Si l’amitié n’est heureusement pas démodée, il existe une espèce en voie de disparition : « le copain de régiment ». Il faut dire que le service militaire a été longtemps, pour beaucoup de Français, l’aventure d’une vie. En 1913, il passe de deux à 3 ans. Tous les hommes français de 20 ans y sont assujettis, sauf dispense (soutien de famille, raison médicale…). Des années plus tôt, en 1878, avait été créée, pour une revue, la chanson « Avec Bidasse », par Louis Bousquet (paroles) et F. A. Brey (musique). Après son appel sous les drapeaux en 1915, Charles-Joseph Pasquier dit Bach a été affecté au « Théâtre aux armées », pour divertir les soldats en repos. En uniforme de fantassin – képi rouge, veste bleu horizon, pantalon rouge garance- il interprète « L’Ami Bidasse » devant ses camarades hilares. Le fameux « comique troupier » conservera ce costume même après que l‘armée française l’a abandonné, à partir de 1916 : le Ministère de la guerre avait enfin admis, grâce au Général Joffre, que les couleurs rouges faisaient de nos « piou-piou » des cibles trop faciles pour l’ennemi. En attendant, nos soldats, qu’on appellera bientôt en argot des « bidasses », pour un moment échappés de l’enfer et près d’y retourner, ne demandaient qu’à pouvoir rire d’eux-mêmes. Au seuil du grand sacrifice, il fallait sans doute bien du talent à Bach pour y parvenir, au moins autant qu’en montrera plus tard Fernand Raynaud (1957) :
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i05332850/fernand-raynaud-l-ami-bidasse
Rarement évoquée en chanson jusque-là, « l’absence d’un ami » confirme le talent de Gilbert Bécaud qui a écrit la musique sur des paroles de Louis Amade. « L’Absent » sort en 1960. Où l’on voit que les grands interprètes français, même très musiciens, sont d’abord au service du sens de chaque mot. Ce sont de grands acteurs car la langue est maîtresse dans notre culture ; en ce temps-là, du moins, c’est évident :
En 1980, Georges Brassens s’amuse à intercaler dans son immortel « Les copains d’abord » (1964), une autre chanson sur le même thème. Il s’agit d’ un vieux succès de sa jeunesse « Avoir un bon copain », jadis interprété par Henri Garat en 1930. Grand succès en France, c’était la traduction par Jean Boyer d’une chanson allemande « Ein Freund, ein guter Freund » dont voici l’original :
Par la voix de Georges Brassens, la chanson n’a plus rien des raideurs du film d’opérette germanique et tombe gaiement, naturellement, d’aplomb.
En 1965, « La petite cantate » de Barbara, est un hommage à son amie, la pianiste Liliane Benelli. Au temps où Barbara débutait, Liliane Benelli avait été son accompagnatrice à L’Ecluse, un minuscule cabaret parisien. C’est elle qui a encouragé Barbara à s’accompagner elle-même au piano pour gagner en assurance et en autonomie sur scène. Liliane trouva la mort dans un accident de voiture, où elle se trouvait avec Serge Lama, son fiancé, que Barbara lui avait présenté. Bouleversée, Barbara a ajouté, au dernier moment, sur l’album Le mal de vivre ce chef d’œuvre de délicatesse, qui s’envole comme une réminiscence de Jean-Sébastien Bach et d’une amitié authentique entre deux femmes artistes.
« L’amitié », avec le ton intime des paroles de Max Rivière et la mélodie pour guitare, apparemment simple, de Gérard Bourgeois a été une totale réussite (1965) . Elle est toujours admirée comme un des grands succès de Françoise Hardy et séduisit aussi Isabelle Boulay et d’autres encore. Françoise Hardy disait d’elle-même « Je chante juste mais j’ai une voix blanche ». C’est justement par la fluidité de sa voix posée, comme indifférente à la recherche des « effets », que son style s’imposa et fait encore des émules.
En 1966, Jacques Brel et sa façon de souffrir les mots, avec ses vibratos nasalisés, ses « r » qui semblent râcler jusqu’aux tréfonds de la misère humaine, de se voûter sous le poids du destin, de laisser pendre ses bras, devenus trop longs, ses mains trop vides et trop grandes agitées en signe d’impuissance à soulever le chagrin… a fait de l’ami « Jeff », sinon un autre lui -même, un personnage incontournable de son univers tourmenté.
En 1970 Maxime Le Forestier, 21 ans, et sa sœur, Catherine, 23 ans, ont séjourné quelques mois parmi une communauté hippie à San Francisco, dans une maison de bois peinte en bleu. Maxime Le Forestier en tire un immense succès l’année suivante : « La maison bleue » (1971). Quel jeune post-soixante-huitard pourvu d’une guitare n’a pas chanté cette élégie à l’amitié sans frontières ? … Lequel n’a pas rêvé qu’il existait une abbaye de Thélème sur les hauteurs de San Francisco et qu’il suffirait de la chanter pour en construire d’autres, partout dans le monde ? En 1972, le jeune chanteur, sur un ton déjà nostalgique, évoque cette expérience « fabuleuse » devant Simone Glazer. Mais sa chanson n’est pas écrite au passé, figeant dans un présent d’éternité les moments de grâce vécus dans une maison bleue devenu mythique, pour lui et sa génération.
La véritable maison bleue serait-elle cette maison victorienne, somme toute banale, située 3841 18th Street à San Francisco, ou bien le temps des amitiés et des illusions perdues de la prime jeunesse ?
Renaud, sur une trame assez voisine de celle de la chanson de Brel, « Jeff », s’adresse à son ami « Manu » en 1981. Le décor a changé, l’ami paumé est un tatoué, un motard, un faux dur qui porte, comme Renaud, du cuir noir. En fait, Manu, c’est Renaud lui-même !… comme il le confiera dans un entretien de l’émission « Thé ou café » en 2016 :
« Tu es mon autre » est un rare exemple de duo féminin écrit pour la variété. Les paroles sont de Lara Fabian et Rick Allison qui a aussi composé la musique. Lara Fabian a convaincu son amie Maurane de la chanter avec elle, malgré une réticence de cette dernière. L’enregistrement s’est fait en 2002. En 2024, Lara Fabian a de nouveau interprété Tu es mon autre en duo avec Shanys, lors de la finale de The Voice France, reprise accueillie sous les ovations du public. Cependant, la chanson traduit toujours, selon Lara Fabian, le sentiment exact de la proximité qu’elle avait avec Maurane, disparue en 2018. Voici une version «live », Maurane et Lara Fabian se faisant face:
En 2016, pour le film « Brice 3 », Bigflo (Florian José Ordonez) et son frère Oli (Olivio Ordonez) avec Jesse Singer, Christopher Soper, composent un hymne hyperbolique à l’amitié sans limites. Cela donne « Pour un pote », un rap bouffon qui est l’auto-dérision du genre. Ils embarquent dans leur clip un auto-stoppeur vedette.
112 total views, 110 views today
Bonjour Agathe,
N’oublions pas Rutebeuf chanté par Ferré : Que sont mes amis devenus que j’avais de si près tenus et tant aimés…
https://www.youtube.com/watch?v=8G5mrfR2Org&t=2s Bonne journée ! et merci.
Bonjour Agathe, il y a une petite coquille dans le texte : « Par la voix de Georges Brassens, la chanson n’a plus rien des raideurs du film d’opérette germanique et tombe gaiement, naturellement, d’aplomb. » Ce n’est pas de Brassens que l »on parle mais de Garat et la version française d’ » avoir un bon copain. » Que de souvenirs avec « la maison bleue » de Le Forestier! Je l’ai tellement joué en étant très jeune, que cela fait bien longtemps que je n’y pensait plus, il faudra que je la ressorte du tiroir! Un titre de Colette Renard me reviens aussi : « les copains ». Bonne journée.
https://youtu.be/AMBrNeFNz4A?si=D69NTYTcu_am0nru
Mais non fidèle chti, CELUI QUI CHANTE est bien BRASSENS et c’est par sa façon de chanter que la chanson tombe d’aplomb , j’ai zappé volontairement la version de Garat pour ne pas alourdir, j’ai VOULU faire ressortir l’apport d’une voix, celle de Brassens, par rapport à l’original allemand (mauvais à mon sens). Il me semble que tout est clair. ZUT alors, chais c’que je dis !
j’ai néanmoins MENTIONNE Garat.
Oui Agathe, j’ai compris le sens, mais il faut reconnaître que, comme cela est présenté , il peut y avoir plusieurs lectures et les confusions sont possibles ! Donc zut j’sais c’que lis!😅😅😅😇
Un ami, c’est celui qui vous aide à vous relever quand vous trébuchez sur le sentier de la vie. Un ami, c’est celui qui accepte que vous puissiez penser autrement que lui. Un ami, c’est celui qui vous aide à porter votre fardeau quand celui-ci devient trop lourd. Un ami, c’est celui qui ne vous tourne pas le dos et qui ne vous force pas à adopter les griefs qui l’opposent à autrui. J’avais un ami, enfin c’est ce que je croyais.
Bonjour Argo j’espère que tu vas bien, la personne que tu décris dans ton commentaire est malheureusement devenue denrée rare! Aujourd’hui on a beaucoup plus d’opportunistes que de véritables amis! Bonne journée.