Nous étions perdus dans la neige du Haut Atlas, une porte s’ouvrit… souvenir inoubliable des Berbères

 

Début des années 80. Nous nous étions engagés, Nanette, ma compagne américaine et moi, la nuit venant, sur cette route du Haut Atlas, filant au nord du Maroc, vers la frontière Algérienne, au cœur des montagnes Berbères. Plus nous nous enfoncions et plus la route prenait l’allure d’un chemin étroit et de plus en plus sauvagement goudronné. A la lueur des phares de notre 2 Chevaux, les virages secs, serrés, et ce brinquebalement semblaient n’avoir jamais de fin… Et nous grimpions, nous montions, secoués, cahotés, notre petite auto ahanait, s’arrachant à ce mauvais bitume, sur ces tortillons de kilomètres, C’est alors, soudainement, qu’en plein milieu de cet embrouillamini de route la neige se mit à tomber. Rapidement, enveloppant la nuit, la poudre se faisait transe de flocons, dont l’attaque de plus en plus drue, rendait la nuit plus impénétrable qu’elle n’était déjà, donnant d’un côté à l’abrupt des flancs et de l’autre à l’insondable des ravins des allures fantasmagoriques… 

Nous continuions d’avancer, yeux et cerveau devenant brouillés, bientôt hagards et c’est ainsi que nous vîmes apparaître au bord d’un plateau déjà tout blanc, qui succédait à cette enfilade de virages une petite luciole. Une lumière ! Sous la féerie des bourrasques de neige qui s’habillaient en tempête, une maison. Un peu fantomatique. Une maison, là, au bord de la route, de laquelle, s’échappait par une étroite ouverture la pincée de lumière qui nous servit de guide, de phare, de délivrance.

Les gifles de vent congestionnées de neige, couraient presque à l’horizontale, au plus fort de certaines rafales. Très vite nous voilà, pelotonnés, serrés l’un à l’autre, à taper sur la porte. Elle s’ouvre. L’enchantement ! La vie à l’intérieur, nous agrippe de suite par les doigts chauds d’une lumière gantée de chaleur. Cette clarté, la luciole !

Deux formes humaines. Une femme, un homme. Leurs yeux sont interrogatifs, mais l’on ne sent aucune inquiétude. C’est le souvenir vivace que j’en ai gardé. Ils nous questionnent immédiatement en un langage incompréhensible, tout en nous tirant à l’intérieur, qui par le bras, qui par le vêtement. Il ne leur a pas été difficile de comprendre que nous étions complètement perdus. 

Autant que je me souvienne, cette situation ne nous trouvait pas dans l’angoisse, nous n’étions que perdus, pas éperdus…La femme, dans les instants qui suivirent mit une petite bouilloire d’eau ventrue sur un réchaud. Pendant que l’homme allait vérifier dehors que le véhicule était en sécurité. Puis il revint vite, la nuit dehors, allait en s’enhardissant, jusqu’aux hululements…

La femme s’active dans le coin de la pièce faisant office de cuisine. Un grand lit officie de l’autre côté. Le tour était vite fait de l’habitation de ces deux là. Berbères, en pays musulman, dont la femme, le visage tatoué, habillée de manière traditionnelle, mais non voilée, non cachée, non empaquetée, non diminuée, s’affairait à nous préparer le signe sacré de l’hospitalité. Le thé ! Tout en nous observant, curieuse, souriante, attentive. Et en devisant avec l’homme, échangeant de toute évidence des propos nous concernant. Dans une intonation de malice, de curiosité joyeuse, comme enfantine.

Condamnés à l’atonie du langage des mots, par la pantomime des gestes nous nous mimes tous à tenter de communiquer. Les doigts, les mains, les bras, les yeux, un grand branle-bas d’humanité. Il n’était pas nécessaire pour autant de leur expliquer le but et les règles du jeu de notre expédition. De notre présence sur leurs terres Il était juste utile et nécessaire d’échanger le vivant, l’essentiel, l’ultime. Ce que nous faisions, avec un enthousiasme presque juvénile. C’est très rapidement que nous nous trouvâmes, mon amie et moi, devant un thé fumant et des galettes ressemblant à une sorte de pain ! Et du miel dans un pot de terre vernissée ! Nous voilà à deux doigts des « agapes chrétiennes ».

La suite est gravée dans ma mémoire, jusqu’à ma mort ! Nos hôtes inattendus amassèrent sur le lit des couvertures, tapis et autres vêtements épais Ils nous firent comprendre, par une onomatopée de gestes simples, précis, précieux, respectueux, que nous allions dormir là. Le froid de la nuit commençait à s’avérer pénétrant, dans cette habitation sans chauffage ! Nous avons donc, assez amoureusement je dois dire, dormi sous cette empilade, cette bouffonnerie textile destinée à nous protéger, nous étouffant presque d’une rustique chaleur ! Le couple a quitté la pièce en nous laissant la bougie à éteindre sur un tabouret s’éclipsant en nous faisant les gestes universels qui appellent et souhaitent la paix du sommeil.

Le lendemain, matin, à notre réveil, nous trouvions la femme, silencieuse, affairée de l’autre côté de la pièce. Le petit déjeuner que nous avons pris était constitué des mêmes éléments que la veille. Thé, galettes, miel. Le ciel dehors, était à l’aplomb d’un froid vif, piquant, qu’environnait un soleil éclatant, virginal, primal.

Nous avons repris notre périple vers l’Algérie. Je me souviens de notre départ, une vraie séparation. Rien de ce que ressentent des touristes quittant un hôtel confortable, au personnel obséquieux… ! Nous voilà tous les quatre sur le pas de la porte, dans une émotion pure, authentique, les gestes retenus, la pudeur, quelques larmes… Je n’oublierai jamais.

C’est plus tard que nous sommes demandés, ma compagne et moi, ou ils avaient bien pu passer la nuit… En quittant l’endroit, nous n’avons pas manqué de remarquer deux trois maisons éparses alentour. C’est sans doute chez des voisins que cette femme et son mari, étaient allés dormir…

Cette rencontre est dans mon cœur sous la forme d’une aventure intacte, intemporelle. Quelques heures d’une simplicité originelle, primale ! Quelques heures de vérité, d’essentiel et de véritable fraternité. A la fois l’origine de l’humain et son but, son aboutissement, sa raison d’être.

PACO. 10/08/2020.

Illustration. Jose Cruz Herrera (1890-1970)

https://agoraafricaine.info/2019/03/07/kahina-la-reine-berbere-qui-a-combattu-lexpansion-islamique-au-7eme-siecle-au-nord-ouest-de-lafrique/

En hommage et soutien à notre amie et sœur Samia.

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9 Commentaires

  1. Bonjour Paco
    Avec la nouvelle pagination de RR je prends seulement connaissance de ton article … Je tiens à saluer ton talent de narrateur. Je me suis régalé en lisant ces lignes et me suis retrouvé transporté- dans tous les sens du terme- tantôt dans la deudeuche, tantôt dans le havre berbère qui vous accueillit si chaleureusement…
    Merci de nous avoir gratifié de l’évocation aussi réaliste de ce souvenir cher à ton coeur.

  2. Merci à toi Samia, du privilège que tu m’accordes en ouvrant toi aussi cet étrange et vital chemin que nous nommons l’Amitié !

  3. Merci à Paco pour ce superbe récit et pour qui l’expérience vécue ne m’étonne pas. Le berbère est en surface musulman et en profondeur (son âme) chrétien. Plusieurs écrivains français du temps du début de la colonisation ont écrit des textes allant dans ce sens. L’amazigh, celui qui a gardé son âme ancestrale se rapproche de l’âme chrétienne, quand l’arabo islamisé, celui-là la plupart du temps est vil.
    Merci à Paco de son soutien et de m’honorer de son amitié

  4. Si on conditionne les relations humaines à des à priori religieux ou doctrinaires, on ne peut vivre de telles expériences !
    Merci Paco

  5. Lors d’une précédente vie, à celle heureuse qui fût la notre, Yvette à vécu à Casablanca et a accueilli un jeune garçon de 7 à 8 ans avec ses propres enfants.
    C’était à la fin des années 1950 .
    En 1998 alors qu’elle portait un nom différent, alors qu’elle avait plusieurs fois changé de résidence un appel téléphonique nous proposait une relation marocaine.
    Avec notre accord cette relation s’est établie et Yvette a retrouvé Brahim le petit garçon devenu Grand’père qui durant 35 ans l’a recherché par tous les moyens possibles.
    Nous nous sommes rencontrés à différentes reprises dont le mariage de Asmaa et ce jour Brahim m’a dit :
    Je suis heureux pour elle, il est le mari qu’elle souhaite mais je regrette qu’il soit arabe.
    Vous savez maintenant que Brahim est Berbère, et lorsque je lui ai fait remarquer que les arabes dominaient le Maroc depuis 13 siècles il m’a répondu regretter les quelques dizaines d’années de présence française.
    Souvenons nous que si la chrétienté n’est arrivée en Gaule que 250 à 300 ans après la mort de Jésus les musulmans étaient à Poitiers moins de 1 siècle après celle de Mahomet .
    On peut penser que avant d’être musulmans ils ont été juifs puis chrétiens

    • Bonjour,

      Le Christianisme n’est pas arrivé en Gaule par la même « méthode » que l’islam en Afrique du Nord.

      Evangélisation des coeurs contre conquête féroce.

      Et il n’a pas donné les mêmes fruits : comparer l’action des tribus musulmanes arabes ruinant les magnifiques oliveraires du sud de la Tunisie et le travail des moines mettant en valeur les terres de France (Xème- XIIème siècle) …

      Il y avait 600 évêchés en Afrique du Nord lors de la conquête musulmane : aujourd’hui le lycéen moyen tunisien nie absolument que la Tunisie a eu un passé catholique …

  6. Curieusement, autrefois, c’est-à-dire à peine sortie de l’adolescence, je voyais de cette manière les Maghrébins qui vivaient en France. Ils me paraissaient avoir le goût de l’essentiel, une forme d’ascétisme proche d’une spiritualité. Giono a évoqué cet état d’esprit particulier dans Regain si je ne m’abuse. J’ai aussi rencontré des Berbères dans le désert du Négev qui m’avaient offert une tasse de thé dans leur tente. En toute simplicité alors que je me promenais solitaire et un peu hébétée par la chaleur. Evidemment, en conclusion inattendue d’une situation périlleuse, une telle rencontre n’en paraît que miraculeuse, d’une surnaturelle irréalité, un rêve de paradis. Elle reste gravée dans le coeur. Germaine Tillion a vécu parmi les Kabyles et en raconte des anecdotes pleines de fraîcheur.

  7. Superbe texte !

    Merci Paco pour cette invitation au voyage.

    Pour ma part, j’ai été frappé par l’accueil chaleureux des montagnards grecs et du Chiapas.

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