Le vieillard et l’enfant : Conte des Rues du Mellah de Marrakech

Assis sur un banc dans la solitude et sérénité d’un parc, le vieillard observait d’un œil distrait une bande de garçons qui venait de se déverser dans les allées ombragées du parc. Leurs bruits, leurs rires et leur tumulte intriguaient le vieil homme qui à travers ce défilé hétéroclite se reconnaissait enfant. Au sein de cette troupe bruyante se distinguait un jeune garçon timide et effacé qui marchait à pas lourds dans se retourner.

L’enfant semblait triste et éloigné de tout ce brouhaha joyeux et pétulant. Brusquement, il entendit un autre garçon qui pointait son doigt vers celui qui se tenait à l’écart.

« Hey, toi l’orphelin, tu n’as nul besoin de te déguiser pour Pourim, tu as déjà le déguisement parfait qui te sied à merveille, ajouta l’impertinent en éclatant de rire, imité par toute la troupe.

Le vieillard qui observait silencieux, le manège, se redressa avec difficulté, empoigna sa canne et s’approcha de la troupe.

« N’avez-vous pas honte de vous attaquer à un plus faible que vous ? leur dit-il en brandissant sa canne.

La troupe se dispersa comme par magie, tandis que celui que ses camarades venaient d’appeler Orphelin, le visage pourpre, les yeux remplis de larmes, s’apprêtait à quitter la scène.

«  Non, ne partez pas, je vous prie. Venez et essayez-vous à mes côtés, j’ai quelque chose à vous raconter. Cela vous intéressera.

Le jeune garçon s’assit sur le banc, embarrassé et nettement sans ressources, ni fougue.

« Vous êtes orphelin, selon ce que je viens d’entendre. Eh bien, vous êtes ni seul, ni orphelin. Il existe parmi tous ceux qui se disent bien nantis par le sort, beaucoup d’orphelins qui n’osent pas l’avouer. Il y a ceux que leur père ne voit qu’une fois par semaine. Il est toujours en déplacement et c’est la mère qui devient leur unique parent. Il y a aussi ceux que les parents placent dans des internats, et ils sont les orphelins les plus malheureux. Moi aussi j’étais un orphelin, ayant été abandonné par mes parents à l’âge de trois ans. Ma tante, vieille et sans enfants m’avait pris en charge. Elle ne savait ni lire ni écrire, et n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire pour m’élever correctement. En principe j’étais devenu malgré moi son unique salut. C’était moi qui devais me rendre à l’épicerie, qui faisais le ménage, la cuisine, la lessive… J’ai appris trop tôt à me débrouiller dans tous les domaines. Comment lui en vouloir, puisqu’elle a été la seule personne à accepter de me prendre en charge ? Elle a été pour moi l’unique refuge, alors que mon père avait complètement disparu de mon panorama et que ma mère, ne me rendait visite que lorsqu’elle était de passage.

Dans ma solitude, je pleurais les nuits et me réveillais les matins aux interminables corvées, aux courses, à l’école que je négligeais, à ma tristesse, à ma pauvreté qui me contraignait à aller manger mon assiette de fayots que l’école distribuait aux enfants indigents, dont je faisais partie. Je me demandais parfois pourquoi le sort m’avait si cruellement délaissé. Un jour, ma vieille tante qui découvrit mon oreiller mouillé de mes larmes, vint à moi et me dit dans un sourire maternel que je lui connaissais.

« Non mon fils, ne pleure pas. Tu es le plus heureux des garçons parce que je t’aime comme le fils que je n’ai jamais eu… mais aussi, Dieu te protège et te guide… Il est et sera toujours Ton père, Ta mère, Tes frères et Tes sœurs… Il sera toujours à l’écoute pour te secourir, pour t’épargner, pour te protéger… Vois-tu, tu es l’enfant que le Tout-Puissant a gardé en vie en dépit de tous tes malheurs, et tu jouis de Sa protection et de Son affection.

J’avais écouté ma tante beaucoup plus par politesse que par adhésion à ses illusions. Je m’étais dit qu’elle divaguait, qu’elle tentait de m’encourager, de me tenir compagnie, moi qui n’avais ni ami, ni compagnon. Moi qui vivotais auprès d’elle et que je m’évertuais à la consoler face à son malheur, et au mien.

Elle quitta ce monde lorsque j’atteignis l’âge de vingt-ans, lorsque je m’étais trouvé un travail et que je pouvais faire beaucoup pour améliorer sa condition. Dans mes bras, elle s’éteignit doucement, en me souriant, et m’appelant son « ange gardien ». L’étais-je ? Je voulais tant le croire.

Quelques mois après son trépas, j’appris que ma mère était devenue veuve de son second époux et que mon père avait quitté notre pays pour l’aventure qui ne manquerait pas de le placer sur mon chemin. Ma mère vint me voir et comme je n’avais appris auprès de ma tante que la compassion et le pardon, je vins pour la secourir. Quant à mon père, les choses pour lui et sa seconde famille s’étaient bien déroulées… Dans sa première lettre, il parlait de regrets, de soif de me connaître… rongé, prétendait-il, par les remords.

Moi, Je n’en avais aucun.

J’avais découvert que je suis l’enfant de Dieu, puisqu’Il a été Le Seul à m’avoir voulu, à m’avoir servi de mère, de père, de frères et de sœurs… à avoir été le rempart contre tout le mal qui enflait à mon approche. J’ai vécu et je vis à ce jour sous Son aile et je l’aime plus que quiconque en ce bas-monde. Je m’endors sous Son regard et sous Sa caresse. Comment ne pas l’adorer ? Il a été tout pour moi et l’est à ce jour, comme l’avait si bien prédit ma pauvre tante.

Alors, sache enfant, qu’il n’y a d’orphelin que tous ceux qui ne voient pas en l’Éternel Leur père, Leur mère, Leurs frères et Leurs sœurs. Ceux qui se sentent « orphelins » ne le sont réellement pas, car ils seront toujours protégés, aimés, et guidés toute leur vie durant par l’Éternel Lui-même… Sois-en certain.

Va mon fils, la vie sous la protection de l’Éternel te sourira et tu te souviendras de ce que je viens de te raconter et qui est loin d’être une fable ou un conte de fées.

Hag Pourim Sameach.

 Thérèse Zrihen-Dvir

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