Même Chevènement attend une véritable politique de l’immigration… sans le dire

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Vous trouverez ci-dessous des extraits du très très long discours de Pierre Brochand, ambassadeur de France et ancien directeur de la DGSE prononcé en juillet 2019, à l’invitation de l’association de Chevènement, Res publica. Pour lire l’ensemble du discours, suivre le lien à la fin. Quant à comprendre pourquoi un Chevènement, un Brochand ne disent pas clairement que la seule solution passe par l’élection de patriotes qui se battent contre islamisation et immigration… alors que Brochand lui-même évoque l’arrivée d’un homme providentiel pour sauver la France… c’est toujours la même histoire. Et puis,il ne faut pas se fâcher avec Macron, ça peut servir !

Il n’en reste pas moins que cet  apport au colloque Res publica sur l’immigration est passionnante et peut être très utile pour l’argumentation… et qu’elle a dû bien fâcher à gauche et chez Macron. Du moins pour ceux qui ont eu le courage de le lire.

 

Intervention de Pierre Brochand, ambassadeur de France, ancien directeur général de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) de 2002 à 2008, lors du séminaire “Immigration et intégration – Table ronde autour de Pierre Brochand” du mardi 2 juillet 2019.

Note de la Fondation Res Publica : M. Brochand nous a fait parvenir une version écrite de son intervention qui en amplifie le propos tout en respectant son contenu et son déroulé. C’est ce texte qu’en raison de sa cohérence interne nous avons choisi de publier.

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Monsieur le président,

Permettez-moi de commencer par trois avertissements, en forme d’excuses anticipées.

Premièrement, je serai long et sans doute trop long.
Mais l’immigration est un sujet qui me tient à cœur et dont on ne saurait se débarrasser rapidement. Ce qui n’est, hélas, que trop souvent le cas.

Deuxièmement, mon but n’est pas de vous apporter des informations ou de vous faire des révélations, à la suite d’un travail scientifique approfondi, mais de vous présenter un point de vue, par définition SUBJECTIF.

Ce point de vue sera critique, et même systématiquement critique, voire à charge, sur l’impact d’une certaine immigration (je préciserai laquelle plus tard). Là, aussi, je le reconnais, dans l’intention de contrebalancer quelque peu l’irénisme qui, à mon sens, entoure la question.

En outre, ce regard se voudra qualitatif. Car, sur le plan quantitatif, la cause me paraît entendue : tous les « seuils de tolérance », évoqués par François Mitterrand et Claude Lévi-Strauss au début des années 90 (ces deux-là ne voyaient pas d’objection à la notion) ont été pulvérisés depuis, sans contestation possible.

Pourquoi cette vision à contre-courant ?

Tout simplement – autant mettre d’emblée les points sur les i – parce que je considère, en mon âme et conscience (et en espérant me tromper), que, de tous les énormes défis que doit affronter notre pays, l’immigration, telle qu’on l’a laissée se développer depuis près de 50 ans, est le plus redoutable.
Pourquoi le plus redoutable ?

Parce qu’il est le seul, à mes yeux, susceptible de mettre directement en cause la paix civile, dans une société non seulement fragile mais volontairement aveugle à ce danger.

De sorte que, pour moi, une véritable politique de l’immigration est, d’une certaine manière, un préalable à toutes les autres et que, faute d’en vouloir une, nous allons au-devant de grandes infortunes et de terribles déconvenues.

Qui suis-je pour porter un tel jugement ?

Certainement pas un spécialiste de la question, à la différence des préfets Lucas et Leschi, qui viennent de nous faire la démonstration de leur expertise, et de l’ambassadeur Teixeira, qui fera de même dans quelques instants.

Je ne suis pas davantage un sociologue, un anthropologue, un démographe, un historien, un philosophe ou un économiste de métier.
Seulement un citoyen inquiet, qui tire cette inquiétude de l’expérience d’une vie.

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J’ai servi l’État, dans sa dimension extérieure, pendant 45 ans. Durant ce demi-siècle, je me suis mis, avec dévouement et conviction, au service de l’intérêt national, à une époque où il était difficile de le distinguer de ce qu’il est désormais inconvenant de nommer, la préférence nationale. À cette école, j’ai vite compris que, par-delà les discours, personne en ce monde ne faisait de cadeaux à personne et que, si nous ne prenions pas en charge nos intérêts vitaux, nul ne le ferait à notre place.

Tout au long de ce parcours – coopérant en Afrique, boursier aux États-Unis, diplomate sur trois continents, responsable d’un Service de renseignement et même comme époux –, j’ai fréquenté infiniment plus d’étrangers que de Français. À l’occasion de ces milliers de relations de toutes natures, je n’ai eu d’autre objectif que d’entrer en empathie avec l’Autre, cet être énigmatique, qui n’est notre semblable que jusqu’au moment où il ne l’est plus. À son contact j’ai pu vérifier la pertinence de lieux autrefois communs : à savoir que, si le biologique nous rassemble, le culturel interpose entre nous une distance variable, et parfois insurmontable. Il m’a aussi permis des observations que je ne saurais rapporter sans frissons, par exemple que rien n’est plus universel que la xénophobie et que les configurations « multi » (culturelles, nationales, ethniques) sont le plus souvent vouées au déchirement. Et j’ai même constaté, « horresco referens », que les « minorités » pouvaient être violentes et les « victimes » avoir tort.

Par ailleurs, il m’est arrivé de pratiquer un métier – le renseignement –, qui est l’un des derniers où l’on est obligé d’appeler un chat un chat, où il est interdit – littéralement sous peine de mort – de prendre ses désirs pour des réalités, et où la compassion reste une vertu mais certainement pas une priorité.

Enfin, privilège de l’âge, je suis en mesure de comparer la France d’hier et celle d’aujourd’hui, sans le secours de personne.

Troisième avertissement : avant d’aborder l’immigration proprement dite, je me sens tenu de vous parler d’autre chose.

En effet, je suis incapable de manier les concepts, émotionnellement chargés, qu’appelle ce sujet sans les définir et je suis incapable de les définir sans les renvoyer à une grille de lecture historique. Bien entendu, faute de temps, ce « modèle » restera ridiculement schématique, mais il aura au moins le mérite de fournir la base de discussion qui manque le plus souvent au débat.

Ce détour par l’Histoire se heurtera aussi probablement au reproche, aujourd’hui sans réplique, de « l’essentialisation » ou de ce que les médias appellent « l’amalgame ». Ce qui ne me dérange pas. Car si pour moi les immigrés et leurs descendants, autant d’ailleurs que les autochtones, sont des individus estimables en tant que tels, ils demeurent, à des degrés divers et qu’ils le veuillent ou non, les vecteurs de forces collectives, ancrées dans des continuités qui les dépassent. Ne pas l’admettre, refuser de voir des « groupes » là où il y en a encore, c’est refuser de comprendre ce qui nous arrive. Et ce n’est pas, pour autant, déroger à la règle d’or que je me suis fixée : ne jamais juger un individu en fonction de ses appartenances, ne jamais juger un groupe à partir du comportement d’un de ses membres.

Je commencerai donc par une diversion, qui, vous le verrez, n’en sera pas vraiment une.

Je poursuivrai, à la lumière de ces considérations, en cernant au plus près la nature de l’immigration qui me préoccupe, et en tentant d’évaluer son impact sur notre pays sous ses divers aspects.

Enfin, je terminerai en tentant de répondre à quelques lancinantes questions. Que faire ? Pourquoi ne fait-on rien ? Doit-on faire ? Peut-on faire ? Et, si oui, quoi ?

1. UNE GRILLE DE LECTURE HISTORIQUE POUR L’IMMIGRATION.

Le tissu de l’Histoire est fait d’une double trame : « l’histoire de l’espèce », que j’appellerai Histoire Évolution, et « les histoires dans l’espèce », que je dénommerai Histoire Événement.

Ces deux Histoires sont à la fois imbriquées, complémentaires et concurrentes dans la conduite des affaires des hommes. Combinées, elles nous en donnent une vision stéréoscopique, qui, à mon sens, éclaire ce qui nous a précédés et, en conséquence, nous aide à décrypter ce que nous vivons.

1.1. L’histoire évolution : l’auto-détermination linéaire et les trois strates.

L’Histoire de l’espèce est linéaire et irréversible, car son moteur est la connaissance cumulative qui, en tant que régime de vérité validé par l’efficacité de la technique, se diffuse tôt ou tard à l’ensemble de la planète.

Ce devenir, commun à l’humanité, balise un chemin par lequel tous sont sommés de passer selon un calendrier recommandé.

Ce chemin est celui d’une émancipation progressive par rapport au donné, c.-à-d. aux déterminations naturelles et sociales, ou, si l’on préfère, à tout ce que l’homme n’a pas voulu et qui « fait obstacle » à son désir.

C’est pourquoi on peut désigner ce processus général de « sortie de l’existant » et d’arrachement aux pesanteurs, par le terme d’auto-détermination. Soit l’élargissement continu de la marge de choix ouverte aux humains grâce aux artefacts, matériels et immatériels, qu’ils fabriquent sans désemparer.
Soit, encore, un mouvement de fuite en avant, irrésistible et irréversible, procédant par éviction du « naturel », du « substantiel », de « l’organique » et du « réel », au profit de « l’artificiel », du « formel », du « contractuel » et du « virtuel ».

À partir de maintenant, j’appellerai donc Réel ce qui subsiste de l’antérieur, c.-à-d. ce avec quoi l’Histoire Évolution entend rompre et qu’elle cherche à broyer, dissoudre, évider ou assujettir, mais qu’elle est obligée de laisser derrière elle, comme autant de coquilles plus ou moins vides ou de foyers de résistance plus ou moins actifs, faute de jamais parvenir à terminer son travail. Le Réel, c’est donc ce sur quoi bute l’Histoire Évolution, mais qui ne l’empêche pas, pour autant, de poursuivre sa marche en avant.

Il n’en reste pas moins que cette Histoire-là exerce une pression incessante en faveur de la convergence qui la rend objectivement « progressiste » : en rapportant toute la Culture humaine (majuscule, singulier) à une seule et même échelle de valeurs – la connaissance –, elle produit toujours plus de commensurable et, donc, d’échanges, entre des êtres présumés toujours plus indistincts, donc semblables, donc égaux. Comme la voie la plus courte vers le commensurable est le quantifiable, elle tend à donner la préséance à la technique et à l’économie, au détriment du politique, facteur de divergence qualitative, dont elle restreint peu à peu le cercle.

[…]

En bout de chaîne, aspect qui nous intéresse le plus aujourd’hui, ce mouvement cristallise des formes successives de l’être-ensemble, dont le niveau d’auto-détermination (de liberté, d’égalité et d’extraversion) va croissant et le degré d’hétéronomie (d’assignation, de cohésion et d’intraversion) décroissant. Ces formes constituent, à mes yeux, l’une des clés d’intelligibilité de l’immigration actuelle.

Par commodité, n’en citons que trois (oublions, à ce stade, les empires et les cités-États) :

– les communautés naturelles, prémodernes, pré-politiques, hétérodéterminées,

– l’État national moderne, berceau du politique, fruit de l’auto-détermination collective,

– la Société des individus, hypermoderne, post-politique, issue de l’auto-détermination individuelle.

Appelons-les S 1, S 2 et S 3 pour simplifier, étant entendu que, selon cette classification, S Zéro représenterait la Nature.
Donc, essayons de garder à l’esprit que, désormais, S 1 désignera les communautés, S 2, les États Nationaux, et S 3, la Société des individus. Ce qui nous évitera nombre de répétitions.

[…]

De sorte que successives dans le temps, ces couches sont aussi superposées et antagonistes dans l’espace. Elles y composent des formations géologiques tripartites, dont l’épaisseur, la vitalité et la conflictualité varient grandement selon les lieux et les époques.

Plus ces hybrides diffèrent, en un lieu donné, de l’orthodoxie chronologique de l’Histoire Évolution (c.-à-d. plus les sous-couches, composant le Réel, y restent virulentes), plus ils sont crisogènes et, comme nous le verrons, plus l’Histoire Événement reprend ses droits.

Notons d’ores et déjà, car elle nous concerne directement et nous servira de leitmotiv, la singularité d’une de ces aberrations, en vertu de laquelle, les ennemis de nos ennemis étant nos amis, le palier le plus élevé – la Société des individus – se retrouve en situation de connivence objective avec son antipode – le stade communautaire –, pour prendre en sandwich la tranche du milieu – l’État national –, obligé de rendre les armes des deux côtés.

Disons un mot de ces idéaux-types, dans l’esprit du sujet qui nous intéresse.

1.1.1. Les communautés naturelles S 1.

Elles représentent la couche primordiale, le degré zéro de l’auto-détermination et de l’égalité, mais le point culminant de l’appartenance et de l’identité collectives, au plus près de la Nature, dont elles demeurent dans la zone d’attraction.

Tout y est hiérarchisé, subi et prescrit une fois pour toutes, sans marge de choix, dès la naissance, au nom d’absolus non négociables, offrant réponse à tout, dictés d’en haut, par la religion, et d’avant, par la tradition.

Ces groupes, peu portés sur l’échange et tout entiers dédiés à la répétition d’eux-mêmes, n’ont d’autre vocation que leur survie, qu’ils assurent par les liens du sang et, donc, le contrôle des femmes.

Autant dire que, pour ces collectifs quasi-autarciques, holistes, disait-on autrefois, il n’est pas d’acculturation qui soit pacifique, ni d’immigration qui ne soit une invasion : les personnes y sont enfermées dans une loyauté inconditionnelle, sans abjuration possible.

C’est d’ailleurs le point faible de ces groupements dominés par la fierté d’être soi et la peur de ne plus pouvoir l’être : dépourvus d’espaces juridiquement délimités, ils se frottent à des voisins dont les absolus (et le sens de l’honneur, qui va avec) ne sont pas davantage négociables.

De sorte que toute dispute de territoire finit par tourner, de proche en proche, à une réaction en chaîne non maîtrisée, synonyme de guerre de tous contre tous. D’autant plus facilement que les moyens de la violence sont largement distribués, entre des unités d’auto-défense décentralisées et mal contrôlées. D’autant, aussi, que la certitude d’être entouré de forces unanimement hostiles, fait régner la paranoïa, mère du complotisme et de l’erreur de calcul.

Ne commettons pas la faute de croire que ces communautés se résument à des clans, tribus, chefferies, castes ou ethnies lointaines. Non seulement elles sont très vivaces chez les immigrés d’aujourd’hui mais elles constituent aussi la forme par défaut de l’interaction humaine, quand des circonstances extrêmes font disparaître les autres, forme que nous verrons ainsi s’installer dans les quartiers, sur la base de l’endogamie, de bandes et de clientèles.

1.1.2. L’Etat national moderne S 2.

Il vise à mettre un terme aux hostilités sans fin de la strate communautaire (en Europe, les guerres de religion), en détrônant les vérités révélées qui en sont la cause. Pour ce faire, il confère à une autorité centrale, neutre, impersonnelle et surplombante, le monopole de la violence et de ses instruments, et introduit, ipso facto, le plan de l’égalité entre ses ressortissants, tous pareillement désarmés.

[…]

Le travail politique de l’Institution, développé dans la durée, tend à « lever les obstacles » qui, à l’intérieur du territoire, séparent la population d’origine, par définition hétérogène, de l’idéal d’un Peuple pur et parfait.

Le résultat de cette entreprise, jamais achevée, est la Nation. C.-à-d. une communauté, non plus naturelle, mais culturelle et historique, à la fois actrice et produit de l’Histoire. Son homogénéité n’est plus donnée seulement par le sang, mais façonnée par la symbolique, la langue, l’éducation, les mœurs, l’habitude, les épreuves partagées et, plus encore, leur souvenir, soit « l’héritage indivis » dans le miroir duquel elle se reconnaît et s’admire.

Grâce à quoi, la Nation se transforme peu à peu en cercle vertueux de confiance et même d’affection, au sein duquel ce qui était impossible chez S 1 – l’altruisme par-delà les liens familiaux – devient possible.

Cette transmutation a pour nom le civisme, qui autorise l’impôt, la redistribution, la conscription, la primauté du public sur le privé, du général sur le particulier, et finalement la règle de la majorité, entre des citoyens qui ne sont plus des parents. Toutefois, l’égalité entre eux ne va pas jusqu’à nier leurs différences de « vertus et de talents », que prend en compte la notion de mérite.

Puisque l’État national moderne est un dessein, avant d’être un fait, il n’est pas fermé à l’autre. Mais sous la double condition – expresse – que, d’une part, celui-ci adhère à la continuité historique du projet, symbolisée par le Récit National, et, d’autre part, se considère redevable à l’égard de ceux qui l’ont écrit par leurs sacrifices. En somme, on n’entre « dedans » qu’en souscrivant une dette vis-à-vis de « l’avant », auquel on reconnaît préséance.
C’est pourquoi l’acculturation et l’immigration y sont possibles, mais uniquement par la voie de l’assimilation. Soit, ne le nions pas, une forme de cooptation asymétrique, exercée en toute souveraineté par le corps politique (ceux qui sont « déjà là » et ont la nationalité), au titre de son auto-détermination collective. S 2 n’est, donc, pas une collectivité spontanément inclusive. Si son extraversion est réelle, elle reste limitée et contrôlée : bien que tendant historiquement à l’égalité entre ses membres, elle n’hésite pas à maintenir une claire et forte discrimination entre les siens et les autres, et entend garder l’entière maîtrise politique des flux franchissant ses frontières.

Pour de nombreux esprits de ma génération, l’État national, tel qu’incarné par la France, a représenté un point d’équilibre indépassable et c’est d’ailleurs largement sur la base des critères qu’il m’a inculqués que cet exposé est bâti.

Malheureusement, S 2 a été « dépassé », comme le veut la loi de l’Histoire Évolution, mais aussi comme l’y ont conduit de manière accélérée ses propres excès totalitaires ou coloniaux.

De toutes façons, en libérant l’individu du carcan communautaire, S 2 avait ouvert la porte à un dangereux concurrent, qui, en Occident tout au moins, a fini par lui dérober la Souveraineté, après des siècles de lutte au sein de l’État démocratique, figure de la transition entre S 2 et S 3.

1.1.3. La Société des individus S 3.

Ce qui nous amène au dernier stade en date de l’auto-détermination, celui dans lequel nous baignons désormais au quotidien : l’auto-détermination individuelle, dont le support collectif est la Société des individus, autre nom de la « société civile » (la face « privée » de S 2) quand celle-ci s’empare du pouvoir.

Ce sont maintenant tous les êtres vivants, sans distinction, présents sur terre à un moment donné, qui détiennent chacun l’autorité de dernier ressort. Ils sont laissés libres de choisir leurs contenus de vie, grâce à une panoplie, toujours plus étendue, de « droits de » et de « droits à », élargie à toujours plus de bénéficiaires : en cela, S 3 réussit le prodige de convertir les satisfactions différées de l’État national, où chaque génération se sacrifie pour les suivantes, en droits immédiatement disponibles.

C’est pourquoi, si les absolus demeurent – l’homme ne saurait vivre sans –, ils sont inversés : ils ne dictent plus les conduites, mais créent les conditions de leur libre choix. Ils ne fixent plus des contenus, devenus individuels donc relatifs, mais des contenants procéduraux, sous forme de prescriptions (la liberté, la tolérance) et de proscriptions (ne pas discriminer, ne pas stigmatiser), en vertu d’une équivalence de principe des êtres humains, étendue à l’espèce.

D’où, aussi, des mécanismes horizontaux de régulation par l’échange, fondés sur des réseaux sans tiers surplombant ni limites fixes, dont la vocation est d’auto-produire en continu cette équivalence virtuelle : le marché, le droit, la communication, conçus délibérément pour ne générer que des liens pluriels, faibles, réciproques et réversibles, respectueux de l’auto-détermination de chacun.

D’où, également, la certitude qu’il n’est pas de problèmes que l’argent, le contrat ou la parole ne soient en mesure de régler.

Puisqu’aussi bien, sous S 3, pointe avancée de l’Histoire Évolution, aucun contenu d’existence n’est tenu pour culturellement incompatible. Tout est, au contraire, supposé « acculturable », convertible, fongible, miscible et donc négociable, bref commensurable, entre des humains interchangeables, dont les différences, parce qu’elles ignorent la possibilité de l’inimitié, ne sauraient excéder les étroites limites du folklore, dénommé « diversité ».

[Soit, on l’aura aussi compris, un pas supplémentaire dans le hors-sol et vers l’apesanteur. Soit, également, une source de déception et d’amertume, quand cette infinité des possibles se heurte aux impossibilités du Réél.]

Quid de l’État national ? Eh bien, il est encore là et porte le même nom, au titre de la persistance des strates, mais n’est plus que l’ombre de lui-même, au titre de leur dialectique. Autrefois au-dessus, il est passé en-dessous et le politique avec lui : fort logiquement, et quasi mécaniquement, l’élargissement des droits individuels provoque, à proportion, la restriction des marges de choix collectives.

Réduit ainsi à sa dimension bureaucratique, S 2 est tenu de mettre ses immenses moyens au service de son propre abaissement : S 3 l’a domestiqué pour en faire non seulement une énorme agence apolitique (c.-à-d. ouverte à tous, incapable de dire non) de distribution des droits et des prestations afférentes, mais aussi un formidable outil d’ingénierie sociale, traquant partout les inégalités, à travers la lutte contre les « discriminations », censées en être l’unique source.

En particulier, S 3 s’attache en permanence à raboter toutes les distinctions, telles que la nationalité, voire le mérite, tenus pour des résidus de S 2, qui peuvent encore distinguer les résidents sur le territoire « national ».

Le tout en parfaite harmonie avec le niveau supranational de l’Union Européenne, version augmentée de S 3, qui ordonne, amplifie et accélère l’aplatissement politique des étages inférieurs, dont je ne dirai pas davantage, faute de temps.

Certes, on continue de confier à l’État national ce que les droits de l’homme sont impuissants à gérer tout seuls : soit, à l’intérieur, essentiellement le maintien de l’ordre public mais en lui imposant aussitôt un « état de droit » extérieur à lui-même, qu’on ne saurait mieux définir que comme l’antonyme de la raison d’État souveraine. De toutes façons, ces limitations ne sont ni graves, ni illégitimes, puisque, dans la Société des individus, non discriminés et non stigmatisés, aucune violence n’est concevable hors de la rubrique des faits divers, c.-à-d. d’infractions au cas par cas, auxquelles on ne saurait trouver de causes collectives.

On comprend qu’à la différence de la clôture de S 1 et de la semi-fermeture de S 2, S 3 se présente comme une société extravertie, ouverte à tous, sans dedans ni dehors, au sein d’un espace indifférencié, où la circulation est jugée bonne en soi et où l’immigration n’est qu’un flux parmi d’autres (économiques, financiers, informationnels), qu’il convient de « laisser passer », parce que tout le monde gagne à la « levée des obstacles », étendue cette fois à la planète entière.

En symbiose avec la Globalisation qu’elle incarne et projette, S 3 ne connaît, donc, d’autre horizon que le monde, car, entre l’humanité et lui, l’individu autodéterminé n’admet rien qui lui soit « ontologiquement » supérieur. Le seul regroupement dont il admette la légitimité est celui des ONG, associations issues de lui-même, transitoires et réversibles, chargée de remplacer ou de contrôler les institutions, héritées de S 2, désormais décriées, car non volontaires et ancrées dans la durée.

[…]

 

D’où la nécessité, pour elle, de diffuser un sentiment persistant de culpabilité, aux causes sans cesse renouvelées (régime de Vichy, guerres coloniales, pauvreté dans le monde, migrants naufragés, émissions de CO2…), qui apparaît comme l’ultime cadenas capable de discipliner, dans la durée et sans avoir l’air d’y toucher, le libre jeu des pulsions individuelles.

Pour la même raison, et non sans un autre paradoxe, la Société des individus nécessite une homogénéité culturelle hors du commun, alors même qu’elle se déclare disponible à la diversité du monde.

 

[…]

Au final, S3 se perçoit, sans oser véritablement l’avouer, comme l’avant-garde de ce qu’on appelait autrefois la Civilisation (singulier, majuscule, c.-à-d. l’artefact le plus élaboré, le virtuel le plus avancé, le distillat le plus épuré de l’Histoire Évolution, seul miroir dans lequel elle veut se reconnaître.
Mais patatras ! Voici que le Réel se rebiffe et que l’Histoire Évolution doit compter avec le retour en fanfare de sa « némésis » : l’Histoire Événement.

1.2. L’Histoire Événement : le bruit et la fureur de la lutte cyclique pour le pouvoir.

Ce n’est plus l’Histoire unilatérale et convergente de la Civilisation et de la Culture (singuliers, majuscules), mais celle, multilatérale et divergente, des civilisations et des cultures (pluriels, minuscules), incarnées dans les sous-couches communautaires S 1, nationales S 2, voire impériales dissimulées, toutes toujours bien vivantes, malgré les assauts portés contre elles.

Ce sont les histoires « dans » l’espèce, qui retracent les rivalités entre ces groupes d’appartenance, mus par la passion (et non plus la seule raison, rabaissée au rang d’instrument), pour la conservation de soi et sa reconnaissance par autrui (on dirait aujourd’hui le « respect »).

Autrement dit, le pouvoir des uns sur les autres, au nom des identités collectives substantielles qui saturent S 2 et encore plus S 1 mais que renie S 3 sans pouvoir les abolir.

Autrement dit encore, ce qui relève de l’incommensurable, à un double titre.

Alors que l’Histoire Évolution, je l’ai dit, fait se succéder des « formes » de l’être-ensemble (les trois S) qui s’enchaînent « logiquement », l’Histoire Événement, non seulement oppose ces différentes « formes », quand les circonstances les amènent à cohabiter de manière « illogique » sur un même espace, mais elle confronte aussi des « formes » de même nature, quand leurs « contenus » culturels sont antagonistes, voire incompatibles.

Comme nous le verrons, l’immigration relève de ces deux cas de figure : elle importe des « formes » communautaires et nationales, aussi bien que des « contenus » culturels et religieux, non aisément conciliables avec les Sociétés des individus qui les accueillent.

En d’autres termes, donc, avec l’Histoire Événement, c’est le Réel sous ces deux aspects – « formes » archaïques et « contenus » séculaires – qui se rebelle contre l’Histoire Évolution, la machine qui travaille sans relâche à sa disparition.

[…]

Exemple d’invariant : dans toutes les sociétés – S 1, S 2, mais aussi S 3 –, il y a pouvoir. Et ce pouvoir est détenu par le petit nombre qui légitime sa domination par des croyances « non falsifiables » en des absolus (les doxa religieuses ou séculières), auxquels le grand nombre est tenu d’adhérer : ainsi, la croyance, dans son acception la plus large, au fond peu différente de celle de culture, est ce par quoi tiennent ensemble les groupes circonscrits, en tous temps et en tous lieux, la seule variable étant le degré d’affichage et de coercition, dont l’accompagne l’oligarchie aux commandes.

Exemple de récurrence : le mouvement de balancier action/réaction, qui, depuis 1 300 ans, fait osciller Islam et Occident, en tant que formes historiques et contenus culturels, de part et d’autre de la Méditerranée et dont on n’oserait dire qu’il est achevé…

Exemple de parallèle : les troublantes similitudes démographiques, économiques et sociales entre l’empire romain finissant et l’Occident d’aujourd’hui.

Ainsi, pour l’Histoire Évolution, la vie est un absolu, alors que le reste est relatif. Pour l’Histoire Événement, la vie est relative, alors que le reste est absolu.

D’où une distinction cruciale : on répugne à mourir pour S 3 (pour laquelle aucune vérité ne vaut la peine de se faire tuer), mais on est encore prêt à se sacrifier inconditionnellement pour S 1 (voir nos jihadistes) et, dans certaines circonstances, pour S 2 (voir nos soldats devenus professionnels, engagés sur des théâtres extérieurs).

1.3. L’Occident dominateur a fusionné les deux histoires par la Colonisation, puis la Globalisation.

Il va de soi que les deux Histoires sont et resteront toujours inextricablement imbriquées. Mais elles sont aussi en compétition pour savoir laquelle imposera sa direction à l’autre.

Or, de ce point de vue, deux développements extraordinaires se sont produits il y a cinq siècles.

En tout premier lieu, une minuscule fraction de l’humanité – l’Europe occidentale – est devenue le Tout. Par une sorte de coup d’État à l’échelle planétaire, elle s’est emparée du monopole absolu de l’Histoire Évolution, grâce à la révolution scientifique qu’elle a impulsée dans la production de la connaissance cumulative. À tel point que deux de nos trois strates – l’État national moderne et la Société des individus – lui sont exclusivement imputables et peuvent dès lors être considérées comme dictées au reste du monde.

De ce fait, et en second lieu, l’Occident s’est assuré le contrôle, pareillement intégral, de l’Histoire Événement, qu’il a prise en remorque. Laquelle, à partir de ce moment, s’est résumée à la chronique de ses querelles intestines et aux péripéties de la diffusion, plus ou moins mouvementée, de ses modèles S 2 (par la Colonisation) et S 3 (par la Globalisation).

De cette double confiscation, ont découlé trois phénomènes, particulièrement pertinents pour notre évaluation de l’immigration.

– D’abord, le monde s’est retrouvé divisé en deux, entre un Premier Monde, seul pro-actif, créateur de virtuel et diffuseur de connaissance, donc de puissance, et un Second Monde, détenteur du Réel, mais récepteur passif, dépourvu de moyens de réagir.

Cette projection de l’Occident hors de lui-même s’est faite en deux temps : Colonisation, puis Globalisation.

– Le couple Colonisation/Décolonisation peut s’analyser – in fine – comme l’exportation, par la force, du paradigme de l’État national moderne S 2, dans des contrées qui n’y étaient pas préparées, car encore dominées par des communautés S 1 vivaces et tenaces. Elle y a, de ce fait, semé les graines d’un nationalisme, le plus souvent hors sol, d’autant plus exacerbé qu’il a connu presque partout l’échec et l’humiliation.

Avec le recul, cette tentative de redonner vie outre-mer à la forme Empire, jusque-là purement continentale, s’analyse non seulement comme un énorme échec, mais aussi une erreur stratégique de première grandeur, pour les colonisateurs comme pour les colonisés, erreur dont nous payons aujourd’hui les conséquences sur notre propre territoire.

En effet, dans notre schéma historique, l’Empire continental peut être considéré comme le chaînon manquant entre S 1 et S 2 : en regroupant d’un seul tenant des communautés naturelles limitrophes, sous le joug de l’une d’entre elles, il a formé les premiers proto-États, disposant d’une esquisse de bureaucratie et de monopole de la violence. Structurellement fragile, c’est son éclatement inévitable qui a donné « rationnellement » naissance aux États nationaux modernes, lesquels n’ont fait que peaufiner, à échelle plus raisonnable, ce qu’il avait initié.

En revanche, vouloir reconstituer, à rebours du calendrier de l’Histoire Évolution, un ersatz d’Empire, associant, par-delà les océans, carpes et lapins, c.-à-d. des États nationaux modernes – les métropoles – à des populations, géographiquement et culturellement très éloignées, ne pouvait que conduire à de graves mécomptes. Le moindre d’entre eux n’étant pas d’avoir légué aux populations décolonisées le modèle de l’État national, conçu par et pour l’Occident, comme seule voie d’émancipation possible. Surimposé partout dans le monde, tel un pavage continu, mais terriblement bosselé, faute des transitions indispensables, à des strates communautaires pleines de vigueur, ce modèle importé ne pouvait qu’échouer.

C’est pourquoi, aujourd’hui, les immigrés, restés fidèles au stade communautaire, non seulement fuient ces États plus ou moins faillis, mais, volens nolens, en apportent avec eux les mauvaises pratiques et, surtout, viennent nous présenter une double addition : celle de la domination que nous leur avons fait subir et celle des structures dysfonctionnelles que nous sommes censés leur avoir infligées en partant. En quelque sorte, la facture de la fracture…

– La Globalisation peut faire l’objet d’une interprétation similaire, en tant qu’exportation – cette fois pacifique, par accroissement du volume et de la vitesse des flux de circulation – du « software » de la Société des individus vers le Second Monde, à nouveau pris au dépourvu par ce « bombardement » inédit.

Sauf que le retrait physique de l’Occident, consécutif à la décolonisation, donne maintenant les moyens de répliquer à ceux qui n’en avaient pas. Et, parmi ces nombreuses répliques, figurent des mouvements migratoires de masse, dont la mise en marche a été précisément rendue possible, et d’une certaine manière encouragée, par la propagation planétaire des dogmes de S 3.

En bref, la Globalisation a donné aux anciens colonisés une sorte de « feu vert » pour venir chez nous solder les comptes des chapitres précédents.

1.4. La Globalisation ou le chant du cygne de l’Occident : le réveil de l’Histoire Événement.

Nous voici donc à un nouveau tournant, d’importance comparable à celui d’il y a cinq siècles.

Pour la première fois, le Second Monde, débarrassé de la présence des colonisateurs, mais plus que jamais porteur de la force de contestation qu’est le Réel, dispose de la capacité de réagir aux diffusions unilatérales de l’Occident.

Et il ne s’en prive pas, renouant ipso facto avec la confusion de l’Histoire circulaire, au détriment du bel ordonnancement de l’Histoire linéaire.

En simplifiant, ces rétroactions de base – la revanche du Réel, les « éléphants dans le magasin de porcelaine » – sont au nombre de quatre.

On peut les appeler les « quatre R » : le Rebond R 1, la Rente R 2, le Refus R 3, le Rejet R 4.

Les deux premières – le Rebond économique sino-asiatique et la Rente, légale (notamment pétrolière et gazière) ou illégale, prélevée sur les flux – ne remettent pas en cause les principaux paramètres de la Globalisation, telle qu’imposée par l’Occident : elles contestent son unilatéralisme et visent à une redistribution des revenus, et donc des pouvoirs, à l’intérieur du processus.

Les deux autres – le Refus (dont le porte-drapeau est l’Islam) et le Rejet (qu’exhalent les trous noirs creusés par les États les plus faillis) – remettent en question non seulement l’unilatéralisme occidental, mais aussi les fondements mêmes de la Globalisation, en raison d’écarts culturels insurmontables.
Il va de soi que ces rétroactions se combinent pour former des variantes composites, l’une des plus congruentes avec notre sujet étant celle qui associe la Rente pétrolière au Refus musulman, pour favoriser l’expansion mondiale de l’islamisme, à travers, notamment, les diasporas, dont je parlerai plus tard.

En outre, ces quatre rétroactions, si différentes, se nourrissent d’un sentiment commun, le Ressentiment, qu’on pourrait dénommer R 5, né de cinq siècles de Colonisation directe ou indirecte.

C’est pourquoi la Globalisation, en créant les conditions de sa propre contestation, marque, à la fois, l’apogée et le commencement du déclin relatif de l’Occident, qui, l’ayant suscitée, va perdre, de son fait, sa suprématie absolue.

C’est ainsi que notre planète change de visage.

[…]

L’immigration, mais au fait, quelle immigration ?

2. QUELLE IMMIGRATION ? TROIS VAGUES, MAIS SURTOUT LA DEUXIÈME.

La France a connu au moins trois vagues d’immigration de masse. Deux sont toujours en cours, alors que la première, achevée, offre l’exemple d’une assimilation réussie au modèle de l’État national français.

Ce qui n’est malheureusement pas le cas des deux autres.

2.1. La première vague – V 1 – va de la fin du XIXème siècle aux années 70. Elle répond à une pure logique de travail : la France manque de bras, l’Europe catholique les lui fournit.

C’est une immigration laborieuse et discrète, non revendicative et culturellement proche, qui rentre – ou que le pouvoir politique force à rentrer – chez elle si la besogne vient à manquer et qui, si elle reste, devient la référence absolue en matière d’assimilation.

L’expérience historique de la colonisation en Afrique du Nord offre un exemple saisissant de cette spécificité : les Italiens, les Espagnols et autres Maltais, qui y vivaient, sont devenus d’excellents Français, alors que la majorité indigène et musulmane s’y est à l’évidence refusée.

2.2. Or, c’est précisément celle-ci qui va devenir une des composantes majeures de la deuxième immigration – V 2 –, laquelle commence dans les années 70, au moment précis où s’imposent le paradigme de la Société des individus et son déploiement planétaire, la Globalisation.

Cette vague est, en effet, à l’opposé de la précédente : la logique du peuplement, habillée par le Droit, se substitue à celle de l’emploi régulé par le politique, tandis que les pays d’origine sont d’ex-colonies, la plupart à majorité musulmane et à fort écart culturel avec le pays d’accueil.

C’est cette immigration qui retiendra principalement mon attention, dans la mesure où, d’une part, elle est déjà là et, donc, permet d’évaluer ses répercussions sur plusieurs générations (lesquelles, fait sans précédent, s’avèrent divergentes) et où, d’autre part, elle se poursuit massivement, mais à bas bruit, dans l’ombre de la troisième vague qui tend à la faire injustement oublier.

2.3. Celle-ci – V 3 – garde des points communs avec V 2, notamment son auto-engendrement juridique, mais elle se singularise par son déclenchement soudain, consécutif aux guerres de Syrie et de Libye, qui lui donne le caractère d’une crise, ajoutant la logique de l’urgence à celle du droit.

Elle possède en outre quatre traits spécifiques : l’élargissement des origines au-delà du cercle colonial, la dimension européenne de l’accueil (elle affecte simultanément la plupart des pays signataires des accords de Schengen), le recours au droit d’asile plutôt qu’au regroupement familial comme subterfuge, le versement de tributs aux « barbares des confins » (gouvernement turc, milices libyennes) pour qu’ils consentent à ralentir ou retenir le flot.

Je n’entends pas minimiser cette troisième déferlante, mais, comme je l’ai dit, je traiterai en priorité de la deuxième, qui a eu le temps de provoquer des effets de diaspora, dont nous verrons qu’ils sont le nœud du problème.

3. LA DEUXIÈME VAGUE, PASSÉE AU CRIBLE DE NOTRE GRILLE DE LECTURE.

Commençons donc par nous pencher sur V 2, à la lumière de notre modèle historique. Que nous dit-il ?

3.1. L’immigration « chauve-souris ».

La Globalisation, expression dynamique du logiciel de la Société des individus (« lever les obstacles à l’échelle planétaire »), génère à la fois des facilités de déplacement et des écarts de revenus qu’elle incite à combler en projetant partout les images qui les symbolisent. Elle actionne ainsi des flux de toutes sortes, y compris humains, soit internes au Second Monde, soit de celui-ci vers le Premier (les seuls qui nous préoccupent ici).

Ces mouvements de personnes, reliant deux Mondes, provoquent des proximités non désirées, des « voisinages obligatoires », des courts-circuits, propices aux effets pervers.

En effet, les populations, ainsi déplacées, une fois introduites, légalement ou non, dans les pays du Premier Monde, ne peuvent ni ne veulent abandonner les codes collectifs, culturellement fort éloignés, de leurs pays de départ. En bref, elles entendent bien récupérer le différentiel de niveau de vie qu’offre le Premier Monde et qui est le motif de leur venue, mais en continuant de vivre grosso modo selon les mœurs du Second : en somme, « vivre mieux, tout en vivant pareil ».

Plus précisément, la couche communautaire S 1 reste, chez elles, très prégnante, comme aussi, dans certains cas (Maghreb, en particulier Algérie), un nationalisme S 2, récent, à fleur de peau, car né de la décolonisation et exaspéré par son échec.

De sorte qu’entrés comme des individus, censés relever de S 3, les immigrés de la deuxième vague s’installent comme des diasporas, fortement lestées de Réel, c.-à-d. d’allégeances communautaires S 1 et nationales S 2, à contre-courant de l’Histoire Évolution. Le tout en continuant à se réclamer imperturbablement des droits individuels, que leur accorde la Société des individus, pour légitimer ces singularités collectives, présentées, pour la circonstance, comme une somme de choix personnels. En somme, et ils auraient grand tort de ne pas exploiter cette contradiction offerte sur un plateau : « Je suis oiseau : voyez mes ailes… Je suis souris : vivent les rats… ».

3.2. L’immigration comme rétroaction et contradictions.

En fait, l’immigration s’inscrit dans le contexte des quatre rétroactions de base par lesquelles le Second Monde, champion du Réel, réplique à la Globalisation, propagatrice de virtuel.

Rétroactions qui, à travers elle, vont s’introduire au cœur même de la Société des individus, comme autant de dissonances fondamentales.

Ainsi, on constate que V 2 démarre précisément au moment (la deuxième moitié des années 70) où le Rebond asiatique R 1 (l’avènement de Deng Xiao Ping en 1978 ) et la Rente pétrolière R 2 (les deux « chocs » de 1973 et 1979) sèment, chez nous, les graines de ce qui va devenir un chômage de masse : les immigrés arrivent au moment où vont partir les emplois…

La deuxième vague importe aussi avec elle les différentes formes de Rente illégale R 2, fortement corrélées à l’immigration (trafics d’êtres humains, travail au noir, fraude sociale, commerce de drogues), dans une société se voulant transparente et se croyant à l’abri de la délinquance systémique.

À majorité musulmane, V 2 se relie également à la rétroaction du Refus R 3, qui a pareillement commencé à monter en puissance à la fin des années 70 (révolution iranienne, siège de la mosquée de la Mecque, invasion soviétique de l’Afghanistan), avec l’appui financier de la Rente pétrolière R 2 et, comme résultat, la transplantation massive d’une religion, en tous points exotique, dans un milieu français radicalement sécularisé.

Enfin, une bonne partie de ces flux humains émanent des « trous noirs » qui expriment la rétroaction du Rejet R 4, aux antipodes d’une société qui, comme la nôtre, s’auto-proclame « avancée ».

Mais, surtout, la deuxième vague, provenant de pays anciennement colonisés, porte en elle le ressentiment R 5, né d’un siècle ou p+lus d’humiliation ravalée. C’est là la dernière incohérence – mortelle celle-ci – d’une immigration, qui se met en branle vers l’ancienne métropole, à l’instant où la décolonisation vient d’établir un constat de divorce irréversible entre les deux parties.

[…]

4. QUELQUES NOTIONS CLÉ POUR ANALYSER LA DEUXIÈME VAGUE : DISTANCE CULTURELLE / EFFET DE SEUIL / AUTO-ENGENDREMENT / « BAS BRUIT » / ACCÉLÉRATION SPONTANÉE / DIASPORAS.

4.1. La distance « culturelle » entre les groupes : le fait déterminant.

4.1.1. Si mon exposé devait reposer sur une seule notion, ce serait bien celle de distance culturelle, au sens le plus large.

Si, en revanche, on partage mon point de vue sur le fait que l’individu ne vit qu’en groupes, plus (S 1 et S 2) ou moins (S 3) circonscrits, et que ces groupes se caractérisent par des formes et cultures collectives propres, foyers d’identités subies (S 1), voulues (S 2) ou niées (S 3), dont l’observation empirique confirme les discordances, alors, j’estime, sans fausse modestie, fort du patronage lointain d’un penseur de l’envergure de C. Lévi-Strauss, que ce que j’essaye de vous dire doit être pris au sérieux.

Ce qui, j’en conviens, exige un certain effort sur nous-mêmes, tant l’idéologie de S 3 brouille les pistes sur ce terrain. En principe, elle ne veut entendre parler que d’individus, auxquels elle concède pourtant le droit d’avoir une « culture », mais à la condition que celle-ci soit de nature personnelle et « minoritaire », c.-à-d. apporte sa pierre à la déconstruction de l’État national, grand dessein de S 3.

Pour ma part, et sans m’engager dans l’impasse d’une définition, j’entends par culture les contenus de vie partagés qui permettent de distinguer un groupe humain d’un autre : soit les comportements, conduites, pratiques ou attitudes de ses membres, selon des coutumes, mœurs, habitudes ou usages, et en fonction de valeurs, normes, règles, références, repères et représentations, non réfutables parce que relevant de la croyance, issus d’héritages et formant patrimoine, pour définir, au final, une mentalité, une identité, un sentiment commun d’appartenance durable. Pour faire plus court : un code permettant de se reconnaître comme membre d’une entité.

[…]

Il crève les yeux, en tous cas les miens, que cette deuxième vague importe dans ses bagages des clivages si profonds, des blocs de Réel si compacts, en termes de formes de l’être-ensemble et de contenus de vie, que les mécanismes d’accommodement que proposent le marché, le droit ou la communication sont incapables d’en venir à bout.

Clivages qui non seulement subsistent mais s’approfondissent avec le temps. D’où cette incongruité – inconnue chez les immigrés de la première vague – qui veut que les difficultés, issues de la deuxième, se prolongent chez ses descendants et les descendants des descendants.

En somme, comme le rappelle la psychologie sociale, toute immigration se ramène à un phénomène d’acculturation, classiquement décomposé en une première phase de déstructuration et une seconde de restructuration : quand la distance n’est pas trop grande, cette restructuration conduit à l’adoption, volontaire ou résignée, des valeurs de la culture d’accueil ; quand le décalage est trop important, elle se traduit par une contre-acculturation, c.-à-d. une tentative rageuse de restauration du mode de vie antérieur à l’immigration.

4.1.3. La vérité m’oblige à ajouter que ce que je viens de dire est très largement démenti par l’exemple contraire de l’immigration asiatique, sino-vietnamienne en particulier, pour laquelle ni le décalage culturel, ni le passé colonial (pour les Indochinois) ne semblent avoir été un obstacle sur la voie d’une intégration, sinon d’une assimilation, réussie. Il s’agit là d’une exception embarrassante à l’axiome selon lequel, sous le règne de la diversité, il n’est pas d’inégalité sans discrimination.

J’y verrai, pour ma part, le résultat du contraste, dont j’ai déjà dit un mot, entre les différentes manières dont les civilisations et les cultures ont réagi à l’emprise occidentale et, en particulier, à son dernier avatar, la Globalisation : alors que les Asiatiques ont choisi de prendre au mot le Premier Monde et de le défier sur son terrain d’excellence, l’économie, en attendant mieux (R 1), suivis en cela (mais de loin) par une partie de l’Amérique Latine, le reste du Second Monde, d’où provient l’essentiel de V 2, s’est abandonné à la relative facilité de la Rente R 2, du Refus R 3 et du Rejet R 4, toutes rétroactions qui ont en commun de ne pas faire de l’excellence éducative la réponse prioritaire à la mainmise occidentale.

[…]

4.3. L’auto-engendrement par le droit : entrer sans frapper.

Ou plutôt, au lieu d’être calibrés par la conjugaison du politique et de l’économique, comme avant-guerre (le levier du premier veillant à faire respecter le critère du second), ce sont, depuis 40 ans, les immigrés eux-mêmes qui fixent la taille des courants d’arrivée, en se bornant à demander l’application des droits que leur accorde la Société des individus : droit au regroupement familial, droit du sol, droit à la nationalité par mariage, « droit » à faire des études en France, et, plus récemment, droit d’asile, sans compter le droit à la régularisation par lassitude (au bout de 5 ans) ou le droit d’accéder aux prestations de l’État-providence sans condition de nationalité et même de légalité, etc.

De sorte que l’asymétrie qui gouvernait l’assimilation – le demandeur étant susceptible d’être recalé – persiste, mais inversée : le pays d’arrivée, ligoté par l’état de droit, n’est plus en mesure de dire non, sauf à se faire retoquer par ses propres tribunaux, à la décision desquels il est désormais soumis.

[…]

 

D’autant que ce mouvement de l’immigration par le droit, dans la mesure où il est auto-entretenu – l’effet devenant la cause qu’il renforce –, s’accélère spontanément sans crier gare, selon une loi mise en évidence par Paul Collier, éminent économiste d’Oxford. En vertu de ses recherches, 10 immigrés installés en font venir 7 autres par le jeu du droit (regroupement familial, mariages, études, naturalisations) et ces 17 en appellent 12 autres, et ainsi de suite à l’infini, comme dans une pyramide de Ponzi, dont il faut bien payer un jour la note.

Cette note, c’est la formation de « diasporas ».

4.6. La formation des diasporas : l’ébauche d’une contre-colonisation qui ne dit pas son nom.

On appelle diaspora l’entité formée par des immigrés et leurs descendants qui, refusant de s’assimiler et même de s’intégrer au pays d’accueil, préfèrent maintenir allégeances aux communautés et pays d’origine, ainsi qu’à leurs modes de vie et de croyances. Elle se caractérise ainsi par un comportement qui tend à aider la venue et l’installation de nouveaux immigrants, en leur offrant des structures d’accueil qui ne les dépaysent pas.

Puisqu’une image est souvent plus explicite que les mots, il suffit de contempler les façades de nos « grands ensembles » et d’y dénombrer les paraboles, fixées sur les fenêtres et balcons, toutes tournées dans la même direction…

[…]

5. L’IMPACT DE L’IMMIGRATION EN VUE SYNCHRONIQUE : LES TROIS CLIVAGES, SOURCES DE LA DIVERGENCE.

Je l’ai déjà dit. L’immigration arrive chargée de lourds impedimenta : les blocs de Réel que j’évoquais à l’instant.

Là où la doxa de S 3 ne veut voir que l’apport d’une enrichissante diversité, je constate, pour ma part, la renaissance des trois clivages non négociables, qui ont causé nos pires malheurs dans le passé : la discorde religieuse, l’antagonisme colonial, le prisme racial.

On remarquera que je ne fais pas mienne l’explication par la disparité sociale, à quoi l’on voudrait hypocritement résumer les problèmes que pose l’immigration, afin précisément d’en éluder la dimension historique et culturelle, que je choisis précisément de mettre en avant.

Je commencerai donc par là.

5.1. L’immigration n’est pas la nouvelle question sociale.

Parmi les techniques d’évitement du sujet, dont je parlerai dans un instant, il y a celle qui consiste à voir, dans les immigrés extra-européens et leurs descendants, un prolétariat de substitution au monde ouvrier disparu ou, plus généralement, la manifestation contemporaine de la misère sociale, dont la persistance, sous des formes renouvelées, serait indissociable de la société capitaliste.

Pour ma part, je récuse cette présentation. Non que la pauvreté ne soit dominante dans les quartiers à forte présence immigrée. Mais l’honnêteté oblige, d’abord, à apporter quelques correctifs aux données brutes, en particulier quand celles-ci n’incorporent pas les effets – massifs – de la redistribution sociale, des revenus indirects et de l’économie parallèle. N’oublions pas que les diasporas font parvenir chaque année, par les seuls transferts bancaires, 14 milliards d’euros aux familles restées au pays (non compris, donc, les compensations et versements informels, soit au moins le double) : épargne non négligeable, puisqu’elle équivaut peu ou prou au montant de la facture réglée en 2018 pour apaiser l’insurrection des « gilets jaunes » et que, depuis 2003, elle représente le triple des crédits consacrés à la rénovation urbaine, pourtant substantiels (43 milliards).

Ensuite, la pauvreté, quand elle est réelle, n’est pas un trait distinctif de l’immigration en tant que telle, dans la mesure où, d’une part, tous les nouveaux venus n’y sont pas condamnés (c’est le cas, je viens de le rappeler, des immigrés d’Asie orientale et du Sud-Est) et où, d’autre part, la précarité est partagée par des segments importants, voire de plus en plus importants, de la population autochtone.

Enfin et surtout, il faut garder à l’esprit que la décision d’immigration est toujours une décision volontaire rationnelle, et, hormis le cas – très minoritaire – des réfugiés authentiques, cette décision a pour unique motif de combler, par un déplacement physique, l’énorme différentiel de niveau de vie entre pays de départ et d’arrivée (entre 1 à 10 et 1 à 20). Si, donc, une comparaison doit être faite, il me paraît plus honnête de commencer à la faire à ce niveau.

La meilleure preuve en est que, loin de faiblir, l’immigration ne cesse de croître depuis 40 ans et en particulier au cours des 20 dernières années. S’il s’agissait de venir en France pour y vivre l’enfer sur terre, on comprendrait mal cet engouement soutenu.

En revanche, bien réels et propres à l’immigration, sont les trois clivages qui ne doivent rien à l’économie.

5.2. Le clivage religieux : l’implantation massive de l’islam ou le pavé dans la mare.

Le clivage religieux, théoriquement disparu chez nous depuis 1905, fait un retour en force, à travers la présence sur notre sol de 6 à 8 millions de musulmans, français et étrangers, plus jeunes que la moyenne et aux effectifs en croissance très rapide.

Je vais m’efforcer de lister, de la manière la plus objective possible, les raisons pour lesquelles cet agrégat collectif – et non bien sûr les personnes qui le composent – fait problème, aujourd’hui, en France.

5.2.1. Un. À l’évidence, l’islam n’est pas l’homologue du christianisme, seule religion avec laquelle l’État national français ait eu maille à partir jusqu’ici et qu’il a d’ailleurs fini par réduire à l’état de zombie. C’est ce que nous appelons la laïcité.

Pour moi, l’islam n’entre pas – et, je le crains, n’entrera pas avant longtemps, sinon jamais – dans ces vêtements taillés sur mesure pour une religion, dont les racines culturelles, passées au tamis gréco-romain, sont les mêmes que celles de l’État français, son frère ennemi.

La religion musulmane, dont il faut quand même rappeler qu’elle serait absente de notre sol, si elle n’avait été entièrement et récemment importée par V 2, ne participe en rien de cet héritage.

Par ailleurs, sans même remonter à ses origines guerrières, elle reste une croyance à nulle autre pareille : à la fois, jeune et dynamique mais archaïque et littéraliste, spirituelle et universaliste mais aussi temporelle et communautaire, elle ne se limite pas au for intérieur de l’individu isolé, mais se présente comme un code englobant de conduites visibles, de type communautaire S 1, dont le respect peut et doit être socialement vérifié.

Encore plus que cela, en s’identifiant à un mode de vie, l’islam-croyance homogénéise ses adeptes et devient l’Islam-civilisation, agent historique de première grandeur, force collective qui va et cherche à prévaloir. En ce sens, il est tout ce que n’est plus, ou même n’a jamais été, le christianisme.

Projeté, tel un pavé dans la mare de la Société des individus, il s’avère, ainsi, une religion non seulement difficilement soluble dans l’individualisme, mais qui n’a de cesse de jouer de la limite, devenue incertaine, entre public et privé, pour s’imposer dans le champ visuel de tous.

5.2.2. Deux. Il est difficile d’ignorer que ces singularités créent non seulement de la distance, mais aussi de la discorde.

D’un côté, les codes propagés par l’islam, pris à la lettre, sont en porte-à-faux à peu près complet avec ceux de la Société des individus. On l’a déjà dit : c’est du plein qui s’engouffre dans du vide. La condition inférieure de la femme et l’interdiction de l’apostasie – les deux clés de la clôture communautaire – sont les plus flagrants de ces points d’achoppement orthogonaux.

D’un autre côté, c’est une régularité de l’Histoire Événement que la colonisation réciproque de l’Islam, en tant qu’empire, et de l’Occident, plus ou moins unifié sous bannière chrétienne. Comme je l’ai indiqué, oublier cette oscillation guerrière, c’est se mettre la tête dans le sable. En posture défensive pendant la phase d’expansion occidentale, l’Islam, force collective toujours vigoureuse, entrevoit aujourd’hui la possibilité d’un retour du balancier.

5.2.3. Trois. Ce renversement est d’autant plus plausible que, comme je l’ai déjà souligné, l’Islam est le vecteur principal de la rétroaction du Refus à la Globalisation occidentale.

Vu sous cet angle, il devient même le porte-étendard de toutes les causes en décalage avec l’esprit du temps : la tradition, le patriarcat, le virilisme, la pudibonderie, le conservatisme en général, mais aussi l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme. En fait, il apparaît comme le seul altermondialisme digne de ce nom, en mesure de récupérer tout ce qui se dresse « contre » l’Histoire Évolution et que celle-ci, impuissante à l’éradiquer, a dû laisser sur le bord de la route.

Ainsi, il n’y a rien de surprenant si, tel un volcan mal éteint, il est entré de nouveau en éruption, au moment où le passage de S 2 à S 3 lui en a offert, à la fois, le motif et la possibilité. J’en veux pour preuve le fait que 85 % à 90 % des crises chaudes en cours sur la planète impliquent des musulmans aux prises soit avec eux-mêmes, soit avec des hindouistes, des bouddhistes, des confucianistes/communistes, des juifs, des chrétiens… Ce qui, on en conviendra, fait beaucoup.

S’agit-il de pures coïncidences ? Ou bien d’une malveillance générale, dont seuls les musulmans seraient exempts ?

Pour moi qui ai vécu tous ces conflits en direct à la DGSE, j’ai du mal à le croire : il me paraît peu discutable que l’Islam, vecteur d’une religion insatisfaite du statu quo, soit devenu aujourd’hui un facteur massivement crisogène, qu’il en porte ou non la responsabilité.

[…]

5.3.5. Ainsi, par glissements successifs sur ce terrain savonneux du post-colonial, on en est arrivé à caresser des idées parfaitement extravagantes. Par exemple, que « nos » immigrés, au fond, n’en sont pas : ils sont « chez eux chez nous », soit parce qu’en tant qu’anciens colonisés, ils n’ont jamais perdu une sorte de droit acquis à y être, soit, même, parce que le voyage de leurs ancêtres primo-arrivants n’ayant pas été tout à fait volontaire, ils entreraient davantage dans la catégorie des déportés aux fins d’exploitation que des migrants en quête d’un sort plus favorable.

Ce qui, de proche en proche, nous amène à ce que l’on pourrait appeler « l’américanisation » de la deuxième vague d’immigration, à son rapprochement implicite avec la population noire des États-Unis (qu’on ne saurait certes qualifier d’immigrée), et, par-là, au clivage racial, ou plutôt racialiste, désormais omniprésent dans notre société

5.4. Le clivage racial : « nous sommes tous des noirs ou des blancs américains ».

5.4.1. En effet, si les immigrés de la deuxième vague sont ici de plein droit ou sans l’avoir vraiment voulu, ils ne sont plus des immigrants au sens strict.

Ils deviennent des quasi-nationaux se prétendant de « deuxième classe », et requérant, sur la base des absolus de la Société des individus, leur montée en « première » et, donc, un traitement « égalitaire » (c.-à-d. asymétrique, pour compenser les inégalités héritées, qualifiées de discriminations).

Cas de figure qui, à l’évidence, les rapproche davantage de descendants d’esclaves (présents en Amérique avant la création des États-Unis), et luttant depuis pour leurs « droits civiques », que d’immigrés classiques, venus chercher une vie meilleure sans demander leur reste.

De sorte que le triste sort des uns et des autres ne serait plus imputable qu’à une seule – mais la pire – discrimination, celle de la « race », et leur situation peut être alors comparée à rien moins qu’un régime d’apartheid (autre expression reprise au plus haut niveau de notre gouvernement). Perversion intellectuelle, qui n’en reste pas moins confortée, là aussi, par la coïncidence indubitable entre l’apparence physique de la plupart des immigrants de la deuxième vague et leurs antécédents coloniaux.

5.4.2. Les conséquences ne sont pas minces.

La moindre est l’attraction qu’exercent les États-Unis et, plus particulièrement, la culture afro-américaine, sur les deuxième et troisième générations d’immigrés, fascinées par les discours de révolte tels que le rap, mais aussi les voies d’accession rapide aux consommations ostentatoires, que sont le sport professionnel, le show business ou le trafic de drogue. Le fait que le qualificatif « black » soit régulièrement utilisé par les médias et l’opinion branchée, comme s’il allait de soi, en porte témoignage. Et je ne parle pas de la profession de « dealer », qui a désormais pignon sur rue.

Plus perturbante est l’introduction, dans notre vocabulaire et nos pratiques officiels, de mots et de concepts, importés d’outre-Atlantique et jamais utilisés auparavant à propos des immigrés de la première vague, car non conformes aux canons de l’assimilation : discrimination positive, carte scolaire, busing, ghetto et même intégration (concept lui aussi importé mais désormais avalisé par tous).

5.4.3. Reste le plus pernicieux.

Une fois introduite, la racialisation des rapports sociaux se propage comme un mauvais virus et instille une grille d’intelligibilité consistant à juger les gens sur leur mine, certes non dite, mais intériorisée par tous sur la base d’expériences personnelles aussi bien que de stéréotypes indéracinables. Mieux encore, chez les plus « conscientisés » des immigrés et de leurs descendants, la visibilité des origines est maintenant brandie comme un étendard, de façon à ce qu’aucun doute ne subsiste quant aux nouvelles lignes de partage de la société.

D’autant que, là aussi, à l’instar de la surenchère anti coloniale, la doxa en rajoute une couche, en faisant de l’anti-racisme – donc de la race et donc du racisme – la clé de voûte de sa croisade contre les discriminations.

Ainsi, le fléau du racisme, que l’on avait cru exorcisé en France après la Deuxième Guerre mondiale, opère un retour en force à la suite de l’arrivée d’une immigration extra-européenne, à laquelle il est de bon ton – c’est même le vocabulaire officiel – d’accoler le qualificatif de « minorités visibles », soit rien moins que le critère de la couleur de la peau.

Critère dont la généralisation est confirmée par la transformation des autochtones en majorité « blanche », adjectif de couleur lui aussi repris publiquement par les plus hautes sphères de l’État et du secteur public.

Enfin, ultime clou sur le cercueil des bienfaits de la diversité multi-ethnique, l’importation d’un antisémitisme de type « oriental » fait renaître, sur le sol de l’Europe, le cauchemar de ses cauchemars.

Voilà ce qu’il en est de ce triple fossé – religieux, post colonial, racial –, régressif au sens propre du terme, que notre société croyait comblé pour toujours grâce aux « progrès » de l’Histoire Évolution, mais qu’elle a elle-même rouvert en acceptant sur son sol des populations lourdes de ces anciens conflits.

Après cette évaluation synchronique, il est temps d’en venir aux conséquences qui en résultent en termes diachroniques ou, si l’on préfère, dynamiques.

6. L’IMPACT DIACHRONIQUE DE L’IMMIGRATION : DÉFIANCE, SÉPARATION, RIVALITÉ, VIOLENCE.

« Ce qui doit arriver, arrive ». Les dissensions, ranimées par la deuxième vague d’immigration, ont inévitablement provoqué des conséquences dans le temps.

Ces conséquences se présentent comme un processus de divergence par enchaînement, en quatre phases :

– la chute de la confiance sociale,

– la séparation physique,

– la rivalité pour le contrôle du sol,

– la propension à la violence.

Étant entendu que tous ces phénomènes – rappelons-le – ne sont préoccupants que parce que les immigrations V 2 et V 3 sont « en roue libre », et produisent des effets de seuil irréversibles, qui changent la nature et la portée de leur impact au fur et à mesure de leur extension.

[…]

7. L’IMPACT ÉCONOMIQUE : SECOND DANS L’ÉCHELLE DE GRAVITÉ, MAIS PAREILLEMENT NÉGATIF ET OCCULTÉ.

7.1. Globalement, il n’est pas besoin d’être un économiste nobélisable pour comprendre qu’une immigration n’est positive pour l’économie du pays d’accueil que si le niveau moyen de qualification et « d’employabilité » des immigrés et de leurs descendants est supérieur au niveau moyen de qualification et « d’employabilité » de la main d’œuvre dudit pays.

De même, l’apport démographique n’est bénéfique que s’il vient soulager des taux d’emploi et d’activité proches de la saturation.

Si ces conditions ne sont pas remplies, l’immigration ne profite qu’à des catégories particulières et non au pays tout entier. Aux immigrés, en tout premier lieu, la meilleure preuve en étant l’amplification incessante de leurs flux. À leurs employeurs, ensuite, quand ils en ont un, qui les rémunèrent à des tarifs défiant toute concurrence. Enfin, accessoirement aux pays de départ, destinataires de transferts financiers et pour lesquels une jeunesse oisive et remuante, largement excédentaire, ne peut qu’être source d’ennuis.

7.2. Mais ni la population autochtone (en particulier, sa fraction la moins qualifiée), ni les immigrés déjà là, ni l’économie en général ne trouvent leur compte à l’arrivée de regroupés familiaux, de demandeurs d’asile ou d’illégaux, appelés à ne pas travailler, ou dépourvus des compétences adaptées à une économie du Premier Monde, et qui, dans tous les cas, fourniront à la collectivité une contribution inférieure à leur rétribution.

En particulier, l’argument classique « les immigrés vont payer nos retraites » apparaît fortement biaisé, car fondé sur un taux de soutien démographique purement théorique, qui se borne à établir un rapport entre classes d’âge, sans tenir compte des taux d’emploi, ni des taux d’activité et encore moins de l’employabilité des uns et des autres.

Or, d’une part, comme l’a fait remarquer un expert au-dessus de tout soupçon, Hervé Le Bras, « la France n’a pas besoin de l’immigration » (sic) car elle dispose de réserves d’activité très importantes (chômeurs, femmes, seniors, robots) et, d’autre part, la main d’œuvre issue de l’immigration est, si l’on ose dire, non seulement sous-employée mais aussi sous-active (moins 10 points pour les hommes, moins 15 pour les femmes) et sous-employable.
Pour toutes ces raisons, le taux de soutien théorique, auquel on aime à se référer sans nuance, doit être corrigé par le taux réel, lequel, dans la mesure où il combine âge et occupation, en diverge substantiellement.

7.3. Tout confirme, en effet, que la deuxième vague d’immigration obéit à ce cas de figure.

Sauf exceptions, elle est peu qualifiée et le demeure dans le temps, car ses descendants sont en forte proportion sous-éduqués (taux d’échec et de sortie du système scolaire double de la moyenne). Le taux de chômage y est, lui aussi, deux fois plus élevé que dans le reste de la population, en particulier chez les jeunes, et le taux d’activité y est sensiblement inférieur pour des raisons qui sont aussi culturelles (travail des femmes).

Les conséquences d’un tel apport humain, motivé par le revenu plus que le travail, et activé par le droit au lieu de l’emploi, sont inéluctables : baisse de la productivité nationale par tête, pression sur les salaires vers le bas, frein à la substitution du travail par le capital et donc à l’automation, alourdissement d’un chômage de masse déjà élevé, encouragement à une économie parallèle, compétition accrue pour accéder à des biens publics rares, etc…

7.4. On en vient ainsi à la notion de « coût » de l’immigration, qui a fait l’objet de nombreux calculs, tous plus catastrophiques les uns que les autres (entre 55 et 85 milliards d’euros par an !), variables selon que l’on considère les comptes publics ou l’économie dans son ensemble.

Que ces calculs soient proches ou non de la réalité, ils ont l’avantage d’inclure un ensemble de dépenses que l’économie « officielle » préfère ignorer : coût des infrastructures supplémentaires nécessitées par l’afflux de population dans des métropoles congestionnées (écoles, hôpitaux, logements sociaux, transports, etc…), coûts résultant du différentiel entre la surconsommation en prestations sociales (de plus en plus liées à des conditions de ressources) et la sous-imposition fiscale (les deux s’expliquant par des revenus déclarés inférieurs à la moyenne), coûts dus à la discrimination positive (politique de la ville, éducation prioritaire, ZSP, etc…), coûts dérivés des effets négatifs de l’immigration (délinquance, sécurité, justice, économie parallèle), coûts des transferts de fonds vers le pays d’origine (14 milliards officiellement soustraits à la consommation et à l’investissement nationaux et sans doute plus du double en réalité), etc.

Il est à la fois significatif et déplorable qu’un pays comme le nôtre ait été incapable, jusqu’ici, de réunir une commission indépendante chargée de clarifier une fois pour toutes cette question, en procédant à une évaluation objective des bénéfices, mais aussi des coûts et surcoûts, d’un phénomène qui dure depuis un demi-siècle et dont chacun peut percevoir à l’œil nu – dans une cour d’école, la salle des urgences d’un hôpital, un parloir de prison ou une voiture de métro – l’incidence sur la saturation des services publics.

7.5. Si l’on s’en tient à ce dernier point, il est quand même étonnant que, dans un État consacrant 57 % de son PIB à la dépense publique, les complaintes ne cessent d’augmenter quant à la qualité et la quantité des services fournis en retour.

Il n’est pas interdit de penser (mais prohibé de dire…) que ce décalage, unique au monde, puisse entretenir un certain rapport avec une immigration de masse.

En effet, tout nouvel immigré se comporte inévitablement en « passager clandestin » à l’égard de biens publics qu’il va utiliser dès le premier jour, sans avoir contribué un centime à leur coût antérieur d’investissement.

À partir de là, son installation sur le territoire va nécessiter un investissement public, et donc une épargne, supplémentaires, que le prix Nobel Maurice Allais avait sommairement évalué à 4 fois le revenu potentiel de l’arrivant (en fonction du ratio 1/4 entre revenu et capital national), soit, en prenant le SMIC pour revenu de référence, pas loin de 80 000 euros. Si on applique ce montant au nombre d’entrants légaux et demandeurs d’asile, appelés à rester (400 000), on en arrive à 32 milliards de biens publics à produire annuellement pour satisfaire ces nouveaux besoins (irréguliers non compris…). Comme un investissement de cette taille est exclu (presque la moitié du déficit annuel de l’État), on comprend mieux les tensions que l’immigration est susceptible de faire porter sur l’accès aux biens publics.

[…]

Du tableau délibérément sombre que nous venons de brosser de l’immigration, subie depuis 50 ans, découle inévitablement la question « Que faire ? », dernier volet de notre réflexion, car il est clair que pour moi, et je l’espère pour vous après m’avoir entendu, la prolongation de l’inaction n’est pas une option.

Je ferai une réponse en trois temps :

– circonscrire le problème,

– identifier les obstacles à l’action,

– proposer des mesures.

8. QUE FAIRE ?

8.1. D’abord, de quel objectif parle-t-on ? Assimilation, intégration, insertion, inclusion, interruption, remigration.

Tous les immigrés et leurs descendants originaires du Second Monde – disons au moins 10 millions de personnes – sont loin, Dieu merci, d’être en état de sécession. Il convient, donc, de tenter de préciser les différentes positions du curseur marquant leur attachement à la France et/ou à la société française, puis d’évaluer – de manière SUBJECTIVE s’entend, car il n’existe évidemment aucune statistique donnant leur mesure directe – les effectifs de population correspondant à chacune de ces positions.

L’assimilation, l’intégration, l’insertion, l’inclusion sont les outils conceptuels qui, désignant, à la fois, une action et une situation, permettent de rendre compte des degrés d’allégeance d’une population allochtone et de définir les objectifs d’une politique à son égard.

L’interruption des flux et la remigration éventuelle sont, en revanche, les modalités d’une inversion radicale de ces différentes politiques, que l’on pourrait à des degrés divers qualifier de fatalistes – assimilation comprise –, dès lors qu’elles se refusent toutes à faire de l’immigration une variable d’ajustement.

8.1.1. L’assimilation : 5 à 10 %.

Ce très faible pourcentage ne fait que refléter l’anachronisme de cette voie d’acculturation.

Je l’ai déjà suffisamment souligné. Pour moi, l’assimilation (« rendre semblable à ») n’est concevable qu’en rapport avec un État national, en pleine possession de ses moyens, « sûr de lui et dominateur », assumant pleinement son histoire et la culture qui l’a et qu’il a produit.

Puisqu’il s’agit de rien moins, pour l’assimilé en puissance, que d’abandonner tout ce qui le rattache à sa culture d’origine, pour en adopter entièrement une autre, une rupture aussi asymétrique ne peut s’envisager qu’au profit d’une structure, déjà inscrite dans la durée, assurée d’elle-même et disposant d’une forte capacité d’attraction et de perpétuation.

En outre, ce ralliement inconditionnel, abolissant tout clivage, est à l’évidence d’autant plus facile à opérer que le fossé culturel à sauter est moins large.

Enfin, tous s’accordent sur le fait que le mariage exogamique est le moyen le plus sûr et le plus fréquent de générer l’assimilation, les enfants de ces unions se voyant symboliquement attribuer des prénoms qui ne laissent subsister aucun doute quant à leur nouvelle affiliation.

Ces trois conditions ont été remplies jusqu’aux années 70, c.-à-d. avant que S 3 ne prenne le dessus sur S 2 et que l’immigration extra européenne ne succède à l’européenne. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la dernière immigration eurochrétienne à avoir franchi le portillon – la portugaise – a subi l’influence de ce changement de paradigme, puisque, tout en donnant de nombreux gages d’assimilation, elle est aussi celle qui a conservé le plus de liens avec le pays d’origine.

Ce mouvement d’adhésion sans nuance – de fusion, pourrait-on dire – n’est plus concevable aujourd’hui que pour une petite minorité, dont on peut penser, sans lui manquer de respect, qu’elle a oublié de mettre sa montre à l’heure.

[…]

8.2.1. La passivité face aux flux : les accès au territoire et à la nationalité, abandonnés au droit et à l’incurie.

Le drame s’est noué à la fin des années 70, quand, après quelques péripéties et simulacres de résistance, le politique a passé la main à S 3, consacrant l’assujettissement de l’État national à un état de droit extérieur à lui-même (c.-à-d. les « droits », auxquels il lui faut se soumettre, en lieu et place des « libertés publiques », qu’il octroie lui-même), le tout donnant le dernier mot à l’individu mondialisé et aux « gate keepers », chargés de veiller sur sa souveraineté fraîchement acquise.

8.2.1.1. En matière d’immigration, c’est l’arrêt Gisti de 1978 qui a marqué cette prise de pouvoir par les instances judiciaires, en l’occurrence le Conseil d’État, lequel, à partir de cette date, est devenu, en connivence avec les ONG (et les médias), le gardien vigilant du refus d’une politique de maîtrise des flux, agissant soit proprio motu, soit à l’abri du droit et de la jurisprudence européens.

L’État, réduit à sa dimension bureaucratique, a mis tous ses moyens au service de sa propre démission. Il est même allé au-delà en consentant à la régularisation permanente de ceux qui ne respectaient pas la règle de droit (qualifiés de « sans-papiers »), soit à l’occasion de mises à jour spectaculaires, soit de manière continue et subreptice. Bouclant la boucle, il a fini par reconnaître à ces mêmes arrivants illicites une sorte de statut légal, leur accordant une aide médicale gratuite, ainsi que divers avantages matériels. Sans mentionner ceux, plus substantiels, qui sont attribués, dès le dépôt de leur requête, aux demandeurs d’asile, pourtant eux aussi entrés illégalement.

 

[…]

La carte scolaire est l’un des enjeux majeurs de cet « entre deux » embarrassé.

Au départ, elle est le contraire d’un bon terrain, puisqu’elle affecte les élèves à l’école la plus proche du domicile et renforce la ségrégation spatiale. On cherche donc à élargir cet espace en créant des zones regroupant plusieurs établissements, supposés plus divers, à l’intérieur desquels les enfants sont répartis. Mais par définition, une telle innovation ne peut toucher que les zones frontières et accentuer la fuite vers le privé – autre modalité du sauve-qui-peut en société diversitaire –, quand les parents n’ont pas d’autre choix pour exprimer leur refus de la cohabitation. Notons néanmoins que la France s’est arrêtée en route et n’est pas allée, pour une fois à la différence des États-Unis, jusqu’à imposer le « busing » pour lutter contre la ségrégation scolaire.

L’autre approche consiste à disperser directement ou indirectement les immigrés et leurs descendants à travers le territoire.

C’est le cas des arrivants de la troisième vague, disséminés dans les coins les plus reculés de nos provinces, qu’une partie d’entre eux quitte d’ailleurs rapidement pour rejoindre des villes, comme si cet éparpillement autoritaire ne leur convenait pas, à eux non plus.

Mais l’effort le plus important pour forcer la coexistence vise à obliger toutes les communes d’une certaine importance à accueillir un certain pourcentage de logements sociaux sur leur territoire, sachant que leurs occupants sont, pour une part beaucoup plus que proportionnelle, d’origine étrangère. Je suis personnellement incapable de mesurer les effets positifs ou négatifs de cette politique. Ce qu’en revanche je comprends, c’est qu’elle est perçue par les intéressés – habitants et élus – des agglomérations concernées comme une volonté, venue d’en haut, de mieux « répartir le fardeau » de l’immigration, entre communes « pauvres » et « riches », autre manière de souligner en creux que ladite immigration entraîne un « coût » multiforme lourd à supporter.

Quand on mesure ainsi combien il est compliqué d’accueillir en masse des populations supplémentaires d’origine extra européenne, on en vient à se demander, encore une fois, pourquoi il n’est pas fait davantage pour en limiter le nombre. Question de bon sens qu’il est malheureusement impossible d’aborder sous cet angle.

Pourquoi ? Parce que comme je l’ai déjà souligné à maintes reprises, toute société humaine, quelle qu’elle soit, est fondée sur des dogmes censés en assurer la cohérence et la cohésion au profit d’une oligarchie.

Dans le cas qui nous intéresse, cette idéologie est la clé de voûte d’un système de facto « immigrationiste », qui, par principe, « lève les obstacles » aux mouvements, en général, et à ceux de populations, en particulier, puis se trouve « fort dépourvu quand la bise fut venue ».

Quand je dis clé de voûte, je pèse mes mots, dans la mesure où dans le « magasin de porcelaine » S 3, le langage et son contrôle constituent, au fond, la seule ligne de défense contre le chaos qui menace.

8.2.2.6. Un discours public d’évitement et d’incantation : le Réel occulté par le vœu pieux.

[…]

– Il me semble, pourtant, que ce discours de l’évitement passe les bornes de l’indécence démocratique, lorsqu’il devient sciemment manipulation ou mensonge, à l’abri de l’interdiction des statistiques ethniques, qu’à mon sens, on peut qualifier de préférence concertée pour l’ignorance.

Manipulation, quand aucune ressource de la rhétorique n’est négligée pour minimiser ce qui pourrait dévaloriser l’immigration et exalter ce qui peut la valoriser. Dans le premier cas, fleurissent les figures de l’atténuation : euphémismes (« jeunes », « quartiers sensibles, difficiles, populaires, défavorisés »), métonymie (« camion fou »), antiphrases (« vivre ensemble »), litotes (« sans-papiers », « incivilités »), oxymores (« jihadiste strasbourgeois », « islamiste toulousain »). Dans le second cas, les figures de l’amplification prennent le relais : hyperboles laudatives (« Mamadou, héros national ») ou explicatives (exclusion, misère sociale, désespoir, ghetto, relégation, contrôle au faciès, apartheid).

Manipulation, aussi, quand nous sommes sommés d’acquérir, sinon un nouveau lexique, du moins des éléments de langage, hiérarchisant clairement mélioratifs et péjoratifs. Dans la catégorie des mots à applaudir : ouverture, partage, diversité, mixité, métissage, brassage, nomadisme, accueil, accompagnement, inclusion, régularisation, tolérance, hospitalité, générosité, solidarité, etc. Dans la catégorie des vocables à conspuer : fermeture, distance, exclusion, rejet, repli, allergie, égoïsme, entre soi, crispation, dérapage, race, intolérance, xénophobie, etc. Avec en prime, des mots, jusque-là entièrement neutres, tels que « seuil » ou « remplacement », devenus du jour au lendemain imprononçables, car « sulfureux » et « nauséabonds », lorsque utilisés dans le contexte de l’immigration.

Manipulation, aussi, quand on cherche à bloquer le jugement par l’élargissement indéfini du périmètre du racisme (étendu à la critique d’une religion, par exemple), ou le redoutable vecteur de la fausse analogie : à partir d’une ressemblance très partielle (des bateaux en Méditerranée, transportant des immigrants et dont les noms se terminent en ‘us’), on fait un rapprochement avec le pire (Aquarius = Exodus). De manière plus générale, toute approche un tant soit peu critique de l’immigration est aussitôt renvoyée aux années 30, en vertu de ce même parallèle entre Juifs cherchant à quitter l’Allemagne nazie et migrants économiques africains en 2019.

Participe de la même entreprise disqualifiante, la psychiatrisation du discours non conforme, grâce à laquelle on peut pareillement s’abstenir d’argumenter, en démasquant directement des déviances pathologiques chez l’interlocuteur, toutes affublées du suffixe « phobie » et toutes présentées comme des rameaux dérivés de l’arbre indéracinable du racisme. J’allais oublier, sous ce registre, « l’hystérisation » du débat, opposée à ceux qui cherchent simplement à l’ouvrir.

Manipulation, encore, lorsque des leurres sont délibérément lancés pour faire diversion. On connaît bien celui, classique, qui consiste à renvoyer tous les problèmes de la société à leur dimension économique et sociale : il suffirait que la croissance « reparte » et le chômage diminue, pour qu’on n’entende plus parler d’immigration. Plus subtil est le recours à la figure de la synecdoque, quand pour faire oublier le grand sujet, on donne à croire qu’il se résume à l’un de ses petits aspects : par exemple, le retour annoncé d’un débat sur des quotas d’immigration économique, serpent de mer dont on sait pourtant pertinemment qu’il ne s’appliquerait qu’à 5 % des entrées.

Mais il y a pire, en termes de brouillage des faits.

[…]

À quoi s’ajoutent des sophismes purs et simples, confondant cause et effet, problème et solution : l’un des plus communs est celui qui nous rabâche que l’accession à la nationalité est la clé de l’intégration, alors que l’expérience enseigne exactement l’inverse, à savoir qu’elle n’en est, au mieux, que l’aboutissement.

Un autre contresens majeur, régulièrement infligé, est celui qui justifie l’accueil inconditionnel des immigrés par la vertu d’hospitalité, alors que celle-ci n’est que la version la plus raffinée de la méfiance et même de la xénophobie : il suffit d’avoir vécu et travaillé dans le Second Monde, pour comprendre que non seulement l’hospitalité y est ritualisée afin d’entériner le statut particulier de l’étranger, ainsi maintenu à distance, mais aussi pour lui faire comprendre qu’il n’est qu’un invité temporaire, non destiné à s’incruster. S’il ne le comprend pas, il devient un intrus et l’aimable accueil se transforme instantanément en son contraire, loi tristement vérifiée par la fin malheureuse du Capitaine Cook.

Dernier tour de prestidigitation, que j’ai déjà évoqué, grâce auquel l’expression-valise des « valeurs de la République », invoquée à tout bout de champ, qui au départ était fortement liée au concept d’assimilation à l’État national, puis est devenue synonyme, par glissements successifs, de « droits de l’individu ». Ce qui revient carrément à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Mais il me semble que, quand on passe de la manipulation au mensonge, une ligne rouge est franchie, qui devrait interpeller tous les esprits éclairés, indépendamment de leurs positions sur le sujet. Il en va ainsi lorsque, au-delà de leur présentation ou de leur interprétation, les faits eux-mêmes sont niés, trafiqués ou enterrés.

Ils sont niés par le rituel du « rien-à-voirisme », qui rejette absolument, non seulement tout lien de causalité mais aussi de corrélation, entre l’immigration extra-européenne et tous phénomènes sociaux que l’opinion commune tient pour négatifs : terrorisme, délinquance, fraude sociale, pénurie d’équipements publics.

Faits trafiqués, quand on tripatouille les statistiques avec un cynisme qui ne trompe que les journalistes paresseux.

Parmi les plus fréquents trouvailles : la substitution de la notion de solde migratoire à celle de flux d’arrivée (sans la moindre interrogation sur la composition de ce solde : Français qui s’en vont, étrangers qui arrivent) ; la suggestion que le grand nombre de mariages « mixtes » illustre la soif de métissage de la société française (alors qu’elle se borne à dénombrer les unions entre « Français » et « étrangers », dont la grande majorité se révèle en fait intra-communautaires) ; le raisonnement à la moyenne (soit pour écrêter, au niveau national, des statistiques explosives au niveau local, soit pour normaliser ce qui pourrait choquer, comme le différentiel de fécondité entre « autochtones » et « allochtones ») ; la référence au nombre d’étrangers (« qui n’augmente pas… »), plutôt qu’à celui des immigrés (qui augmente…) ; la référence aux seuls « immigrés », en oubliant les difficultés que cause le comportement divergent de leurs descendants, etc.

Faits enterrés enfin, lorsqu’ils deviennent vraiment trop dérangeants. Deux exemples.

Le premier est relatif aux tests de la drépanocytose, pratiqués sur certains nouveau-nés à risque : maniées avec précaution (elles incluent les Antillais), ces statistiques permettaient de se faire une idée de la proportion des naissances issues de familles d’immigration extra-européenne (39 % en 2016, 75 % en Île-de-France). Il a, tout simplement, été décidé de mettre fin à ce dénombrement, en fermant les portes de l’agence qui en était chargée, pour d’obscures raisons administratives.

Un autre thermomètre qu’on a préféré casser est celui de l’Indicateur national des violences urbaines (donc centré sur les « quartiers sensibles »), qui, après en avoir dénombré 11 000 en 2005, a vu sa publication aussitôt interrompue. Comme si un chirurgien avait précipitamment recousu l’abdomen de son patient après avoir découvert ce qu’il contenait… Grâce aux compagnies d’assurance, on peut néanmoins se rabattre sur la plus innocente des « incivilités », à savoir le nombre de voitures brûlées chaque année (45 000), en grande majorité dans les mêmes « quartiers populaires ».

Au final, l’immigration est le seul domaine non militaire où se pratique une sorte de « secret défense » officieux, avec l’intention éminemment louable de ne pas « mettre de l’huile sur le feu », « attiser la braise » ou « faire le jeu de l’extrême droite ». Observons, néanmoins, que cette triple mise en garde reconnaît implicitement la gravité du problème, puisque, dans un cas, on admet qu’il y a le « feu » ou, à tout le moins de la « braise », et, dans l’autre, on ne fait que choisir entre deux maux, ceux résultant d’une éventuelle montée de l’extrême-droite étant jugés pires que ceux provoqués par la poursuite d’une immigration incontrôlée. En somme, le langage que nous tiendraient des autruches si elles avaient la possibilité de parler.

Serais-je le seul, je trouve personnellement ce type d’argumentation ahurissant, dans la mesure où il ne disconvient pas que le Réel pose question mais trouve de bonnes raisons pour l’occulter.

– Mais si le Réel de l’immigration pose effectivement problème, alors on peut s’interroger sur le « deux poids, deux mesures », entre son traitement et celui de la question climatique. Deux domaines entre lesquels je n’hésiterai pas à établir un parallèle, même si je comprends que celui-ci puisse interpeller : mais dès lors qu’il s’agit de questions qui, chacune à leur manière, devraient relever de la décision politique, ce rapprochement ne me gêne pas.

Comme je l’ai déjà souligné, dans les deux cas, nous avons à faire à des accroissements incrémentaux de grandeurs non-scalables, qui, au-delà de certains seuils, entraînent des effets qui, à tous le moins, interrogent. En outre, il est intéressant d’observer que, dans les deux cas également, se manifestent des négationnistes, qui, curieusement, ne sont pas les mêmes.

.

Mais pourquoi, pour ce qui est des risques pesant sur le climat, déclenche-t-on, au nom d’un principe de précaution impératif, une alerte rouge, de plus en plus impressionnante, saisissant la moindre occasion pour pratiquer de larges amalgames (notamment entre météo et climat, lorsque la corrélation va dans le bon sens) et pourquoi déploie-t-on, en ce qui concerne l’immigration, une pédagogie sophistiquée de l’innocuité, axée, à l’inverse, sur le refus de toute corrélation, même lorsqu’il ne serait pourtant pas illégitime d’établir des liens avec des phénomènes sociaux négatifs ?

[…].

8.4. Les options encore ouvertes.

Face à ce bilan, à mon avis peu glorieux, trois options restent ouvertes :

– Poursuivre dans la voie du « panglossisme » : soit le choix de la théorisation de l’impuissance, dissimulée par un voile d’optimisme, choix le plus facile dans la mesure où il vaut à ses tenants applaudissements et reconnaissance sociale, dusse la société en payer un jour le prix (stratégie du « wishful thinking »).

– Estimer que la Globalisation est un bloc, une force irrésistible, dont l’immigration par le droit est une dimension, certes problématique, mais incontournable, dont il faut s’accommoder au mieux, en bricolant au jour le jour pour en limiter les dégâts et notamment en jetant de l’argent pas les fenêtres (stratégie du « damage control »).

– Juger que le processus d’immigration incontrôlée peut très mal finir et que cette perspective exige impérativement de changer de cap. Ce qui suppose de tenir la Globalisation pour un ensemble sécable, au sein duquel les flux humains peuvent et doivent faire l’objet d’un traitement à part des autres facteurs de production, en raison de leur impact direct sur la coopération sociale et, in fine, la paix civile (stratégie du « contre-courant »).

On aura sans doute deviné que cette dernière option est la mienne, même si je n’exclus pas la deuxième comme une position de repli résigné, en cas d’impossibilité avérée de l’appliquer.

À mes yeux, on PEUT et on DOIT FAIRE, comme nous le montrent certains pays qui ne sont pas tous des parias, à commencer par le Danemark ou les pays d’Europe centrale et orientale, que je connais bien pour y avoir été en poste et qu’il serait aussi présomptueux qu’insultant de tenir pour moins « européens » que nous.

Mais pour sortir des faux-semblants qui nous paralysent, et notamment le parallélisme mensonger qui voudrait que toute politique migratoire restrictive et sélective soit le signe d’un nazisme renaissant, il faudrait que les « dirigeants » (avec guillemets) que nous avons sous la main redeviennent, au moins sur ce plan, des dirigeants (sans guillemets), c.-à-d. n’hésitant pas à rembobiner le film jusqu’aux années 70 et 80, quand leurs prédécesseurs ont jeté l’éponge du politique avec l’eau du bain de l’État national. Autrement dit aient le courage surhumain de prendre le contre-pied, au moins sur ce terrain de l’immigration, du credo autour duquel est structurée la Société des individus, pour renouer avec ces privilèges spécifiques du politique que sont la capacité de « dire non » et de prendre des décisions osant contrarier la norme, tout en cessant de raisonner comme si les marges étaient centrales.

Je ne crois guère à cette rédemption, dans la mesure où même des catastrophes, comme les émeutes de 2005, ou des cataclysmes, comme les attentats de masse, ne sont pas parvenus à la susciter. Mais rien ne m’interdit de rêver à tout ce qui pourrait et devrait être fait pour corriger une trajectoire, que je considère – personne ne peut m’en empêcher – comme périlleuse pour l’avenir de mon pays.

8.5. Quelques idées pour une alternative.

– La voie la plus directe serait évidemment de faire valider d’emblée, par référendum, une loi, si possible constitutionnelle, donnant au gouvernement de la République les moyens d’une révolution copernicienne en matière d’immigration.

Ce serait en effet la seule possibilité de confirmer, par un texte, l’imperturbable constance des sondages, à travers lesquels 55 à 80 % des Français nous font part de leurs réserves, inquiétude, méfiance ou hostilité à l’égard de l’immigration et/ou de l’islam.

Ce serait aussi conférer la légitimité de la souveraineté populaire (que S 3 n’aime guère, mais ne peut encore contester de front) au bras de fer, qui ne manquerait pas de s’ensuivre avec les instances non politiques ayant pris en charge la gestion de nos frontières : CEDH, CJE, Commission, Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de Cassation.

Mais, il faut se rendre à l’évidence : nous ne sommes pas en Suisse. Si je n’ai, pour ma part, aucun doute sur l’issue d’un tel scrutin, je n’imagine guère qu’il puisse être organisé un jour, même si 76 % de nos compatriotes en expriment clairement le souhait (IFOP, 2018).

– Une voie indirecte serait celle, j’en conviens très étroite, que s’ouvrirait un homme ou une femme d’État, tombé du ciel, car doté de qualités devenues aussi rares que la pluie par un été de grande sécheresse : l’énergie, la ruse, l’intrépidité, la force de conviction.

Dans un premier temps, il testerait les limites de ses capacités d’action à droit égal. Et si celles-ci s’avéraient trop étroites, la nation en étant prise pour témoin, il n’hésiterait pas, à travers une réforme constitutionnelle, à « renverser la table » de ce que l’on appelle très abusivement « l’état de droit » (au sens de l’état « du » droit), puisque celui-ci n’est qu’un certain état d’un certain droit. Comme nous le rappelle d’ailleurs la situation dans les enclaves, où ce même « état de droit » est tout simplement remplacé par un autre. À moins qu’il ne s’agisse de « l’État de droit » (au sens où l’État est tenu de respecter la règle de droit), expression floue qui laisse ouverte la question clé de savoir comment et par qui ce même droit est élaboré.

– Ces préalables remplis, il existe un clavier presque infini de mesures, coercitives ou incitatives pour restreindre, d’une part, les flux, d’autre part, les diasporas.

Je dis bien restreindre, car je suis le premier à reconnaître, ne serait-ce que pour le salut de mon âme, qu’une immigration réduite et strictement contrôlée est non seulement inévitable, mais positive pour un pays comme le nôtre.

En fait, l’objectif n’est autre que de remonter dans l’habitacle et reprendre le volant d’un camion, d’où le chauffeur a sauté il y a 50 ans et qui depuis roule tout seul, à vive allure, en commettant nombre de dégâts sur sa route. « Take back control », disaient les Brexiters : mutatis mutandis, ce slogan me paraît parfaitement approprié à la reprise en mains des courants d’immigration.

– En matière de législation, je me reconnais tous les défauts et lacunes de l’amateur, éclairé par le seul bon sens.

Cette réserve faite, je discernerai trois points d’application possibles (lesquels se recoupent en partie et concernent aussi bien V 2 que V 3) : l’entrée sur le territoire, l’absorption des diasporas, l’accès à la nationalité.

Étant entendu que tout commence par de la communication, c.-à-d. des signaux non équivoques indiquant que le vent a tourné (mesure 1). Car, on l’a dit, pour un immigré, le choix de la destination finale est toujours le fruit d’une décision. Y compris dans le cas des réfugiés authentiques, puisqu’ils proviennent tous de territoires dont aucun n’est limitrophe du nôtre. L’immigrant se dirige donc, sous l’effet d’un bouche à oreille démultiplié par les smartphones (dont ils sont tous munis…), vers le maillon le plus faible, c.-à-d. le plus ouvert et généreux, de la chaîne des pays d’accueil.

C’est pourquoi, soit dit en passant, il conviendrait d’établir le principe que toute demande d’asile doit être présentée auprès de la représentation diplomatique ou consulaire française, dans le premier pays d’accueil, voisin de celui que l’on fuit (2). J’ai pu moi-même observer la remarquable efficacité de cette méthode, ayant eu la responsabilité de superviser, au sein de l’ambassade de France en Thaïlande, l’octroi de visas aux réfugiés d’Indochine qui s’y pressaient à la fin des années 70.

* Ceci posé, et le terrain ainsi préparé, il est possible d’envisager la réduction des flux d’arrivée par des mesures directes ou indirectes.

Parmi les premières, on pourrait commencer par ne plus régulariser les illégaux « à l’usure » (3), comme l’habitude en a été prise au bout de 5 ans de présence, soit 20 à 40 000 légalisations annuelles effectuées en catimini.

D’une manière générale, il n’y a d’ailleurs aucune raison de « récompenser » l’illégalité par l’octroi d’un quelconque avantage ou prestation, Aide Médicale d’État comprise (sauf urgences, bien entendu) (4) : il en va d’ailleurs au moins autant de la cohérence de la politique d’immigration que du respect général de la loi sur le territoire, lequel ne se divise pas.

Toujours dans le but de réduire les flux, on peut mettre des conditions à leur composante la plus importante – le regroupement familial –, en testant des procédures de plafonnement par listes d’attente étalées dans le temps (5) et par l’allongement du délai à partir duquel cette faveur peut être accordée (10 ans ?) (6). Car il s’agit bien d’une faveur, dès lors que, en supposant acquis son principe, il n’y a aucune raison pour qu’il ne puisse s’effectuer qu’en France : si l’immigré y tient vraiment, il peut tout aussi logiquement le provoquer par retour au pays d’origine. D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas, qui sont à 57 % partisans de la suppression pure et simple de cette procédure (IFOP, 2017).

Il n’est pas, non plus, impensable de contingenter à des niveaux inférieurs – le cœur serré, mais la main ferme – le nombre d’étudiants provenant des pays dont les diasporas sont les plus nombreuses (7). Là encore, en tant qu’ancien directeur général des relations culturelles au Ministère des Affaires étrangères, je peux vous assurer que, par-delà les discours ronflants sur le rayonnement intellectuel de la France, beaucoup reste à faire pour éviter que cette filière ne constitue une voie d’immigration clandestine (alors même que le nombre d’étudiants accueillis, dont une moitié d’Africains, augmente à la vitesse grand V).

Pour la même raison – le fait que l’immigration illégale arrive moins par la mer et les montagnes qu’elle ne s’installe par extension indue de séjours légaux –, il conviendrait de restreindre les visas touristiques accordés aux ressortissants de pays à risque (8) (dont aucun ne figure parmi les dix plus gros générateurs de recettes touristiques).

Afin d’atténuer les « appels d’air », il s’agit aussi de diminuer la capacité d’attraction sociale de notre pays, non seulement vis à vis des illégaux, mais également des étrangers en situation régulière, en différant dans le temps l’attribution de prestations sociales non contributives et/ou non liées à une activité productive (RSA, aide au logement, etc.) (9), ou en attribuant à tous, Français compris, des allocations familiales limitées à trois enfants pour un même père ou une même mère (10) (afin notamment de mettre un terme au pur scandale de la polygamie de fait dans certaines familles d’Afrique sub-saharienne). Et, encore, suis-je en retrait par rapport aux 67 % de nos compatriotes, qui sont partisans de réserver APL et allocations familiales aux seuls Français et ressortissants de l’UE (IFOP, 2015).

* Quant à réduire la taille des diasporas, ou du moins interrompre leur croissance continue, il faudrait commencer par bannir ce terme toxique du langage officiel, où il s’est récemment introduit, comme, d’ailleurs, celui de communauté, utilisé couramment par ministres et politiques depuis la fin des années 80 (le Président Mitterrand remerciant les « communautés » juives et musulmanes pour leur comportement irréprochable pendant la première guerre du Golfe ) (11).

On peut ensuite agir soit en favorisant les départ hors de France, soit, au contraire, en usant d’injonctions plus fermes à l’intégration (voire, si l’on prend son courage à deux mains, à l’assimilation).

Pour inciter à quitter le territoire ceux qui n’ont pas vocation à y rester, il serait loisible de ne pas renouveler systématiquement à expiration les 4 millions de titres de séjour en cours de validité, par une décision souveraine d’une simplicité biblique, que personne n’évoque jamais (12). L’application de ce type de mesure serait sans doute facilitée par le retard à l’allumage imposé au regroupement familial, que je viens d’évoquer.

Au premier rang de ces refus de prolongations figureraient ceux des étrangers ayant eu maille à partir avec la justice et même l’administration en général (13), les plus graves de ces infractions étant sanctionnées d’une expulsion, soit le retour de la fameuse « double peine », que la novlangue a transformé en pratique honteuse, alors qu’elle me paraît – comme à 84 % des Français (IFOP, 2015) – chose la plus naturelle (14).

Un goulot d’étranglement à l’application de ces réformes tient évidemment aux réticences des pays de départ à récupérer leurs nationaux immigrés illégaux, en leur délivrant des laissez-passer : je pense qu’un des leviers pour les y inciter plus fortement serait de pratiquer un rationnement des visas à l’égard de ces pays, mais plus particulièrement vis-à-vis des élites et de leur progéniture, afin qu’elles mesurent mieux le prix que nous attachons à cet enjeu, avant de rejoindre leurs appartements parisiens (15).

Un grand pas en avant serait également accompli, si l’Europe s’engageait à financer un vaste plan de développement de l’état-civil et de distribution de pièces d’identité infalsifiables en Afrique sub-saharienne, du type de celui que l’Inde, pays de plus d’un milliard d’habitants, a réussi à mener à bien (16).

Pour ce qui est des incitations/injonctions à l’intégration/assimilation, il ne devrait y avoir aucun mal à les rendre plus fermes.

Afin de contrer les débordements du religieux, qui s’y opposent, le biais de la laïcité demeure sans rival, car, du fait de son ambiguïté (neutralité de l’État, de l’espace public ou de la société ?), il est le seul qui permette de jeter un pont inavoué entre les « valeurs de la République », elles-mêmes terriblement équivoques (mais tenues pour politiquement correctes) et les mœurs prévalant au sein de l’État national français depuis au moins 200 ans (référence considérée, elle, comme politiquement incorrecte). En effet, si la puissance publique n’a rien à professer, il n’est pas contraire aux droits de l’homme qu’elle puisse se montrer normative quant à la pratique sociale des religions.

Ainsi, au nom d’une « laïcité » active et d’une vision large de l’ordre public, on peut se fixer des objectifs très divers : ne plus autoriser le foulard à l’université, tout en l’interdisant aux mineurs (17), prohiber le financement étranger des lieux de culte et les prêches en langues autres que le français (18), étendre la pratique des « testings » effectués par le Défenseur des droits – jusqu’ici réservés aux discriminations à l’encontre des « minorités visibles » – aux débits de boisson de facto interdits aux femmes et au port de certaines tenues vestimentaires féminines, jugées trop « françaises », dans certains quartiers (19), etc.

Pour encourager l’allégeance nationale, il me paraîtrait judicieux de faire de l’enseignement chronologique du Récit national l’un des piliers de la scolarité du primaire (20). Tout comme il est urgent de mettre un terme définitif à l’absurdité scandaleuse des ELCO (enseignement des langues et cultures d’origine), même transformés en section internationales (au niveau du CE1 !), qui consiste, pour des descendants d’immigrés, entre autres Maghrébins, à apprendre la langue et les cultures de leurs parents, alors même qu’ils ne maîtrisent pas le français et ignorent tout de la culture française. Il serait cohérent de cesser les subventions publiques aux associations qui enseignent les langues d’origine (21). Dans le même esprit, quelles objections peut-on opposer à l’uniforme obligatoire dans le primaire et au collège, que cela plaise ou non aux parents ? (22)

Concernant l’accès à la nationalité – très important, car, une fois ce seuil franchi, l’impunité juridique devient totale –, il n’y a aucune raison valable pour faire du droit du sol un marqueur de la République, encore moins de la tradition française (car si on invoque celle-ci dans un domaine, pourquoi pas dans d’autres ? ) : en fait, si je comprends bien, ledit droit du sol a été introduit au XIXème siècle pour piéger les descendants d’étrangers résidents qui fuyaient la conscription. Il n’y a donc aucune justification métaphysique à le conserver en tant que tel (23). 56 % des Français partagent ce sentiment (IFOP, 2017).

En toute hypothèse, l’acquisition de la nationalité française par une personne étrangère n’est ni un droit, ni un dû. Elle doit, en toute hypothèse, être le résultat d’un acte volontaire d’adhésion, en forme de serment d’allégeance (24), condition nécessaire, éventuellement suivie d’une période probatoire, assortie de conditions suffisantes, tel un niveau de connaissance élevé de la langue et au moins élémentaire de l’Histoire de France (25). 82 % des Français souhaitent ce renforcement des critères d’obtention de la nationalité. Fort de cette approbation, on pourrait faire passer le nombre de nouveaux Français de 100 000 à 20 000 par an.

Dans le même esprit, il n’y aurait aucun inconvénient à retarder jusqu’à 10 ans la possibilité de devenir Français par mariage (26). Et, si l’on n’a vraiment plus peur de rien, on peut aller jusqu’à envisager la suppression de la double nationalité hors UE et, ce faisant, amener ceux qui la possèdent à faire un choix (27), au passage lourd de conséquences pour certaines équipes africaines de football, en faveur desquelles plusieurs joueurs de nationalité française ont déclaré avoir fait le « choix du cœur » (formule stéréotypée, utilisée à l’envi pour justifier leur geste, mais qui en dit long a contrario sur la nature de leur attachement à la France).

Si l’on tenait à conserver ce signe objectif de double allégeance, il serait loisible de faciliter la déchéance de nationalité, en multipliant les cas de figure et en assouplissant la procédure (28). De même, suivant en cela le gouvernement algérien, pourrait-on réserver certains postes de très haute responsabilité aux simples nationaux (29).

– Si toutes ces dispositions s’avéraient insuffisantes ou, plus probablement, impossibles à mettre en œuvre, il conviendrait de passer à la vitesse supérieure, afin que l’entité France recouvre, au moins partiellement, mais au besoin unilatéralement, sa souveraineté dans un domaine où il en va de sa sécurité intérieure, objectif premier car condition de tous les autres. Ce qui exigerait la renégociation, voire la dénonciation, des textes européens (Convention européenne des droits de l’homme, directives de l’Union) ou internationaux (pacte de Marrakech) qui s’interposent sur le chemin de cette souveraineté retrouvée (30).

– J’ajouterai, en tant qu’ancien diplomate, nourri au lait de la « realpolitik », qu’il me paraîtrait judicieux de dissocier totalement le traitement de l’islam, en tant que religion intérieure à notre pays, et l’Islam, comme enjeu de notre politique extérieure : bien que je conçoive que notre époque ne soit plus celle de François Ier, je crois néanmoins indispensable que ces deux volets soient gardés le plus étanches possible (31).

Ce qui impliquerait que les turpitudes du wahhabisme ou du « frérisme » ne nous soient plus renvoyées au visage chaque fois qu’il en va de l’intérêt national de conclure un accord avec l’Arabie Saoudite ou la Turquie, mais qu’inversement celles-ci s’abstiennent de toute interférence avec la pratique de l’islam ou le comportement de leurs ressortissants à l’intérieur de nos frontières.

Autrement dit, une trentaine de mesures qui reviendraient à nous mettre à dos la terre entière ! À commencer par les « groupes de veto », auxquels j’ai fait référence – experts, intellectuels, médias, ONG, juges –, producteurs et gardiens vigilants de l’idéologie de l’inaction et de l’indignation.

9. OÙ ALLONS-NOUS ?

C’est pourquoi je ne nourris aucune illusion sur les chances d’application de « mon » programme, tant il est à contre-courant de l’esprit du temps. Sauf à envisager – ce qu’évidemment personne ne souhaite – l’hypothèse d’un Grand Soir, où, sous la pression de contraintes devenues insupportables ou d’événements encore plus tragiques que ceux déjà vécus, la fameuse « résilience », si souvent vantée, de la population française finirait par craquer et l’utopie du « sans frontières », comme tant d’autres avant elle, s’écrouler sous le poids d’un Réel, trop longtemps camouflé par l’enflure du discours.
Mais, là non plus, je ne crois pas probable, Dieu merci, qu’une crise soudaine de cette nature puisse se produire dans la décennie à venir.

– En revanche, ce que l’on peut prévoir sans grand risque d’erreur, c’est la poursuite de la fission lente et de la dégradation continue, pour ne pas dire le pourrissement, de notre vie collective, dont la fragmentation autochtone, d’un côté, la communautarisation allochtone, de l’autre, seraient les manifestations dangereusement dissonantes. Soit des effets de ciseaux multiples – démographiques, culturels, religieux, et même ethniques (en raison de la faible proportion des mariages authentiquement mixtes) –, ne pouvant qu’éloigner encore davantage les îles de l’archipel français.

Si, en effet, on continue de laisser les flux d’arrivée s’auto-engendrer par le droit, il ne fait aucun doute qu’ils se poursuivront à des niveaux très élevés et sans filtre sélectif. Il en ira de même des diasporas, dont le développement autonome s’auto-amplifiera aussi par accroissement naturel et rétention. Comment imaginer, dans ces conditions, que la ségrégation n’empire pas, compte tenu d’un renouvellement générationnel qui, contre toute attente, semble voué à élargir les fractures plutôt qu’à les ressouder ?

En fait, si on reprend, en l’infléchissant, la classification d’Hirschman distinguant les différents types de réaction à une situation ou une institution dysfonctionnelles, on peut prévoir que, dans le cas de l’immigration, la défection/sécession (« exit ») et l’interpellation (« voice »), y compris par le biais de la violence, ne feront que croître, et la troisième issue possible, la loyauté (« loyalty »), décroître.

– Que ceux qui ne sont pas d’accord avec ces prévisions réfléchissent néanmoins sur deux faits qu’ils ne peuvent objectivement contester : celui du non vivre ensemble, d’une part, la trajectoire divergente d’une partie des deuxième et troisième générations, d’autre part.

Même si l’on en attribue la responsabilité aux discriminations subies (ce qui n’est pas mon point de vue), ne serait-il pas temps de s’interroger sur le pourquoi de ces « discriminations » ? Ont-elles pour seule cause la malveillance d’une fraction de l’humanité, celle des natifs et assimilés français en l’occurrence ? Ne pourrait-il y avoir une explication moins sommaire et d’application plus générale, par exemple en rapport avec la notion de « distance culturelle », laquelle, si elle est trop grande et les masses en présence trop importantes, suscite PARTOUT dans le monde méfiance et séparation et finalement peur et hostilité ?

– Si, donc, comme je le redoute, nous nous dirigeons vers « more of the same » et, par le jeu de l’exponentiel, « more and more of the same », c’est la validité de la « loi de Collomb » qui va devenir la grande inconnue.

Mon pronostic est qu’à défaut d’un peu probable Grand Soir, la violence ne va en rien diminuer dans les enclaves et que ses incursions en « zone verte » seront plus fréquentes, incursions que le discours officiel s’efforcera de banaliser le plus longtemps possible grâce à un rituel désormais bien rodé.

Cette violence accrue restera largement chaotique et fragmentée, faute, je l’ai dit, d’un comité central et/ou d’une mafia susceptibles de la coordonner à l’échelle du territoire.

En effet, parmi les rares candidats à une telle prise en mains, les jihadistes resteront groupusculaires et ultra minoritaires (d’ailleurs davantage au niveau de l’action que de l’approbation, loin d’être nulle chez les jeunes des cités).

Les « Frères musulmans », seule force digne de ce nom, capable de fournir un début d’encadrement aux immigrés musulmans et à leurs descendants, sont, à ce stade, d’humeur pacifique : leur stratégie vise à acquérir du pouvoir dans la société où ils opèrent, afin d’y imposer leur vision du monde et leur conception d’un ordre islamique conservateur, tandis que leur tactique, proche de celle des communistes autrefois, consiste à grignoter des positions de responsabilité en pratiquant l’entrisme (exemple : leur prise de contrôle du Conseil français du culte musulman, CFCM), la négociation (les modus vivendi avec les élus locaux) et/ou le fait accompli (exemple : le voile dans les sorties scolaires, le burqini sur les plages et dans les piscines).

– Pour autant, on ne peut exclure que, malgré (ou à cause de) ce vide de pouvoir structurel, des circonstances imprévues conduisent à un nouvel embrasement simultané de centaines de quartiers dispersés à travers la France. On ne peut, non plus, écarter, dans cette hypothèse, que les forces de l’ordre classiques se montrent incapables de mettre un terme à des déprédations massives de biens publics et privés aux quatre coins du territoire, mais surtout dans la ceinture de feu qui ne manquerait d’entourer les métropoles, à commencer par la parisienne.

Je suis convaincu que cette perspective n’est pas un fantasme d’obsédés qui, voyant le mal partout, ne savent qu’envisager le pire. J’ai au contraire de bonnes raisons de penser qu’elle est au cœur des préoccupations des responsables de notre sécurité, même si, je le reconnais volontiers, mes anciennes fonctions ne m’ont jamais donné l’occasion d’en connaître directement.

Mais ce n’est pas livrer un secret d’État que d’imaginer que, si une situation d’anarchie ouverte s’étendait et se prolongeait au-delà de ce que furent son extension et sa durée en 2005, il n’y aurait plus d’autres recours pour la contenir que l’appel aux forces armées, sous des formes d’ailleurs peu évidentes à définir, sauf à abandonner des pans entiers du territoire, ainsi que leurs habitants, à une résurgence de l’état de nature au sens hobbesien du terme.

Mais aussi un « remake », qui ne serait plus un simulacre, de la « guerre d’Algérie », lequel marquerait à n’en pas douter un nouveau saut qualitatif, beaucoup plus difficile à digérer par le système que les précédents.

10. EXAMEN DE CONSCIENCE.

Voilà. Vous n’imaginez pas à quel point je souhaite me tromper, en formulant des constats aussi peu souriants.

Vous n’imaginez pas à quel point j’aimerais que l’avenir me donne tort et que ce très long exposé ne reflète que les préjugés et nostalgies d’un homme âgé, incapable de vivre avec son temps.

Je voudrais tellement qu’il en soit ainsi.

Mais, quand on a vécu, comme moi, en Afrique tribale, aux États-Unis en proie aux émeutes raciales, au Vietnam en guerre, au Proche-Orient déchiré, à la porte des Balkans en feu, quand on a dû pendant quatre ans traiter des affaires de l’Afghanistan insurgé, au contact des farouches moudjahidines, quand, durant presque sept ans, on s’est retrouvé en première ligne de la défense de la sécurité extérieure du pays, quand on a scruté jour après jour, parfois heure par heure, les affrontements circulaires, mêlant États et communautés, dans les arcs de crises de Dakar à Manille et d’Alger au Cap, il est inévitable d’en retirer une vision du monde qui n’est ni fraîche ni joyeuse.

Ces expériences tragiques pouvaient, dans un passé pas si lointain, sembler réservées au Second Monde. Ce n’est plus vrai, pour le cas où ce le fût jamais : entre autres manifestations de la Globalisation, l’immigration extra-européenne nous conduit désormais à partager tous ces risques, alors que, paradoxalement, elle tend à les fuir en venant chez nous.

Il est aussi normal, dans ce contexte, de nourrir une idée fixe : tout faire pour éviter que ce chaos ne s’installe dans son propre pays.

Malheureusement, ce que je vois s’y dessiner en filigrane ne me rappelle que trop le spectacle de la marmite infernale qu’est devenu le monde globalisé et dont le Liban, si proche, offre une sorte de maquette à ne pas imiter.

Il m’a paru de mon devoir de le dire, comme il m’a paru évident de vouloir continuer à penser par moi-même sur un sujet où ce droit est carrément dénié.

Car, autant je ne revendique aucune compétence particulière en matière d’Histoire Évolution et de ce qu’elle nous réserve, autant je pense connaître de l’Histoire Événement bien davantage que ceux qui nous gouvernent et dont la naïveté en la matière m’a toujours frappé (au cours de ces fameuses conversations privées auxquelles j’ai fait allusion tout à l’heure).

11. SOUVENIRS D’ENFANCE ET DE JEUNESSE.

Et puis comme toujours, dans toute évaluation subjective, vient se glisser un tout petit élément d’ordre personnel, qui, quoique mineur, tend à jouer son rôle.

Ainsi, quand, la retraite venue, on s’en retourne, plein d’usage et raison, vivre entre les siens le reste de son âge, et que l’on revient dans le quartier qui vous a vu naître et où vous avez passé une enfance et une adolescence heureuses, et que l’on constate que ce petit village au cœur de la petite ville est devenu une parcelle d’un autre continent, catapultée de l’autre côté de la mer par on ne sait quelle force supra humaine, comment ne pas en éprouver de l’étonnement ?

On cherche alors à se convaincre qu’il n’y a là qu’un reflet des changements du monde et qu’il faut d’autant plus facilement s’en accommoder que nos vies familiales n’en sont pas affectées.

D’ailleurs, ce modeste périmètre urbain n’est pas un quartier dangereux, encore moins une « no go zone », colorée en rouge ou noir, ni même en orange ou gris. Ce n’est même pas une banlieue où la police hésite à mettre les pieds : on peut s’y promener et y acheter son journal.

Et pourtant tout a changé. Les terrasses des deux ou trois cafés, autrefois fréquentées par des familles remuantes et joyeuses, souvent d’origine italienne, sont aujourd’hui occupées, du matin au soir, et depuis maintenant des décennies, uniquement par des hommes oisifs, aux regards indifférents ou inamicaux, que l’on préfère ne pas croiser. D’autres tiennent les murs. La plupart poursuivent d’interminables conversations en langue étrangère, aux heures habituelles de travail. La seule véritable activité se concentre autour du vaste supermarché d’alimentation halal, comme l’indique une enseigne au néon bien en vue. Moins visibles, d’autres offrent de la drogue, en quantités, il faut le reconnaître, artisanales, même si les autorités ont dû temporairement fermer le café où le trafic se concentrait de la manière la plus voyante.

Et, puis un beau jour, on apprend que la tenancière française du kiosque a eu de gros ennuis parce qu’elle persistait à vendre de la nourriture non halal. Et puis surtout, un autre jour, on découvre, avec une stupéfaction mêlée d’effroi, que ce quartier d’apparence paisible a vu naître et s’épanouir l’une des plus dangereuses cellules terroristes jihadistes que notre pays ait connues, heureusement démantelée (non sans dégâts collatéraux) avant d’avoir pu passer à l’action.

– Et alors se boucle la boucle. Quand le petit monde entre en résonance avec le grand, on se dit qu’on ne peut avoir tout à fait tort, que nos craintes ne peuvent être complètement infondées et que l’indignation vis-à-vis du discours d’évitement qu’on nous martèle n’est pas non plus entièrement injustifiée.

Je peux donc le dire en toute sincérité. De deux choses l’une. Soit mon diagnostic est erroné et votre fondation pourra regretter d’avoir mis en jeu sa réputation en m’invitant. Soit, si vous trouvez dans mes propos un écho de vos inquiétudes, il importe qu’un cercle de pensée aussi honorable que le vôtre le fasse savoir.

Car je ne vois pas comment, quand on porte ce beau nom de Res Publica, on ne puisse être attaché à ce que la France, en tant que corps politique, historiquement fondé et culturellement défini, recouvre sa capacité à décider de sa propre composition.

Sinon, je crains – et je viens de vous expliquer longuement pourquoi – que nous n’ayons plus que deux perspectives : au mieux, vivre dans un pays où il ne fera plus bon vivre, au pire, survivre dans un pays devenu inhospitalier à lui-même.

Personnellement, ce n’est pas l’alternative que je souhaite à mes enfants.

Merci.

.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Monsieur l’ambassadeur de cet exposé. Vous nous aviez promis d’approfondir un certain nombre de concepts et nous reconnaissons dans votre discours la trame de ce que nous avions déjà perçu dans votre exposé précédent. Ce n’est pas à moi de vous répondre. Le fait que vous ayez pu développer vos analyses aujourd’hui, 2 juillet 2019, est certainement le signe qu’il se passe quelque chose, en tout cas que les problèmes que vous posez méritent d’être débattus à la lumière de la raison. Il faudra naturellement poser le problème de ce que vous appelez vous-même la globalisation qui est quand même à l’origine de tout ce mouvement.

Pourquoi est-on passé de S2 à S3 ?

Qu’est-ce qui fait que la Res Publica n’est plus que le sigle de la petite fondation où nous sommes réunis mais n’anime plus véritablement un certain nombre de nos concitoyens et de nos responsables ?

Je ne développe pas. C’est un débat qui suivra l’exposé que va faire Monsieur l’ambassadeur Teixeira da Silva à qui je donne la parole.

https://www.fondation-res-publica.org/Pour-une-veritable-politique-de-l-immigration_a1227.html

 

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7 Commentaires

  1. Etude fort intéressante,
    je mettrai un bémol, le texte est beaucoup trop long,
    il aurait fallu le présenter en deux ou trois fois,
    ou alors couper des explications et des entrées en matière, pas indispensables à la compréhension générale,
    je doute qu’il soit lu intégralement,

    enfin, le constat est fait, tous les politichiens le connaissent et personne ne veut inverser le flux migratoire

  2. Il a malheureusement raison mais le Français sa préoccupation première après le travail que fait on ce weekend et où irons nous skier et quel camping pour cette été
    Vous prêchez dans le desert les stades sont pleins les cinemas idem et quand aux émissions télé-réalités complètement debile font un carton
    Alors ils accepterons l islam comme ils ont regardés en 39 les troupes allemandes arriver sur Paris beat d’admiration et qu’ils n attendent l’arrivée des G I ils seront dans la même fournaise chez eux
    Aléa Jacta Este

  3. Ce texte est parfaitement construit, précis, et analyse la situation en France et dans le monde avec un regard en raccourci sur l’histoire, quasi visionnaire. Je n’ai pas encore fini de le lire, mais je gage que myrtille@ ne l’a pas lu, pour le comparer à “Calvar”. Parfois -et ce n’est pas du tout ma tasse de thé – je repense à Teilhard de Chardin, obligé par “S1” à fermer sa gu…le et son écritoire car certaines positions sur l’évolution l’ auraient mis non pas dans l’imitation de J.C comme le jésuite gâteux le fait au Vatican en léchant les pieds des muzz, mais dans un processus prétendu “suicidaire” qui aurait été amplifié comme tel, par sa “faiblesse d’esprit” ou quelqu’autre motif rebattu par tous les hiérarques dits chrétiens.Merci Christine, de nous avoir donné sa version de RES PUBLICA

    • Oui il est parfaitement écrit ce texte. Mais il y en a marre de rester sur des constats il faut agir. Ce gars était en position d’alerter et d’agir dès 2002 et il n’a rien fait C’est ça qui m’horripile!

  4. Certes le texte est remarquable. Mais l’auteur a été pendant 6 ans à un poste clé, à la DGSE et on ne l’a pas entendu ni vu entreprendre quoi que ce soit pour enrayer le fléau de l’islamisation. Et pourtant le danger était déjà bien évident à son époque. Maintenant que le mal auquel il a participé est fait c’est un peut tard pour s’en apercevoir et pour en parler.
    Et ne parlons pas de son successeur à la DGSI, l’ignoble Calvar, invité du groupe Bilderberg en juillet 2015 (3 mois avant le Bataclan), et pour lequel le principal péril vient de l’ultra droite.
    On ne peut vraiment pas compter sur ces SR complètement infiltrés et pourris par le haut .

  5. Bonjour,

    Ce texte est remarquable
    .
    Mais, oui, qui, en France, pour en tirer et appliquer des mesures pratiques ?

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