Boualem Sansal : *Lettre depuis ma prison : ne détournez pas le regard*

Lettre de Boualem Sansal transmise par Oualid Kebir, un journaliste algérien opposant au régime.

Source

Incarcéré en Algérie depuis le 16 novembre 2024, 272 jours le 14 août 2025.

Mes amis,

         Si cette lettre vous parvient, c’est que malgré les murs, les verrous et la peur, il existe encore des brèches par lesquelles la vérité peut se faufiler. Je vous écris depuis une cellule où l’air se fait rare, où la lumière n’entre que pour rappeler aux prisonniers qu’ils sont toujours en vie, mais jamais libres.

Je ne suis ni le premier ni le dernier à subir l’arbitraire du régime algérien. Ici, la prison n’est pas un lieu exceptionnel réservé aux criminels, mais un outil banal de gouvernance. La dictature enferme comme on respire : sans effort, sans honte. On enferme les journalistes, les militants, les écrivains… et parfois même ceux qui n’ont rien dit, juste pour servir d’exemple.

Ma faute ? Avoir persisté à croire que les mots pouvaient sauver ce pays de ses propres démons. Avoir écrit que l’Algérie ne se résume pas à un drapeau et un hymne, mais qu’elle est d’abord un peuple qui mérite dignité et justice. Avoir refusé que l’histoire se répète, que la corruption et la violence continuent de tenir le haut du pavé.

Je souffre, oui. Mon corps me trahit, la maladie grignote mes forces, et le régime espère que je partirai en silence. Mais qu’ils se trompent ! Ma voix, même enchaînée, ne leur appartient pas. Si elle peut encore atteindre l’extérieur, c’est pour dire ceci : ne croyez pas à leur façade de respectabilité. Ce pouvoir n’est pas un État, c’est une machine à broyer.

À la France, je m’adresse sans détour. Vous avez été ma deuxième patrie, mon refuge intellectuel. Vous qui vous proclamez patrie des droits de l’homme, souvenez-vous que ces droits ne s’arrêtent pas aux rives de la Méditerranée. Les gouvernements passent, les diplomaties calculent, mais les principes, eux, doivent tenir bon. Ne baissez pas les bras, ne sacrifiez pas vos valeurs sur l’autel des intérêts économiques ou des alliances de circonstance.

Je ne demande pas ma liberté par charité, mais au nom de ce qui fonde toute société humaine : la justice. Si vous cédez aujourd’hui devant un régime qui se croit intouchable, demain, d’autres prisons se rempliront, d’autres voix s’éteindront.

Aux Algériens, mes frères et sœurs, je dis : tenez bon. La peur est une prison plus vaste que celle où je me trouve, et elle est plus difficile à briser. Mais je sais qu’un jour, le mur tombera. Les dictateurs finissent toujours par tomber.

Quant à moi, je continuerai à écrire, même si mes pages restent cachées sous ce matelas de prison. Car l’écriture, c’est la seule liberté qu’ils ne peuvent pas confisquer, et c’est par elle que nous survivrons.

Boualem Sansal

Prison d’El-Harrach, Alger

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20 Commentaires

  1. -« la prison n’est pas un lieu exceptionnel réservé aux criminels, mais un outil banal de gouvernance »-

    La France sous macron, apprend très vite.

    Sous les règnes de sarkhözy, hollande, macron ; donc pendantune période de grande et haute démocratie en France, on voit aussi la multiplication de suicides multiples de « près ou de loin ».

  2. Et toujours pausé et sa façon douce d’exprimer des choses politiques révoltantes. Son expression, « la force tranquille » et pourtant si profone et puissane ; style tellement caractéristique qui lui. est propre. Pas de passion ; des faits ; des constats des conclusions.

    Un homme « très favorablement » remarquable !

  3. Bonjour,

    Merci pour ce texte magnifique.

    Espérons rapidement un pouvoir qui pourra mettre fin à son calvaire en l’arrachant aux griffes de ces monstres.

  4. Il faut mettre le paquet pour aider ce monsieur au courage immense ! honte a cette France qui préfère aider les égorgeurs d’enfants du 7 octobre que d’aider ces hommes qui luttent pour nos libertés en payant de leur personne .

  5. Mon Dieu ! Quel message, j’en ai les larmes aux yeux de tant de force morale pour rester fidèle à lui-même dans (ses) circonstances horribles ; la force des martyrs.

    Quel message d’une grandeur qui lui fait honneur et nous renvoie à ce qu’est réellement la nôtre.

    Et dans sa cage de torture, c’est lui qui nous encourage à la foi de la nécessité vitale de rester fidèle à la France, de croire en son salut, sa délivrance, notre Liberté.

    Boualem Sansal est vraiment un très Grand Monsieur !

    Et Macron, pas capable de renvoyer les indésirables algériens dans leur pays ; mais incapable aussi de ramner ‘Algérie un prisonnier Français.

    Et pourtant, parlant d’ôtages et de libération : on est prêts à l’échange de renvoyer dans leur pays d’origine, les millions d’algériens indésirables « de frence » des chances pourtant ; contre un seul Franco-Algérien Boualem Sansal.

    C’est dire la valeur de cet homme pour l’Algérie, valeur de et pour la France que l’État Français est incapable de reconnaître.

    • Bonjour,

      Oui, merci chère MSDO, chaque jour nous devrions avoir une pensée pour tous ceux qui souffrent dans les prisons de ces régimes abominables : Boualem Sansal, mais aussi Israéliens de Gaza, Bahais d’Iran.

      • Bonjour @Antiislam;

        Oui ! Tout à fait ! Des leçons vivantes, qui font ressortir nos faiblesses , nos manquements.

  6. Respectueuses et compatissantes pensées pour Boualem Sansal, avec l’espoir de le voir « repatrier » en France, rapatrié vivant et au plus vite.
    Contente qu’il sache que nous n’oublions pas notre précieux Compatriote prisonnier martyr trahi par un gouvernement injuste.
    Que les forces, la confiance l’habitent pour continuer d’espérer qu’il nous reviendra.

    Merci à @Jean-Paul Saint-Marc pour partager avec nous ce précieux message de Boualem Sansal auquel nous pensons journellement.

    • Vous connaissez très mal les prisons algériennes : les visites aux détenus, même par leurs avocats se font en présence des gardiens et derrière des baies vitrées et tout le monde est fouillé avant et après la visite. Je vois mal comment il a pu faire sortir cette lettre si longue.

      • Bonjour,

        Vous êtes Algérien, mais vous n’êtes pas une brute puisque vous venez sur ce site.

        Vous savez très bien, au fond de vous même, que cette détention est monstrueuse, que ce régime est monstrueux, depuis 1962.

        Pendant ce temps-là, cette bourgeoise prédatrice FLN fait la fête dans ses quartiers réservés d’Alger, oui, ce sont des monstres : ils n’ont même pas l’excuse d’être des arriérés comme les Talibans.

        • MISE EN GARDE ! Et s’ il était l’oeil d’ Alger diligenté par la satrapie débile et caractérielle de Tebboune pour recueillir et rapporter l’algérophobie d’atmosphère de ère-ère (RR) ? Sous couvert de provocation pour obtenir des révélation à transmettre à son « Service » d’ honorable (sic) correspondant…

          C’est quand même qu’il s’incruste ici comme provocateur, sinon c’est un malade aux symptômes masochistes patents !!!

          • Bonjour,

            Je ne pense pas : je suis sûr qu’il sait, au fond de lui, que nous avons raison :=)

      • Bonjour @Tyrageosaur ;

        ??? Mon incompréhension totale à votre commentaire. Je ne crois pas avoir exprimé que les géôles algériennes soient une réplique des cellules et des conditions d’emprisonnement françaises !

        En France, malheureusement, pas mal de nos concitoyens « libres » et vaquant à leurs occupations quotidiennes envieraient presque le sort des malfrats défendus, nourris, logés, blanchis, divertis, formés aux frais de l’État, donc aux frais des Français, « même des plus pauvres ».

        Non ! je ne crois pas avoir sous-entendu que Boalem Sansal ou quelconque emprisonné dans une géôle algérienne, le soit dans des conditions enviables.

        Et en ce qui concerne la condition de Boualem Sansal, moins encore dans la mesure où cet homme n’a rien à se repprocher, sinon pourquoi serait-il allé en Algérie ? De plus, âgé, malade… Non ! Je n’ai pas compris votre commentaire sur le mien.