Je souffre de collectionnite aiguë : est-ce grave, docteur ?

JE SOUFFRE DE COLLECTIONNITE AIGUË.  EST-CE GRAVE, DOCTEUR?

Dans la vie, on collectionne toutes sortes de choses, dont les ennuis, de toutes natures.  La vie ne m’a pas épargné sur ce plan-là. La santé, surtout. C’est peut-être pour cela que j’ai entrepris de collectionner un tas de choses hétéroclites. Et ce depuis longtemps. Peut-être  pour conjurer le mauvais sort.
Il y a un mois, mon épouse a entrepris de faire un grand nettoyage et du rangement. Elle m’a fait gentiment comprendre que je devrais peut-être me séparer d’un certain nombre d’objets qui encombrent la maison. Nous avons fait le tour de mes collections et les avons recensées  afin de faire le tri. La mort dans l’âme, je m’y suis résolu. Je peux vous dire que ça m’a remué les tripes. 
En premier lieu, les cuivres dont j’ai inondé les murs : plats décorés, poêlons, bassinoires, tableaux en cuivre repoussé,  une batterie de casseroles du même métal et des moules à gâteau du même métal également dans la cuisine. Et un plateau en bois laqué et décoré; lui, il n’a pas été menacé de disparition car il ne nécessite aucun entretien.  Une girandole en marbre et en bronze trouvée dans un grenier, des lanternes, des chandeliers. Plus un grand pichet ramassé devant un container de récupération. Ouvragé, un peu bosselé quand même.  Pas question de les vendre au récupérateur de métaux.  On m’a fait remarquer que ce n’était pas moi qui passait tout ce fourbi au Miror. Pour me sortir de cette embuscade, j’ai promis de  passer tous mes objets au vernis. Ainsi plus d’entretien. Ouf! ils ont échappé à la fonderie. 
Après est venu  le tour des pièces d’horlogerie.  J’ai le vice des montres, des pendules. Tout ce qui fait tic-tac m’attire. Je crois qu’il y en a une dizaine en tout. Elles sont toutes en état de marche. Je passe un temps fou à les remonter. Le temps passant, nous avons fini par nous habituer à leur vacarme. J’ai neutralisé la sonnerie du carillon Westminster, ça nous réveillait la nuit.  Je ne possède pas de Rolex, j’ai donc raté mon existence, mais des montres de gousset, que je remonte de temps en temps. Elles dorment dans un tiroir. Je remonte leur mécanisme quand j’y pense. Pour mon anniversaire, ma moitié m’offre une montre… à quartz. J’en ai bien une vingtaine. Vingt anniversaires. Avant elle m’offrait des boutons de manchettes ou des cravates.  Je ne sais même plus quelle montre mettre quand je sors. Et puis, je suis devenu un expert en changement de pile quand elles sont complètement déchargées. Jamais je ne me séparerai de mon bric à brac horloger. Jamais. Nous ne sommes pas revenus sur ce point.
Après ça, les vases, en cristal, en verre, en faïence. Il y en a bien onze, dont une majolique. J’oubliais le vase en métal argenté et ouvragé, et l’urne funéraire argentée elle aussi, récupérée à côté d’un cimetière,  vide de son contenu.  Le plus chouette, c’est un vase de Murano, ramassé sur une décharge car fêlé sur un côté. Je l’ai placé au-dessus d’une armoire et tourné le côté abîmé contre le mur. Il a fière allure. Pas question que je m’en sépare. Idem pour ma collection de tasses à café, de plats à motifs chinois, de cafetières de toutes origines, en faïence, les éléphants , eux-même en faïence,  qui trônent au-dessus de l’argentier,   le service à café en porcelaine de Limoges  acquis à bas prix. Un autre à motif chinois. Hors de question de virer les personnages en  porcelaine biscuit dans la vitrine. Les lampes également, de vieilles machines cabossées, qui datent d’avant les années trente. 
La journée était bien entamée quand nous nous sommes intéressés à la vaisselle que j’ai copieusement entassée dans le buffet-vaisselier. D’ailleurs les étagères sont occupées par des assiettes décoratives. Je me suis montré intraitable au sujet du service en porcelaine de Bavière, idem pour les bonbonnières. Pas question non plus de fourguer  tous les verres en cristal qui encombrent les parties hautes du buffet. Surtout pas les six flûtes à champagnes de Baccara que j’ai eues pour presque rien. Ni les autres services de verre qui dorment dans leurs écrins, et pas plus les deux ménagères en métal argenté dont nous ne nous servons jamais. J’ai bataillé pour garder les soupières, le service à gâteau de Gien, les salières.  
Après nous avons évoqué le sort  de ma collection de fèves, pas le légume, mais celles des galettes des rois. Je refuse qu’elles quittent la maison. Ça m’arracherait le cœur. Idem pour la vieille boîte à cigares, en cuir et armoriée. Elle sent encore l’odeur des havanes quand on l’ouvre. Pareil pour la sculpture du pélican.  Ma collection de minéraux, dont un quartz rose, des fossiles de coquilles Saint- Jacques et  des oursins datant du temps où la mer primitive recouvrait la région,  et d’autres pierres remarquables. Je les ai patiemment récoltés pendant de longues promenades  à travers champs après les labours. Hors de question de brader ce patrimoine. 
Les meubles ont été aussi évoqués. Plus de  trente ans de vide-greniers, de brocantes. Des commodes en piteux état, que j’ai patiemment restaurées, un fauteuil breton pour lequel le vendeur m’a donné des lattes en bois pour le réparer, d’autres dont l’assise est en paille,  un meuble anglais payé à vil prix que j’ai retapé, des chaises que les gens avaient jetées et dont j’ai refait l’assise. Un coussin de velours par-dessus , et le tour était joué. Une table de ferme qui encombre la cuisine.  Des armoires, deux bibliothèques retapées elles aussi, dont une sert de meuble de salle de bain. Une table de toilette au marbre fêlé, mais qu’importe!  Et les tableaux aux murs! Pas des œuvres de maîtres. Parfois une bonne surprise, acquise pour dix euros, une aquarelle  en vaut 350. Elle était signée et j’ai retrouvé le peintre. Le reste,  des trucs sans valeur : des scènes de chasse, une marine, une autre aquarelle d’un amateur,  des tapisseries sous verre. Des gravures jetées à la poubelle représentant des chiens de chasse que j’ai encadrées.  Bref, un capharnaüm. Et je ne vous parle pas des bouquins, des vieux livres que je chine chez les brocanteurs du coin. Il y en a partout. Même par terre. 
J’ai longuement plaidé ma cause. Finalement mon épouse s’est inclinée. Elle a compris que je ne pouvais pas  vivre sans mon  bric-à-brac. Je lui ai promis de cesser d’encombrer plus la  maison. Sauf que l’autre jour, de passage dans une brocante, juste pour regarder, j’ai trouvé une pendule en biscuit, et qui marchait. Pas chère du tout. Je l’ai installée sur le bahut anglais, elle a fière allure. J’ai promis que c’était le dernier achat. Mon épouse affichait un air dubitatif qui m’a arraché le cœur. J’étais pourtant sincère.
Vous allez probablement me prendre  pour un fêlé, mais j’ai le sentiment d’avoir sauvé la mémoire de leurs possesseurs. J’ai même parfois l’impression d’une présence invisible. Ou alors ce sont les objets qui me parlent de leur vie mouvementée. «Objets inanimés, avez-vous donc une âme…»

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13 Commentaires

  1. Respect, même si je ne partage pas. Ayant été, dans une première vie, photographe près de 25 ans et toujours pratiquant comme loisirs, j’ai limité ma collection à une quinzaine de pièces.

  2. « J’ai sauvé la mémoire de leurs possesseurs ». O temps, suspends ton vol… C’est le temps heureux dont vous essayez de retenir en en conservant des traces, à défaut de pouvoir l’empêcher complètement de fuir. Un autre partait à sa recherche car il l’avait perdu.

  3. Cher Argo, je souffre du même mal que toi et c’est une maladie chronique qui me poursuit depuis mon enfance sans espoir de rémission. Je suis collectionneur invétéré de modélisme (et comme toi de montres qui font tic tac) et je me soigne en publiant des articles de modélisme sur RR.

  4. @ Argo
    Texte très sympathique, merci, et je vais faire ma « savante » en revenant vers la racine grecque du mot, à savoir – souffrir avec -, car je suis dans la même situation que votre épouse …

  5. Argo, heureusement que l’envie ne vous ai pas pris de collectionner les cons ou les hommes politiques, là votre femme serait dépassée par le nombre de ces « objets » sans valeurs! Où même les poubelles ne veulent pas les accueillir. 😅😅😅

  6. La collection c’est la pulsion, allô docteur, j’ai bien connu aussi avec les modèles réduits, aucune inquiétude vous n’êtes pas encore envahi, pas besoin de toubib il y a bien pire dans ce domaine…

    • Je collectionne aussi les modèles réduit de voitures radio commandée ancienne (+ de 300 modèles) , ça prend de la place et du temps pour les remettre en état de rouler . J’ai aussi une douzaine de vieilles motos et des cyclos sport à vitesses flandria .
      Je pense aussi être un malade (lol)

  7. Il est parfaitement sain de s’émerveiller devant la beauté des objets, de vouloir s’entourer de ces trésors et d’admirer le savoir-faire des artisans. Toutes ces choses font partie de notre art de vivre.

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