« En France, tout commence et tout finit par des chansons » (N°7 Gauloiseries)

« Français » ! L’étymologie nous oblige à la franchise, c’est-à-dire à la liberté, à la franche gaieté, sans hypocrisie… « Gaulois » ! requiert cette même liberté, plus précisément dans un domaine où la pudeur est de mise : l’acte d’amour… Mais la censure est là. Celle du Surmoi de chacun comme celle qu’impose le « politiquement  correct » de chaque époque.

Madame Anastasie, la censure, par André Gil, 1874.

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Or la nécessité de contourner l’obstacle donne des ailes à l’imagination.

Gaillarde, épicée, grivoise, leste, licencieuse, égrillarde, la tradition française reconnaît pour sienne ce genre de chanson où, par le truchement de l’équivoque, l’interprète, le parolier et le public se rient de la censure. Ce style a besoin du contact direct avec les spectateurs. Dans la salle, on se régale, non pas tant de la salacité des paroles, que de la complicité qui s’établit entre ceux « qui se comprennent au quart de tour» parce qu’ils partagent la même connaissance de leur langue, les mêmes moeurs et la même bienveillance envers la nature humaine…

« Le p’tit objet (Ah ! Mademoiselle Rose) » succès de 1906 ( Paroles d’Ambroise Girier, Antonin Boissy et Eugène Rimbault, Musique de Vincent Scotto) est un morceau interprété par Polin, figure emblématique du « café-concert » de la Belle Époque. Ici enregistrée par Urban (1930) :

 

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Dans « La Biaiseuse » en 1912, sur une musique de Paul Marinier, Léo Lelièvre, le parolier part de la sonorité pouvant prêter à confusion d’un seul mot « biaiser » et en maintient l’équivoque tout le long d’une chanson. En passant, il nous apporte un témoignage sur la vie des « petites mains » de la haute couture parisienne, ces « midinettes » qui mangeaient sur le pouce à midi, sans quitter l’atelier, emportaient souvent l’ouvrage à domicile… et savaient rester gaies, elles qui n’avaient que l’amour pour enchanter leur vie. Un demi-siècle plus tard, en 1953, la jeune Annie Cordy leur prête sa voix fraîche :

 

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« Prenez mes mandarines » a été interprétée par Lyne Clevers en 1936. Écrite par Lucien Boyer (paroles) et René Sylviano (musique), elle est restée dans la mémoire de deux grands de la chanson française qui l’interprètent ensemble en 1976 : 

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« Les Nuits d’une demoiselle » a été écrite et interprétée par Colette Renard en 1963. Elle y montre une virtuosité véritablement rabelaisienne dans l’invention pure et simple d’une pluie de savoureuses périphrases pour signifier le dernier verbe de la chanson : « baiser» (et c’est presque dommage de l’entendre à la fin). Autant de trouvailles surréalistes pour désigner le réalisme le plus cru, quel talent poétique, tout de même ! 

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Puis vient le temps des mots plus dénudés après 1968. L’érotisme est à la mode, plus que la gauloiserie qui reste rare à la télévision.

Fruit de la passion (Vas-y Francky, c’est bon !) (1991) impose Francky Vincent comme l’Antillais aux paroles les plus osées ; sa renommée nationale et même internationale, explose en 1994. Depuis, disons que Franky n’a pas fléchi et son succès, non plus, au grand dam de certains Antillais, pas vraiment ravis de voir ainsi conforter le stéréotype de « bête de sexe » qui leur colle à la peau. Mais la majorité le prend très bien, d’autant que Franky a réalisé,en 2023, un clip destiné à la nouvelle génération, non dénué d’auto-dérision .

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Pierre Perret invité par Jacques Martin en 1995, crée La Corinne. Les deux compères réjouis font la nique au CSA, sachant qu’il auront le public avec eux : 

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Elever la grossièreté au rang de l’un des Beaux-arts n’est pas donné à tout le monde. Hors des circuits dominants, en voici un spécialiste Daniel Rabier[1]. La boutade de Françis Blanche, “ce qui est drôle dans une plaisanterie, c’est d’avoir le culot de la faire”, s’applique pleinement à son style. Freud dit la même chose, de façon moins concise, dans son ouvrage « Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient » (1905). Avec ses blagues et ses “chansons courtes”, ce guitariste anti-conformiste perpétue l’esprit chansonnier du Cabaret français. Nos auteurs de chansons gauloises le savent d’instinct : faire l’ahuri, taquiner la salle, jouer avec des automatismes inconscients, des pensées et désirs refoulés, c’est faire du bien, par l’humour, à toute une assemblée. Daniel Rabier dans son élément, vers 2023 :

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Applaudira-t-on encore longtemps ces jeux pour grands enfants ? En comprendra-t-on encore la nécessaire salubrité dans ce qu’on appelle le processus de civilisation ?

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[1] Aucune parenté avec l’auteur de l’article, qui le regrette…

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7 Commentaires

  1. La chanson grivoise où « gaillarde tout un pan de notre culture! Les « charlots » ont, il fut un temps, fait un très bel hommage au chanson paillairdes, il suffit de taper sur youtube: »charlots interdits » pour en retrouver les titres, je n’ai pas pu résister a vous laisser un lien avec une chanson consacrée à la « religion d’amour », aujourd’hui, celle-ci serait sans doute censurée.! Merci Agathe et bon dimanche à vous tous!
    https://youtu.be/__tHaEkJp5E?feature=shared

  2. Un pélerin parti pour Compostelle parce qu’il ne pouvait pas avoir d’enfants, revint deux ans plus tard à la maison et en trouva deux, garçon et fille. L’histoire ne dit pas s’il fût content d’être ainsi exaucé. C’était sûrement une chanson que se répétaient les pélerins. Déjà au Moyen-Âge, quoiqu’on en dise, les gens étaient plus délurés qu’on ne le pense. Je me demande si ce n’est pas dans un fabliau que j’ai lu ce récit. Fabliaux qui décrivent les moeurs des ecclésiastiques de cette époque, pas toujours conformes au droit canon.

  3. J’ai la statuette du fier Gaulois sur une étagère dans ma propriété de campagne, achetée à Alise Ste Reine Sur Les hauteurs. Vive le valeureux RÉSISTANT arvernois. C’est notre « beau modèle » 😉 contre la barbarie qui se profile parmi nous.

    • Lorsque j’étais encore un enfant, à l’école, pendant les leçons d’Histoire, j’étais alors quelque peu dyslexique, je n’arrivais jamais à prononcer son nom correctement : Vergincétorix, ou Vergintéçorix.

  4. Merci Benjamine. Vous nus mettez de bonne humeur en ce dimanche matin, je vais aller à l’église de Camaret 😀

    • Le vrai curé de Camaret doit souvent voir les sourires ironiques des touristes qui visitent son église. Ce ne doit pas être une sinécure.