(En arrière-plan, l’orchestre philharmonique de Berlin. En bas, de gauche à droite : Herbert von Karajan, Ferenc Fricsay, Carlo Maria Giulini, Leonard Bernstein, Gustavo Dudamel).
Le chef d’orchestre est-il un interprète à part entière ou simplement un bonhomme qui fait des gestes avec les mains ? Il s’agit là d’une question qui n’est pas sans intérêt.
Peut-être un début de réponse avec Stanislas Lefort en 1942 à l’Opéra Garnier :
Et si on commençait par une ouverture ? Le prélude du premier acte de Carmen, dirigé par Gustavo Dudamel (2’21 ») :
Et voici la même chose, avec Leonard Bernstein en 1973 (4’19 ») :
Une définition du mot interprète donnée par le Larousse est : personne qui traduit, exprime, représente de telle ou telle façon une œuvre artistique : Un grand interprète de Wagner.
Nous venons de voir comment deux chefs, à près de 50 ans d’intervalle, peuvent avoir une vision différente de la même œuvre, deux minutes de différence pour un morceau si court, c’est Bernstein qui est trop lent ou Dudamel trop rapide ? Ici c’est Bernstein qui est beaucoup trop lent, et d’ailleurs son enregistrement de l’opéra de Bizet avait choqué critiques et auditeurs.
Et si on voyait les chefs au travail ? On commence par Karajan, dans la quatrième symphonie de Schumann :
Nous avons vu un chef qui ne s’embarrasse pas de circonlocutions. Un bref topo et on démarre ! Comme à son habitude, Karajan né en 1908 et mort en 1989, travaille sans partition et on pourra remarquer une façon de travailler typique du chef autrichien : il arrête l’orchestre sans lui laisser le temps de terminer la première mesure (les musiciens détestent ça !).
Autre chef, autre méthode : Ferenc Fricsay, chef hongrois né en 1914 et mort en 1963 dans La Moldau de Smetana, un maestro souriant et tout en sensibilité :
Admirez comment il nous décrit la naissance de cette rivière et comment il évoque l’amour que ressentait le compositeur pour sa patrie !
« Le chef hongrois Ferenc Fricsay aurait donc eu 100 ans il y a quelques jours. Hélas, il n’en aura même pas eu 50… Né à Budapest, le 9 août 1914, il est mort d’un cancer à Bâle, en Suisse, en février 1963. Le musicien que le monde a perdu ce jour-là était grand. Très grand. Il est aussi l’un des trois chefs majeurs du XXe siècle fauchés trop tôt dans leur irrésistible ascension, à l’image de Guido Cantelli (1920-1956), mort dans un accident d’avion une semaine après avoir été nommé directeur musical de la Scala de Milan, et d’István Kertész (1929-1973), décédé par noyade en Israël ».
Voici maintenant le chef italien Carlo Maria Giulini (1914-2005), en 1997 avec le second mouvement de la neuvième symphonie d’Anton Bruckner :
Dans cet extrait on remarque que le maestro donne ses instructions en premier et il laisse l’orchestre jouer, il ne l’arrête qu’au bout de 3’38 ».
Leonard Bernstein (1918-1990), depuis ses émissions Omnibus et les Young People Concerts a toujours eu une âme de pédagogue, il le prouve dans cette répétition de la première symphonie de Dimitri Chostakovitch. Il est à la tête d’un orchestre de jeunes dans le Schleswig-Holstein au nord de l’Allemagne :
Je dois le reconnaître, Lenny a un petit côté cabotin !
On va terminer cette séquence de répétitions avec Gustavo Dudamel, chef vénézuélien né en 1981. À Caracas, il répète la symphonie héroïque de Beethoven avec l’orchestre Simon Bolivar en prévision d’un concert à Bonn, ville de naissance du maître allemand…il fallait oser ! Je vous propose deux extraits :
Ici, on est vraiment en famille ! Et j’apprécie le mot de Dudamel, « le chef d’orchestre joue d’un instrument silencieux » et j’en profite pour citer ce qu’un jour on avait dit de Bernstein, recordman des sauts en hauteur pour un maestro « tous ces musiciens pour n’en faire danser qu’un seul » !
Pour terminer, on va rester avec Beethoven et sa troisième symphonie, les dernières mesures du premier mouvement par Hermann Scherchen en 1958 :
Et la même chose avec Giulini en 1979 :
Pour information, ce mouvement (avec les reprises) dure 14’39 » chez Scherchen et 20’33 » chez Giulini, presque six minutes de différence, ce qui est considérable ! Pour information, le mouvement est noté Allegro con brio ; j’avoue que chez Giulini je n’ai trouvé ni allegro ni brio et pourtant l’enregistrement s’est vu attribuer un 10 de la revue Répertoire ! J’ai acheté le CD mais je n’ai jamais pu écouter l’œuvre jusqu’au bout. Qui a tort entre ces deux chefs ? À chacun de juger en fonction de sa propre sensibilité.
Pour terminer cet article, j’en reviens à son titre : un chef d’orchestre est-il ou non un interprète ? Poser la question, c’est y répondre.
J’ai envie de laisser le dernier mot à Karl Böhm :
Oui le maestro a parfaitement raison : andante vient de l’italien andiamo qui signifie Allons-y ! D’un point de vue musical, un andante est en quelque sorte le plus rapide des mouvements lents, largo, lento, adagio entre autres. Quant à la signification du terme con moto, avant de visionner cette répétition de Schubert, je ne savais pas ce que cela signifiait et pourtant cela faisait cinquante ans que je vivais avec cette énigme non résolue. La faute aux quatre barbus et à leur parodie de la cinquième symphonie de Beethoven avec le fameux andante con moto :
Filoxe
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évidemment que le chef interprète… il dirige et interprète à la fois… il dirige les hommes (les musiciens) et la technique (coordination du collectif), et interprète à la fois (il transmet sa sensibilité et sa vision à l’oeuvre)… la différence entre deux chefs dans une même partition ? C’est comme la différence entre deux politiciens dans le même poste : observez les différences de direction et d’interprétation entre de Gaulle et Macron dans le même poste… vous voyez la différence ? Eh bien, pour les chefs d’orchestre c’est pareil. Après, chacun ses préférences de style… J’aime bien Furtwängler et de Sabata… c’est plus ancien, mais très beau aussi… Merci pour votre article précieux !
Donc, le pianiste est chef d’orchestre et interprète en même temps alors. En effet, il se dirige (comme homme) ainsi que sa technique, et transmet sa sensibilité et sa vision de l’œuvre.
Sur les affiches des récitals de pianistes, il faudra désormais inscrire : « La pianiste Valentina Lisitsa va diriger et interpréter l’opus 111 de Beethoven ».
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Mais dit, ami, Gaspard de la nuit ne serait-il pas un recueil de poèmes en prose de Bertrand ? Mais surtout un extraordinaire triptyque pour piano de Maurice Ravel, composé en 1908 ? Bien connu des mélomanes… 😃
Le chti français parle de direction plutôt que l’interprétation… j’ai envie de dire : ce sont les deux !
Ce qui est bien, c’est qu’on est libre de choisir l’enregistrement qu’on veut, selon ses goûts.
Merci Filoxe. Un fan de vos rubriques. J’adore l’extase que l’on peut lire sur le visage des chefs d’orchestre. J’imagine celle qu’ils auraient en cas de gastroentérite.
« J’imagine celle qu’ils auraient en cas de gastroentérite. »
Argo, l’unique !!
Vous oubliez ce magistral cas de figure : :
https://www.youtube.com/watch?v=8HjVDyXfpmk
Cher filoxe je vois que le sujet vous a interpellé et c’est vrai que l’on joue sur les mots! Moi je préfère parler de direction plutôt que d’interprétation, son équivalent au cinéma serait, je pense, le metteur en scène. En tout cas, a nouveau merci pour ce florilège des plus intéressants!
C’est moi qui vous remercie car votre commentaire précédent m’a donné l’idée de cet article !