Le quart d’heure du poète : Verhaeren et le vent de Novembre…

Retour en enfance, du temps où l’école savait nous faire découvrir la beauté de la nature et des éléments et surtout nous permettait de la savourer par la grâce de la langue française. On ne savait pas ce qu’était une métaphore, mais on s’enrichissait de comparaisons, de vocabulaire qui nous permettait à notre tour de devenir riches de la capacité de dire ses sentiments.

Merci Anne.

Christine Tasin

 

J’ai enfin retrouvé ce poème que mon père récitait à chaque automne

 

Émile VERHAEREN
1855 – 1916

Le vent

Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre ;
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs ;
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes.
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort, dans leurs mélancolies.

Le vent rafle, le long de l’eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d’oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et peigne, au loin, les avalanches,
Rageusement du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Dans les étables lamentables,
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes
De vitres et de papier.
– Le vent sauvage de Novembre ! –
Sur sa butte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d’éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Les vieux chaumes, à cropetons,
Autour de leurs clochers d’église.
Sont ébranlés sur leurs bâtons ;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent, comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.

Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L’avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d’ahan,
L’avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes ;
L’avez-vous vu, cette nuit-là,
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n’en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient, comme des bêtes,
Sous la tempête ?

Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant Novembre.

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10 Commentaires

  1. « Les sanglots longs des violons de l’automne,
    Blessent mon cœur d’une langueur monotone »

    Et je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte,
    de ça de là, pareil à la feuille morte ». Verlaine

    souvenirs d’école ou du grand père, je ne sais plus.

  2. J’ajoute que nous, flamands, nous parlions le français. Je suis flamande, née en Flandres, j’ai suivi l’école primaire en flamand, mais ma langue maternelle c’est le français car à la maison nous parlions en français. Ma mère, qui n’était allée à l’école que jusqu’à 16 ans, a jonglé avec les subjonctifs jusqu’à sa mort à 100 ans. A l’époque, la France c’était le pôle, le centre absolu de la culture. Aujourd’hui mes petits cousins ne connaissent plus un mot de français et de flamand non plus… Ils parlent un globish mêlé de hollandais et anglais… et la poésie…

  3. J’apprécie cet intermède littéraire car la littérature est un des magnifiques trésors de notre culture. Et je me demande si les instituteurs actuels, qui ont des classes avec des majorités d’enfants étrangers, demandent toujours aux élèves d’apprendre des poésies par cœur, et s’ils leur font faire des dictées.

  4. … Scolopax Rusticola, Clathrus Ruber, Craterellus Lutescens/CORNUCOPÏOIDE…

  5. Verhaeren est un grand de notre littérature. J’ai un recueil de poésie dans ma biblio, or je n’aime pas vraiment la poésie, et ne n’y puis rien. Ici, j’ai lu tout le texte, rare affaire donc pour moi. je vais rechercher mon recueil et le lire. J’ai les pages aussi de mon « Lagarde et Michard » de jeunesse ad hoc, fabuleuse littérature, mélancolique, sombre, poétique imagée, merci pour cet article. C’est vraiment une bonne journée, avec le Mali qui refuse les ong française et dit son fait au gouvernement français !!!

  6. C’est magnifique et plein d’images. On faisait un dessin sur la page de la récitation. Le vent pouvait être un arbre à la tête joufflue qui soufflait sur les feuilles et les soulevait.
    Au milieu des bruits grinçants, malodorants et gratteurs de peau d’aujourd’hui, il m’arrive de penser à des vers d’Apollinaire, par exemple, je les saisis comme un tapis volant pour être loin et me consoler de beauté.
    Merci pour ce joli début de journée.

  7. Merci pour ce cadeau, et comme le dit si bien Christine Tasin, c’est notre héritage, notre patrimoine, qu’il s’agit de sauvegarder.

    Sonnet pour un amour défunt. À Maryse, une amie, partie trop tôt.

    Il pleut sur les champs, sur les cours,
    Et le vent souffle sur la plaine.
    C’est l’heure pâle au coin du jour,
    Et le vent souffle à perdre haleine.

    Je t’écris dans le gris du soir,
    Avec une encre bleue d’azur,
    Des mots, ces mots chargés d’espoir
    Qui toucheront ton coeur si dur.

    Et toi, souviens-toi de l’été,
    Quand tu étais tout près de moi,
    Mais nos amours ont bien été.

    Ils sont pareils aux feuilles mortes,
    Que les grands vents portent vers toi,
    Et c’est mon coeur qu’elles emportent.

    Argo.

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