Bavard, excessif, théâtral… Mais le théâtre, c’est son univers et Fabrice Luchini ne laisse jamais indifférent.
Maniant le verbe avec précision, ses interventions à la télévision sont toujours un régal d’impertinence et de drôlerie. Éclectique quant au choix des auteurs et des œuvres jouées, il n’est pas de droite et aurait aimé être de gauche. Venant du peuple, il aime son public qui le lui rend bien.
Fabrice Luchini a accepté de se confier à Laurent Dandrieu, de Valeurs Actuelles, magazine de « l’ultra-droite » honni des gens de gauche (dont Virginie Bloch-Lainé de Libération).
« Deux heures d’érudition, de coups de gueule, de réflexions profondes et tourmentées, de dialogue passionné et passionnant. »
Extraits
Sur l’argent, ses origines, ses parents
« Mon rapport à l’argent, ça n’est pas le sujet – enfin, je peux en parler, c’est un rapport de fils d’immigré italien qui avait une grande dévotion pour l’argent. Mon père était un marchand des quatre-saisons qui vendait des salades, des radis, des choux-fleurs et des fruits, et chaque soir il sacrifiait au rite de la caisse en comptant ses pièces, ce n’était pas rien ! C’était autre chose que le 20 heures, c’était vraiment un grand moment ! »
« […] Je ne suis pas loin d’être un Roumain. Ce qui est sûr, c’est que je n’en reviens pas d’avoir changé de classe. Comment se fait-il que, projeté dans un milieu de petit coiffeur à 14 ans, en 1965, je passe d’un coup de la rue Custine et du métro Château-Rouge au rond-point des Champs-Élysées ? Comment se fait-il que ma mère, qui vient de l’assistance publique, qui est femme de ménage – peut-être parce qu’elle était femme de ménage dans les bureaux du Figaro -, en tout cas trouve une petite annonce disant qu’on a besoin d’un apprenti coiffeur avenue Matignon ? On prend le bus 80, et là, je débarque sur un univers, et d’homosexualité, et de richesse, et d’abondance : c’est épique, proustien, c’est ma découverte subite de la duchesse de Guermantes […] Je n’apprends rien de la coiffure – mais absolument rien, ca a été un apprentissage absurde. C’est là que pour la première fois, je vois l’argent, et je n’en éprouve pas du tout de mépris. »
Ses auteurs, ses spectacles
« Dans Des écrivains parlent d’argent, après Péguy, j’ai glissé Céline parce que, s’il y a deux identités qui semblent ne pas pouvoir se combiner, c’est bien ces deux-là… […] Et puis j’ai placé Victor Hugo, qui m’interroge. […] Donc, j’ai rajouté du Ruy Blas, ça permet de faire jouer le public avec moi, et de s’apercevoir qu’il y a quand même une résistance à la crétinisation générale : il y a encore des gens qui savent Victor Hugo par cœur, qui savent Ruy Blas. »
« Ce qui m’impressionne, c’est l’absence d’impact de Murray […] On pense que c’est un grincheux, un raseur qui n’aime pas les fêtes, alors que son propos est de dire que le festif est totalitaire puisque c’est une destruction du réel, une destruction de l’histoire, une négation de la part négative de l’existence […] Peut-être que si Murray n’est pas compris, c’est parce que personne n’a envie – et ils n’ont peut-être pas tort – de trouble-fêtes, de douloureux… Personne n’a réellement envie de lire Freud ou Nietzsche parce que ça conduirait à se dépasser soi-même. Personne n’a envie de vraiment écouter le Christ […] »
« Ce qui me paraît menacé, c’est le génie de l’esprit français que Nietzsche adorait, la rapidité et la légèreté. »
« Il y a dans le succès de mes spectacles quelque chose d’identitaire. Quelque chose qui fait prendre conscience aux gens qui m’écoutent de l’existence d’un patrimoine […] la richesse ahurissante du répertoire littéraire français, sa drôlerie, sa gravité, tous nos génies, Molière, La Fontaine, Guitry, Rimbaud, Céline, Jean Cau, Hugo etc. »
Sur le téléphone portable
« Je m’y suis laissé prendre comme tous les Français, je suis totalement addict, aliéné ! J’espère toujours que quelqu’un m’appelle alors que personne ne m’appelle ! Je regarde au moins cent fois par jour cette cochonnerie […] Dès qu’il y a un moment un peu faiblard, on se précipite sur le portable… Et c’est partout ! Les modestes, les riches, les pauvres… Parce que c’est une incroyable promesse que, peut-être, le moment de désarroi, d’ennui, va être compensé par un truc marrant ! Que cela soit du sexe ou un but de Mbappé, il y a toujours des choses à regarder […] J’ai du mal, un mal fou à lire…»
Sur la gauche et la droite
« C’est un peu désespérant, mais pour autant ça ne justifie pas le projet de la gauche qui veut les amener de force à la culture : « Tu vas te le taper, le Wagner, sinon je te mets un coup de boule ! »
« […] Il y a un fond de commerce qui n’est pas nul et qui est même très efficace : c’est l’indignation. Ça, ça fédère, personne ne peut être pour les horreurs de l’injustice, et, grâce à cela, on voit que tu es quelqu’un de bien parce que tu n’es pas égoïste […] Je trouve que la société a un autre défaut : c’est la délation, y compris des artistes entre eux. »
« […] Il m’a fallu trente ans de fréquentation de la bourgeoisie de gauche pour mettre au point cette réplique : « J’adorerais être de gauche, mais je trouve que c’est une vertu tellement élevée que j’y ai renoncé. Le génie moral, le génie de l’entraide, c’est trop de boulot ». Alors après, j’ai tellement été dur avec les contradictions absurdes de la bourgeoisie de gauche qui veut le beurre et l’argent du beurre que j’ai dû rééquilibrer en tapant aussi sur le cynisme de la droite. Mais la supériorité de la droite sur la gauche, c’est qu’elle a intégré la méchanceté. En un mot, la gauche ne comprend pas la méchanceté ; elle croit, comme Rousseau, que les gens sont bons et que c’est à cause de la société dégueulasse que les gens sont immondes. Mais elle n’a pas compris que, comme dirait Céline, l’exploité, à la seconde où il devient exploiteur, deviendrait aussi vache que son exploiteur de la veille […] La gauche se projette spontanément sur les problèmes de l’Afrique, tandis que la droite reste sur son palier. Moi, je revendique totalement de ne comprendre que mon palier ! »
« Ce qui est épouvantable dans la droite, c’est quand elle assume l’égoïsme de classe, et le mépris du populo : « Laissons les gens avec leur télé et leur pastis, ils sont très heureux comme ça ». En revanche, ce qui n’est pas trop mal, c’est que la droite ne rêve pas, elle ne veut pas rendre heureux les gens de force. Moi, je n’ai absolument pas envie que l’on rêve de ma destinée. Ce qu’il y a de terrible dans la gauche, c’est que le collectif y est une obligation. Un jour, j’ai dîné avec l’assistante de Jean-Paul Huchon […] « Donc tu es à gauche ? Mais c’est quoi, être de gauche ? » Et là, elle m’a dit : « C’est savoir que nous avons des choses à faire ensemble ». Ça veut dire qu’il n’y a pas d’existence autre que notre existence sociétale, comme disent les crétins ; on est condamné au collectif. Et l’aboutissement logique de cela, c’est d’être contre la propriété privée […] Mais quand vous écoutez Badiou, c’est extraordinaire ! Il vous dit : « Oui, d’accord, il y a eu des petites erreurs dans le communisme » […] il continue de penser que tout provient de là, que le drame, c’est la propriété privée. »
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Tous les migrants,grands connaisseurs de littérature classique française,sont des fans de Luchini.
Excellent, c’est Moix qui avait sorti ça ?
Merci pour ce texte riche et intelligent.
Je rajouterais un point de vue que je crois ni Luchini, ni Muray n’envisageaient et qui je crois permet de comprendre la gauche : la gauche actuelle,, contrairement à la droite est un mouvement religieux, très religieux même. Une religion sans dieu, certes, une religion non-monothéiste, mais avec les mêmes caractéristiques que tous les autres systèmes religieux. Ne pas prendre cela en compte, quand on aborde la gauche, c’est passer à côté de l’essentiel : entre autres cela explique beaucoup de bizarreries, comme le déni du réel. La gauche est une sorte de christianisme dévoyé qui aurait expulsé Dieu de la scène.
mmmmh… angle de vue original et pas faux
Un Jacques Dufilho qui lui était un vrai réac jouant des personnages de gauche, mais Lucchini lui est festif, pas grincheux, gourmand de la langue avec tout le côté révigorant nécessaire en ces temps de dégringolade organisée,
@Fomalo et Paco : merci !
Mais c’est surtout Valeurs Actuelles qu’il faut remercier…
Avant, il m’agaçait et maintenant, dans la déliquescence ambiante, il me réjouit.
Idem, à ses tous débuts je le trouvais un peu pénible.
monsieur Luchini, la culture, l’humour et la vacherie tout ca bien enveloppé dans une tournure de phrase digne du grand Molière.
respect total monsieur Luchini.
Alors laaaaa, alors laaaa. J’avais mal commencé la journée, fin de lune noire… Luchini, Fabrice. Que voilà une thérapie de choc. Ce type est vif comme un crotale et plus acide qu’un citron pas mur. C’est à cause de ce type que l’on a inventé le boulon Nylstop. sa vibration dévisse tout et pas n’importe quoi ! C’est un tueur de baratineurs. Pas d’égal à ce jour. Môôôsssieur Luchini ! Merci Yan !
« Moi, je n’ai absolument pas envie que l’on rêve de ma destinée. Ce qu’il y a de terrible dans la gauche, c’est que le collectif y est une obligation. »
Terrible et frappant constat de Luchini! Je suppose qu’il a exclu à dessein en tant que pléonasme, l’expression « idéologie collective » , qui nous ramènerait à d’autres combats..et qu’il exprime magnifiquement juste après par: « pas d’existence autre que sociétale, comme disent les crétins; »
Merci Yann Kempenich de cet article revigorant, propre à nous délecter de nos génies de l’esprit français et à nous rappeler le patrimoine commun.