Les Révolutionnaires, mêmes ceux de 1793, pratiquaient la préférence nationale

De la garantie des droits constitutionnels

http://resistancerepublicaine.com/2016/09/20/farida-bekhaled-soupconnee-de-preparer-un-attentat-remise-en-liberte-pour-un-retard-de-courrier/

Cher M. Jean Lafitte,
Merci pour cet intéressant article où vous abordez la question délicate de la garantie des droits constitutionnels des Français. Je voudrais souligner et montrer aussi que posent également problème l’octroi de ces droits aux mêmes citoyens et l’exercice, par ces derniers ou par leurs représentants, des droits qu’ils ont déjà.

Le problème que vous soulignez dans votre article est celui du fonctionnement de l’administration judiciaire. Ce sont des défaillances humaines dues à une charge de travail colossale chez certains juges. A mon avis, cet épisode, même s’il ne s’agit pas d’un fait isolé, ne suffit donc pas à justifier une révision constitutionnelle. A moins que ce soit pour changer le statut du juge, décider qu’il devra répondre de ce genre de faute, instituer une responsabilité qui vise à dissuader les négligences, mais là encore il est plus facile d’accuser l’agent que de rechercher les causes profondes du dysfonctionnement. En partant du principe qu’il demeure des juges intègres et sérieux. Un Philippe Bilger est bien un ancien magistrat après tout… Une responsabilité automatique ne devrait donc pas être consacrée, mais une responsabilité pour faute tenant compte de la défaillance humaine et non des vices du système dans son entier. C’est une question très complexe (voir l’étude de la Cour de cassation : https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2002_140/deuxieme_partie_tudes_documents_143/tudes_theme_responsabilite_145/faute_fait_6107.html).
Votre évocation de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 m’a semblé passionnante. Je ne crois pas qu’il existe quelque part un indice permettant de dire que l’ordre d’énonciation des « droits naturels et imprescriptibles » réponde à une logique particulière, notamment un classement par ordre d’importance décroissante. Cela dit, il paraît probable qu’inconsciemment, nos Révolutionnaires avaient énoncé ces droits dans cet ordre en suivant cette idée. Ils n’étaient pas communistes. Ils étaient très attachés à la propriété, qui vient juste après la liberté, mais je crois qu’ils étaient effectivement plus attachés à la liberté qu’à tout le reste, celle-ci étant d’ailleurs un riche concept, puisqu’elle se décline en de multiples variétés. La propriété est d’ailleurs juridiquement un concept très riche aussi, il n’est donc pas étonnant qu’il arrive en second.
Quant à la sûreté, dans l’esprit des Révolutionnaires, c’est la garantie des droits (dont parle l’article 16 que vous citez à la fin de votre texte), plus spécialement dans l’ordre du droit pénal. Donc on est en plein dedans aussi avec cette affaire de terrorisme. Mais le concept est moins riche, quoi qu’il y ait aussi toute la tradition à la suite de « l’Habeas corpus », mais pas de quoi, quand même, rivaliser avec la propriété et la liberté, dont les racines sont multimillénaires. On pourrait même aujourd’hui faire une nouvelle lecture du texte, en envisageant la sûreté sur un plan « horizontal » (une terminologie habituelle dans le domaine des droits de l’homme) : la sûreté CONTRE les sauvages avec lesquels nous devons cohabiter. Les Révolutionnaires l’envisageaient CONTRE le pouvoir institué, dans une approche « verticale » (le pouvoir étant à l’époque à un autre niveau que le sujet, d’où cette image qui est restée). Nous ne vivons plus à l’époque où il paraît qu’on pouvait laisser sa maison ouverte en plein jour sans risquer de se faire égorgé. Nous ne vivons plus non plus à l’époque des lettres de cachet. Le danger s’est déplacé et il a empiré, puisqu’il vaut mieux finir au cachot sans plus d’explication, qu’entre les mains d’un assaillant hurlant « Allah Akbar » fonçant sur vous avec son camion lancé à 80 km/h.

Quant à la résistance à l’oppression, on sait ce qu’il faut en penser, c’est-à-dire… pas grand-chose. La Constitution dont l’article 35 est souvent cité sur les sites patriotiques et même par les révoltés de tout poil est celle de 1793, qui n’est plus en vigueur. La résistance civile, résistance à l’oppression, relève de l’arlésienne, elle n’est organisée par aucun texte de droit positif. Ce n’est pas étonnant, ce serait un détonateur pour n’importe quel pouvoir en place ; pour une fois, on s’est bien gardé de légiférer à ce propos. Il n’empêche que la Déclaration de 1789 ayant une force juridique bien actuelle, c’est un droit suprême, dont on peut se demander s’il est bien respecté d’ailleurs en ce moment, au vu des procès subis par certains dissidents politiques, mais encore faut-il caractériser une oppression (cela pourrait peut-être fait, notamment, en envisageant les manifestations interdites pour certains et autorisées pour d’autres en plein état d’urgence).

Vos réflexions finalement pourraient conduire à faire ce qu’on n’a théoriquement pas le droit (je crois) de faire ici : critiquer l’héritage de 1789 sur ce point. Peut-être trop d’importance a-t-elle été attribuée à la liberté, mais au fond, je crois que tout bon lecteur de la Déclaration de 1789 doit être capable de voir qu’il s’agit avant tout d’un procédé rhétorique. La liberté est magnifiée, mise en avant, première dans l’ordre, mais personne n’était assez fou pour penser que la liberté permet tout en pratique, d’où l’article 4 que vous citez ensuite d’ailleurs. On voit quand même que l’ensemble est équilibré de ce point de vue. Du coup, il n’y a pas lieu de remettre en cause ce système. Il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution, mais plutôt le droit pénal législatif, principalement contenu dans les codes pénal et de procédure pénale, donc selon une procédure moins contraignante. De ce point de vue, quant aux institutions faisant partie de la Constitution de 1958 au moment de son adoption, il me semble qu’il n’y a à revoir véritablement que le duo président de la République / premier ministre, qui fait double emploi. Le reste de la Constitution ne pose pas vraiment difficulté. Depuis, l’introduction de l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution pose problème : elle ne doit pas y figurer afin de résoudre les difficultés que rencontre la France. Certes, on pourra rétorquer que la peine de mort était très peu pratiquée lors de son abrogation, mais 35 ans après, le contexte ayant changé, il faudrait rattraper le retard accumulé et il y a une faune suffisante pour y être éligible me semble-t-il… Bien sûr, depuis aussi, figurent dans la Constitution les textes relatifs à l’Union européenne, qui seraient abrogés par un « Frexit ». Dans l’affaire que vous évoquez, donc, la liberté n’est pas une ennemie dans ce combat, en tant que principe fondateur de la République, puisqu’en découle notamment le droit à la vie, dont les frontières sont l’objet d’un débat éthique, politique et lié aux croyances religieuses des uns et des autres notamment, mais on peut au moins se mettre d’accord sur le fait qu’un individu né viable et qui ne veut ni se suicider, ni être euthanasié, peut revendiquer ce droit contre l’Etat à propos de sa sécurité, sauf, pratiquement, cas de force majeure !

Cette idée me semble aussi sous-jacente finalement à votre exposé, même si vous ne l’avez pas formulée ainsi.
Comme vous le dites, il vaut mieux prévenir que guérir et l’Etat, aussi responsable puisse-t-il être dans une défaillance des services publics, sur le plan de sa responsabilité administrative, se met d’ores et déjà en faute lorsqu’il laisse traîner « dans la nature » (car nous sommes revenus à l’état de nature, ce ne sont que de vieilles habitudes de vie, qui se délitent progressivement, qui donnent l’illusion que nous sommes encore en société) des individus dangereux dont il pourrait prévoir qu’ils vont passer à l’action criminelle et dont il pourrait empêcher les méfaits. Les pouvoirs publics, dans leur majorité, actuellement, font des paris sur nos vies : ça passe ou ça casse, si ça casse, l’Etat paiera au titre de sa responsabilité, on pleurera, on sortira les bougies, etc. puis… au suivant. L’argent public sert à indemniser les victimes et leurs familles et à créer des nouveaux organes administratifs ou assimilés (cf décret du 3 août évoqué dans un précédent article + le marché naissant de la déradicalisation). La force majeure exonérant une personne de sa responsabilité suppose, selon une présentation habituelle, qu’elle soit un événement imprévisible, irrésistible et extérieur au débiteur, en l’occurrence, celui qui nous doit la sécurité. En nous fournissant une prestation de service de sécurité au rabais (puisqu’il n’y a plus d’Etat, mais un prestataire se goinfrant d’impôts pour nous vendre une camelote qui mériterait à tout commerçant digne de ce nom un bon procès pour la qualité défectueuse de ses services), avec un droit pénal qui ne fait plus peur qu’aux honnêtes gens, l’Etat se met en situation de faute permanente et en assume le risque. On finira même par parler de responsabilité sans faute, obligeant à payer automatiquement, comme si l’Etat plus qu’endetté en avait les moyens.

Cela pose alors la question aussi de la faute des agents qui laissent faire cela, comme vous l’écrivez, en s’abstenant d’agir comme il le faudrait. Il ne suffit plus, manifestement, de dire que Blanc-Bonnet perdra son élection, laquelle sera remportée par Bonnet-Blanc et ainsi de suite. Il faut que Blanc-Bonnet passe devant une formation de jugement, pour les carences survenues pendant son mandat. Cela existe dans la Constitution de 1958, qui organise de telles procédures, mais uniquement pour des manquements qualifiés ; de plus, elles sont remises principalement entre les mains de ceux qui sont, en pratique, « des copains » du Parlement réuni en Haute cour de justice (réforme de 2014) ou Cour de justice de la République (réforme de 1993). Les amitiés politiques posent le problème de la séparation des pouvoirs à laquelle vous vous référez aussi en évoquant l’article 16 de la Déclaration. Donc oui, la garantie des droits n’est pas complètement assurée. L’article 16 de la Déclaration se rapporte à tous les droits subjectifs. On peut penser à la propriété privée, avec des exemples comme, récemment, cette personne ne pouvant plus vendre son bien immobilier car il est occupé par des Roms depuis des mois sans intervention de la puissance publique (http://resistancerepublicaine.com/2016/08/30/poitiers-30-roms-squattent-un-immeuble-ils-sont-intouchables-le-proprietaire-va-peter-les-plombs/).

Les juristes évoquent rarement ce texte à propos de la sécurité, mais il faudrait peut-être qu’ils relisent la Déclaration de 1789 d’un nouvel œil ! Nul besoin de la réécrire, c’est une relecture qu’il faut faire à la lumière du contexte présent, et il en va de même de la Constitution, à mon avis, sous les quelques réserves que j’évoquais notamment.
Je voudrais d’ailleurs partager aussi rapidement des réflexions sur une trouvaille faite au cours de mes lectures. Il ne s’agit pas de la nièce Lebrun que vous évoquez, mais d’un exemple datant exactement de la même époque, qui est révélateur car il montre que ce n’est pas que la garantie des droits de l’article 2 de la Déclaration de 1789 qui pose problème, c’est aussi l’octroi de ces droits.

Il s’agit d’évoquer très brièvement une législation de 1793 que l’Union européenne principalement a enterrée. C’est une illustration du fait que les Révolutionnaires étaient patriotiques et qu’ils seraient sûrement du côté de Marine le Pen s’ils devaient voter en 2016 (je ne sais pas si Jean-Marie Poiré y a songé à propos de son dernier film « Les Visiteurs » https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Visiteurs_:_La_R%C3%A9volution). Pour que les navires puissent acquérir la « nationalité » française, un décret de la Convention du 21 septembre 1793 exigeait que le navire soit construit dans un chantier français, auquel il était même fait interdiction de prendre des commandes pour l’étranger (c’est dire à quel point on s’en méfier… ce n’est pas dans le programme du FN à ma connaissance et heureusement sans doute, enfin, pour certains Etats au moins !). Les membres les plus importants de l’équipage devaient être français et la totalité du navire devait appartenir à des Français. Autrement dit, les Révolutionnaires, mêmes ceux de 1793, pratiquaient la préférence nationale. Tout ce système a été démantelé, dans un premier temps pour les besoins du commerce au XIXème siècle (car le système était peut-être excessif) et surtout par l’Union européenne, spécialement en ce qui concerne les emplois réservés aux marins français, qui doivent désormais être ouverts à n’importe quel citoyen de l’Union. Dans ce cas, ce n’est plus tant la garantie des droits, à laquelle vous avez consacré votre article, qui est en cause, mais l’octroi même de ces droits aux citoyens.

Cela me conduit enfin à évoquer aussi la Constitution de 1946 à propos des « migrants ». Elle a accordé, quant à elle, dans son préambule encore en vigueur, des droits à l’étranger, allant au-delà de la Déclaration de 1789, qui voulait surtout proposer une déclaration pouvant inspirer le monde entier (c’était déjà trop prétentieux et sur ce point, on peut critiquer les Révolutionnaires pour le coup, car on hérite sans doute aussi de leur prétention à vouloir faire le bien du monde entier, au risque de tenir en échec les objectifs nationaux). Le préambule de 1946, au contraire, contient un texte qui se rapporte même à des étrangers ne vivant pas en France, le point 4 : « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Il fut un temps où ce préambule me semblait trop généreux, car il semble parfois vouloir disposer pour la terre entière, renforçant ce trait déjà présent dans la Déclaration de 1789 et allant plus loin en octroyant des droits constitutionnels à des non citoyens. A la réflexion, c’est sans doute sa rédaction de moins bonne facture qui explique cette impression. En réalité, c’est alors moins, s’agissant de ce texte, l’octroi du droit d’asile dans son principe qui pose problème, que sa mise en œuvre actuellement. Donc là encore, il n’est pas nécessaire de changer ce texte constitutionnel. On peut le garder tel qu’il est sans problème, c’est même très actuel à l’époque où l’on parle de lanceurs d’alerte.

Qu’on puisse accueillir ponctuellement des lanceurs d’alerte ou d’authentiques résistants à l’oppression étrangère (illégitime par définition), fussent-ils nombreux, dont l’action fut en faveur de la liberté (référence constante inscrite dans l’ADN de la République française et qui donne lieu à de riches réflexions, comme votre texte en fournit l’exemple), c’est une chose, qu’on accueille sur ce fondements des millions de personnes qu’on n’est même pas capable d’identifier, c’en est une autre. D’ailleurs, le demandeur d’asile agissant pour la liberté, il semble logique qu’on ne doive l’accueillir que s’il n’est pas une menace pour la liberté des Français, sinon retour immédiat au bercail. Alors, il ne s’agit plus de réécrire la Constitution, mais de dénoncer sa violation !
Les conditions positives énoncées par un texte supposent nécessairement l’exclusion de leur contraire ; or, précisément, l’accueil de migrants innombrables qui n’ont pas accompli d’action personnelle en faveur de la liberté constitue une violation de la Constitution, dont, par ailleurs, le Président de la République est censé être le garant selon la Constitution. Sur ce point, comme je l’évoquais il y a peu de temps à la suite de la destitution de Dilma Rousseff, on est en droit de penser que le Parlement devrait se réunir en Haute cour comme le prévoit la Constitution ; il y a même d’autres raisons de le penser (http://resistancerepublicaine.com/2016/09/01/dilma-rousseff-president-du-bresil-a-ete-destituee-nous-pouvons-nous-aussi-destituer-hollande/). Si les Parlementaires français ne le font pas, c’est peut-être parce que les citoyens ne connaissent pas assez leur Constitution pour faire pression comme il le faudrait à cette fin, ce qui donne de bonnes raisons de croire que ces mécanismes constitutionnels n’ont qu’une portée limitée, pour ne pas dire illusoire. C’est peut-être bien sur ce point, pour suivre votre exhortation finale, qu’il faudrait revoir ce dispositif. Nous ne sommes plus dans la Grèce ancienne, nous n’avons plus (heureusement pour eux sans doute) d’esclaves pour travailler à notre place, nous ne pouvons pas pratiquer la démocratie directe (qui n’était d’ailleurs pas parfaite) et nous avons des concitoyens qui, pour certains, sont aveugles et sourds ou bien malveillants même pour certains, par idéologie ou par intérêt. On peut donc reprendre votre phrase de conclusion : « Et si la guérison est absolument impossible, la prévention est obligatoire, quel qu’en soit le prix». Donc si les sanctions sont illusoires, il faut prévenir en votant pour un candidat affichant ouvertement son intention de mettre fin à ces violations de la Constitution.

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1 Commentaire

  1. Cher Maxime,
    Vous me faites un grand honneur de répondre de cette façon aussi fouillée à mon article, qui n’était qu’une provocation à la réflexion.
    Je ne vous répondrai pas de même, car ce ne serait que sur des nuances, et je travaille en ce moment sur un sujet connexe.
    Mais nous ne serons jamais trop à réfléchir sur la façon de faire marcher la démocratie française, en restant démocratique et française !

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