Toussaint Louverture
En Histoire, rare ce qui est tout blanc ou tout noir, les surprises ne manquent pas…
La dernière qui me surprend (je l’avoue), qui vient encore bouleverser mes idées reçues et assurément de la majorité des gens ordinaires, celles d’ailleurs savamment entretenues par le tout bien-pensant prônant une simplification de l’Histoire ou sa révision dans le sens du politiquement correct en cours…
La nouvelle n’est pourtant pas nouvelle (si j’ose dire), Toussaint Louverture, l’affranchi, eut des esclaves ! Nous n’en sommes pas à la première surprise du genre !
Là encore, l’image d’Epinal fallacieuse montre combien il est difficile, voire malhonnête, de « juger » de l’Histoire avec nos valeurs du XXIème siècle !
Le haro récent sur un Napoléon qui rétablit l’esclavage en 1802 en même temps que la paix d’Amiens avec les Anglais, est particulièrement à nuancer !
A plus forte raison, Toussaint Louverture n’a pas été loin de pratiquer de la même façon, pour les raisons tout simplement économiques de l’époque….
Ainsi le Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe édité le 17 mai 2021 rappelle une certaine réalité historique, même si encore bien des points de l’engagement de Toussaint Louverture sont flous !
Un long extrait :
« On ne présente plus Toussaint Louverture, qui est peut-être la personnalité la mieux connue de l’histoire des Antilles : l’ancien esclave qui dirigea la seule révolte d’esclaves de la Caraïbe à avoir réussi. Pourtant, des pans entiers de sa vie n’ont été mis à jour que depuis la fin des années 1970 et parfois même beaucoup plus récemment : il est donc temps de faire le point sur ce personnage hors-norme, mais aussi de mentionner l’existence d’une collection importante qui vient tout juste d’être mise à la disposition des chercheurs aux Archives Nationales d’Outre-Mer à Aix-en-Provence (ANOM). Celle-ci apporte bien des détails sur le monde dans lequel il vivait à la veille de la Révolution haïtienne (le surnom de « Louverture » n’étant apparu que dans les années 1790, cet article utilisera simplement son prénom, « Toussaint »).
ETAT DES LIEUX DE LA RECHERCHE
Hormis quelques biographies peu flatteuses parues en France pendant la guerre d’indépendance haïtienne, les historiens de tous les pays ont longtemps célébré Toussaint comme un grand héros de la cause de l’abolition de l’esclavage. C’est le cas notamment, pour citer deux auteurs bien connus dans les Antilles françaises, de Victor Schœlcher et d’Aimé Césaire. Cette image d’Epinal continue à perdurer dans l’imaginaire collectif, notamment pour des raisons évidentes en Haïti, où Toussaint est vénéré comme l’un des pères fondateurs de la nation.
Selon ce qu’on pourrait qualifier d’ « hagiographie officielle », la vie de Toussaint commença le 20 mai 1743 quand il naquit sur la plantation Bréda du Haut-du-Cap, dans le nord de la colonie française de Saint Domingue (Haïti). Esclave modèle, intelligent, bon époux et bon père (sa femme s’appelle Suzanne, ses fils Placide, Isaac et Saint-Jean), il restait néanmoins un idéaliste rêvant au « Spartacus noir » mentionné dans une des éditions de l’histoire des Antilles de l’abbé Raynal. Il se jeta donc à corps perdu dans la révolte qui éclata en août 1791, puis s’enrôla dans l’armée française quand la France proclama l’abolition de l’esclavage en 1793-1794. Ses dons lui permirent d’être promu jusqu’aux postes de
général de division et de gouverneur de l’île, rôles dans lesquels il excella.
Hélas, en février 1802, une expédition menée par le beau-frère de Napoléon Bonaparte débarqua à Saint-Domingue et le renversa. Trahi puis exilé en France, Toussaint mourut en martyr de la liberté au Fort de Joux le 7 avril 1803.
Cette version des faits n’est pas fausse, mais elle est incomplète. En mettant en exergue l’idéalisme de Toussaint, elle occulte les choix plus controversés qu’il fit dans sa carrière et oublie la complexité d’un personnage aux multiples facettes, à la fois révolutionnaire noir et héritier du système colonial de l’Ancien Régime. La recherche a permis de beaucoup affiner ce portrait au cours des dernières décennies, même si malheureusement ces révélations n’ont pas toujours été suffisamment diffusées auprès du grand public.
Les origines de Toussaint restent encore très obscures. Etait-il fils ou petit-fils d’un roi d’Allada au Bénin* actuel, comme on le raconte souvent, ou fils d’un dignitaire de ce royaume ? Quand ses parents furent-ils importés à Saint-Domingue ? Quand naquit-il exactement ? Nous n’avons pas encore trouvé de documents d’archives pour étayer les traditions orales.
* (Info sur un site béninois ex-Dahomey, probablement un captif des rois du Dahomey suite à la conquête de la province d’Allada… Nous avions traité des rois du Dahomey, de leurs sacrifices humains et … de leurs 2 millions d’esclaves vendus aux négriers) : Toussaint Louverture, héros de l’indépendance d’Haïti est le fils d’un prince d’Allada appelé Gahou Deguénon qui était un spécialiste en médecine traditionnelle africaine. La ville d’Allada lui a d’ailleurs consacré un monument situé à la sortie nord, sur la place Toussaint-Louverture.
La vie d’esclave de Toussaint est un peu mieux connue car des papiers des familles Bréda et alliées, ainsi que des registres paroissiaux, ont survécu en France. Par exemple, on sait maintenant qu’il avait eu une première femme, Cécile, bien avant Suzanne, ainsi que trois enfants (Toussaint, Gabriel et Marie-Marthe). Outre ses parents biologiques, qui moururent en 1774, nous savons aussi qu’il avait « adopté » des parents de substitution : un parrain, Pierre Baptiste, et une esclave d’ethnie Aquia (Adia, Aja*), Pélagie, dont il obtint la liberté en 1789 en l’échangeant contre une esclave de 22 ans.
* : ou Adja, une ethnie du ou proche du Dahomey, majoritairement présente dans l’actuel Bénin.
En 1977, Gabriel Debien, Jean Fouchard et Marie-Antoinette Menier révélèrent que Toussaint avait été affranchi vers 1776, près de 20 ans avant la révolution haïtienne, qu’il avait ensuite acquis (puis libéré) un esclave, et qu’il avait loué 13 esclaves et une petite plantation appartenant à son gendre. C’est cette révélation qui lança le principal débat historiographique actuel sur sa personnalité : rebelle idéaliste avant tout, comme le veut la tradition ? Héritier du système colonial de l’Ancien Régime, comme le pensait son biographe Pierre Pluchon ? Ou, ce qui semble plus probable, à la fois l’un et l’autre ?
Nous en avons appris plus en 2012 sur les 13 esclaves que Toussaint loua de son gendre Philippe Jasmin Désir en 1779-1781. L’un d’entre eux, Jean-Jacques, était le célèbre Jean-Jacques Dessalines, qui tire son nom de famille de Janvier Dessalines, le deuxième mari de Marie-Marthe, la fille de Toussaint. Bien avant la Révolution Haïtienne, Toussaint connaissait donc son principal second, Dessalines, puisqu’il l’avait eu sous ses ordres pendant la période du bail, en 1779-1781.
Le dossier militaire de Janvier Dessalines montre qu’il combattit avec d’autres gens de couleur libres lors du siège de Savannah (1779) pendant la Révolution Américaine. On peut supposer que l’autre gendre de Toussaint, Philippe Jasmin Désir, combattit aussi à Savannah, ce qui expliquerait pourquoi il confia ses terres et ses esclaves à Toussaint pendant son absence.
Les années 1770 et 1780 (après l’affranchissement de Toussaint) sont de mieux en mieux connues grâce notamment aux archives notariées conservées aux Archives Nationales d’Outre-Mer, qui nous ont permis de reconstruire le monde des Noirs et des Mulâtres libres de la province Nord. Nous pouvons ainsi dérouler l’écheveau du réseau social de Toussaint, qui incluait non seulement d’autres esclaves et affranchis de la plantation Bréda (dont les divers membres de ses deux familles), mais aussi beaucoup des futurs leaders de la Révolution Haïtienne tels que Jean-Baptiste Belley, le premier député noir à la Convention.
La période de la grande révolte d’août 1791 reste encore une vaste terra incognita. Les sources sont nombreuses car l’événement marqua beaucoup les observateurs contemporains, mais elles se contredisent.
Certaines font de Toussaint un personnage mineur qui resta dans l’ombre en attendant de voir ce qui allait advenir de la révolte. D’autres le disent impliqué d’emblée mais pour des motifs très différents : parfois comme authentique rebelle, parfois comme agent double au service des royalistes. Nous savons seulement avec certitude que Toussaint ne fut pas directement impliqué dans l’abolition officielle de l’esclavage (août 1793 à Saint-Domingue, février 1794 en France) puisqu’il s’était à cette époque enrôlé comme officier dans l’armée espagnole à Santo Domingo (République Dominicaine).
Toussaint passa au service de la France vers mai 1794, dans une célèbre « volte-face » analysée par David Geggus. Les sources, tant franco-haïtiennes qu’espagnoles, ne permettent pas de trancher entre deux scénarios : selon le premier, Toussaint se rallia à la France pour être du côté des partisans de l’émancipation (donc par idéalisme) ; selon le second, Toussaint quitta l’armée espagnole parce que des rivaux lui bloquaient toute promotion (donc par simple intérêt personnel). L’un n’exclut pas l’autre.
Les grandes lignes de la vie publique de Toussaint dans les années 1794-1801 sont encore mieux connues, notamment parce que les sources archivistiques sont pour la première fois abondantes : ses lettres, mémoires et proclamations, qui n’ont hélas pas encore été publiées, se comptent par centaines. L’ambigüité règne néanmoins. Dans ses écrits et ses actions, Toussaint se battit beaucoup pour empêcher qu’on ne rétablisse l’esclavage à Saint-Domingue. Mais en 1799 il fit échouer une révolte d’esclaves à la Jamaïque parce qu’elle risquait d’offusquer la Grande-Bretagne (dont il avait besoin de l’appui), et cette même année il demanda discrètement au gouverneur de la Jamaïque qu’on importe des esclaves à Saint-Domingue (auxquels il aurait ensuite donné le statut de cultivateurs semi-libres). A la fois rebelle et homme d’État, Toussaint voulait défendre les acquis de l’émancipation tout en s’assurant que l’économie de Saint-Domingue, basée sur les plantations à sucre, ne s’effondre pas, ce qui le força à employer des méthodes parfois violentes pour forcer les anciens esclaves à travailler. Tel fut le grand projet de sa vie ; tel fut aussi son grand échec, puisqu’il ne parvint jamais à s’attirer le soutien entier des planteurs et des anciens esclaves et que les plantations de Saint-Domingue finirent néanmoins par se morceler.
En 1799-1801, Napoléon Bonaparte, qui avait initialement espéré s’allier à Toussaint, conclut qu’il marchait tout droit à l’indépendance et décida donc de le renverser par la voie militaire. L’expédition Leclerc de 1801-1803 (contemporaine de l’expédition Richepance en Guadeloupe) est de mieux en mieux connue du grand public, sauf peut-être un détail : Dessalines fut indirectement complice de l’arrestation de Toussaint, puisqu’il le dénonça comme rebelle au général Leclerc pour se débarrasser d’un rival gênant.
La période de la captivité au fort de Joux (août 1802-avril 1803) est la mieux balisée de la vie de Toussaint, car très bien documentée par ses geôliers et explorée très tôt par les historiens haïtiens. Nous disposons notamment d’un mémoire fascinant écrit de sa main quelques mois avant sa mort. Seul manque le corps de Toussaint, disparu dans les remblais du fort de Joux au cours du dix-neuvième siècle. »
Voilà, en somme, un récit édifiant des recoins obscurs de l’Histoire !
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Quand on pense au nombre de soldats Français qu’il a fait assassiner, et que maintenant, ils veulent, pour la plupart, fuir LEUR misère… et que nous payons pour…
Ce qui me rappelle l’anecdote suivante: demandant à un Haïtien pourquoi il fuyait son pays qui avait voulu l’indépendance, Réponse: ce sont les ancêtres qui l’ont voulue…
Pour les descendants de Louverture, il faudrait la fermeture des frontières!
Passionnant article, tout en nuances et très bien documenté.
Comme quoi les zones d’ombre du héros Toussaint-Louverture sont mieux tolérées que celles de Napoléon sur le chapitre du rétablissement de l’esclavage. Il me semble que si l’argument « moral » tenait, cela devrait être moins pardonnable côté Toussaint-Louverture que côté « Napoléon ».
Il devrait y avoir en France beaucoup de rues, de places rebaptisées Toussaint-Louverture, notamment pour remplacer le nom ignominieux d’anciens acteurs de la traite négrière.
Esprits épris d’équité, de droiture, passez votre chemin. La vérité historique, les principes de la moralité sont fonction de la couleur désormais.
RIEN n’est jamais tout Blanc chez les Noirs !!
De toute façon, les Noirs ne sont pas tendres entre eux, ce n’est qu’une unité de façade pour culpabiliser les blancs que nous sommes! 🇫🇷🇫🇷🇫🇷🇫🇷