
Opéra de Paris, Chorégraphie : Rudolf Noureev
Lorsque le rideau se lève sur La Belle au bois dormant, c’est tout l’âge d’or du ballet impérial russe qui surgit sous nos yeux.
Cette œuvre monumentale, créée en 1890 au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, demeure l’une des pierres angulaires du répertoire classique, un sommet d’élégance et de virtuosité qui continue de fasciner les publics du monde entier plus d’un siècle après sa naissance.
Une collaboration légendaire
L’histoire de ce ballet commence par la rencontre de trois génies artistiques. Le compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski, alors au faîte de sa gloire après le succès du Lac des cygnes, reçut la commande d’Ivan Vsevolozhsky, directeur des Théâtres impériaux. Ce dernier souhaitait créer un spectacle fastueux inspiré du conte de Charles Perrault, publié en 1697. Pour donner vie à cette vision, ils firent appel au chorégraphe français Marius Petipa, maître de ballet des Théâtres impériaux, dont le génie allait transformer le ballet en une forme d’art total.
Petipa élabora un livret d’une précision remarquable, spécifiant pour Tchaïkovski le nombre exact de mesures nécessaires pour chaque scène, le tempo souhaité, et même le caractère émotionnel de chaque passage musical. Cette collaboration méthodique donna naissance à une partition d’une richesse inouïe, comprenant un prologue et trois actes, où chaque note semble épouser parfaitement le mouvement des danseurs.
Ballet en trois actes et un prologue d’après le conte – de Charles Perrault – Musique : Piotr Ilyitch Tchaïkovski – Chorégraphie : Rudolf Noureev d’après Marius Petipa
Une musique enchanteresse
La partition de Tchaïkovski pour La Belle au bois dormant représente peut-être son accomplissement le plus parfait dans le domaine du ballet. Le compositeur y déploie une palette orchestrale somptueuse, tissant des mélodies d’une beauté envoûtante qui évoquent tour à tour la féerie du prologue, la grâce juvénile d’Aurore, la noirceur de la fée Carabosse, et l’éclat triomphal du mariage final.
Parmi les moments musicaux les plus célèbres, la Valse de la Rose du premier acte demeure l’un des sommets du répertoire symphonique dédié à la danse. Son thème principal, repris et varié tout au long de l’œuvre, devient le leitmotiv même de la princesse Aurore.
Valse de la rose, extraite de La Belle au bois dormant, Théâtre Mariinsky (ballet de Marius Petipa, version révisée par Konstantin Sergeev) -Patience pour le téléchargement !
L’Adagio de la Vision (ci-dessus), au deuxième acte, déploie quant à lui une sensualité romantique qui semble suspendre le temps, tandis que le Grand pas de deux final offre aux interprètes principaux un moment de virtuosité absolue.
Pas de deux du mariage (Aurélie Dupont, Manuel Legris)
Extrait de l’acte II « L’Oiseau Bleu » – Ballet du Bolchoï :
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Un spectacle de splendeur impériale
La première représentation, le 15 janvier 1890, fut un événement d’une magnificence extraordinaire. Les décors et costumes, conçus dans le style Louis XIV cher à Vsevolozhsky, transformèrent le Théâtre Mariinsky en un véritable palais de rêve. La danseuse italienne Carlotta Brianza incarnait la princesse Aurore, tandis que Pavel Gerdt interprétait le prince Désiré. Bien que l’accueil critique initial fut mitigé, le public fut immédiatement conquis par la splendeur visuelle et musicale du spectacle.
Le ballet des ballets
Au fil des décennies, La Belle au bois dormant est devenue le terrain de jeu privilégié des plus grands chorégraphes et interprètes. En 1921, Serge Diaghilev présenta à Londres une version remaniée avec sa compagnie des Ballets russes, rebaptisée La Princesse endormie, dans des décors somptueux de Léon Bakst. Cette production, malgré son échec commercial, marqua profondément l’histoire de la danse et contribua à établir le ballet classique en Occident.
Au Royal Ballet de Londres, la production de Frederick Ashton, créée en 1946, puis celle de Kenneth MacMillan, sont devenues des références absolues. Margot Fonteyn y triompha dans le rôle d’Aurore, offrant une interprétation d’une pureté cristalline qui reste gravée dans les mémoires. Rudolf Noureev, ce météore de la danse qui transfigura tous les rôles qu’il toucha, proposa sa propre version pour l’Opéra de Paris en 1966, enrichissant considérablement les variations du prince Désiré.

Les grands moments chorégraphiques
Le ballet recèle des passages d’une difficulté technique redoutable qui servent de pierre de touche pour évaluer les plus grandes ballerines du monde. La fameuse variation de la Rose, au premier acte, avec ses arabesques penchées et ses piqués tournants, exige une légèreté aérienne et une précision millimétrée. Le Grand adagio qui suit, où Aurore danse avec quatre prétendants qui lui tendent tour à tour une rose, constitue l’un des exercices d’équilibre les plus périlleux du répertoire classique.
Le troisième acte, avec son défilé de personnages de contes de fées invités au mariage, offre une galerie de variations virtuoses. Le Pas de deux de l’Oiseau bleu et de la princesse Florine, avec ses célèbres battements et brisés volés, est devenu un morceau de bravoure à part entière, souvent présenté en gala. Le Chat botté et la Chatte blanche apportent une touche d’humour, tandis que le Petit Chaperon rouge et le Loup introduisent une note de mystère enjoué.
Des interprètes légendaires
Tout au long du XXe siècle et jusqu’à nos jours, les plus grandes danseuses ont rêvé d’incarner la princesse Aurore. Après Carlotta Brianza, Mathilde Kschessinska devint l’une des premières interprètes mythiques du rôle en Russie. Plus tard, Galina Oulanova apporta au personnage une dimension dramatique nouvelle, tandis qu’à Londres, Margot Fonteyn en fit un parangon de grâce aristocratique.

Rudolf Noureev et Margot Fonteyn, un accord parfait
Rudolf Noureev expliquait ainsi leur succès phénoménal : « Ce n’est pas elle, ce n’est pas moi, c’est le but que nous poursuivons ensemble » . Ils demeurèrent amis toute leur vie durant.
À l’époque contemporaine, des ballerines comme Sylvie Guillem, dont la technique sidérante et la présence magnétique ont marqué l’Opéra de Paris puis le Royal Ballet, ou Diana Vishneva, qui allie virtuosité russe et sensibilité romantique, ont porté le rôle vers de nouveaux sommets. Chaque génération redécouvre cette œuvre et y apporte sa propre vision, tout en respectant l’architecture chorégraphique établie par Petipa.
Une œuvre vivante
Si La Belle au bois dormant demeure fidèle aux canons du ballet classique du XIXe siècle, elle n’a cessé d’être réinventée. Certains chorégraphes ont proposé des lectures plus sombres du conte, explorant les dimensions psychologiques du sommeil centenaire. D’autres ont modernisé l’esthétique tout en préservant la chorégraphie originale. Matthew Bourne, célèbre pour ses versions iconoclastes de classiques, a créé en 2012 une relecture contemporaine intitulée Sleeping Beauty: A Gothic Romance, transposant l’action à l’époque édouardienne et au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Malgré ces variations, c’est bien la version traditionnelle qui continue de remplir les salles à chaque reprise. Chaque année, à travers le monde, des milliers de spectateurs découvrent ou redécouvrent ce conte de fées dansé, se laissant emporter par la magie de la musique de Tchaïkovski et la perfection géométrique de la chorégraphie de Petipa.

Un conte de fées intemporel
Au-delà de ses qualités artistiques, La Belle au bois dormant touche à quelque chose d’universel. L’histoire de cette jeune princesse qui, malgré la malédiction qui pèse sur elle, trouve l’amour et le bonheur grâce à la persévérance d’un prince courageux, parle à toutes les générations. La lutte entre le bien et le mal, incarnée par la fée Lilas protectrice et la terrible Carabosse, structure le récit avec une clarté qui n’exclut pas la nuance.
Sur scène, lorsque la princesse Aurore pique son doigt sur le fuseau enchanté et s’effondre dans un sommeil enchanté, lorsque cent ans plus tard le prince Désiré traverse la forêt d’épines pour la réveiller d’un baiser, c’est toute la poésie du conte de fées qui prend vie.
Et quand, au troisième acte, le château s’illumine pour célébrer leurs noces dans une explosion de joie et de lumière, le public, lui aussi, sort de son envoûtement, les yeux brillants d’émerveillement.
La Belle au bois dormant n’est pas seulement un ballet, c’est un monument de l’art chorégraphique, un testament de ce que la danse classique peut accomplir lorsque musique, chorégraphie et interprétation atteignent la perfection. Plus de cent trente ans après sa création, elle continue de nous rappeler que la beauté, la grâce et l’excellence technique ne se démodent jamais, et que les contes de fées, portés par le génie créateur, possèdent une éternelle jeunesse.
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À l’occasion du grand retour du ballet sur la scène de l’Opéra Bastille (été 2025), ce petit reportage nous emmène dans les coulisses de ce joyau du répertoire classique, porté par la sublime musique de Tchaïkovski :
https://www.instagram.com/reel/DILSqejoemq/
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Merci Jules, je suis du même avis concernant les productions récentes le Royal Ballet est la référence incontestable. « La Belle au bois dormant », « Casse noisettes » et « Le lac des cygnes » forment le trio incontournable pour les fêtes ! Ils ont pour avantage de réunir toute la famille à l’inverse du ballet de nos piteux canards gouvernementaux qui la divise. Joyeux Noël.
Merci Jules. La beauté de ces œuvres est intemporelle.