Qui ne connaît pas Balzac? L’auteur prodigieux de la Comédie humaine, pas loin de 91 volumes. Une œuvre immense, où il dépeint la société de son temps, mais aussi où il rêve d’une société idéale dans son Médecin de campagne.
J’ai eu le privilège de séjourner deux étés durant au château de Saché en Indre- et -Loire, chez les guides d’alors, dans les années 60. Un de mes camarades scolarisé dans le même établissement que moi, ne rentrait chez lui qu’aux vacances de Noël, de Pâques, et d’été. Nous étant liés d’amitié, il est venu demeurer chez mes parents pendant les autres périodes, Toussaint, Mardi-Gras, et certains week-ends. Pour nous remercier, j’ai été invité par les parents de mon ami, guides au musée Balzac à Saché, à passer un mois d’été chez eux pendant deux années de suite. J’ai ensuite quitté cette école privée pour faire mon entrée au lycée dans la ville où mon père avait été muté. Nous nous sommes perdus de vue, c’est la vie, mais je ne l’ai jamais oublié. J’ai appris récemment qu’il était décédé, et j’en ai éprouvé beaucoup de tristesse.
J’étais déjà un fervent balzacien, et ce séjour au château de Saché n’a fait que conforter mon attachement particulier pour ce grand homme. Le château, qui appartenait à l’époque de Balzac à Jean de Margonne abrite un musée qui est consacré à l’écrivain. Balzac connut Saché grâce à ses parents, lesquels fréquentaient les Margonne. Il y séjourna dix fois entre 1825 et 1848, une année entière en mettant les séjours bout à bout. C’était pour lui un refuge qui lui permettait d’échapper à ses créanciers, mais aussi un endroit lénifiant où il pouvait écrire et se ressourcer. Saché fut le lieu d’inspiration de son Lys dans la vallée et le lieu de création du Père Goriot, des Illusions perdues, de César Birotteau, et de quelques autres, dix en tout. Balzac souffrait de problèmes pulmonaires et cardiaques, aussi ces séjours, loin de l’agitation parisienne, ne pouvaient être que bénéfiques à sa santé. Il se promenait dans les bois centenaires du domaine, rendait visite aux châtelains des environs, ou jouait au whist ou au trictrac avec Jean de Margonne.
La nuit, Balzac écrivait. Il avait la particularité de boire d’énormes quantités de tasses de café, cinquante par jour dit-on, qui dopaient son esprit. Il engloutissait en outre des tartines de beurre et de sardines pendant son travail nocturne. C’est peut-être cette addiction au café, dite caféisme, qui lui sera fatale. Il meurt à cinquante et un ans, en 1850, d’un œdème généralisé et de gangrène, l’organisme prématurément usé.
Du château de Saché, je me souviens du grand escalier qui menait à l’étage où se trouvait le logement du maître des lieux, de la petite guérite en bois peinte en blanc où les billets d’entrée étaient vendus, de la salle à manger à la tapisserie aux lions, des diverses pièces où l’on pouvait admirer des gravures, des tableaux, de magnifiques meubles, et surtout de la chambre d’Honoré.
Simple, monacale. Je me rappelle encore son bureau, encombré d’un vieux massicot pour couper le papier, de la cafetière et du moulin à café. Son lit, où il dormait jusqu’à minuit. Il y avait au premier étage, dans une vitrine, des petites figurines de terre cuite que Balzac faisait fabriquer. Chacune portait le nom d’un des protagonistes de sa Comédie humaine. Quand il faisait mourir un de ses héros, il couchait la statuette de façon à ne pas faire revivre le défunt dans un autre roman. Il y avait aussi le moulage en plâtre de la statue de bronze de Balzac réalisée par Rodin, une salle où étaient exposés des bustes d’hommes célèbres réalisés par différents sculpteurs.
Aujourd’hui, le musée a bien changé, des pièces reconstituant des scènes de la Comédie humaine ont été ajoutées, comme le Curé de Tours, et bien d’autres ajouts. Je ne veux pas me montrer critique, mais je gage que cela ne me plairait pas. Je trouverais certainement que le musée a perdu un peu de son authenticité. Je préfère me souvenir des moments où, après les visites, j’arpentais pour un moment les lieux. Je croyais parfois ressentir la présence effective de Balzac dans sa chambre. Les mots me manquent pour décrire cette impression, mais elle me paraissait réelle.
Dans la salle à manger aussi, car il avait la particularité de lire des passages de ses romans en cours d’élaboration à ses hôtes, peut-être pour se rendre compte de l’accueil que ferait le public à son nouveau roman. Je croyais percevoir le murmure de sa voix. Je sens encore le parfum citronné des fleurs des magnolias du parc. Je ne sais pas s’il y en a encore. Les guides et leurs enfants occupaient une aile du château. J’y ai passé des nuits paisibles, bercé par le chant des grenouilles,et des chouettes chevêches qui hululaient dans les frondaisons.
Le temps a passé, je n’y suis jamais revenu. Le temps qui efface les sourires de ceux que l’on aime, qui tue les rires des enfants, qui détruit à jamais les belles soirées d’été, le visage d’un ami, le murmure des conversations, le temps qui détruit la beauté, le temps, ce précipice où tout se fane à mesure, ce temps où nous avons passé un jour pour quelques secondes au regard de l’éternité.
Post scriptum : je voulais évoquer trois autres écrivains dont j’ai recherché les traces en allant à leur rencontre sur les sites où ils ont situé leurs œuvres, deux Cévenols et un Écossais, à savoir Jean Carrière, Jean-Pierre Chabrol, et Stevenson, à savoir les Cévennes où j’ai passé des vacances. Mais ç’aurait été trop long.Je ne désespère pas de le faire prochainement. Merci pour votre indulgence, amitiés.
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De tels lieux sont impressionnants. De part leurs propres structures et architectures certes. Mais surtout par leurs illustres occupant d’antan.
Comment ne pas se remémorer l’écrivain en train de travailler sur son bureau quand on se trouve devant lors d’une visite ? Tout cela est plein d’atmosphère et décrit par un grand poète comme l’est notre ami Argo.
J’ai eu de nombreuses fois toutes ces impressions de me sentir tout près d’un grand artiste quand je visite les lieux où il a habité et travaillé.
Je l’ai très fortement ressenti en visitant, il y a longtemps maintenant, la maison de George Sand à Nohant au sein d’un minuscule hameau au sud du Berry. Chopin et George Sand y vivèrent ensemble entre 1839 et 1846, loin de l’agitation parisienne. Chopin y composa (ou termina) la plupart des chefs-d’œuvre de la maturité, notamment sa célèbre Sonate n°2 op.35 dite « Funèbre », la 3ème Sonate op.58, la Tarentelle, la Fantaisie op.49, la Berceuse, la Barcarolle, de nombreux Nocturnes, trois Nouvelles Etudes, douze Mazurkas, deux Ballades, deux Scherzi, trois Impromptus, trois Valses et deux Polonaises dont la célébrissime Polonaise « héroïque »…
Quelle chance d’avoir passé des vacances d’adolescent dans ce château ! petit veinard !!
superbe partage de nostalgie, bien conté, bien agréable à lire, un petit souffle d’air frais.
Très agréablement conté. J’attends votre évocation de RL Stevenson sur son Chemin dans les Cévennes. C’est le GR 70 …
Bonjour,
Un grand merci, cher Argo, pour cette évocation originale !
Argo. Tiens toi bien ! Je n’ai pas lu une seule ligne de Balzac, Honoré de… Il n’est jamais trop tard. je vais creuser l’affaire ! Merci à toi.
Très belle évocation, Argo. Les lieux ont une âme et leurs anciens hôtes sont parfois encore là. Je vais lire Balzac à l’occasion., merci.