1990 • Mes Juifs soviétiques ? Je ne les retiens plus, bon vent !
Entre 1990 et 1992, 42.000 Juifs citoyens de l’Union soviétique ont quitté spontanément leur paradis communiste pour Tel-Aviv avec transit en catimini par Varsovie. Retour sur cette gigantesque opération aérienne méconnue.
À la fin des années 80, la conjonction de deux facteurs amena les Juifs d’Union soviétique à émigrer vers Israël, conformément à la loi juive du droit au sol originel de la diaspora.
Primo, la crise économique en URSS, un monolithe s’écroulant de lui-même ainsi que la montée de l’antisémitisme : « le Juif, responsable de tous nos malheurs », un grand classique de l’Histoire et pas uniquement allemande.
Secundo, le calcul purement économique d’Israël en manque de soldats, d’ingénieurs, de médecins etc. Le slogan ? Welcome
Sous Gorbatchev, il n’y a plus de réel intérêt de maintenir ces « Juifs éternellement problématiques » en cette gigantesque prison à ciel ouvertement soviétique. Ainsi, les premières autorisations à quitter le territoire de l’URSS furent délivrées sans encombre.
Opération Most
En février 1990, nous assistons au rétablissement des rapports diplomatiques entre la Pologne SOUVERAINE et Israël, Tel-Aviv et Moscou ne renouant qu’un an plus tard. Pour rappel, ces derniers avaient été rompus après la Guerre des Six Jours et la raclée infligée à la coalition arabe.
Le 26 mars 1990, le Premier polonais Mazowiecki rencontre les représentants du Congrès juif américain au New York Hôtel Plaza et déclare : « La Pologne accorde son aide aux expatriés juifs d’URSS en leur offrant le droit de transit par Varsovie »
Une vaste opération aérienne sous cryptonyme Most – Pont en polonais – est lancée en collaboration avec les services secrets polonais (espionnage, contre-espionnage), israéliens (Mossad, Nativ, Shin Bet), russes (KGB, GRU), américains (CIA, NSA), allemands et autrichiens. Plus de mille officiers polonais sont impliqués dans ce pont aérien humain.
Objectif sécuritaire face à la menace terroriste arabe
Il faut savoir que Moscou avait imposé à ses satellites d’Europe centrale une alliance contre-nature avec certaines nations du monde arabe. Ainsi, près de 12.000 Arabes, Syriens et autres séjournaient – légalement ou non – en Pologne lors de la chute du Mur.
Le 14 juin 1990, le premier avion rempli de Juifs russes atterrit à l’aéroport d’Okecie, aujourd’hui Chopin Airport. À proximité, les Syriens photographient discrètement atterrissages et décollages. Savaient-ils que le Mossad était planqué à une centaine de mètres ? Nous ne le saurons sans doute jamais.
Les opérations se déroulent systématiquement de nuit. Un Aeroflot atterrit, deux petits long-courriers israéliens décollent vers Tel-Aviv et ainsi de suite. Durant plus de deux ans, 42.000 Juifs seront transférés de la sorte.
1990 • Aéroport Okecie. L’une des rares photos de l’opération
Pourquoi un transit via Varsovie ?
En 1990, Vienne et Budapest craignent un attentat terroriste puisque les services secrets arabes pro-palestiniens sont informés du projet et voient d’un très mauvais œil l’enrichissement humain des terres israéliennes. Varsovie accepte le défi et permet au Mossad d’exercer une surveillance de l’opération sur sol polonais, ce qui est évidemment une première pour une Pologne en passe de quitter le Comecon (dissolution le 28 juin 1991)
Initialement, les Juifs russes en transit en Pologne devaient y être cantonnés provisoirement dans des camps de fortune. Mais les autorités israéliennes furent catégoriques : PLUS JAMAIS UN SEUL JUIF NE SÉJOURNERA DANS UN CAMP, MÊME PACIFIQUE. Ainsi, les expatriés furent hébergés au sein même du terminal aéroportuaire.
1991 • Aéroport Okecie
Juifs russes en transit sous la protection des services spéciaux polonais
Bravo les gars, good job !
Financement de l’Opération Most
Gasiorowski et Bagsik, deux Polonais de Art-B – une holding au passé lourd et à l’avenir incertain – ont financé une partie non négligeable de l’opération en échange d’un avenir en Israël. Il n’a jamais été prouvé qu’ils aient été agents des services israéliens mais le doute persiste. Bagsik a rapidement obtenu la citoyenneté israélienne, remise des mains du ministre israélien de l’Intérieur lui-même.
Il a été démontré que Art-B a bien reçu 40 millions de dollars du gouvernement israélien pour avoir aidé des Juifs en transit. Ces deux personnages ont effectivement eu maille à partir avec la justice polonaise et ils seront qualifiés ultérieurement par les antisémites polonais d’escrocs au service d’Israël. Ces antisémites sont toujours actifs sur la toile et c’est bien à eux que doit être collée l’étiquette « fachosphère », étiquette 100% cotonnerie connerie.
2018 • Gasiorowski à l’interview https://agasiorowski.info/
Certains ont émigré plus tôt
Comme Natan Sharansky, né en 1948. Il dit : « En Union soviétique, les Juifs ont été privés non seulement de leur liberté, mais aussi du droit d’avoir une identité. Nous n’aurions pas survécu en URSS »
Ce dissident a passé plus de dix ans dans les prisons soviétiques, notamment dans le camp de prisonniers politiques de Perm, Oural. En 1986, le Kremlin a accepté de l’échanger contre un agent de Moscou et Sharansky est parti pour Israël. Il a poursuivi sa carrière politique « dans sa vraie maison » et a été listé en 2005 par Time comme l’une des cent personnalités les plus influentes.
1976 • Dissidents russes. Au centre, Sharansky
L’exode
La chute de l’URSS a généré la plus grande vague d’émigration vers Israël avec 1,5 million de départs du paradis collectiviste, quelle perte de potentialités humaines pour la Russie post-soviétique !
L’arrivée des Juifs en Terre Historique impliquera la perte d’emploi pour de nombreux Palestiniens et certains experts prétendent que c’est l’un des facteurs du déclenchement de la première intifada (1987-1993) durant laquelle Israël perd « la guerre des images », celle de malheureux Palestiniens de 16 ans face aux chars Tsahal. Ce que les images ne disent pas, c’est qu’Israël est mentalement en état de guerre depuis 1947. Sans cette mentalité, Wiki indiquerait : État d’Israël, 1947-1967.
L’opération Most est en quelque sorte le mythe créateur des services secrets polonais souverains, symbole de la fin de la dépendance envers Moscou et de l’entame de la coopération avec les services secrets occidentaux. Cela ne fut nullement aisé puisque, plutôt que de repartir à zéro avec de nouveaux éléments patriotes, la Pologne fit le choix de conserver ses meilleurs agents, quitte à reformater leurs convictions. Un peu comme si on demandait aux services secrets français d’œuvrer du jour au lendemain pour Poutine. Certains applaudiraient, d’autres démissionneraient.
L’Allemagne a fait son mea culpa. On attend toujours de la part de Poutine une évocation des réels soubassements du pacte Ribbentrop-Molotov, de Katyn et de la fuite des cerveaux juifs. L’Histoire ne peut être disruptive, surtout si de l’épisode 1917-1991 on ne sélectionne que Stalingrad, Koursk et Berlin 1945.
Richard Mil+a
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