En 1992, l’Agence spatiale européenne abandonnait le programme de navette spatiale Hermès, et faisait ainsi une croix sur une autonomie en matière de vols habités.
Mais, avant de parler de ce flop européen Hermès, on peut se poser la question de l’utilité d’envoyer des hommes dans l’espace. En effet, à quoi ça sert d’aller dans l’espace ? On y envoie moulte objets en tout genre qui nous envoient un nombre incalculable d’informations et de photos.
Alors pourquoi des hommes, qui, de plus, n’iront qu’à quelques centaines de kilomètres de la Terre et pas au -delà pendant encore bien, bien longtemps ? Les sondes américaines Voyager 1 et 2 parcourent l’espace depuis de très nombreuses années. Au 1er septembre 2021 Voyager 1 se trouvait à 153,88 UA, soit 23,02 milliards de kilomètres et Voyager 2 à 127,97 UA, soit 19,14 milliards de kilomètres. Une unité astronomique (UA) équivaut à la distance moyenne entre la Terre et le Soleil, soit environ 150 millions de kilomètres. Neptune, la plus lointaine des planètes, se trouve en moyenne à 30 UA du Soleil.
Pour cela, je te renvoie au modeste article écrit par ton serviteur en date du 03/11/2021 sur RR, intitulé « Les sondes américaines Voyager 1 et 2 ne sont qu’à 22,7 milliards de kilomètres de la Terre : une bagatelle ! » et que tu peux relire ou lire en cliquant ici.
Alors oui, pourquoi donc envoyer des hommes dans l’espace, ce qui, de plus, coûte énormément plus cher que d’envoyer des objets inhabités ?
Un peu d’Histoire avant…
L’être humain a toujours été attiré par les découvertes. Regarde, Christophe Colomb qui est allé découvrir les Indes (en fait, l’Amérique) … Pourquoi ? On est d’accord, à la base, c’est histoire de curiosité, de découverte, de réussite, et parfois ensuite un peu de profit aussi.
- Aller dans l’Espace, c’est apprendre à partager !
L’exploration spatiale, c’est aussi partager. Alors, au début, c’était surtout pour savoir qui était le plus fort. Et les russes étaient très bons à ce petit jeu. Ce sont eux qui ont réussi les premiers avec :
- le 1er satellite qui orbite : Spoutnik,
- le 1er animal à orbiter : la chienne Laïka,
- le 1er homme dans l’espace : Youri Gagarine,
- la 1re sortie extra-véhiculaire : Alexeï Leonov,
- la 1re femme dans l’espace, Valentina Terechkova,
- la 1re station spatiale, Saliout.
Et, par contre, c’est un américain qui fut le 1er homme sur la Lune. Tous les hommes ayant marché sur la Lune furent américains.
Heureusement, en 1975, les Russes et Américains se rejoignirent dans l’espace pour une poignée de mains symbolique !
A présent, la coopération est en place, on travaille ensemble dans l’espace, notamment depuis 1975, date de réunification des deux grandes puissances (URSS, à présent Russie, et USA). Et c’est une excellente chose, car ensemble, on va plus loin !
- Aller dans l’espace, cela permet le partage de connaissances
Le plus bel exemple de partage de connaissances et de collaboration, c’est la Station Spatiale Internationale ou ISS. Elle est en partie Russe, Américaine, Européenne, Japonaise …. Bref, elle est Internationale. Et il est important de constater que les astronautes y travaillent ensemble.
- Aller dans l’espace, ça sert à mieux prendre conscience de la fragilité de notre Planète
C’est grâce à la désormais célèbre photo du lever de Terre sur la Lune, prise le 24 décembre 1968 par Bill Anders pour Apollo 8, que les humains ont pris conscience de la fragilité de la Terre, toute petite bille bleue perdue dans l’immensité spatiale.
Cette prise de conscience conjuguée avec le développement des techniques de télécommunications (GPS) ont permis de prendre soin et de surveiller notre planète, à commencer par la météo : prévisions des tempêtes et autres catastrophes, mise en évidence des cyclones.
- Aller dans l’espace, ça sert aussi à notre quotidien !
De nombreuses inventions sont imaginées d’abord pour l’espace, et servent par la suite sur notre Terre. Et il y a de tout :
- des combinaisons protectrices (comme pour les enfants de la Lune, touchés par une maladie génétique et qui ne peuvent pas être exposés à la lumière du Soleil),
- le ballon de football pour le mondial 2014,
- les couches pour bébés (initialement conçues pour les astronautes, car évidemment, lors d’une sortie, il n’y a pas de pause pipi !),
- les chaussures d’allègement de la pression pour soulager les pieds
- les Moon-boots, qui protègent parfaitement du froid (oui, comme celles des astronautes) mais aussi les gants pour se protéger du froid,
- les exosquelettes (pour les personnes paraplégiques),
- les balises Argos (pour retrouver, animaux, humains …),
- la technologie des GPS,
- le Viaduc de Millau assemblé grâce à la technologie spatiale de guidage par satellite,
- la couverture de survie,
- les éclairages de sécurité sans électricité (sorties de secours).
- et encore beaucoup, beaucoup d’autres !
Mais il y a aussi quelques inventions déjà existantes, mais améliorées grâce au développement spatial ; notamment, les détecteurs de fumée, le four à micro-onde, …
- Et les chips, dans l’histoire ?
Et bien, c’est simple : pour empaqueter les chips, il ne faut pas qu’elles se brisent. Le lien a été fait entre empaqueter des chips et l’atterrissage sécuritaire d’un vaisseau spatial. Dans les 2 cas, il fallait tenir compte de la vitesse optimale avec la sécurité de la descente et examiner les effets de l’écoulement de l’air sur la température, la structure, la vitesse et la direction de l’objet en chute (la chips ou le vaisseau). Rigolo, non ?
- Faire des expériences scientifiques
De telles expériences sont faites en gravité 0 et donne des résultats différents que ceux obtenus sur Terre
- Fabriquer des médicaments et traitements
Certains produits soignants pourront, probablement, être découverts comme étant des traitements efficaces et fabriqués ensuite, dans les mêmes conditions, sur Terre.
Alors, pour en revenir à notre navette Hermès, si elle avait été construite, elle aurait permis à l’Europe d’être à la hauteur des Américains et des Russes. La navette Hermès aurait fait concurrence à ses collègues Challenger puis Columbia. Elle aurait dépassé son homologue soviétique Bourane, abandonnée à la chute du Mur. Las. Elle n’a pas dépassé le stade des maquettes et des essais techniques.
François Leproux est un ingénieur diplômé de l’ISAE-Ensma. Il est en charge du groupe Grand Est de l’Association Aéronautique et Astronautique de France (3AF), qui témoigne de la vitalité des industries spatiales de la région. Il a accordé une interview à la revue FUTURA SCIENCES en janvier 2022 afin d’expliquer le fiasco européen Hermès, mais aussi le bénéfice technologique que l’on a pu en retirer. J’en ai extrait l’essentiel pour le présent article. Ce qui est donc ci-dessous n’est pas l’interview intégrale, mais de cours extraits.
FUTURA SCIENCES : qu’a-t-il manqué à l’Europe pour se doter d’un système de transport spatial habité ?
François Leproux : si un manque de volonté politique a indéniablement manqué à Hermès, d’un point de vue technique, le concept était aussi très ambitieux. En novembre 1992, date de son abandon, il s’est avéré irréalisable, techniquement et financièrement, dans les conditions envisagées à l’origine
Ce qui a manqué aussi à Hermès, c’est que, contrairement au programme Ariane qui a fait l’unanimité autour de lui du fait qu’il devait donner à l’Europe un accès autonome à l’espace, ce projet n’était pas aussi fédérateur qu’Ariane. Quelques pays n’étaient pas convaincus de l’utilité d’un avion spatial, voyant en cela un projet technologique sans grande valeur opérationnelle à la manière du Concorde.
Incohérence industrielle ? C’est-à-dire ?
Il faut savoir qu’à l’origine Hermès est un programme français. Lorsqu’il a été question de « l’européaniser », le gouvernement français avait déjà choisi ses propres industriels pour le réaliser ce qui a été mal vue par ses partenaires européens.
Les promesses non tenues de la navette spatiale n’ont-elles pas été un frein à Hermès ?
C’est un point essentiel. Au départ, Hermès a été imaginé pour desservir une petite station en orbite basse et rapporter sur Terre des matériaux fabriqués en orbite. Pour les Européens, il n’était pas concevable d’arriver avec une capsule alors que les Américains et les Russes développaient une navette. À l’époque, le concept de la capsule habitée apparaissait dépassé. Quand, après seulement quelques vols opérationnels, la Nasa s’est rendue compte que sa navette spatiale était dangereuse et compliquée à utiliser de sorte que l’on ne pouvait pas aller dans l’espace aussi facilement que lorsque l’on prend l’avion, le projet Hermès était remis en cause.
La masse d’Hermès ?
Ça été un gros problème tout au long du développement. Hermès était prévu pour être lancé avec Ariane-5. Au fur et à mesure, il a été rajouté à Hermès un nombre d’éléments nouveaux (siège éjectable, module séparable, cône d’amarrage et de batteries, etc…) pour en arriver au fait que Ariane-5 ne pourrait plus lancer Hermès qui pesait 2 t de trop !
Hermès était assez différente de la navette américaine. On avait l’habitude de dire qu’elle corrigeait de nombreux « défauts » de la navette américaine. On peut donc s’étonner du choix de la Nasa pour la navette telle qu’elle a été conçue ?
Effectivement. La différence fondamentale entre Hermès et la navette spatiale était son intégration à son lanceur. L’avion spatial européen était situé au-dessus du lanceur Ariane 5 et non pas contre, comme c’était le cas pour le shuttle. Cela avait comme principal avantage qu’Hermès était protégée de la chute de débris (mousse isolante, glace par exemple) et qu’en cas d’explosion du lanceur, l’équipage était situé à 20 mètres, ce qui pouvait lui laisser des chances supplémentaires de survie. De plus, la navette américaine avait comme autre inconvénient qu’elle devait transporter un équipage conséquent et avoir la capacité de transporter des engins spatiaux de l’armée américaine, voire de les ramener sur Terre. Deux exigences qui se nuisent mutuellement. Dans le cas d’Hermès, la fonction de transport de charge utile était dévolue à une Ariane 5 classique.
La Nasa était consciente que son choix n’était pas optimal pour la sécurité des équipages. La taille de la soute a contraint les ingénieurs à doter le Shuttle de grandes ailes Delta au lieu de l’aile droite imaginée initialement, ce qui a abouti à un véhicule moins sûr que prévu.
En terme de sécurité, Hermès visait plus de 99,999 % (la fiabilité du lanceur Ariane 5 étant de 99 %), les 0,001 étant couverts avec un système d’éjection des équipages, ce qui a manqué à l’équipage de Challenger qui n’est pas décédé dans l’explosion de la navette mais lors de son crash dans l’océan.
Cela dit, malgré l’abandon d’Hermès, ses avancées ont bénéficié directement ou indirectement à l’ensemble des programmes spatiaux et d’autres domaines
Effectivement. Dans de nombreux secteurs. On en parle moins, mais Hermès a été un accélérateur dans le développement de nombreuses technologies qui ne sont pas dans le domaine spatial.
Un Hermès demain ?
Je suis assez convaincu que l’Agence spatiale européenne décidera de doter l’Europe d’un accès automne à l’espace pour ses astronautes. Les dissensions très fortes des années 80 entre la France, l’Allemagne et l’Italie sont moins évidentes aujourd’hui. L’Italie est un supporter assez fort et, en Allemagne, il y a moins d’objections qu’auparavant.
Conclusion du schmilblic
Professeur Têtenlair
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Cher professeur Têtenlair, magnifique exposé comme d’habitude. Cet article, un peu de fraîcheur dans un monde de brutes. Pour les inventions issues de la conquête spatiale, il y en a une qui me dérange, c’est la nourriture lyophilisée en tubes, particulièrement dégueulasse. Et le désagrément suprême, vivre avec des couches-culottes et ne pas se laver! Sans ma douche quotidienne, je suis mort. À l’armée, j’étais un assidu des salles de douche. On m’avait surnommé Bébé Cadum. Il est vrai que notre chef de compagnie sentait le bouc, ça contrastait avec ma modeste personne. Un bon soldat ne se lave jamais disait-il. Je lui ai répondu, c’est pour ça que l’on perd toutes les guerres, l’ennemi repère l’armée française a l’odeur! Ce type était célibataire, on comprend mieux pourquoi.
Toujours aussi formidable, l’ami Argo !!!!!
Ah ! l’odeur des pataugas humides chaussant des panards puants et moisis, beau souvenir pour certains, c’est comme la madeleine de Proust, ça ne s’oublie pas.
On n’a vraiment pas besoin des interdits et freins européens.
Le projet Ariane a été conçu au départ par la France et réalisé sans les autres pays.
Si on avait continué seuls, on aurait pu faire mieux .
Plus vrai que vrai ami patriote frejusien