Brighelli : comment le système des bourses est devenu fou

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L’attribution des bourses repose sur des critères sociaux et scolaires. Victimes : les enfants méritants des classes moyennes. Un scandale, selon Brighelli.

Je rentre tout juste de la sélection pour l’entrée en classes prépas : examen de tous les dossiers de candidature, application automatique d’une « formule » qui exclut du classement les candidats dont le cursus n’est pas adéquat à leur demande (cela arrive assez souvent), puis notation « à la main », matière par matière, de chaque dossier, de façon à parvenir à un classement des postulants.

Jusque-là, rien à dire. Le mérite seul préside au classement. Et je ne connais pas de meilleur critère.

Puis interviennent, alors, les directives ministérielles, qui imposent, depuis 2010, 30 % de « boursiers » dans les classes prépas, et si possible dans les grandes écoles qui en sont l’issue. Si la première sélection n’a pas permis d’obtenir le quota imposé, on fait remonter dans les cent premiers (sélectionnés pour constituer une classe de 45 à 50 élèves, compte tenu des défections et des candidatures multiples) les jeunes gens distingués… par les bas revenus de leurs parents.

Mécanique des fluides : quand on en fait glisser certains vers le haut, d’autres sont éjectés vers le bas. D’autres qui valent mieux, qui ont des notes et un parcours supérieurs, mais qui ont la malchance d’avoir des parents non divorcés, avec deux salaires – même médiocres, cela suffit à vous priver de bourse, y compris de la fameuse « bourse zéro » qui ne donne droit qu’à une dispense de droits d’inscription – que bien des élèves de prépa, surtout en sciences, ne paient pas de toute façon : poudre aux yeux de façon à prétendre favoriser les (relativement) déclassés.

Un boursier doit davantage !

Et c’est là que je ne suis pas d’accord. Déjà, le principe même des bourses « sociales » (voir ici et  le calcul complexe qui vous permet de savoir si vous y avez droit, dans le supérieur ou le secondaire) pourrait être révisé – ou vérifié, au moins : combien de situations truquées, de revenus non déclarés, de couples réinstallés, mais dont l’un est officiellement toujours esseulé… Je préférerais que l’argent ainsi dépensé soit consacré à multiplier les bourses au mérite offertes aux élèves méritants – et non plus seulement aux seuls élèves déjà boursiers, comme c’est le cas aujourd’hui.

Que ce soit sur concours, à partir d’un certain niveau (ce qu’était l’Ipes autrefois : une bourse d’études post-bac gagnée par un concours fort sélectif et offerte en échange d’un engagement à servir l’État, et particulièrement l’Éducation nationale, pendant dix ans – en ces temps de difficulté de recrutement, qui parie avec moi que ça suffirait pour stimuler des vocations ?) ; que ce soit sur livret scolaire. Puisqu’on en est à proposer de donner le bac sur contrôle continu (j’y reviendrai très prochainement), on peut tout aussi bien distribuer la manne des aides financières selon le mérite des élèves. Admettons que l’on plafonne lesdites bourses selon les revenus familiaux – un très bon élève issu d’un milieu fortuné (il n’y en a pas tant que ça, par les temps de crise qui courent) n’a pas forcément besoin d’un coup de main pour payer ses cigarettes.

Ce serait en tout cas plus équitable que des bourses distribuées sans que l’on demande un quelconque retour sur investissement : un boursier (rappelez-vous le petit Pagnol, bûchant tout l’été le concours d’entrée en sixième) doit à la nation le meilleur de lui-même : celui à qui l’on donne davantage doit davantage. L’État investit équitablement dans chaque enfant, et c’est son rôle. S’il donne plus à certains, la moindre des choses serait qu’il contrôle l’efficacité de ce coup de pouce. Une bourse scolaire qui sert à s’acheter une nouvelle télé pour suivre la Coupe du monde n’a pas d’efficacité pédagogique bien avérée.

Cataplasme

La politique des quotas a été établie sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce qui était au départ un voeu est devenu une obligation. On peut toujours compter sur la droite, quand elle se met à faire du social, pour en faire bien davantage que la gauche. C’est la droite (Giscard et Haby) qui a imposé les maths modernes (un grand principe égalitaire qui mettait en place des mathématiques que les parents ne maîtrisaient pas, afin qu’ils ne mettent pas la main aux devoirs à la maison). Encore la droite (les mêmes !) qui a décrété le collège unique, ce grand égalisateur des (in)compétences. Toujours la droite qui a instauré le regroupement familial à marche forcée.

Qui ne voit pas que c’est un cataplasme sur une jambe de bois, comme on disait quand on faisait des cataplasmes ? C’est en amont qu’il faut travailler à l’égalité, très en amont – en fait, au primaire. C’est là que se creusent les inégalités scolaires nées des inégalités sociales, quelles que soient les bonnes volontés des enseignants. C’est là qu’il faut mettre le paquet.

J’ai récemment offert un livre (sur les trésors du Louvre) à une petite fille des quartiers nord de Marseille. C’est son tout premier livre, et elle serine ses parents, eux-mêmes partiellement analphabètes, pour qu’on l’aide à le déchiffrer – elle est en CP. Son tout premier livre à six ans ! Et on prétend parler d’égalité des chances ? Offrez des livres, recréez (ça commence à se faire) les distributions de prix avec de vrais livres, pas des tablettes numériques, c’est moins cher que de construire un internat d’excellence dix ans plus tard. Reprenons les problèmes à la base, parce que bousiller, par indifférence, par idéologie pédagogique, des gosses auxquels on n’offre pas, au départ, la possibilité d’exprimer tous leurs talents, c’est assassiner Mozart dix fois, cent fois par jour.

Crapule

Le PS démantèle, les uns après les autres, les internats d’excellence (nous avons vu combien ce mot, tout comme « élitisme républicain », est honni dans les rangs du parti au pouvoir et de ses satellites syndicaux) mis en place par le précédent gouvernement. C’était là l’une des rares mesures que l’on pouvait approuver, même si c’était une goutte de feu dans l’océan des dysfonctionnements de l’école. Quand le ministère ne les ferme pas carrément, comme à Cachan, il en fait des internats de la réussite pour tous, une promesse qui est un mensonge. Il les ferme parce que c’est trop cher…

C’est trop cher de sauver quelques centaines de pauvres gosses malmenés par un système scolaire aux abois ! Et si c’était l’un des tiens, crapule, tu trouverais ça trop cher ? Ah oui, mais les tiens sont dans de bons lycées, aidés à la maison, cernés de cours particuliers – et ils t’entendent dire tous les jours que tu es de gauche !

Et dans le même temps, le gouvernement supprime peu à peu les « petites prépas » – ainsi tout récemment à Poitiers. Sûr que, quand il ne restera plus que Louis-le-Grand et Henri IV, on y verra plus clair. Il n’est bon bec que de Paris, dit le proverbe. Pendant ce temps, le vivier provincial est mis en extinction. Sous des prétextes comptables.

Multiplions les bourses au mérite

Il s’est créé depuis dix-douze ans, un peu partout, des CPES, des classes préparatoires aux prépas. Elles sont scientifiques en général, mais le lycée Thiers, à Marseille, en a une qui prépare à Sciences Po et à une école de commerce locale de bon niveau. À chaque fois, ce sont quelques dizaines d’élèves, boursiers et ex-élèves de Zep, qui sont portés à bout de bras une année durant – auxquels, en fait, on offre pendant un an l’enseignement à grandes louches qu’ils auraient dû recevoir depuis quinze ans, souvent en les hébergeant à l’internat du lycée, quand il existe (et il devrait y en avoir partout, pour décontextualiser les élèves qui en ont besoin).

Ça marche bien, très bien même – c’est une autre goutte de feu. Je suggère aux comptables de la Rue de Grenelle de supprimer ces béquilles offertes pour instituer ces jeunes gens. Instituer ? Cela signifie étymologiquement « faire tenir debout ». Montaigne parle de l’institution des enfants, c’est de là que vient instituteur, qui avait franchement une autre gueule que « professeur des écoles ». Mais Benoît Hamon le sait-il ? Après tout, favoriser quelques élèves sur dossier, c’est antidémocratique, n’est-ce pas ? Autant reverser l’argent ainsi épargné (quelques poignées d’euros) dans le grand chaudron où mijotent les énormes budgets du ministère, dont on sait combien ils sont distribués avec efficacité…

Revenons-en aux bourses. Plutôt que de pousser les boursiers afin qu’ils prennent la place de meilleurs élèves à peine plus favorisés, multiplions les bourses au mérite ! Cela permettra à une infinité d’enfants issus de ces classes moyennes actuellement laminées de faire des études dans de bonnes conditions. À trop vouloir aider ponctuellement les pauvres, ce sont les travailleurs qui gagnent juste assez pour payer des impôts qui se retrouvent le bec dans l’eau. Et que croyez-vous qu’ils voteront, ceux-là, en 2017 ?

Brighelli

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2 Commentaires

  1. bonjour , dans une couvée ce n est pas forcement le plus beau qui sera le meilleur et si un gamin redouble parfois tout jeune il peut être très brillant plus tard….tout ca n est pas une science exacte.je connais des gens qui avec un certificat d études primaire ont plus que réussis et pour dire vrai bien mieux que des président suivez mon regard!!!!!

  2. Jean-Paul, toujours aussi réaliste et terre à terre.
    Tu exprimes ce que j’exprime certainement moins brillamment.

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