière explosion. Suicide, maladresse, personne ne le saura jamais. C’est Joseph qui gravera le nom de son frère et les dates de sa naissance et de sa mort dans la pierre à l’entrée de la grotte. Il finira libraire dans une petite ville, revenu de tout et désabusé.
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Voilà, je vous ai résumé le livre de Jean Carrière. Je vous invite à le lire dans son entier. Le style Carrière est inimitable, le lyrisme, la beauté des mots, les descriptions des paysages, de la vie tout court atteignent le sublime. C’est sa marque de fabrique.
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Ayant lu L’Épervier de Maheux, j’ai voulu aller sur les traces de Jean Carrière et j’ai passé tout un mois de vacances dans les Cévennes, dans un minuscule village. Il n’était pas de ce pays, mais d’en bas, de Nîmes comme il se plaisait à le dire. Mais c’était un amoureux de la région, et il arpenta ces endroits lors de randonnées. L’idée de l’Épervier de Maheux lui a peut-être été soufflée par un ami à la terrasse d’une auberge de Florac, qui lui conta l’histoire d’un homme écrasé sous la montagne alors qu’il y cherchait de l’eau. Selon d’autres sources, si je puis dire, ce serait peut-être l’histoire d’un spéléologue qui aurait fini ainsi. Quant au titre de l’ouvrage, il fait allusion à la manie qu’avait Abel de tirer sur un épervier qui survolait Maheux à l’aide d’un vieux chassepot, inefficace pour atteindre le rapace. Jean Carrière séjourna longtemps dans son chalet à Saint-Sauveur de Camprieux, près du mont Aigoual et finit ses jours à Domessargues dans le Gard.
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Je me suis rendu en compagnie de mon épouse, qui me passe toutes mes escapades littéraires, à Saint-Julien d’Arpaon. À l’époque, le village avait encore son bureau de poste, sa mairie. Aujourd’hui il constitue une nouvelle entité administrative avec une autre commune. J’ai parcouru les rues du village, m’imprégnant de l’atmosphère des lieux, imaginant les commerçants qui animaient autrefois la petite localité. Il y a un temple, et une église catholique en cours de restauration, preuve s’il en est qu’il y avait autrefois deux communautés. J’ai poussé jusqu’à Mazel-de-Mort, là où sont censés avoir habité les Despuech, le beau-père et l’épouse d’Abel, hameau situé à 1Km du col de l’Oumenet, au flanc de la rivière la Mimente. Ce n’était et ce ne doit être toujours qu’une ruine. J’ai pu voir la source où dans le roman Abel se ravitaillait en eau. En réalité, Jean Carrière a situé Mazel-de-Mort plus haut, juste sous les calcaires de la can de Ferrières. Une can est une portion de plateau pierreux. Je n’ai pas cherché Maheux, car ce lieu est sorti tout droit de l’imagination de l’auteur. Peut-être s’est-il inspiré d’autres endroits rencontrés au cours de ses promenades. Au-dessus de Mazel-de-mort commence le pays des hauts plateaux et des grandes solitudes, hiératique, empreint d’une beauté à la fois sauvage et majestueuse.
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J’ai pu apprécier mon séjour dans les Cévennes. Une particularité m’a sauté aux yeux, les cimetières familiaux protestants que Carrière a évoqués lors des funérailles des parents Reilhan. Une nécessité, puisqu’après la révocation de l’édit de Nantes, les membres de l’Église réformée n’étaient pas admis dans les cimetières catholiques. La tradition a perduré. Le hasard, ou le destin, nous fait parfois de singuliers clins d’œil. Le village où j’habite, bien des années après cette escapade en terre cévenole, est scindé en deux. Une partie protestante, et une partie catholique, les deux séparées par des champs et des bois. Il y a un temple dans le hameau d’obédience protestante et on peut toujours y voir la maison du pasteur. Dans la partie catholique, une église, l’ancien presbytère occupé par une association, et un petit couvent où résidaient des religieuses jusqu’à récemment. Chez les protestants, pendant les périodes de persécution, les défunts étaient inhumés dans les caves de leurs habitations. Lorsqu’il y a des travaux ou un éboulement de ces édifices, il n’est pas rare de tomber sur les restes de l’ancien occupant des lieux. Cela me rappelle les Cévennes et ses tombes familiales.
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Voilà, je suis arrivé au bout de mon propos. Je ne suis jamais retourné dans les Cévennes. Je n’aime pas les changements — et Dieu sait que le village de Saint-Julien a dû changer—, et je préfère garder en mémoire ces moments privilégiés où j’ai pu côtoyer un instant l’imaginaire et les rêves d’un écrivain singulier et attachant. Je gage que les ombres de Jean Carrière et de ses personnages hantent et hanteront à jamais ces lieux, là où l’ère des horloges n’a jamais réussi à imposer sa dictature, où l’espace et le temps semblent se confondre et se disputer le destin des hommes.
Je voulais faire court, et j’ai cédé encore une fois à ma verve, à mon lyrisme, qui sont mes défauts principaux. Je vous remercie pour votre patience et votre indulgence.
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Merci pour cette promenade dans les Cévennes ! Le lyrisme est bienvenu. Je viens d’écouter son entretien en 72 suite au prix Goncourt : « un écrivain qui parle de l’endroit où il vit retrouve le monde entier ».
Merci à vous surtout, pour l’évocation de vos souvenirs …
Jean Carrière est un très grand bonhomme et un très grand écrivain. Il a marqué notre enfance et notre adolescence. Sa disparition en 2005 nous à tous quand même touché.
Je trouve qu’il n’est pas assez mis en valeur aujourd’hui. Merci, ami patriote Argo d’avoir évoqué son souvenir.
Merci également de toute cette nostalgie que tu nous fais revivre par tes descriptions poétiques et émouvantes des Cévennes.
En te lisant, on revit. Car aujourd’hui, comme tu le sais, la vie s’enfonce de plus en plus dans le cauchemar.
Merci de ces moments de joies et de nostalgies.