“Lacombe Lucien” (1974) : un film sur l’Occupation qui agrippe, bouleverse et reste en mémoire

Lucien Lacombe va se laisser embarquer dans la dénonciation
Le film complet :

Ou directement sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/027777-000-A/lacombe-lucien/

Pierre Blaise est né le 11 juin 1955 à Moissac et mort dans un accident de la route le 31 août 1975 dans cette même commune.

Pierre  Blaise est un jeune bûcheron de dix-sept ans vivant dans un milieu modeste à Moissac lorsque sa mère le pousse à se présenter à un casting à Toulouse en 1973. Le réalisateur Louis Malle, désirant un inconnu pour tenir le rôle principal de son futur film Lacombe Lucien, le retient au milieu de mille candidats.

Vedette de “Lacombe Lucien” un jeune émondeur d’arbres mort à 20 ans.

Il s’agit d’un article retrouvé et retranscrit pour RR, paru le 13 mai 1978.

Auteur : Danièle Sommer.

Pierre Blaise avait un frère et trois sœurs. Son succès dans «Lacombe Lucien » lui avait valu de tourner dans trois autres films, mais des rôles moins importants.

Dès qu’il avait quelques jours de libres, il revenait dans la ferme familiale, son plus grand plaisir était d’aller se promener dans les forêts où il avait travaillé.

« CEUX qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre ».

Cette citation de Santayana, philosophe américain mort en 1952, prélude au film de Louis Malle, « Lacombe Lucien ».

Ce passé déjà lointain — les années de l’Occupation —, ils furent trois à les revivre. Louis Malle, qui avait onze ans à la Libération, Patrick Modiano, son coscénariste, qui n’était pas né, et Pierre Blaise, le jeune interprète de Lucien Lacombe, âgé de dix-sept ans en 1974.

Louis Malle avait, depuis longtemps déjà, l’idée de son film. (…) Louis Malle disposait d’une documentation considérable qu’il avait amassée lui même sur la période de l’Occupation. Son histoire des événements reste pourtant fictive. Lucien Lacombe n’a pas existé, mais ses frères jumeaux ont été nombreux à s’engager dans la Milice ou la Gestapo.

« Dans la région où j’ai tourné mon film, dit Louis Malle, entre Figeac et Montauban, notamment. La maison que j’habite, dans le Lot, était abandonnée pendant la guerre. Elle servait de refuge aux maquisards. Il y avait, parmi eux, un garçon de dix-huit ans, mort fusillé lui aussi, que la Gestapo avait «infiltré ». Il a donné tout le maquis. Il n’était pas paysan, mais citadin. Ses mobiles sont restés obscurs. L’argent, peut-être ? »

Plongé dans ses documents, attentif à son intuition, Louis Malle appela à l’aide Patrick Modiano, dont il aimait les livres et qui n’avait encore jamais travaillé pour le cinéma.

« Il possède une mémoire intuitive, dit Louis Malle, et une connaissance de cette période plus profonde que les gens qui l’ont vécue. Ses livres, « La Ronde de nuit », « Place de l’Etoile » sont un travail de recréation passionnant. »

« Je me sens à l’aise dans ces années, dit Patrick Modiano. Je suis un produit de l’Occupation, je ne serais pas né sans cette époque. Alors je suis obsédé par mes origines, comme tout le monde ; peut-être un peu plus que tout le monde. Rétrospectivement, je réalise quelle chance j’ai eue de travailler pour Louis Malle, sans aucune entrave ni soucis de vedettes, de budget ».

Il n’y a, en effet, aucune tête connue dans « Lacombe Lucien. « J’ai eu la liberté exceptionnelle de ne penser à personne en écrivant le scénario. »

« Modiano a apporté son écriture particulière, dit Louis Malle ; le spectaculaire et le dramatique ne sont pas montrés : très peu d’Allemands, pas de batailles, des dialogues réduits à l’essentiel. »

« L’Occupation nous intéressait sous un autre angle que celui de la vérité historique, dit Modiano. Par exemple, nous avions décidé qu’il n’y aurait aucun uniforme allemand (il a bien fallu en montrer deux). Nous avons écrit le scénario en trois semaines dans la maison de Louis Malle sur le lieu même de l’action. Imaginer Lucien Lacombe, c’était créer notre contraire, car on a souvent l’intuition de son contraire. Les polémiques, notamment politiques, ont été nombreuses autour de Lucien et de nos autres personnages ; or la politique ne joue aucun rôle dans le comportement de Lucien Lacombe ou de la jeune juive, ils n’ont aucun objectif politique, raciste ou social. Ça c’est passé pour eux comme pour 90 % des gens : dans la confusion. »

Par souci de vérité, Louis Malle décida d’engager des inconnus : « Des comédiens non professionnels, car je crois que cela achève de troubler les spectateurs qui n’ont plus le moyen de fuir en se disant : « C’est du cinéma », dans la mesure où ils ne reconnaissent personne sur l’écran. Ils adhèrent alors complètement à l’histoire qui leur est racontée. »

Aurore Clément, qui joue le rôle de France, la jeune juive, était un jeune mannequin qui n’avait jamais fait de cinéma ; la grand-mère Thérèse Giehse, une comédienne de théâtre allemande; le tailleur fut interprété par un acteur suédois de soixante-dix ans, Holgen Lowenadler.

Quant à Pierre Blaise, la révélation de ce film, il était émondeur d’arbres dans une ferme à Durfort La-Capelette (Tarn-et-Garanne), quand Louis Malle le découvrit.

« Quand je l’ai connu, raconte-t-il, il n’avait pas été une seule fois au cinéma de sa vie. Il était sauvage et violent et, en même temps, d’une extraordinaire sensibilité. Je l’ai très peu dirigé, car il savait plus du personnage que moi. Il le connaissait de l’intérieur, par des rapports intimes et intuitifs d’une justesse unique. Je n’ai jamais plus rencontré un semblable talent naturel. Je le consultais sans arrêt pour les dialogues, les situations : il avait toujours raison. Après le film, nous étions restés très proches. Ses parents habitaient près de Moissac, dans le Tarn-et-Garonne et, la veille de sa mort, le 30 août 1975, il m’avait téléphoné pour me prévenir qu’il m’apporterait du raisin, le samedi. Il s’est tué en voiture avec deux de ses copains dans la nuit. »

L’argent qu’il avait gagné avec « Lacombe », le premier qui lui appartint, lui avait servi à acheter un tracteur à son père qu’il adorait, et, malheureusement, sa première voiture.

Danièle SOMMER  Télé 7 jours no 937, p. 72-73.

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11 Commentaires

  1. Serait-ce l’image du traître ?
    Je n’ai pas vu le film, mais des puants qui infiltrent pour « donner » à l’ennemi, ça ne manque pas en France .
    Je ne regarderai pas, car je n’aime pas les histoires d’anti-héros.

  2. Ce film est vraiment un « MUST »! L’acteur principal qui incarne Lacombe Lucien est formidable ! Louis MALLE a fait très fort. Je me rappelle du générique de début avec les arabesques routières d’un cycliste sur un musique de Jazz manouche ……Vraiment super !

  3. Lucien Lacombe qui tue au lance-pierre l’oiseau qui chante, c’est un peu « téléphoné », un peu grossier, non ?

  4. Louis MALLE avait une maison dans le Lot, c’est là que le film fut tourné. Elle appartient toujours à la famille.
    A quelques km de là il y a Escamps et voilà ce qu’il y a dans la Dépêche du Lot ce matin :  » La France a, enfin, un gouvernement. Ce dernier a été dévoilé samedi soir. Et parmi les nominations, celle d’Anne Genetet ( 61 ans ) en tant que ministre de l’Éducation. Un nom qui résonne jusque dans le Lot, puisque la femme politique est conseillère municipale dans un petit village de 240 âmes.  »

    Elle est médecin et possède un diplôme en communication ! Bref, elle est idéale pour faire de la pub…

    Le général De Gaulle en aurait dit par médiumnité :  »j’inventerais un ministère des choux farcis rien que pour elle. »

    Cela fait 50 ans que je suis dans le Lot et les résistants étaient très très minoritaires, comparé à la Corrèze proche où mes parents étaient dans la Résistance ravitaillée par Londres en armes…

    Le film : y a des sujets bien plus beaux à mettre en images, comme exemples à donner.

  5. Ce film est tout à fait représentatif de cette vague de dégénérescence pendant laquelle les racailles ont été érigées en héros et les victimes à nouveau passées à la trappe de l’humiliation. Ce genre de merdes commes les valseuses ou préparez vos mouchoirs. La fin du génial cinéma français. Il ne s’en est pas relevé…

  6. J’ai vu le film récemment à la TV. J’avais toujours zappé les passages de ce film à la télé car les scènes de torture me sont insupportables… Mais, cette fois, j’ai surmonté ma hantise et, sans éluder les scènes de brutalité qui m’ont effectivement choquée, j’ai été subjuguée par le jeu naturel de l’acteur principal, également par le mal qu’il accomplit sans en être conscient. Tout au moins, au début, lorsqu’il parle aux gestaltistes sous l’emprise de l’alcool. Par la suite, évidemment, il s’enfonce dans la lâcheté par appât du gain, « il peut ainsi aider sa mère financièrement »… Nulle excuse, bien sûr. Reste sa bouille craquante. Tous les traîtres sont-ils à son image ? Mais, pour revenir à l’acteur, il est triste de penser que c’est l’argent de son cachet qui lui a permis de s’acheter la voiture dans laquelle il s’est tué. Sans doute une vitesse excessive… Dommage, avec un tel talent, une telle candeur et une virilité assumée, le cinéma français tenait un magnifique fleuron !

  7. Un remarquable film du cinéma français sur cette période terrible…dans la droite ligne du « Vieux Fusil » de Robert Enrico! Aujourd’hui, le cinéma de notre pauvre pays serait bien incapable de produire des films de ce niveau, hélas!…

  8. Des « Lacombe Lucien » malheureusement on en a plein en France ça fourmille, ça grouille de partout, ça envahit l’espace public. Suivez mon regard et ça devient même députés à l’occasion.

  9. Merci à notre Monsieur Cinéma. Un film sur cette époque, avec ses lâches et ses héros, quoique des zones d’ombre subsiste encore.

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