Rendez à César !
Je me souviens de ce jour très particulier. Après la sortie du métro, j’avais deux ou trois cent mètres à parcourir pour rejoindre le terrain de camping, en proche banlieue parisienne, sur lequel j’avais établi mon campement. Mais d’institution réglementée, organisée, protégée, institutionnalisée, ce territoire, a soudainement, en une seule nuit, perdu son statut de territoire civilisé, pour se trouver condamné à l’état sauvage. La direction, les êtres humains la composant, d’un seul coup, ont disparu. Tout ce beau monde avait pris la poudre d’escampette. Comme d’un claquement de doigt…
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Et, venant du diable vauvert, noria presque ininterrompue, une multitude de « campings », c’est ainsi qu’ils surnomment leur caravane, de fourgons, de bagnoles porte-outils, de remorques buanderie, s’empara des lieux et tout un fourniment fut déversé par des escouades patibulaires. L’endroit cessa d’être sur la terre de France.
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Je n’avais qu’un choix. M’accommoder, ou filer ! J’avais un peu pratiqué ce monde de bougres et de bougresses. Mon instinct ne me souffla l’ordre de déguerpir. La première nuit, rafales d’armes automatiques à l’intérieur même du périmètre. Sans doute une manifestation de joie. Mais rustique ! C’est par centaines, car l’endroit était d’une très grande superficie, que les arrivants se sont épandus, installés, en des bivouacs d’un autre âge. Leur première préoccupation, m’apparut-il, fut de détruire toutes les traces de commodités. Détruire. Pas simplement dégrader ! Plus de toilettes, de lavabos, bureaux, cagibis, douches, tout est mis à sac. Tout est mis à l’ordre du jour. A la manière romano, manouche, tzigane, gitane… Et de chier, ici et de chier là, de chier partout !
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Une tribu s’est installée tout autour de mon vieux camping. Ma roulotte est cernée. Mais ne sentant aucune animosité particulière, de la part de « ceux là », je repris au plus vite mes occupations principales . La plus importants consistant à… aller bosser !
Ce jour là, en fin d’après midi, ma petite sacoche en bandoulière, je regagne mes pénates. Passé l’entrée du camp, je n’ai que quelques dizaines de mètres à parcourir. En cercle, à quelques mètres de mon habitation un groupe d’hommes discute, me jetant des regards appuyés, mais sans animosité. Des enfants jouent. Ils jouent comme tous les enfants du monde. Je salue, on me répond. J’ouvre la porte et de suite je comprends. Ma caravane est très ancienne, mais très grande, un modèle familial. Face à la porte d’entrée, se trouve une grand fenêtre. Elle est ouverte? La machine à laver qui se trouvait à l’aplomb, elle, a disparu…
Pas besoin d’être finaud ! Ils, c’est tout ce qu’il me reste à dire, ont sorti la machine par la fenêtre… « Ils » !
Les hommes qui discutaient entre eux, m’attendaient avec leurs yeux braqués sur les miens, à la sortie de la baraque. L’un d’entre eux, le plus âgé , s’approche de moi, sans formalités, abruptement me dit : « Ne la cherche pas dans le camp. Tu vas la trouver. Mais tu vas trouver les hommes avec. C’est fini ! Nous on sait qui c’est. Mais ne la cherche pas ! C’est trop dangereux! » Une seconde ! Une seule seconde m’a suffi pour comprendre la totalité de son message.
–Bien ! J’ai fait.
–C’est bien garçon, m’a répondu l’homme.
Et nous voilà à entamer un échange surréaliste !
–T’es un gadjo, mais on t’a vu, t’es pas pareil que les autres.
-Oui, je sais.
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Pendant que nous parlons, un petit attroupement s’est fait. Les enfants et une vieille tournent autour, tout sourire. Je me sens bien, en confiance, à peine délesté d’une machine à laver flambant neuve.
–A partir de maintenant, me dit le patriarche, « ils » savent que tu es sous notre protection, il ne t’arrivera plus rien ! Mais ne cherche pas ta machine, garçon, c’est trop dangereux. Il y a des très mauvais ici.
Deux jours après j’ai été invité à leur barbaque ! Entre hommes ! J’ai oublié la lessiveuse et me sens maintenant parfaitement en sécurité, à la lisière de leur campement. Je sais que ce ne sont pas des mots que l’homme a prononcé. C’est un acte, un statut qu’il a mis en application. Personne ne touche le gadjo, il est avec nous !
J’apprends lors de cette boustifaille essentiellement de viande, qu’ils sont, eux, des forains, pas des manouches ou gitans ou autres. Ils veulent savoir pour quelle raison je vis de cette manière. La liberté, je leur sers. Le mot magique, le mot clé. Quand les canettes sont vides, quand la mienne est sifflée, une nouvelle m’est offerte. Immédiatement. Je sais que ces gens là m’ont… adopté ! Le lendemain, j’en ai la preuve. Et les jours suivants. Les enfants viennent jouer près de moi. Je suis des leurs. Une vieille, toute édentée, toute parcheminée, rentre chez moi, comme chez elle. Elle a besoin de sel. Elle en profite pour me demander pourquoi je suis seul.
-T‘es pas marié ? Un beau gosse comme toi ?
-Non, madame…
–Hé, me dis pas madame et elle m’allonge un prénom, dont j’ai depuis perdu l’énoncé, la trace, la musique
C’est ainsi que les jours, les semaines, se sont écoulées, sur cette terre, en dehors de la France.
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Un soir, les C.R.S. sont arrivés. En parlementaire, un officier a commencé les pourparlers. La palabre plus proprement dit. Il y a cet homme, en uniforme, d’un côté de la grille et cet attroupement, d’hommes tendus et rigolards à la fois, de l’autre, les épaules hautes et les cous rentrés ! Il y a un chef de ce côté là. Il faut ça. Pour parler à un gradé, il faut un chef, un qui ne s’en laisse pas compter. C’est surréaliste! L’officier, détendu, on sent le guerrier, explique qu’il va devoir entrer dans le camp et remettre l’ordre.
–Vous savez comment ça se passe ! On va rentrer et on va contrôler…
–Pas la peine de vous fatiguer, lui a de suite coupé le chef. Si vous rentrez, c’est la guerre. Combien vous êtes ?
–Vous savez qu’au final, la force restera à la loi, rétorque le gradé !
–C’est vrai, la force restera peut être à la loi, mais ce soir,vous ne rentrez pas, lui est-il renvoyé. Vous avez vu. On est là ! Et on est des hommes. J’assiste à la scène, aux premières loges
Partant de là, s’installe un rapport de virilité contenue de part et d’autres. Mais les C.R.S. sont partis, chaque tribu a regagné sa part de territoire. Et mes nouveaux amis protecteurs et moi avons éclusé un bataillon de canettes…Ces machos rigolards, mais loyaux.
J’ai quitté quelque temps après ce refuge qui devenait instable. Pour me retrouver à la lisière de Sartrouville, dans une cité de maisons basses, de petits pavillons exclusivement habités par des manouches. J’avais été coopté en quelque sorte et mon avenir en ces lieux, s’est révélé des plus insolites, des plus exotiques, des plus spectaculaires…
Mais c’est une autre histoire.
Tout ça pour dire que ma détestation de cette caste humaine, n’est pas venue en un jour et ne s’est jamais départie d’une sorte d’admiration, de fascination même ! Il se trouve que nous avons quelques valeurs en commun. Mais est-ce suffisant ? Il faut croire que non !
La machine à laver, je l’ai vue, sur le camp. J’ai tourné la tête de l’autre côté…
PACO. 21/08/2020.
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Oui Paco mais un CEP d’avant vaut largement un bac d’aujourd’hui!! la preuve!
Merci Christine ! Je crains toujours d’être un peu ennuyeuse avec mon côté « objecteur » ou pire de donner l’impression que je « corrige » ce qui a été dit et bien dit, mieux que je ne saurais le faire. Mais tout texte à ses limites, comme notre esprit et le mien en premier. Et j’ai une manie : celle d’essayer de creuser toujours plus une question, non pas en premier lieu pour en « enrichir » les autres, mais pour me conforter moi-même, étant d’un naturel aisément déstabilisé par l’assurance des autres !
Voilà ma confession – comme JJ Rousseau, que je sais que tu n’apprécies pas beaucoup en tant que personne, personne très complexe en effet quoiqu’il prétendait mais auquel je me suis identifiée dès les premières phrases que j’ai lues de lui !
@Paco,
Vous ne l’aviez pas écrit expressément, mais cela se comprenait entre les lignes.
En effet, je confirme l’appréciation de Christine : vos textes sont descriptifs, faisant ressortir le pittoresque et saisissant sur le vif la mentalité des gens.
@ Anne Marie.
J’ai oublié de le préciser, alors que j’avais vraiment préparé de le souligner, les gens qui m’ont pris sous leur aile étaient des forains !
Merci Christine. Harnaché de mon certificat d’études, j’apprécie que mon texte te semble magnifique. Au prochain donc !😁
Justement à cause de la liberté, il me semble que je n’aimerais pas vivre comme les gitans. Certes, ils sont libres par rapport à nos lois, mais peuvent-ils avoir l’esprit libre, peuvent-ils même s’intéresser à la politique des gadjo, à l’art des gadjo, à la littérature des gadjo ? ils me paraissent complètement enfermés dans leur groupe, ses coutumes et ses règles internes plus impérieuses que nos lois. Et je ne parle pas de la condition des femmes ! Toutes ces femmes que l’on voit avec un bébé pour mendier, généralement des roms, me paraissent mener des vies qui ne valent pas d’être vécues. Dans mon village, il y a des gitans sédentarisés. Ils sont énormes, débordant de mauvaise graisse, les enfants ont l’air aussi malsains. Un jour, l’un d’eux, jeune père de famille, devait prendre le train pour Paris, toute sa smala l’accompagnait avec des enfants. Tout ce monde mal fagoté, parlant fort, j’avoue les avoir regardé un peu de travers, agacée par leur sans-gêne. Comme le train n’arrivait pas, au bout d’une demi-heure, le chef de gare nous apprend qu’il est retenu deux gares avant et que la panne n’est pas réparable avant plusieurs heures. Il appelle des taxis et en attendant on finit par discuter, en fait c’est le jeune qui devait aller à Paris qui en prend l’initiative. Il s’avère que ces gens qui avaient l’air un peu idiot, sont en réalité certes déconnectés mais peuvent être d’une cordialité presque enfantine, touchante même.
Je suis vraiment navrée de leur enfermement dans leur groupe, même si j’ai rencontré par ailleurs une gitane qui avait quitté sa communauté, pour gagner sa vie en tant que transporteuse de clients d’une agence de voyage. Elle avait l’esprit très éveillé, pas du tout comme nos gitans sédentarisés, qui semblent entretenus par la collectivité pour ne rien faire. D’où la santé déplorable dans laquelle ils semblent être. Ils végètent. Est-ce une vie d’être humain ? Pas selon moi. Certes je connais aussi beaucoup de gadjo qui mènent la même vie et s’en tirent à peine mieux.
Bref, cela me déplairait vraiment de vivre à leur façon, à cause du manque de liberté.
Peut-on vraiment s’épanouir dans un tel milieu, dans ces conditions de vie ? Le sentiment de protection par le groupe, la solidarité sont certes des choses qui manquent souvent dans le monde des gadjo, mais n’est-ce pas la rançon de la liberté ?
Je peux me tromper après tout. Car les communautés ne sont-elles pas des microcosmes ?
En tout cas le monde des forains me paraît très différent, ils exercent des métiers qui ont leur noblesse avec un professionnalisme qui n’a rien à envier à celui des gadjo.
Merci Anne-Marie pour ce témoignage et ces réflexions et encore merci à Paco qui, avec ton texte magnifique, a permis ces échanges
Vous vous êtes essayé au vivre ensemble et avec les manouches c’est pas du coton!
Je remarque que vous ne vous êtes pas départi de votre propre personnalité et vous avez su garder votre lucidité .
Si les gens s’assument complètement sans se renier ils peuvent vivre des expériences comme les vôtres.
Je n’apprécie ceux qui s’identifient trop aux peuples dont ils souhaiteraient connaitre les habitudes de vie.
On peut-être gadjo et fier de l’être tout en appréciant certaines facettes de cette communauté dont pour ma part en tout cas je ne pourrais aucunement adopter la façon de vivre qui ne doit pas être de tout repos . ce qui ne m’empêche pas d’apprécier à leur juste valeur certains artistes gitans comme Camaron de la Isla le hippie gitan , Paco de Lucia , Tomatito le guitariste de Camaron et le flamenco et ses variantes qui sont magnifiques dont la rumba gitane de Manitas de Plata qui en était le grand spécialiste . Sans parler du Cante Jondo qui est une sorte de blues du gitan espagnol , et Terremoto de Jerez le grand chanteur gitan de Jerez de la Frontera. L a musique fait elle aussi voyager de la meilleure façon et c’est aussi une bonne façon de comprendre l’âme d’un peuple.
Pour ce qui est de votre cas, la rencontre a été fortuite , ce n’est pas vous qui êtes allé vers eux mais eux qui se sont invités autour de vous .C’est certainement votre liberté de l’époque qui a permis cette rencontre .
Merci Moktar, d’apprécier la fulgurance de cette trajectoire.
Mon cher Paco, je te jalouse. Pourquoi? parce que moi-même depuis très très longtemps je souhaitais aller à la rencontre de ces « Bohémiens ». Je crois d’ailleurs que nous en avions parlé.
Tu as donc vécu une expérience de la vie, de la connaissance des hommes que nombre d’entre nous auraient aimé vivre.
Comme l’indique l’ami Conan, fais travailler tes méninges et ponds nous d’autres nouvelles.
Merci mes amis d’apprécier le récit d’une de mes aventures. Avec les forains, j’en ai une autre, pas piquée des vers. Pour une autre fois et cul sec, c’est d’accord Machinchose. C’est vrai Paoli, il y a, j’ai hélas envie de dire, il y avait un code d’honneur chez ces gens la… Les nouvelles générations sont différentes…
Magnifique histoire racontée avec finesse, celle de Paco !
Bravo ,pour votre récit , la communauté des gens du voyages a un code honneur ,si vous les respectés ils vous respectent ,mais si ont les cherchent…ils ne reculeront jamais ,ils combattront . en 1995 suite a une action de représailles dans le sud du continent j’ai été blessé par balles , je me suis retrouvé dans un champs proche d’Arles ne pouvant plus me déplacer j’ai perdu connaissance proche d’un campement gitans évangélistes ,au bout de 3 jours je me suis réveillé j’étais dans une caravanne entouré d’hommes et d’une femme âgée qui me dit t’inquiète pas Gadjo le pire est passé ,notre toubib t’a extrait 2 balles , dans 15 jours tu pourra partir , dans attente mange ,on veut pas savoir ce que ta fait , chez nous tout traqué est un cousin, ils m’ont sauvé la vie , depuis ils font partie de mes proches amis ,chaque années ils viennent me trouver ici en Corse . Moi aussi je ne leurs demande pas ce qu’ils font.
Michto Paco !
des « nouvelles » comme ça sont éclusées trés vite, alors amigo, ressors le boutanche et sers nous au delà de l’ ivresse de ces rencontres, cul sec !!
Une ou deux nouvelles, cela me parait plus approprié… Pour le moment, je joins l’utile à l’agréable. excellente école !
Salut Paco !
Dans tes récits toujours ce bon goût de la vie et de la narration figurative, à l’opposé des absconseries de foutriquet …
Allez, sort un bouquin !
Les envahissements de terrains publics et privés, à la belle saison, sont dans une grande proportion, le fait de ces « évangélistes »… Chez eux, Jésus aime la castagne…
Belle tranche de vie Paco !!! Les gens du voyage sont aussi un univers, il y a fort à parier que ceux de Ciboure sont des « évangéliques ».