Pouchkine s’installe à Paris : un hommage mérité au génie russe

Le 20 novembre 2025, le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris a inauguré un monument en l’honneur d’Alexandre Pouchkine. Un événement symbolique qui célèbre enfin dignement, sur les bords de la Seine, celui que les Russes considèrent comme leur Shakespeare – le père de la littérature russe moderne.

Photo ci-dessus : : le 20 novembre, S.E.M. Alexey Meshkov, Ambassadeur de Russie en France, a inauguré au Centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris un monument consacré au grand poète russe Alexandre Pouchkine.

Le poète de tous les Russes

Alexandre Sergueïevitch Pouchkine (1799-1837) occupe dans la culture russe une place absolument unique. Chaque écolier russe connaît par cœur ses vers, et sa langue a forgé le russe littéraire tel qu’on le parle aujourd’hui. Comme l’écrivait Dostoïevski : « Pouchkine est une prophétie et une révélation ».

Mais qui était vraiment cet homme à la destinée tragique, mort en duel à seulement 37 ans ? Un aristocrate rebelle, descendant par sa mère d’Hannibal, un Africain devenu général de Pierre le Grand. Un poète précoce qui publia ses premiers vers à 15 ans. Un amoureux passionné, un libéral surveillé par la police tsariste, un conteur génial qui révolutionna la langue russe.

Une œuvre foisonnante et universelle

L’œuvre de Pouchkine touche à tous les genres avec une maîtrise stupéfiante. Son roman en vers Eugène Onéguine (1823-1831) reste le sommet de la poésie russe. Il y peint avec une ironie tendre la noblesse provinciale et l’amour impossible entre Onéguine, dandy désabusé, et Tatiana, jeune fille sensible qui lui écrit une lettre d’amour restée célèbre :

« Je vous écris – que puis-je faire de plus ?
Que puis-je encore dire ? C’est à vous maintenant,
Je le sais, de me punir par le mépris… »

Cette simplicité apparente cache une prosodie d’une richesse inouïe, que les traducteurs peinent à restituer.

Ses contes en vers comme Rouslan et Ludmila (1820) puisent dans le folklore slave avec une fantaisie débridée. Dès le prologue, Pouchkine plante un décor féerique qui enchante les lecteurs depuis deux siècles :

« Sur les bords incurvés d’une anse de la mer
S’élève un chêne vert ; une chaîne en or
Entoure ce chêne… »

Les drames et la prose : Pouchkine en liberté

Avec Boris Godounov (1825), Pouchkine révolutionne le théâtre russe en s’inspirant de Shakespeare plutôt que du classicisme français. Cette tragédie historique sur le tsar usurpateur inspira plus tard l’opéra de Moussorgski.

Sa prose, d’une concision toute moderne, brille dans La Dame de pique (1834), nouvelle hallucinante sur un officier obsédé par le secret de trois cartes gagnantes, ou dans La Fille du capitaine (1836), roman historique sur la révolte de Pougatchev qui mêle aventure, amour et réflexion politique.

La Dame de pique, Grands classiques illustrés, dès 8 ans

La Dame de pique

Pouchkine excellait aussi dans les petites formes. Son poème J’ai érigé un monument (1836), écrit peu avant sa mort, est devenu prophétique :

« Non, je ne mourrai pas tout entier – mon âme dans la lyre sacrée
Survivra à ma cendre et échappera à la corruption… »

Un Français de cœur 

Pouchkine vouait une admiration profonde à la culture française. Il lisait Voltaire, admirait Molière, et parsemait ses lettres d’expressions françaises. Dans Eugène Onéguine, il raille gentiment cette francophilie nobiliaire où « Tatiana parlait mal le russe » et s’exprimait en français. Lui-même maîtrisait parfaitement la langue de Molière.

Ce monument parisien aurait sans doute ravi ce poète qui rêvait de voyager en Europe occidentale – rêve que le tsar Nicolas Ier lui refusa toujours, le maintenant sous surveillance en Russie.

Un héritage immortel

L’influence de Pouchkine sur la culture russe est incommensurable. Tchaïkovski, Rimski-Korsakov et Moussorgski ont mis en musique ses œuvres. Gogol, Tourgueniev, Tolstoï et Dostoïevski se réclamaient tous de son héritage. Aujourd’hui encore, les Russes célèbrent chaque 6 juin (10 juin dans le calendrier grégorien) l’anniversaire de sa naissance comme la « Journée de la langue russe ».

Ce nouveau monument parisien n’est pas qu’un hommage au passé. C’est une invitation à découvrir ou redécouvrir un génie universel qui, par-delà les frontières et les siècles, continue de nous parler d’amour, de liberté et de beauté.

Comme il l’écrivait lui-même : « Et longtemps je serai cher au peuple / Parce que j’ai éveillé de bons sentiments par ma lyre. » Mission accomplie, Alexandre Sergueïevitch.

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4 Commentaires

  1. La sublime Russie, devenue notre ennemie, par la volonté de quelqu’un qui n’a rien produit de bon ni de beau. Pas besoin de le citer. Merci Jules pour ces articles splendides.

  2. Merci Jules pour ce très bel hommage bien mérité a ce grand écrivain qu’était Pouchkine. L’opera peut lui payer aussi un lourd tribut car les plus beaux operas Russes du répertoire lui sont redevables : Tchaïkovski avec Eugène Onéguine et la dame de pique. Moussorgski avec Boris Goudounov , Rimski Korsakov avec Ruslan et Ludmilla, le coq d’or et Tsar Saltan et aussi, la petite maison de Kolomna de Stravinski, un ballet de Glère : le cavalier de bronze. Sans compter les nombreuses adaptations cinématographiques. Bonne journée.