« Notre guerre au Katanga », un manuel pour comprendre ce qui est en train de nous arriver

Préambule : la présentation ci-après de la guerre du Katanga est un élément d’intérêt historique, une invitation à la réflexion sur les avertissements qu’elle contient et sur notre actualité.

Le colonel Roger Trinquier, parachutiste ayant combattu en Indochine et en Algérie où il fut l’adjoint du général Massu, a écrit plusieurs livres dont « Notre Guerre au Katanga ».1

Il y relate son engagement aux côtés des rebelles katangais, après qu’il eut été sollicité par Moïse Tshombé et avec l’accord du gouvernement français.

Connaissez-vous le Katanga ? C’est une grande province située au sud du Congo, bordant le lac Tanganyika. C’est la plus riche avec son agriculture, son élevage, mais surtout avec ses gisements divers, précieux, considérables et donc jalousés : cuivre, uranium, cobalt, métaux rares, diamant… Quel Congo ? Le Congo Belge, aurait dit Tintin. Le Congo ex-Belge, le Congo-Léopoldville, le Congo-Kinshasa, le Zaïre, enfin aujourd’hui la République Démocratique du Congo. Ceci après que la colonisation, l’émancipation, l’indépendance, la succession des chefs d’État et des appellations de la capitale aient tant de fois changé le nom de ce malheureux pays. Le Congo-Léopoldville se différenciait du Congo-Brazzaville colonisé par la France et aujourd’hui appelé République du Congo. Toute une page d’Histoire.

Connaissez-vous Moïse Tshombé, Patrice Lumumba, Joseph Kasa-Vubu ? Tous ces noms entendus dans mon enfance prennent vie, visage, personnalité et histoire dans le livre du colonel Trinquier. Moïse Tshombé fut le chef de la rébellion katangaise, Patrice Lumumba fut Premier ministre du Congo et Joseph Kasa-Vubu son premier Président de la République. Mais peut-être n’avez-vous entendu parler de cette province rebelle que dans le film « Le dernier train du Katanga » ou plus tardivement dans « La légion saute sur Kolwezi », à la fois film et livre2.

Lorsque le Congo se trouva dans des difficultés de toutes sortes, faute d’une gestion prévoyante et lucide, la Belgique pressée par des intérêts supranationaux (déjà !) décida lâchement mais très opportunément de le laisser accéder à l’indépendance. Aussitôt, la province la plus riche se trouva des raisons de revendiquer son détachement de ce pays, dont les frontières avaient été établies par les colonisateurs, sans considération pour les multiples aspects géographiques, ethniques, linguistiques, culturels… mais seulement en fonction des aléas des explorations et des critères nettement intéressés pour les ressources naturelles, en surface et surtout en profondeur. Précisons aussi qu’il exista dans cette région une concurrence de colonisation entre la France, la Belgique et le Royaume-Uni, ce dernier étendant sa présence grâce aux efforts de Cecil Rhodes, fondateur de la Rhodésie voisine devenue aujourd’hui le Malawi, la Zambie et le Zimbabwe.

Retrouvons le livre du colonel Trinquier :

Historiquement, il est connu que les Arabes réduisirent des Noirs africains en esclavage dès le VIIe siècle avant Jésus-Christ, sévissant d’abord sur la côte Est de l’Afrique avant de pénétrer plus à l’intérieur des terres et arriver jusqu’au Katanga. On notera que l’islam étant paraît-il une religion de paix et d’amour, il aurait dû, à partir de sa création au VIIe siècle de notre ère, mettre fin à ces 1400 ans de mise en esclavage des Noirs par les Arabes majoritairement devenus musulmans.

Citation : « Le premier problème grave pour les Belges allait être, dès lors, la lutte contre les marchands d’esclaves arabes qui, depuis vingt-six siècles, avaient déporté vers le Proche et l’Extrême-Orient des dizaines et des dizaines de millions de Noirs. Ce qui rendait le problème très difficile, c’est que ceux-ci représentaient la seule force véritable, la seule opposition dangereuse. Le plus important d’entre eux, celui qu’en fait tous reconnaissaient comme leur Chef , était le richissime Tippo Tip. Il était mi-nègre, mi-arabe. Il avait toute l’astuce et la duplicité de sa mère Bantoue, tout le sens des affaires et le mépris de la vie humaine de son père musulman (…) Le premier incident entre Européens et Arabes a lieu (…) parce que les pionniers belges avaient eu la sagesse un peu lâche de comprendre qu’il fallait accepter les Arabes et leur commerce de « bois d’ébène », faute de moyens pour les combattre : en un mot qu’il fallait, suivant le vieux dicton, « tolérer ce qu’on ne pouvait empêcher. » (…) La piste des esclaves est jonchée de crânes et d’ossements humains. En l’espace de quelques jours, nous rencontrâmes trois caravanes qui transportaient un peu d’ivoire et des centaines d’esclaves, attachés par dix et vingt à des carcans et à de larges chaînes. (…) Le quart de ces malheureux arrivera à peine à la côte. »

Le 5 Janvier 1961, le colonel Trinquier reçut une invitation écrite du gouvernement sécessionniste katangais pour prendre le commandement de son armée et assurer le recrutement d’une centaine de gradés, de préférence français ou allemands. Il sollicita alors un entretien à ce sujet avec Pierre Messmer, ministre des Armées, duquel il obtint l’autorisation de se rendre au Katanga en « mission d’information ».

Citation : « Monsieur Messmer, ancien haut fonctionnaire colonial, ayant longtemps servi en Afrique Noire, était particulièrement intéressé par cette affaire et les avantages que la France et la Communauté pourraient en tirer. Il est bien évident que si j’avais rencontré une opposition quelconque à ce projet de la part du gouvernement français, je serais retourné à Nice. » (où il était en poste). Au contraire on me promit une aide dont la forme était à étudier en fonction des incidences qui pourraient se produire. Par contre les Affaires étrangères françaises manifestèrent aussitôt une nette opposition à ce projet. »

On voit déjà là l’ambiguïté de la position gouvernementale française, deux ministères étant en opposition, et la promesse d’aide plus que vague, sans précisions, non écrite et sujette à aléas.

Le 28 Janvier suivant, le colonel Trinquier devint Commandant en Chef des forces armées katangaises, sur décision du président Moïse Tshombé. Après avoir, bien sûr, et selon la recommandation de Pierre Messmer, démissionné de l’Armée française. Ce qui dégageait totalement la France -du moins officiellement- de la suite des événements.

Après une série d’inspections, le colonel Trinquier rédigea à l’intention du Président katangais une longue lettre où il exposa que la situation au Katanga était encore maîtrisable, les ennemis de l’intérieur (manipulés par le gouvernement belge et les puissances supranationales) étant encore en phase d’approche subversive et les troupes gouvernementales congolaises toujours inactives. Il mit en garde Moïse Tshombé contre un attentisme suicidaire, faisant référence à l’action subversive du FLN algérien ayant investi Alger avant de déclencher des attaques terroristes, et que la 10e Division Parachutiste eut le plus grand mal à vaincre. Les Belges du Katanga étaient divisés quant à l’action entreprise et les Français très bien vus par les Katangais, voyons pourquoi :

Citation : « Les cadres katangais, en particulier tous les membres du gouvernement, exprimaient pour la France et tout ce qui était français une profonde sympathie. La façon dont la France avait accordé l’indépendance aux États d’Afrique Noire (…) l’entente et la coopération (…) donnaient à tout ce qui était français un immense prestige. Ils espéraient donc qu’avec moi et à travers moi ils bénéficieraient de l’appui de la France et de son aide dans tous les domaines. (…) Nous avions donc la possibilité d’ouvrir à l’influence française un jeune État neuf, plein de promesses et qui attendait avec confiance l’aide de la France. (…) La France avait donc au Katanga une œuvre immense à accomplir, d’autant plus facile à réaliser qu’elle nous était instamment et sincèrement demandée. »

Par la suite, diverses manœuvres politiques réussirent à décider le président Tshombé à éloigner le colonel Trinquier.

Citation : « Le capitalisme international avait su habilement dresser la presse contre moi, en particulier la presse de gauche, ce qui peut paraître aberrant. En effet, que voulions-nous, mes camarades et moi : nous voulions aider un petit peuple noir à devenir une nation libre et à jouir en paix des richesses de son sol. Nous nous sommes heurtés aux grandes puissances (…) au communisme (…) Les Belges (…) espèrent contre tout bon sens, maintenir l’unité du Congo, seulement pour y conserver la totalité de leurs intérêts qui sont immenses. C’est la raison qui détermine une politique qu’ils poursuivent avec obstination, dût la totalité du Congo sombrer dans l’anarchie. »

Le 13 Septembre 1961, l’Organisation des Nations Unies déclencha l’opération Morthor, destinée à mettre fin à la sécession katangaise. Une dure bataille se déroula dans Jadotville3 que les troupes de l’ONU faillirent gagner. Mais une poignée de volontaires français en décida autrement. Un bel exemple de courage et de volonté. Ce passage du livre donne une toute autre vision que celle communément présentée des Casques Bleus préservant la paix, défendant la veuve et l’orphelin, telles qu’on m’en donna l’image à l’époque et qui persiste aujourd’hui dans l’opinion publique.

Citation : « Elle était défendue (la radio) non par des paras-commandos, mais par des policiers qui se rendirent presque sans combat. Les survivants furent immédiatement exécutés d’une balle dans les reins, à la façon gurkha et jetés dans une fosse commune. (…) Utilisation de l’hôpital italien de la Croix-Rouge militarisé par l’ONU, derrière la poste centrale, comme poste de combat (…) L’infirmier S. M., en blouse blanche et brassard de la Croix-Rouge, fut mitraillé et grièvement blessé (…) Des tireurs d’élite de l’ONU, embusqués à la poste et dans des bâtiments environnants, ont tué et blessé des civils, dans le but probable de terroriser la population civile. (…) Et la liste continue, interminable. On y parle d’ambulances mitraillées, d’ambulanciers, d’infirmières tués en ramassant des blessés, d’otages emmenés de force au quartier général de l’ONU (…) de blessés katangais achevés. »

L’ONU perdit son secrétaire général, Dag Hammarskjöld, dans un accident d’avion probablement provoqué par une tentative de détournement qui a mal tourné (un corps en trop dans les débris de l’avion et un autre antérieurement blessé par balles) selon le récit du colonel Trinquier. Depuis lors, plusieurs enquêtes ont été relancées mais se heurtent à l’opposition de divers gouvernements. Malgré l’horreur de l’intervention des troupes de l’ONU à Jadotville, à Elisabethville et ailleurs encore, Dag Hammarskjöld reçut le Prix Nobel de la Paix à titre posthume.

Citation : « Mais la vanité des Noirs qui voulaient avoir seuls gagné la guerre, et la jalousie des Belges, réussirent à dissocier le groupe français. (…) Dans le même temps, un ancien sergent de la force publique à peu près analphabète, Muké, devenait général en chef. Lorsque le 5 Décembre, l’ONU repassa à l’attaque, elle avait reçu d’importants renforts. (…) Sans le moindre risque, les aviateurs de l’Organisation des Nations Unies s’en donnèrent à cœur joie : les hôpitaux, la gare, la brasserie, les hôtels, la poste et même la morgue furent leurs objectifs favoris. Il y eut d’innombrables victimes parmi la population civile. (…) Ne disait-on pas à Elisabethville que (…) la principale actionnaire privée de l’Union Minière du Haut Katanga était sa gracieuse majesté la Reine d’Angleterre. La cheminée de la Lubumbashi, l’une des plus hautes du monde, symbole légendaire de la prospérité à Elisabethville soudain s’arrêta de fumer. Et tandis que les stocks chiliens, américains et scandinaves trouvaient enfin preneurs les combats cessaient l’un après l’autre. Un accablement lourd de menaces s’était abattu sur la ville qui avait pour seul tort d’avoir cru qu’un peuple a le droit de disposer de lui-même. (…) La plus grande discrétion, par contre, fut observée sur des échantillons d’un mystérieux minerai qui fut aussitôt remis par les forces de l’ONU à des civils américains pour expédition immédiate aux États-Unis : une preuve de plus que l’ONU n’était plus que l’instrument d’une politique. »

En Janvier 1963, après deux ans de guerre, l’ONU parvint à mettre un terme à la sécession du Katanga et à faire accepter un plan de « réconciliation nationale » au Congo. On connaît la suite : quinze ans plus tard, la Légion sautait sur Kolwezi.

Laissons le mot de la fin à l’un des héros de cette aventure, l’un de ces « Affreux » comme les avaient surnommés les petits employés belges du Congo, le capitaine Ropagnol, jugé pour recrutement de mercenaires alors que le gouvernement français avait donné son accord au colonel Trinquier avant de louvoyer dans la compromission, le mensonge et le reniement :

« Laisse-moi au moins me comporter en Gascon. J’irai devant mes juges comme on va à la guerre. Jusqu’à ce jour, j’avais peur de me retrouver seul. La peur, compagne fidèle, m’a quitté et je réussis maintenant à me retrouver moi-même. Chacun d’entre nous doit savoir mener ses propres batailles, même laissé seul devant l’ennemi, et apprendre à les gagner ou les perdre avec ou sans l’aide de ses alliés ou de ses chefs. Je tiens, en un mot, et avant toute chose, à sauver le reste de dignité de l’équipe katangaise, et à le faire avec une certaine grandeur. »

 

1 « Notre guerre au Katanga », colonel Roger Trinquier,

156 pages, La Pensée Moderne, 1963.

Ce livre en grand format est composé d’une succession régulière de doubles-pages écrites ou photographiques. Les photos ne sont pas toutes légendées et leurs références dans le texte ne sont pas toutes évidentes. À cette époque, le floutage obligatoire n’existait pas.

2 « La Légion saute sur Kolwezi, opération Léopard », Pierre Sergent,

240 pages, Presses de la Cité, 1979.

3 Bataille relatée dans Siege of Jadotville,

film irlando-sud-africain sorti en 2016, en exclusivité sur Netflix.

Notons que sa fiche Wikipédia précise que les combattants français étaient

« à la solde des compagnies minières », une singulière façon de réécrire l’Histoire !

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7 Commentaires

  1. EN politique étrangère nos meilleurs ennemis sont souvent parmi nos meilleurs amis mais nous avons aussi le privilège d’en avoir aussi pas mal a l’intérieur la guerre d’Algérie nous en a donné la parfaite et triste illustration .

  2. « Connaissez-vous Moïse Tshombé, Patrice Lumumba, Joseph Kasa-Vubu ?

    OUI 😆

    comme le Biaffra……………..souvenirs! souvenirs ……..

    toute l’ Afrique noire est vouée a la catastrophique gestion de pseudo dirigeants soucieux surtout de s’ offrir de belles bagnoles, de belles lunettes -pas de chez Aflelou-, de belles femmes (jamais blanches, celles la sont réserveés aux joueurs de baballe, et……….et………de somptueux appartements Avenue Foch a Paris (coté droit en venant de l’ Arc de Triomphe) on les reconnait a la couleur blanche de peau des chiens de garde devant les entrées, sans oublier bien sur les milliards déposées dans ces banques si accueillantes ………..lesquelles banques attendent patiemment la chute du roitelet pour garder le magot (voir le Canard enchainé de cette semaine pour connaitre les péripéties du magot de Khadafi: 15 milliards d’ euros en déshérence…) 😆

    • et des châteaux ! puisque certains ont été confisqués ; j’y ai vu des robinets en or ! pendant que les populations crèvent de faim !

  3. Le bidule ,le machin à des crimes et du sang sur les mains , ce truc ne sert à rien ,si juste à foutre la merde et à s’accaparer disons  » légalement  » dans le monde les pays et y mettre des gouvernements fantoches à leur solde en étant pire que celui renversé , Cette grosse pompe à fric (l’onu) ne sert à rien et n’a jamais empêcher les conflits ,bien au contraire , le bidule sert les intérêts des grandes multinationales ( donc la haute finance ) pour le malheur des peuples et des pays , nous en avons de multiples exemples depuis des dizaines d’années .
    A bas le bidule , le machin , le truc , cette organisation ne sert à rien , elle entraîne les peuples dans la misère et la guerre .

  4. Trahisons, mensonges, reniements… Ça grouille, ça grouille et ce n’est pas prêt de s’arrêter.
    C’est la mondialisation « heureuse » promise par les salauds.
    « Laissez-nous décider de ce qui est bon pour le business… Fermez vos gueules et disparaissez ! », nous disent-ils.

    Il est important de faire revivre tous ces témoignages et de tenter (si c’est encore possible) de déchirer le voile de honte et de mensonge qui recouvre trop souvent l’Histoire, manipulée, tronquée, quand elle n’est pas réécrite…
    Mais y-a t’il encore des historiens honnêtes (si oui, ils sont de plus en plus discrets) ? Pressions ! Chantages !… Allez savoir…

    Merci « Daniel Pollett » d’avoir contribué à cet impératif de mémoire.

    • Non, le Belgique était bien impliquée dans la sécession Katangaise.
      L’appui du gouvernement Belge et principalement de l’Union Minière étaient bien en faveur de Moise Tshombé.
      L’échec de cette sécession repose sur l’appui de l’Urss favorable a Lumumba et des USA soutenant Mubutu.

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